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Sujet: Colonel Roger TRINQUIER Mar Avr 04 2023, 10:13
Le Colonel Roger TRINQUIER
Roger Trinquier est né le 20 mars 1908 dans une famille de paysans à La Beaume dans les Hautes-Alpes. Il fait ses études à l’école communale de son village natal où il obtient son certificat d’études en 1920. En 1925, il entre à l’école normale d’Aix-en-Provence.
Élève officier de réserve en 1928 lors de son service militaire, il prend le commandement d’une section de tirailleurs sénégalais à sa sortie de l’école à Fréjus dans le Var.
À la fin de son service, Roger Trinquier s’engage dans l’armée et intègre l’école des officiers d’active de Saint-Maixent d’où il sort sous-lieutenant en 1933. Affecté un temps à Toulon au 4e RTS, il embarque le 11 mai 1934 à destination de l’Indochine où il rejoint Kylua, au Tonkin, à proximité immédiate de Langson. Il prend ensuite le commandement du poste de Chi Ma, à la frontière de la Chine.
En poste à Pékin à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il est replié en janvier 1940 dans la concession française de Chang-Haï, où un petit bataillon mixte (Européens et Annamites) maintient la présence militaire française malgré l’occupation de la ville de Chang-Haï par les troupes japonaises. Mais, en mars 1945, à la suite du coup de force japonais en Indochine, le bataillon, depuis longtemps coupé de la Métropole et dont il est devenu l’adjoint du chef de corps, sera interné dans ses propres casernements, le drapeau est maintenu... Lors de la capitulation japonaise, les Français récupèreront les armes qui ont échappé aux fouilles et reprendront une certaine autonomie, vivant à crédit jusqu’à l’arrivée des autorités "gaullistes". Objet de suspicions et considérés comme "collaborateurs" des Japonais, les officiers du bataillon devront remplir un questionnaire détaillé au sujet de leurs activités durant la période 40/46...
Trinquier, à la suite du suicide de son chef de corps et moralement affecté, refusera et même posera sa démission. Le général Salan le convainc de rester et il se porte immédiatement volontaire pour l’Indochine. De ce fait son avancement sera compromis durant quelques années.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il participe, toujours avec le grade de capitaine, à la reconquête de l’Indochine au sein du groupement parachutiste Ponchardier. Au sein du groupement, rapidement, après quelques combats et en dépit de la méfiance réciproque, l’amalgame se fait entre les Anciens (ceux de Chine) et les Nouveaux (ceux de Leclerc). En fin de séjour, le commandant Ponchardier le propose à l’avancement mais le fameux questionnaire ressort et Roger Trinquier refuse de le remplir. Il reste capitaine... À la mi 1946, il est muté à Tarbes comme adjoint du commandant Dupuis pour former le 2e BCCP (bataillon colonial de commandos parachutistes). Ce bataillon est engagé de 1947 à 1949 en Indochine dans des opérations de contre-guérilla (voir Coup de chance pour Trinquier.Opération Véga). Le capitaine Trinquier en reçoit le commandement après la mort du chef de bataillon Dupuis jusqu’à son retour en Métropole et sa dissolution.
Enfin promu chef de bataillon, il repart en Indochine en 1951 où il prend, pour le compte du SDECE (service de la documentation extérieure et du contre-espionnage) la tête du "service action" du Tonkin, puis de l’ensemble de ces mêmes services pour toute l’Indochine. À ce titre, il dirigeait le fameux GCMA (groupement mixte de commandos aéroportés, devenus, plus tard, le GMI - groupement mixte d’intervention) qui organisait les différents maquis sur les arrières du Vietminh. Il rentre en Métropole en janvier 1955 après la défaite de Ðien-Biên-Phu... Lieutenant-colonel, il est affecté à Paris à l’état-major du général Jean Gilles, commandant les troupes aéroportées.
En août 1956, il rejoint l’Algérie et prend le commandement de la Base Aéroportée d’AFN, puis devient l’adjoint du général Massu, commandant la 10e division parachutiste (10e DP), lors de la bataille d’Alger. Il est à l’origine de la création du « dispositif de protection urbaine » (DPU).
De juin 1957 à mars 1958,il commande la Base École des Troupes Aéroportées (BETAP) à Pau. En mars 1958 il remplace le colonel Bigeard à la tête du 3e RPC (régiment de parachutistes coloniaux) qui deviendra 3e RPIMa (régiment de parachutistes d’infanterie de marine).
Le Colonel Trinquier décore un parachutiste
Membre du Comité de salut public d’Alger du 13 mai au 11 juin 1958, il reprend le combat à la tête de son régiment dans le sud et en Kabylie où il capture le commandant Azzedine. Le premier semestre 1959, il prend part aux opérations du plan Challe en Oranie et l’Ouarsenis.
En juillet 1959, il prend le commandement du secteur d’El Milia dans le Constantinois avec son chef d’état-major le capitaine Dabezies.
Roger Trinquier entretient une correspondance suivie avec le général Salan et fait part de son désenchantement, puis de sa défiance vis-à-vis de la politique algérienne du général de Gaulle.
En juillet 1960, Roger Trinquier, très engagé dans la défense de l’Algérie française est alors rappelé en métropole et affecté en décembre à l’état-major du général commandant le groupe de subdivisions à Nice.
En janvier 1961, Roger Trinquier, est sollicité pour une intervention au Katanga, il rend compte immédiatement et est reçu par Pierre Messmer, ministre des Armées. À la demande du ministre et en toute confiance car c’est l’usage en de pareilles circonstances, il signe en blanc une demande de retraite anticipée, au cas où...
Pierre Messmer aurait alors proposé à Roger Trinquier de partir pour le Katanga avec pour mission de monter la première armée indépendante du nouvel État du Katanga, à la demande de son président Moïse Tshombe. L’assassinat de Patrice Lumumba par les gendarmes katangais, met fin à la coopération officieuse de la France. Roger Trinquier rentre à Paris à la fin du mois. Quelques officiers français resteront, on les appellera les "affreux". Le 26 janvier 1961, le ministre des Armées ressort la demande de mise à la retraite anticipée et le met d’office en position de retraite.
Fin avril 1961, en route pour le Katanga par la Rhodésie, il apprend à Athènes la nouvelle de la révolte d’Alger. Revenu en France, il se consacre désormais à la réflexion et à l’écriture d’ouvrages inspirés de son expérience, tout en restant fidèle à ses compagnons d’armes impliqués dans la révolte des généraux, improprement appelée putsch d’Alger, l’objectif des révoltés n’étant, de toute évidence, pas la conquête du pouvoir.
Il a participé à la création de l’Union nationale des parachutistes avec le colonel Buchoud et en est le premier président de 1963 à 1965.
Il meurt de façon accidentelle le 11 janvier 1986 à Vence.
Le Colonel Roger TRINQUIER était titulaire des décorations suivantes:
Commandeur de la Légion d’honneur;
Croix de guerre 1939-1945;
Croix de guerre des Théâtres d'opérations extérieures;
Croix de la Valeur militaire ;
Croix du combattant ;
Médaille coloniale agrafe « Extrême-Orient » ;
Médaille commémorative de la guerre 1939-1945;
Médaille commémorative de la campagne d'Indochine;
Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre en Afrique du Nord.
14 citations dont 10 à l’ordre de l’armée
Bibliographie:
La Guerre moderne, Editions de La Table ronde, Paris, 1961.
Le coup d’État du 13 mai, Esprit Nouveau, 1962.
