D'abord le plan, pour mieux comprendre les péripéties:
(NDLR: Récit un peu "hard" mais véritable, âmes sensibles abstenez-vous)
Faut toujours respecter l’éclaireur de pointe, ou ne pas monter d’embuscade :
Les faits se déroulent au Printemps de l’an 1961, notre CPA 10, en base avancée à Berrouaghïa, campe sur le terrain de foot.
Un renseignement sérieux mentionne le passage d’un groupe Fell dans notre secteur d’activité; ordre au 10 de lui monter une embuscade et la troisième section va s’en charger, sous les ordres du Lt Jam.. (Roger) secondé par le Lt Thié….t, ainsi qu’un sérieux baroudeur, le Sgt Monf…..i
Mise en place discrète à la tombée de la nuit.L’emplacement n’est pas engageant : une large lande, très mal boisée, sans le moindre abri naturel, ni rochers, ni fossés, ni rocailles pour échafauder les abris personnels de rase campagne, or la casquette « bigeard » n’a pas la résistance d'un casque lourd ; bref aucune armure en cas de tirs tendus, ou d’éclats de grenades,
ce n’est pas rassurant, il va falloir avoir l’œil à tout pour conserver l’initiative absolue ! L’effet de surprise ! Et rester au maximum le nez dans le thym… si se déclenche un combat.
Quelques touffes n’ont jamais constitué une barrière efficace contre la mitraille. De plus le sol est lamentablement plat…
La section 3 est en quelque sorte « à poil » pour un combat prévisible…
Le centre de gravité de l’embuscade : Croisement d’une piste moyenne légèrement incurvée, de A2 à C1 avec, en B2, un sentier anodin qui la coupe à angle pratiquement droit.
A cheval sur A1, B1, un gros talus domine cette si morne plaine, le Sgt M. y installe sa voltige, lui Carabine US, le Caporal Roger S... Mas 56, plus deux ou trois voltigeurs en Mat 49 ; ils surplombent un peu la situation mais constituent aisément à eux seuls une paroi de la nasse.
A droite de la piste en C1, la pièce: Mitrailleuse AA52 avec tireur, chef de pièce et deux pourvoyeurs de bandes s’installant pour prendre en enfilade A2, B2, C1, soit le parcours de la piste que devrait emprunter le groupe signalé.
Le reste de la section complète la nasse en prenant les positions C2, C3, B3, B2, des distances, des distances absolument, ne pas s’agglutiner surtout car l’endroit est vraiment dangereux.
On organise les tours de « Schouff » et, tous ceux qui ne schouffent pas, en réserve dans les duvets tout armés et au plus ras du sol possible !!! Pas un bruit, pas un mot, pas la moindre lueur, il fait une petite lune qui nous donne l’avantage, le seul, de voir fort bien le théâtre d’opération, sans la gêne d’arbres, ou buissons, on suspend son souffle car le renseignement était en béton, à preuve :
Vers le milieu de la nuit, sans un bruit, à prendre même pour une apparition, la silhouette floue sous la lune d’un gus se profile en A2, entre en scène délibérément par la pleine piste. Rêve ou cauchemar, son allure ne fait aucun doute il va sans hésitation, à pas de loup, arpenter comme on s’y attendait notre piste, droit vers le nez de la mitrailleuse ; apparemment il ne se doute de rien…
On ne bronche pas au Commando et tous les yeux ouverts dans ces instants voient ce fell défiler, imperturbable, il est tout seul !!!
Eclaireur de pointe, avec une équipe derrière lui, invisible en ce moment, ou messager isolé chargé de quelque mission individuelle (gonflé le gars !) ???
Toujours à pas feutrés, il arrive à la hauteur de notre mitrailleuse, la dépasse et va continuer sa trajectoire en sortant indemne de notre dispositif…
Instant poignant, Cornélien, l’idéal serait de pouvoir le neutraliser au couteau, ou autrement… Attention, il est vachement bien armé, ce n’est pas un poète en quête d’inspiration nocturne, non, pas vraiment ; et il va nous échapper, et aucun fellouze ne lui a encore emboîté le pas… Dilemme, faut-il l’abandonner à sa promenade interdite ?... ou le shooter ???
!!! Une rafale de PM Mat 49 jaillit de l’équipe de Pièce et le fell est foudroyé dans le dos, sur le chemin, celui-ci ne s’échappera pas…
Mais, aussitôt en A2, surprenante, une grosse arme automatique fellouze crache en direction de notre dispositif, balayant comme à l’exercice en direction de C1, C2, C3 d’un tir soutenu au ras du sol qui semble durer mille ans.