Notre guerre au Katanga, La Pensée Moderne, 1963 (en coll.)
L’État nouveau, la solution de l’avenir, Nouvelles éditions latines, 1964.
La Bataille pour l’élection du président de la république, L’Indépendant, 1965.
Guerre, subversion, révolution, Robert Laffont, Paris, 1968.
Les Maquis d’Indochine, SPL Albatros, 1976.
Le Temps Perdu, Albin Michel, Paris, 1978.
La Guerre, Albin Michel, 1980.
Le 1er bataillon de bérets rouges, Indochine 1947-1949, Plon, 1984.
La Guerre moderne (1961)
La Guerre moderne de Trinquier a été considéré comme l’un des manuels de la guerre contre-insurrectionnelle, soulignant l’importance du renseignement, de la guerre psychologique et du volet politique des opérations armées. Il a été abondamment cité par le général britannique Frank Kitson, qui a travaillé en Irlande du Nord et est l’auteur de Low Intensity Operations : Subversion, Insurgency and Peacekeeping (1971).
Selon un entretien du colonel américain Carl Bernard avec la journaliste Marie-Monique Robin, Paul Aussaresses, qui travaillait alors à Fort Bragg, centre d’entraînement des forces spéciales américaines, lui a montré un brouillon de ce livre10. Aussaresses et Bernard ont alors envoyé un résumé du livre à Robert Komer, un agent de la CIA qui deviendra l’un des conseillers du président Lyndon Johnson pour la guerre du Viêt-nam. Selon C. Bernard, c’est « à partir de ce texte que Komer a conçu le programme Phoenix, qui est en fait une copie de la bataille d’Alger appliquée à tout le Viêt-nam du Sud. (...) Pour cela, on retournait des prisonniers, puis on les mettait dans des commandos, dirigés par des agents de la CIA ou par des bérets verts, qui agissaient exactement comme l’escadron de la mort de Paul Aussaresses. » .
Le coup d’État du 13 mai (1962)
Dans Le coup d’État du 13 mai, Roger Trinquier démontre comment la Cinquième République s’est établie par un coup d’État, le putsch d’Alger de 1958.
Citations:
« Les erreurs dues à la bonté d’âme sont (...) la pire des choses. Comme l’usage de la force physique n’exclut nullement la coopération de l’intelligence, celui qui en use sans pitié et ne recule devant aucune effusion de sang prendra l’avantage sur son adversaire. »
« Ces exactions systématiques sont l’expression d’une révolution dans l’art de la guerre censée répondre à la "guerre totale" menée par les rebelles par une politique de terreur dont l’enjeu est le ralliement des populations. »
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Mar Avr 04 2023, 10:20
Bonjour Un des grands patrons du 3; mais, s'il voyait ce qu'est devenu l'UNP... JJ
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Mar Avr 04 2023, 19:02
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Jeu Avr 06 2023, 18:53
IL EST DES HOMMES QUI LAISSENT UNE EMPREINTE INDÉLÉBILE
ROGER TRINQUIER.
Roger Trinquier repart deux fois au combat en Indochine. Il nous l’a raconté dans ses ouvrages : "Le premier bataillon de bérets rouges coloniaux" puis dans " Les maquis d’Indochine".
Mais il ne se contente pas d’écrire ses souvenirs. Il étudie : "La Guerre Moderne" dont il a su clairement démêler les rouages embrouillés et, sous ce titre, émule de Clausewitz, il dote ses compagnons d’armes d’un manuel pour la gagner – souvenez-vous, la République d’Indonésie, des centaines d’îles en un archipel de plus de 5000 kilomètres, sur lesquelles vivent plus de 100 000 000 d’habitants, l’a mis en pratique avec rigueur et en a tiré les plus importants résultats.
Nos soldats ont combattu des années à des milliers de kilomètres de leur sol natal, mais plus loin encore du cœur de ceux de l’arrière, si loin que voyant, chaque jour, tomber tant de leurs meilleurs compagnons, ils se sentent abandonnés et , ils le sont officiellement en 1954. La paix ne leur est pourtant pas offerte pour cela… beaucoup reprennent le combat en Algérie.
Roger Trinquier, un des plus clairvoyants, se trouve confronté aux plus hautes responsabilités, au point qu’avec le Général Massu, il crée, le 13 mai 1958, le Comité de Salut Public d’Alger.
Il nous dit simplement à son habitude :
"Nous venions d’entrer dans le Rubicon, sous peine de nous noyer, nous devions le traverser rapidement".
Ils ne peuvent malheureusement pas sauver l’Algérie.
Ils ont tout osé pour faire aboutir la politique de la France, comme c’était leur Devoir.
Mais la France a-t-elle encore une politique ? Si ce n’est celle de ses ennemis.
Le Colonel Roger Trinquier, commandeur de la Légion d’Honneur, titulaire d’une quinzaine de citations, fondateur de l’Union Nationale des Parachutistes, aurait été élevé à la dignité de Maréchal sous tout autre régime que celui que nous subissons depuis un demi-siècle.
Il vient de trouver la mort, le 11 janvier 1986, à l’âge de 78 ans, en prodiguant des soins d’hiver aux arbres qu’il avait plantés, dans son jardin simple et magnifique de Vence.
"Il n’y a pas de belle mort"
Mais terminer sa noble vie, un outil de paysan à la main, sous le grand ciel bleu du Bon Dieu, n’est ce pas un sort enviable ? Tant de nos pauvres semblables trainent désespérément un triste lambeau de vie, durant des mois, dans la morne prison d’un hôpital.
Nous garderons de notre ami Roger Trinquier un souvenir franc, gai, solide. Outre les nombreux ouvrages intéressants qu’il a publiés, il a, heureusement, pensé à écrire ses Mémoires dans lesquels, nous le retrouvons tel que nous le connaissons, nous qui l’aimons.
Ce fervent militaire ayant consacré trente-deux ans de sa vie, toutes ses facultés, toute son ardeur, à la défense de sa chère Patrie et de la Civilisation, les a intitulées, sans tristesse : Le Temps Perdu. Le temps pendant lequel il a dû trainer une arme et participer à la destruction et la mort.
Alors que son rêve était de mener la charrue pour faire pousser le grain, symbole de Paix et de Vie.
Et quand Dieu tout puissant des batailles rappellera près de lui ses enfants
Comblé d’honneurs ou criblé de mitraille
Dis au revoir à tes bleus en chantant
( Chant du C.L.I.)
Cet article nous le devons à un ancien du Commando S.A.S.B Groupement Autonome Ponchardier, qui depuis nous a quittés.
Trinquier mériterait d'être plus connu, c'est sans doute l'un des plus "grands"... Peu porté sur la publicité, mais sans lui pas de 13 mai...Ceci dit il crée avec le commandant Dupuis pour former le 2e BCCP, qui sera le premier bataillon à porter le béret rouge... ...Et ce n'est pas dit au-dessus, il recrée en Algérie le 3e RPC... que pendra Lenoir puis Bigeard...
Dernière édition par GOMER le Ven Avr 07 2023, 07:41, édité 1 fois
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Jeu Avr 06 2023, 19:03
« Libre propos : le propriétaire privé et la plaque»
Le contexte de ce libre propos :
Le colonel Roger Trinquier s'était retiré dans son village natal à La Beaume (Hautes Alpes). Sa présence avait entrainé de l'animation dans la commune, beaucoup de ses amis, des membres de l'Union Nationale des Parachutistes dont il avait été le Président, venaient lui rendre visite et tous se renseignaient pour savoir où était la maison du colonel Trinquier. Le village et ses élus avaient bien compris que l'enfant du pays était et restait un homme célèbre. Il décède en janvier 1986 et repose dans le cimetière communal. En 1987, le Général Massu, qui l'avait eu sous ses ordres à l'Etat-major de la 10è DP, propose de faire poser une plaque souvenir sur la façade de sa maison. La plaque fut posée le 21 septembre 1987 en présence des hautes autorités locales. En 2006, des anciens de l'UNP se rendent à la Beaume et constatent que la plaque n'est plus sur la façade de la maison mais a été déposée sur sa tombe dans le cimetière de la commune. Le nouveau propriétaire de la maison avait jugé que cette plaque était inopportune. Il était dans son droit et la municipalité n’a pas tenté de le dissuader.
Tout le monde ne voit pas l’Histoire dans le même sens...
Une affaire triste qui m’a inspiré ces quelques mots… (Auteur inconnu)
Un propriétaire « privé » …
Il me vient quelques mots.
Quelques mots qui ne servent à rien, qui ne visent personne mais que j’écris quand même. C’est finalement une histoire de plaque.
Une pauvre plaque.
Une plaque qui sert à identifier et que l’on coupe en deux parfois ?
Comme une plaque d’identification…
On l’avait fabriquée avec soin.
Une belle plaque, et en plus, un général connu devait la dévoiler. Et le jour venu, fière et belle, elle s’était montrée devant tous ces gens admiratifs…
Rayonnante et fière………
Ce fut éphémère. Une main de chez nous, bien de chez nous. Bon, je fais du mauvais esprit, c’était un bon gars, bien de chez nous. Pas un de ces types de nulle part, qui arrive comme les touristes étrangers surpris de voir qu’il existe des monuments aux morts en France…
Il avait pris ça pour un cadran solaire. Oui, ce genre de truc compliqué qui indique l’heure alors que vous avez RTL à portée de voix. Un machin qui ne sert à rien. Cette plaque indiquait une heure d’autrefois.
Plus personne dans le pays ne se souvenait de cette heure.
Une heure d’autrefois aujourd’hui !
Avec une ombre portée, dans ce pays plein de soleil. Mais c’est impensable.
Alors, ce brave homme, car il était certainement brave ce brave homme, est monté sur son escabeau pour décrocher la jolie plaque.
Personne ne s’est levé pour crier « au viol », ce n’était pas un viol et puis tout le monde s’en foutait.
Viol, vous avez dit viol ? Mais c’est insensé de porter de telles accusations ! Ce monsieur est libre, oui libre de décrocher sa plaque !
Alors, en bon citoyen, presque en compagnon d’armes, il a pris cette plaque d’identification avec ses références. Il ne l’a pas coupée en deux comme c’est l’usage car l’usage il ne connaissait pas. Peut-être a-t-il pris un peu d’eau bénite pour faire les choses « en règle » en souvenir de sa grand-mère…
Il a lu le nom du soldat sur la tombe. Elle correspondait à la plaque, alors, il l’a déposée là. Là où on avait enterré ce soldat.
Dans ce cimetière où reposent ceux dont on n’a plus besoin mais ce n’est peut-être qu’une rumeur.
Des fois que quelqu’un chercherait à le retrouver…
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Jeu Avr 06 2023, 19:20
En 1935-36, le capitaine Salan est commandant de compagnie et délégué administratif au poste de Dinh Lap dans le 1er territoire militaire de Mon Kay. Lors de ses tournées d’inspection, il rencontre le sous-lieutenant Trinquier, chef du poste-frontière de Chi Ma, en face de la petite ville chinoise d’Aï Diem. Quand le capitaine Trinquier apprend qu’il doit, comme tous les officiers restés en Chine et en Indochine entre 1940 et 1945, remplir un questionnaire afin d’être, éventuellement, réintégrés dans l’armée, écœuré, il donne sa démission. Il rencontre par hasard le général Salan qui l’assure de son soutien et le convainc de reprendre sa démission. Affecté en Algérie en août 1956, Roger Trinquier informe précisément Raoul Salan, en poste à Paris, de la situation et lui fait part de son analyse de la lutte à mener contre le terrorisme. Quand le général Salan est nommé commandant interarmées en Algérie, il s’entretient fréquemment de ce sujet avec le lieutenant-colonel Trinquier, ce qui donne naissance au Dispositif de Protection Urbaine (DPU). Le 16 mai 1958 au soir, le général Salan envoie Roger Trinquier à Oran pour y clarifier une situation confuse entre le général Réthoré, le maire Fouques-Duparc et les chefs des Unités Territoriales, mission que Roger Trinquier remplit fort bien avec le capitaine Léger. Le 4 juin 1958, pour la venue à Alger du général de Gaulle, président du conseil depuis le 1er juin, le général Salan donne l’ordre à Roger Trinquier d’éviter tout incident avec son entourage qui déplaît aux Algérois. Cela n’empêchera pas des capitaines de séquestrer Max Lejeune, ministre du Sahara, et Louis Jacquinot, ministre d’Etat pendant le discours du général de Gaulle («Je vous ai compris…»). En 1959, alors que Raoul Salan est à Paris, Roger Trinquier entretient une correspondance suivie avec lui et fait part de son désenchantement puis de sa défiance vis-à-vis de la politique algérienne du général de Gaulle.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Jeu Avr 06 2023, 19:26
ROGER TRINQUIER.
IL EST DES HOMMES QUI LAISSENT UNE EMPREINTE INDÉLÉBILE
De Clausewitz, souvent cité mais peu lu on a retenu cette expression :
"LA GUERRE EST LA CONTINUATION DE LA POLITIQUE PAR D’AUTRES MOYENS" .
C’est donc un devoir pour les militaires de suivre la politique de leur gouvernement, car, dans les cas extrêmes, ils devront la faire aboutir avec leur sang et celui de la jeunesse de leur pays.
Roger Trinquier.
C’est à la Baume des Arnauds, près de Luz la Croix Haute, aux confins des Hautes Alpes et du Dauphiné que Roger Trinquier, troisième des cinq enfants d’une famille de rudes paysans, vit le jour le 20 mars 1908..
Toute sa vie, il garda les pieds solidement posés sur la terre malgré ses nombreux sauts en parachute.
Il aurait souhaité rester à la ferme, mais elle était réservée au frère aîné.
"... j’aimais, la charrue solidement en mains, marché dans le nouveau sillon, au pas lent des chevaux, et le soir j’étais pleinement heureux et fier comme on l’est toujours après un travail bien Fait ".
Il fit donc des études et à la sortie de l’Ecole Normale d’Aix en Provence, rompant avec la tradition ancestrale, il choisit l’Armée Coloniale qui comptait à l’époque, 100 000 hommes, tous militaires de carrière. C’est plein d’enthousiasme qu’il arrive à Toulon une des plus vieilles garnisons coloniales au 4ème régiment de tirailleurs Sénégalais.
" L’Empire nous offrait l’espace, l’inconnu, l’aventure, il nous paraissait indestructible. Il nous avait déjà conquis" , écrit-il.
Première affectation : CHI MA près de Lang Son au Nord du Tonkin, " Où l’on sentait encore l’empreinte du grand Galleni ".
Perdu dans son petit poste frontière, son fief, il suit de près l’évolution de la triste situation de l’Europe où il rentre en 1936 pour être affecté à Sarralbe à la frontière allemande.