Notre pièce riposte, guidée par les feux sortant de la mitrailleuse adverse et les bandes de l'AA52 s'égrènent à vive allure. L’échange fait rage dans un bruit d’enfer, et de cris chez nous, plutôt des hurlements à la mort !!!
Les fells devaient connaître ce coin, car un élément à eux tente un contournement par A1, B1 pour profiter de l’altitude si relative, mais bien utile en pareille circonstance !
C’était sans savoir que la voltige du Sgt Monf.. tenait la place et, voyant grouiller à moins de trois mètres ces farouches combattants de qualité (il faut le reconnaître), les repousse de toutes leurs maigres munitions… et les fellouzes détalent à reculons pour retourner vers leur pièce qui mitraille toujours !!!
Quand elle se tait définitivement, on tente de retrouver des indices, des armes, des blessés, des morts; peine perdue, les rebelles se sont évanouis comme ils sont arrivés, ce devait être une sacrée unité bien entraînée et très technique.
Mais chez nous, c’est la désolation : Le Lieutenant Thiéb…t, criblé de balles dans son duvet, agonise en commentant sa fin tragique : "Mes pieds, je ne les sens plus, maintenant j’ai les mollets tout froids et ça me gagne les cuisses ; pendant vingt bonnes minutes il décrit les symptômes de sa mort; mon ventre, je ne sens plus rien,
je ne veux pas mourir ; mais les gars, vraiment, je vous aimais bien !… (Il est conscient que sa mort prochaine est inéluctable).
Puis il s’éteint, définitivement et dans un bain de sang incroyable dont se rappelleront longtemps ceux qui transportèrent le corps du lieutenant aux camions des renforts alertés à la fin cette nuit horrible.
Marti…n, le deuxième classe qui devait être libéré après cette opé, pour aller se marier dans le Nord, reçut une rafale dans la poitrine, de face, en pleine riposte et son dos n’était plus qu’une cavité sanglante, qu’on a dû bourrer de chèches emplis de tout ce qui pouvait faire assez de volume pour tenter de stopper une hémorragie-fleuve. Vivant encore sous l’effet de l’adrénaline, notre ami va tenir bon jusqu’à Berrouaghïa et l’Evasan, pour mourir en arrivant à l’hôpital Maillot. Pauvre gars et pauvre fiancée, le destin peut se montrer cruel, même avec les plus doux. Quelle connerie la guerre !…
Et, encore un, J.C. Go..t, droitier plutôt intellectuel, chef d’entreprise dans le civil, atteint par une rafale en plein bras droit; à Maillot il sera amputé jusqu’à l’épaule; pendant toute l’Evasan, conscient, il montre un courage exemplaire, sans une plainte… tout dans les yeux, à vous faire chavirer à sa place de douleur, sacré Jean-Claude, on avait le même âge et on refaisait le monde, entre deux opés.
Quand un officier supérieur vint le décorer sur son lit de l’hôpital Maillot, à Alger, déjà couvait le Putsch, sans qu’on en sache, J-C Go..t a carrément envoyé se promener cet officier attendri, mais qui incarnait la hiérarchie de la déconfiture.
Avec le recul, disons qu’il a bien fait, qu’est-ce qu’une médaille en regard d’une vie brisée, pour une cause perdue d’office ?
C’est toujours après la bataille qu’avec des si et des mais on croit pouvoir conjurer le sort et refaire une réussite d’une catastrophe; en effet mais pour l’avenir, les stratégies de l’embuscade, on devrait déplorer que l’éclaireur de pointe fellouze fut abattu ; l’eut-on laissé filer avec ses visions lunaires dans cette nuit morbide, que le reste de la bande se serait découvert et le déroulement aurait été plus conforme à l’objet de cette opération : Le sacrifice de ce combattant a sauvé la vie à tout son groupe et retourné l’arrosage contre l’arroseur , non par manque de sang-froid, ou de technique, c’est trop facile de juger… mais tout de même, Charles Péguy ne le prophétisait-il : « La technique ou la mort » ce qui veut dire, dans le cas présent, combien l’on doit être scrupuleux pour les règles de la guerre, afin de ne pas ajouter des regrets, ou remords à la défaite...
Pour un adversaire qu’on n’a pas voulu troquer contre une stratégie plus rigoureuse… !