Puis, son tour de départ arrivant, c’est en Chine qu’il est envoyé en 1938. Il y côtoie : Anglais, Italiens, Allemands, Américains, Russes, Chinois et Japonais, bien sûr, puisqu’il y reste bloqué pendant sept ans.
En 1945, au lieu de rentrer au Pays comme il était en droit de l’espérer, il est débarqué à Saïgon.
Il y forme le 4éme Commando Parachutiste S.A.S.B. (Ponchardier) Groupement Autonome Ponchardier. Et la guerre, que l’on croyait définitivement gagnée puisque l’ennemi s’est rendu sans conditions partout, se rallume de plus belle. Une guerre particulièrement ignoble, où le courage, les connaissances acquises, ne suffisent plus : une guerre totale, sans loi, sans merci.
En Indochine
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Alexderome Admin
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 00:06
Ce questionnaire pour les soldats ayant combattu les Japonais dès 1940 puis en mars 1945, effectués la longue marche de la colonne Alessandri pour être internés en Chine et reprendre le combat est proprement infâme et une insulte à leurs souffrances.
« Je ne veux pas me faire ficher, estampiller, enregistrer, ni me faire classer puis déclasser ou numéroter. Ma vie m’appartient ». N°6 Le Prisonnier
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 09:50
A longueur de pages, nous faisons référence à " La guerre moderne" de Trinquier, or ce livre paru en 1961 est devenu difficile à trouver, donc le voici :
ROGER TRINQUIER
La Guerre Moderne
LA TABLE RONDE
40, RUE DU BAC PARIS-VII°
Le but visé par l'armée française en Algérie était de rendre aux Algériens leur liberté.
Des organisations de guerre clandestines, infiltrées au sein même de la population comme un cancer, et manipulées par une petite élite intellectuelle à la solde de l'étranger se sont efforcées par tous les moyens, même les plus barbares et les plus cruels, de soumettre les Algériens à leur volonté.
Malgré les souffrances subies, et les innombrables vies humaines sacrifiées dans ce but, le peuple algérien ne les a pas suivies.
Pour délivrer la population d'Algérie de ce mal, l'armée elle-même a dû bien souvent la bousculer rudement, et accroître encore ses souffrances.
Mais la masse des braves gens lui faisait confiance, car personne ne s'était jamais penché aussi près d'elle, et avec autant d'affection ; son cœur douloureux, l'armée l'a saisi à pleine main et l'a senti battre à l'unisson du sien.
Cette coopération intime, confiante, a surpris et déconcerté nos adversaires qui espéraient que nos méthodes souvent brutales allaient creuser entre elle et nous un fossé profond.
Mais la fermeté de la répression n'était réservée qu'à ses ennemis. Le peuple, qui les connaissait, ne s'y est jamais trompé.
L'armée française avait donc le devoir impérieux de continuer jusqu'au bout la tâche entreprise. Elle n'avait pas le droit de décevoir la confiance que tout un peuple lui a fait.
Si nous lui avions rendu sa liberté, et il n'aurait pu s'exprimer sans crainte, le peuple algérien aurait sans ambages donné son sentiment. Nous le connaissons : c'est une confiance inébranlable dans une Grande France devenue sa patrie.
Première partie
LA PRÉPARATION A LA GUERRE
I UNE NÉCESSITÉ :
Adapter notre appareil militaire à la guerre moderne.
La défense du territoire national est la raison d'être d'une armée. Elle doit être constamment en mesure de l'assurer.
Or, depuis la libération de la France en 1945, l'armée française n'a pas réussi à empêcher l'effondrement de notre Empire. Le pays pourtant a fait pour elle un effort sans précédent. Aucun militaire français ne devrait donc avoir de repos, tant que nous n'aurons pas mis sur pied une armée enfin capable d'assurer la défense du territoire.
Nous poursuivons l'étude d'une guerre dépassée, que nous ne ferons jamais, et nous ne portons qu'un intérêt médiocre à celle que nous avons perdue en Indochine et que nous allions perdre en Algérie, L'abandon de l'Indochine ou de l'Algérie est pourtant aussi important pour la France que la perte d'une province métropolitaine.
Le résultat de cette carence c'est que notre armée n'est pas préparée pour affronter un adversaire qui utilise des armes et des méthodes de guerre qu'elle ignore. Elle n'a donc aucune chance de vaincre.
Car, c'est un fait, en Indochine, malgré une supériorité manifeste en matériel moderne et en effectifs, nous avons été battus. Notre commandement a seulement tenté, d'une campagne à l'autre, d'acculer les Viet-minhs à une bataille rangée classique, la seule qu'il savait conduire ; il espérait que la supériorité de ses moyens matériels lui permettrait un succès facile.
Mais les Viet-minhs ont toujours su esquiver cette manœuvre. Lorsqu'ils ont accepté la bataille conventionnelle, vainement recherchée pendent des années, c'est parce qu'ils avaient rassemblé sur le champ de bataille des moyens supérieurs aux nôtres. Et ce fut Dien Bien Phu (mai 1954).
En Afrique du Nord, malgré nos précédents revers, notre armée, à quelques variantes près, emploie des procédés de combat analogues. Nous essayons au cours d'opérations multiples - sans cesse renouvelées - de saisir un adversaire qui nous échappe. Les résultats obtenus sont sans commune mesure avec les moyens et les efforts déployés. Nous dispersons en effet les bandes attaquées beaucoup plus que nous ne les détruisons.
Notre appareil militaire fait donc penser à un nouveau pilon qui tenterait d'écraser une mouche et qui inlassablement renouvellerait sa tentative.
Cette inadaptation de notre armée a des conséquences incalculables :
- elle laisse s'accréditer le sentiment que nos adversaires, qui ne représentent en réalité que de très faibles forces, sont invincibles et que, tôt ou tard, nous devrons accepter leurs conditions de paix ;
- elle encourage la diffusion d'idées dangereusement erronées, mais qui finissent par prendre corps dans la grand public. On accuse la France d'avoir fait des élections préfabriquées en Algérie, et on feint de croire que celles qui seront faites sous l'influence du F. L. N. seront sincères. Pourtant chacun sait bien que la menace qui pèsera alors sur les électeurs sera autrement efficace que les pressions administratives d'autrefois.
C'est cependant ce qu'une grande partie de notre presse essaie de faire admettre à l'opinion publique.
Or, nous savons maintenant qu'il n'est nullement nécessaire d'avoir la sympathie de la majorité de la population pour la diriger. Une organisation adaptée peut aisément y suppléer.*
* NP. Voir les dernières élections en France
C'est ce que font nos adversaires en Algérie, grâce à une organisation spéciale, et à des méthodes de guerre appropriées, ils sont parvenus à s'imposer à des populations entières et à les utiliser malgré elles contre nous. Nos ennemis nous soumettent ainsi à un odieux chantage, auquel finalement nous devons céder, si nous ne réussissons pas à détruire l'organisation de guerre qu'ils nous opposent.
Nous ne devons donc pas nous laisser leurrer, et abandonner la lutte avant la victoire finale, car nous manquerions gravement à notre devoir. Nous livrerions des populations sans défense à des ennemis sans scrupules qui pourront les asservir à leur gré.
II LA GUERRE MODERNE
Défiition.
Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, une forme nouvelle de guerre est née. Appelée parfois guerre subversive ou guerre révolutionnaire, elle diffère essentiellement des guerres du passé en ce sens que la victoire n'est pas attendue uniquement du choc de deux armées sur un champ de bataille. Ce choc, qui visait autrefois à anéantir une armée ennemie en une ou plusieurs batailles, ne se produit plus.
La guerre est maintenant un ensemble d'actions de toutes natures (politiques, sociales, économiques, psychologiques, armées, etc.) qui vise le renversement du pouvoir établi dans un pays et son remplacement par un autre régime. Pour y parvenir, l'assaillant s'efforce d'exploiter les tensions internes du pays attaqué, les oppositions politiques, idéologiques, sociales, religieuses, économiques, susceptibles d'avoir une influence profonde sur les populations à conquérir.
En outre, du fait de l'interdépendance actuelle des nations, tout mouvement revendicatif à l'intérieur d'une population, même s'il est d'origine très locale et sans portée lointaine, sera très vite amené par des adversaires résolus, dans le cadre des grandes oppositions mondiales. D'un conflit localisé à l'origine et d'importance secondaire, ils s'efforceront toujours dans des délais plus ou moins longs de faire un conflit généralisé.
Or, dans un champ d'action aussi vaste, les forces armées classiques ne jouent plus le rôle décisif qui était autrefois le leur. La victoire ne dépend plus uniquement d'une bataille sur le terrain. Les opérations militaires, c'est-à-dire les combats engagés contre les forces armées adverses, n'ont qu'une importance limitée, et ne sont jamais à l'échelle du conflit engagé.
C'est sans doute la raison pour laquelle l'armée, attirée par vocation par l'aspect purement militaire d'un conflit, n'a jamais sérieusement abordé l'étude d'un problème qu'elle considère, dans l'art de la guerre, comme un genre mineur.
Or, une armée moderne est d'abord celle qui est en mesure de gagner le conflit dans lequel son pays l'a engagée. Et nous sommes véritablement en guerre, puisque nous courons le risque d'être finalement battus sur le terrain (Dien-Bien-Phu, mai 1954) et qu'en cas de défaite nous devrons céder à nos adversaire de vastes territoires.
La lutte que nous menons depuis quinze ans, en Indochine comme en Algérie, est donc véritablement une guerre : c'est la guerre moderne, celle que nous faisons.
Si nous voulons vaincre, c'est sous cet angle que nous devons désormais l'étudier.
De nombreux travaux ont été faits dans tous les pays du monde sur les « guerre dite subversive ». Mais ils ont rarement dépassé le stade de la guérilla qui se rapproche le plus de la forme classique de la guerre.
Dans l'euphorie de la « victoire des Alliés », et peut-être parce qu'il est plus séduisant d'étudier les procédés de combat qui ont conduit au succès que de rechercher les raisons d'une défaite, seule la forme offensive de la guérilla a été étudiée. Mais l'autre côté de la barricade, l'étude d'une parade efficace à lui opposer, a généralement été négligé. Certains auteurs ont souligné l'inefficacité des moyens employés contre la guérilla ; d'autres ont simplement conseillé de retourner contre elle ses propres armes, d'opposer à la guérilla, la contre-guérilla et de la battre sur son propre terrain.
C'était vouloir résoudre rapidement un problème, sans même l'avoir posé.
Les aspects les plus subtils de la « guerre moderne », tels que la manipulation des populations, ont fait l'objet de récents travaux. Mais seuls quelques-uns des procédés du temps de paix employés par nos adversaires pour consolider leur emprise sur les populations comprises ont été partiellement étudiés, en particulier le mécanisme de l'action psychologique sur les masses.
Mais la parade à leur opposer, l'étude des moyens efficaces de protection ont été négligés. Bien mieux, lorsque parfois ils ont été entrevus et leur application envisagée, les moyens de propagande et de pression de nos adversaires ont toujours été assez puissants pour influencer une opinion publique mal informée, et l'amener systématiquement à refuser leur étude et leur emploi.
Or, nous savons maintenant que le moyen essentiel pour vaincre dans La guerre moderne est de s'assurer l'appui inconditionnel des populations ; il est aussi indispensable aux combattants que l'eau au poisson (cf. Mao Tsé-toung).
Cet appui peut parfois être spontané (ce qui est très rare, et dans ce cas même il peut n'être que passager); s'il ne l'est pas, il sera obtenu par une organisation appropriée qui le maintiendra par tous les moyens, le plus efficace étant le terrorisme.
Dans la guerre moderne, en effet, nous ne nous heurtons pas à une armée organisée suivant les normes habituelles, mais à de faibles éléments armés agissant clandestinement au sein d'une population manipulée par une organisation spéciale.
Notre armée en Algérie est forte de plus de 300.000 hommes disposant des moyens les plus modernes ; ses adversaires ne disposent que de 30.000 hommes, généralement mal équipés et ne disposant que d'un armement léger.
Si nous avions la possibilité de les rencontrer sur un champ de bataille classique - rêve vainement poursuivi depuis des années par de nombreux chefs militaires - la victoire serait acquise en quelques heures.
Or, la guerre dure depuis plus de six ans et la victoire reste incertaine. Le problème est donc plus complexe.
Pour rechercher une solution, il est capital de savoir que dans la guerre moderne nous ne nous heurtons pas seulement à quelques bandes armées dispersées sur l'ensemble du territoire, mais à une organisation clandestine armée, dont le rôle essentiel est d'imposer sa volonté à la population. La victoire ne pourra donc être obtenue que par la destruction complète de cette organisation. C'est l'idée maîtresse qui doit nous guider dans l'étude de la guerre moderne.
III UN EXEMPLE D'ORGANISATION DE GUERRE CLANDESTINE
L'organisation de la zone autonome d'Alger en 1956-1957.
Voici un exemple d'organisation de guerre clandestine : celle que le F. L. N. avait créée dans la ville d'Alger, constituée en zone autonome par rapport à l'ensemble de l'organisation territoriale de l'Algérie.
La zone autonome d'Alger la Z. A. A., était dirigée par un organisme collégial, le Conseil Zonal, comprenant quatre membres :
- un chef politico-militaire,
- un responsable politique,
- un responsable militaire,
- un responsable des liaisons extérieures et des renseignements.
Comme dans toutes les organisations des régimes totalitaires, les décisions étaient prises en commun, la voix du chef politico-miitaire restant cependant prépondérante.
La ville d'Alger et sa banlieue étaient divisées en trois Régions :
Région I : Alger Centre.
Région II : Alger Ouest.
Région III : Alger Est.
Chaque Région avait à sa tête un organisme collégial identique à celui de la Z. A. A. appelé : le Conseil de Région, et était elle-même divisée en un certain nombre de secteurs, eux mêmes subdivisés en districts, en nombre variable également. En résumé, la ville d'Alger était divisés en 3 Régions, comprenant 10 secteurs, subdivisés en 34 districts.
L'organisation de la Z. A. A. comprenait essentiellement deux éléments distincts :
- le Front de la libération Nationale (F. L, N.), élément politique,
- l'Armée de libération Nationale (A. L. N.), élément militaire,
Intégrés dans le même découpage territorial, mais très cloisonnés et reliés seulement à l'échelon Région et Zone.
Dans chaque district les éléments de l'A. L. N. et du F. L. N. étaient juxtaposés, mais la coordination de leur action était à la charge de la Région.
Un district était organisé au point de vue politique (F. L. N.) de la façon suivante :
A la base : une 1/2 cellule de 3 hommes, puis la cellule, le 1/2 groupe, le groupe, le souq-district et enfin le district aux ordres d'un chef de district (au total 127 hommes) (voir tableau ci-dessous).
Au point de vue militaire (A. L. N.) le district était organisé de la façon suivante :
1/2 cellule Cellules 1/2 groupe Groupe Sous-district District
1 2 2 2 2 2
1/2 cellule 1/2 cellule 2 cellules 1/2 groupe groupes Sous-districts
3 hommes + un chef + un chef de + un chef + un chef de + un chef
de cellule 1/2 groupe de groupe sous-district de district
7 hommes 17 hommes 31 hommes 63 hommes 127 hommes
A la tête du district un chef des groupes armés du district et un adjoint disposant de 3 groupes armés, composés, chacun, d'un chef, d'un adjoint et de 3 cellules de 3 hommes ; au total 35 hommes armés.
L'organisation politique disposait en propre d'un certain nombre de groupes de choc armés, qui ne faisaient pas partie de l'A. L. N., mais qui constituaient la « police » du F. L, N. et qui étaient spécialement chargés de l'exécution des sentences prononcées par la justice.
Le chef des liaisons et des renseignements du Comité Zonal disposait d'un certain nombre de comités où se groupaient les intellectuels du Front. Les principaux comités étaient les suivants :
1° COMITE DES LIAISONS avec :
- les wilayas*
- le C. C. E. (Comité de Coordination Extérieure) (premier embryon du G. P. R. A. actuel).
- l'extérieur : Tunisie, Maroc, France.
* L'Algérie était divisée par le F.L.N. en 6 wilayas.
2° COMITE DES RENSEIGNEMENTS : il était à cette époque un embryon des services spéciaux.
3° COMITE DE REDACTION chargé de tenir un certain nombre de dossiers : Dossier O. N. U. - Dossiers sévices. - Rapports avec les intellectuels. - Documentation pour la presse française et étrangère, etc.
4° COMITE DE JUSTICE : surveillance générale des Français de souche musulmane (F. M. A.). - Litiges entre les musulmans. - Droit civil et criminel, amendes diverses, etc.
5° COMITE FINANCIER chargé (surtout de recueillir les fonds.
a) Les petites collectes faites par les organisations du F. L. N. auprès des habitants.
b) Les grandes collectes perçues directement auprès des grandes sociétés, des banques, des grands commerçants, etc.
6° COMITE SANITAIRE : embryonnaire à Alger, les malades et les blessés étant en général soignés dans les hôpitaux de la ville.
7° COMITE SYNDICAL en liaison permanente avec les différents syndicats, en particulier : U. G. T. A. et U. G. C. A.
Enfin, un autre élément important de cette organisation était le réseau-bombes qui relevait directement du Comité Zonal. Ce réseau, très cloisonné, était organisé de la façon suivante :
- un chef de réseau,
- un réseau divisé en un certain nombre de branches bien distinctes et cloisonnées, ne pouvant communiquer qu'avec le chef de réseau et par un système de boîtes à lettres.
Voici ci-dessous le schéma de l'organisation du réseau-bombes.
Cette organisation comprenait donc environ 1.200 hommes armés (A. L. N.) et 4.500 hommes non armés ou semi-armés (F. L. N.) pour la seule ville d'Alger. La police comptait à cette époque à peine un millier d'hommes, équipés seulement pour lutter contre les criminels de droit commun et dans le cadre d'une législation du temps de paix. Surprise par la puissance d'un adversaire dont elle ignorait tout, elle n'avait aucune chance d'en triompher.
L'intervention de l'armée était donc une nécessité inéluctable.
Une organisation aussi complexe et d'une telle envergure demande, pour être mise en place, du temps et une technique précise.
Les cadres supérieurs, jusqu'à l'échelon Région inclus, avaient tous reçu une formation marxiste, plus ou moins complète ; ils étaient entrés volontairement dans l'organisation.
Les petits cadres et la plupart des exécutants avaient été d'abord recrutés dans les milieux louches de la ville, parmi les souteneurs ou les repris de justice. Du fait même de leurs antécédents, ils étaient déjà adaptés aux missions qui allaient leur être confiées.
Ensuite, l'organisation recevait un apport constant de nouveaux membres qui maintenait ou complétait les effectifs.
La façon dont ils ont été recrutés nous a été révélée par de nombreux interrogatoires.
A la question suivante qui leur était souvent posée : « Comment es-tu entré à l'A. L. N.? » La plupart des jeunes terroristes répondaient :
- J'étais un bon ouvrier et je gagnais honnêtement ma vie. Un jour, j'ai été accosté par un individu qui a exigé que je verse une certaine somme d'argent au F. L. N.
J'ai d'abord refusé, mais j'ai été sérieusement battu par 3 hommes qui l'accompagnaient : j'ai donc payé.
Le mois suivant la même somme m'a été demandé, je l'ai payée sans discussion.
Quelque temps après, je suis devenu moi-même un collecteur de fonds. J'ai reçu une liste de gens qui devaient payer et une petite équipe armée pour me protéger pondant la collecte.
Ensuite, comme je suis bien portant et sportif, on m'a demandé d'entrer dans l'organisation armée, l'A. L. N., l'Armée de la Libération Nationale. J'ai voulu refuser, mais des menaces précises m'ont obligé d'accepter. J'étais désormais perdu, puisque pour être admis à l'A. L. N., il fallait d'abord faire ses preuves, c'est-à-dire accomplir un attentat en ville. Les conditions dans lesquelles il devait s'effectuer me furent expliquées. Un soir il a une heure fixée, à un endroit prévu, un individu inconnu me remettrait une arme chargée avec mission d'abattre rapidement la première personne que je rencontrais. Ensuite, je devais m'enfuir et déposer mon arme dans une poubelle que l'inconnu m'avait montrée. J'ai fait ce qui m'avait été prescrit, et trois jours après, j'entrai comme membre d'une cellule d'un groupe armé de l'A. L. N. »
C'est ainsi qu'au mois de janvier 1957, le docteur X... à Alger avait été assassiné par un jeune individu qui ignorait même le nom de sa victime.
Les moyens de pression exercée sur la population étaient très variés. Voici par exemple celui qu'employaient les membres du Conseil Zonal pour assurer leur propre sécurité.
Lorsqu'un ou plusieurs membres du Conseil voulaient s'installer dans une maison de la Casbah, ils envoyaient d'abord une équipe de maçons pour y construire une cache. Les maçons rassemblaient aussitôt les gens de la maison et leur disaient on substance ceci :
- Vous allez bientôt recevoir des personnages importants. Vous répondrez, de leur sécurité sur votre vie.
Et, quelquefois, pour montrer que ce n'était pas là une vaine menace, d'une rafale de P. M. ils abattaient sur-le-champ celui des habitants qui leur paraissait le plus suspect.
Désormais, la sortie des habitants était strictement contrôlée ; jamais plus de la moitié ne pouvait en même temps se trouver à l'extérieur.
Le secret était donc bien gardé, et Yacef Saadi, commissaire politico-militaire de la Z. A. A., a pu s'installer à moins de deux cents mètres du bureau du commandant du Secteur d'Alger et y rester introuvable pendant plusieurs mois avant d'être arrêté.
Dernière édition par GOMER le Ven Avr 07 2023, 10:57, édité 2 fois
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 10:38
IV LE TERRORISME, ARME CAPITALE DE LA GUERRE MODERNE
La guerre d’Indochine, puis celle d’Algérie, ont mis en évidence l’arme essentielle qui permet à nos ennemis de se battre efficacement avec peu de moyens, puis de triompher finalement d’une armée classique.
Cette arme, c’est le terrorisme.
Le terrorisme, au service d’une organisation clandestine destinée à manipuler la population, est un fait nouveau. Utilisé au Maroc en 1954, il a eu son plein développement à Alger en décembre 1956 et janvier 1957. La surprise qui en est résulté a donné à nos adversaires un avantage capital qui aurait pu être décisif. Il a suffi, eu effet, d’une centaine de terroristes organisés pour que nous abandonnions rapidement la partie au Maroc.
Le terrorisme est donc une arme de guerre qu’il n’est plus possible d’ignorer ou de minimiser. C’est comme arme de guerre que nous devons donc l’étudier.
Le but : visé par la guerre moderne étant la conquête de la population, le terrorisme est l’arme particulièrement indiquée puisqu’il vise directement l’habitant. Dans la rue, à son travail, chez lui, l’habitant est partout menacé de mort violente. En présence de ce danger permanent qui l’entoure, il a l'impression déprimante d'être une cible isolée et sans défense. Le fait que les pouvoirs publics et la police ne sont plus capables d’assurer sa sécurité augmente son désarroi. Il perd de ce fait confiance dans l’État dont la mission naturelle est d’assurer sa protection. Il est de plus en plus attiré par le camp des terroristes, seul capable en définitive de le ménager.
Le but visé, qui est de faire basculer la population, est donc atteint.
Ce qui caractérise le terrorisme moderne, et ce qui fait la force essentielle, c’est qu’il tue, dans le cadre d’une législation qu’il connaît bien, des individus généralement sans défense, en évitant les risques habituels que prennent les criminels de droit commun, ou les militaires sur le champ de bataille, ou même le guérillero et le franc-tireur qui affrontent des troupes régulières.
Le criminel ordinaire tue pour un motif précis, un individu déterminé, et généralement un seul. Son but atteint, il ne constitue plus un danger pour la société. Son crime a un mobile, facile à découvrir (vol, vengeance, etc.). Pour réussir, il a dû prendre des risques bien souvent suffisants pour le faire arrêter. Son forfait est donc accompli dans un cadre connu ; une procédure d'instruction criminelle bien définie peut donc, sans difficultés, disposant de tout le temps nécessaire, obtenir une saine justice tout en respectant à la fois les droits de l’individu et ceux de la société.
Le militaire rencontre son adversaire sur un champ de bataille et en uniforme. Il combat dans un cadre de lois séculaire que les deux camps respectent. Conscient des dangers qu’il affronte, le soldat a toujours eu une haute estime pour son adversaire parce qu’il prend les mêmes risques que lui. Le combat fini, les morts et les blessés des deux camps sont traités avec la même humanité ; les prisonniers sont retirés le plus rapidement possible du champ de bataille et sont simplement mis dans l’impossibilité de reprendre la lutte jusqu’à la fin du conflit.
Quant au guérillero et au franc-tireur qui, pourtant, affrontent une armée régulière, le seul fait qu’ils transgressent les lois de la guerre en se battant sans uniforme (évitant ainsi les risques que celui-ci leur ferait courir) leur retire la protection de ces mêmes lois.
Faits prisonniers les armes à la main, ils sont fusillés sur-le-champ.
Or, le cas du terrorisme est autrement grave. Non seulement il fait la guerre sans uniforme, mais il n’attaque en général, hors du champ de bataille, que des civils désarmés, incapables de se défendre et normalement protégés par les lois de la guerre.
Encadré par une vaste organisation qui prépare sa tâche et lui en facilite l’exécution, assure son repli et sa protection, il ne prend pratiquement aucun risque, ni celui d'une riposte de ses victimes, ni celui de comparaître devant la justice. Quand on a décidé de tuer n’importe qui, n’importe quand et n’importe où, dans le seul but de terroriser la population en semant un certain nombre de cadavres dans les rues d’une ville, ou sur les chemins de nos campagnes, il est très facile dans le cadre de nos lois actuelles d’échapper à la police.
Et c’est un fait qu’à Alger, lorsque au cours de l’année 1956 le F. L. N. eut mis en place dans la ville l’organisation de guerre clandestine que nous avons décrite, il n’était plus possible aux forces de la police d’arrêter un seul terroriste.
Devant la courbe sans cesse croissante des attentats, la police dut avouer son impuissance et faire appel à l’armée.
Sans l’intervention massive de l’armée, en particulier de la 10e division parachutiste, au début de l’année 1957, la ville entière allait tomber au pouvoir du F. L. N., sa perte entraînant à coup sûr l’abandon de l’Algérie.
Or, dans une grande ville les forces de police peuvent, dans une certaine mesure, gêner l’action des terroristes, et retarder leur mainmise complète sur la population. Obligés d’agir dans la clandestinité, leur installation sera lente et difficile, et une action massive et énergique de l’armée pourra même les arrêter (Alger, 1957).
Mais dans les régions non protégées qui couvrent la majeure partie du territoire national, particulièrement dans la vaste zone des campagnes habitées, où les forces de police sont inexistantes, l’action des terroristes ne rencontrera, au début d’un conflit, aucune opposition et sera d’une efficacité redoutable.
Quelques attentats isolés révéleront d’abord l’existence d’un mouvement partiellement organisé. Ils alerteront l’opinion et l’inciteront à la prudence. Ensuite le terrorisme sélectif éliminera les petits notables, les petits fonctionnaires, nos agents divers qui n’auront pas compris ce premier avertissement ou qui tarderont à se rallier.
Les cadres administratifs seront supprimés ou neutralisés ; le silence, puis la complicité des habitants sans protection contre les terroristes seront acquis. Le champ sera libre pour que les agents de l’ennemi organisent la population et la manipulent à leur gré.
Dès lors, au sein de ces populations, préalablement acquises par le terrorisme, les petites bandes armées, chargées de mener la guérilla, pourront s’installer, suivant l’expression de Mao Tsé-toung, comme des poissons dans l’eau.
Nourries, éclairées, protégées, elles pourront sans difficultés entrer en guerre contre les forces de l’ordre.
La guerre moderne exige un support inconditionnel des populations ; ce soutien devra être maintenu à tout prix. Ce sera encore le rôle du terrorisme.
Une surveillance implacable sera exercée sur tous les habitants ; tout soupçon ou indice d’insoumission sera puni de la peine de mort qui ne surviendra bien souvent qu’après d’affreuses tortures.
Les atrocités commises par le F. L. N. en Algérie pour maintenir son emprise sur la population sont innombrables. Je n’en citerai qu’un exemple pour montrer le degré qu’elles ont pu atteindre dans certaines régions :
« Au mois de septembre 1958, les forces de l'ordre se sont emparées des archives d’un tribunal militaire d’une région F. L. N. Dans le seul canton de Michelet, arrondissement de Fort-National en Kabylie, plus de 2.000 habitants ont été condamnés à mort et exécutés entre le 1er novembre 1954 et le 17 avril 1957. »
Le terrorisme est donc bien une arme de guerre. Et ceci est un fait nouveau qu’il est de la plus haute importance de signaler.
Cette arme est pourtant ancienne ; mais, jusqu’alors elle n’avait été utilisée que par des révolutionnaires isolés pour des attentats spectaculaires visant principalement de hautes personnalités politiques : souverains, chefs d’Etats, ministres, etc.
En Indochine même, si la guérilla a atteint un développement remarquable qui a permis aux Viet-minhs de remporter finalement la victoire, le terrorisme n’a jamais été systématiquement, employé. Les attentats au plastic devant le théâtre de Saïgon, par exemple, qui ont fait le plus de victimes, n’étaient pas le fait des Viet-minhs (Voir le livre de Graham Greene : Un Américain bien tranquille).
Le terroriste ne doit donc plus être considéré isolément comme un criminel ordinaire. Il se bat, en effet, dans le cadre de son organisation, sans intérêt personnel, pour une cause qu’il estime noble et un idéal respectable comme tous les soldats des armées qui s’affrontent. Il tue sans haine, sur l’ordre de ses chefs, des individus qui lui sont inconnus avec la même sérénité que le soldat sur le champ de bataille.
Les victimes sont souvent des femmes et des enfants, presque toujours des individus surpris sans défense. Mais à une époque où le bombardement des villes ouvertes est admis, où pour hâter la fin de la guerre dans le Pacifique nos alliés n’ont pas hésité à raser deux villes japonaises avec la bombe atomique, on ne peut valablement le lui reprocher. *
* Yacef Saâdi, chef de la Zone Autonome d’Alger (Z. A. A.) nous disait après son arrestation :
« J’ai fait déposer en ville mes bombes à la main, parce que je ne disposais pas comme vous d'avions pour les transporter. Mais elles ont fait moins de victimes que vos bombardements par l’artillerie ou l'aviation sur nos villages des djebels. Je fais la guerre, vous ne pouvez pas me le reprocher. »
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 11:37
.
Le terroriste est en fait devenu un soldat, comme l'aviateur, le fantassin ou l'artilleur.
Mais l'aviateur qui survole une ville sait que les obus de la D. C. A. qui la protège pourront le tuer ou le mutiler. Il est prêt à subir les souffrances les plus atroces que le fer ou le feu de l'ennemi lui causeront.
Blessé sur le champ de bataille, le fantassin accepte de souffrir dans sa chair, et souvent de longues heures, lorsque tombé entre deux lignes il est impossible de le ramasser, il n'eut pourtant jamais venu à l'un d'eux la pensée de se plaindre et de demander, par exemple, que l'ennemi renonce à l'emploi du fusil, de l'obus ou de la bombe. Blessé, le soldat va, s'il le peut, à l'hôpital, estimant que c'est là son sort normal.
Le soldat admet donc les souffrances physiques comme inhérentes à son état. Les risques courus sur le champ de bataille et les souffrances qu'il y endure sont la rançon de la gloire qu'il y recueille.
Or, le terroriste prétend aux mêmes honneurs, mais il refuse les mêmes servitudes. Son organisation lui permet d'échapper aux forces de police, ses victimes ne peuvent se défendre, l'armée ne peut utiliser contre lui la puissance de ses armes puisqu'il se dissimule en permanence au sein même des populations paisibles.
Mais il faut qu'il sache que lorsqu'il sera pris, il ne sera pas traité comme un criminel ordinaire, ni comme un prisonnier fait sur un champ de bataille.
En effet, ce que recherchent les forces de l'ordre qui l'ont arrêté, ce n'est pas de punir un crime pour lequel d'ailleurs sa responsabilité personnelle n'est pas engagée mais, comme dans toute guerre, la destruction de l'armée adverse ou sa soumission.
On lui demandera donc peu de précisions sur le ou les attentats qu'il peut avoir commis ou non, et qui sont d'un passé ancien, sans intérêt immédiat, mais des renseignements précis sur son organisation. En particulier, chaque homme a un chef qu'il connaît ; c'est d'abord le nom de ce chef qu'il devra donner, et sa résidence afin qu'on puisse procéder sans délai à son arrestation.
Pour cet interrogatoire, il ne sera certainement pas assisté d'un avocat. S'il donne sans difficulté les renseignements demandés, l'interrogatoire sera rapidement terminé ; sinon, des spécialistes devront, par tous les moyens, lui arracher son secret. Il devra alors, comme le soldat, affronter la souffrance et peut-être la mort qu'il a su éviter jusqu'alors.
Or ceci, le terroriste doit le savoir et l'accepter comme un fait inhérent à son état et aux procédés de guerre qu'en toute connaissance de cause ses chefs et lui-même ont choisi*.
* Les résistants en France durant l'occupation violaient les lois de la guerre. Ils savaient qu'elles ne leurs seraient pas appliquées et étaient parfaitement conscients des risques auxquels ils s'exposaient. Leur gloire, c'est de les avoir, en toute connaissance de cause, sereinement affrontés.
L'interrogatoire terminé, il aura place parmi les soldats. Il sera désormais un prisonnier de guerre comme les autres et mis dans l'impossibilité de reprendre les hostilités jusqu'à la fin du conflit.
Il serait aussi vain et aussi injuste de lui reprocher les attentats qu'il a pu commettre que de rendre responsables le fantassin ou l'aviateur des morts causés par les armes qu'ils ont utilisées.
La guerre, a dit Clausewitz, est un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté. Elle s'accompagne de restrictions infimes, à peine dignes d'être mentionnées, et qu'elle impose sous la nom « de droit des gens », mais qui n'affaiblissent pas sa force. La violence physique est donc le moyen, la fin d'imposer sa volonté à l'ennemi.
Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à la bonté d'âme sont la pire des choses. Comme l'usage de la force physique dans son intégralité n'exclut nullement la coopération de l'intelligence, celui qui ne recule devant aucune effusion de sang prendra l'avantage sur son adversaire si celui-ci n'agit pas de même.
L'on ne saurait introduire un principe modérateur dans la philosophie de la guerre sans commettre une absurdité.
Ces principes de bases de la guerre classique gardent toute leur valeur dans la guerre moderne.
Cependant, si la violence est une nécessité inéluctable de la guerre, toute violence qui n'est pas nécessaire doit être, rigoureusement bannie. Les interrogatoires sur lesquels est basé le rendement d'une armée dans la guerre moderne, devront être conduits par des spécialistes nombreux, connaissant parfaitement la technique à employer.
La première condition à remplir pour qu'un interrogatoire soit rapide et efficace sera de disposer d'interrogateurs sachant ce qu'ils peuvent demander au terroriste interrogé.
Pour cela, il est d'abord indispensable de le situer exactement dans l'organigramme de l'organisation à laquelle il appartient. Ils devront donc connaître à fond l'organisation attaquée. Il serait vain de demander à un collecteur de fonds où sont cachées des armes ou des bombes. Toute organisation clandestine est strictement cloisonnée, et il n'en sait rien. Tenter de le lui demander serait donc une perte de temps inutile.
Par contre, il sait à qui il remet les fonds qu'il collecte et dans quelles conditions. C'est la seule question qui devra lui être posée.
On sait aussi que le simple terroriste agit en équipe de trois hommes. Il connaît donc son camarade et son chef de demi-cellule. Ce sont les seuls renseignements qu'il pourra fournir, mais il devra les donner rapidement ; sinon les individus recherchés auront le temps de disparaître, la filière sera rompue et un long travail de recherche bien souvent anéanti.
Les interrogateurs s'efforceront toujours de ne pas porter atteinte à l'intégrité physique et morale des individus. La science peut d'ailleurs très bien mettre à la disposition de l'armée les moyens pour y parvenir.
Mais nous ne devons pas essayer de tricher avec nos responsabilités. Et c'est tricher que d'admettre sereinement que l'artillerie ou l'aviation peuvent bombarder des villages où se trouvent des femmes et des enfants qui seront inutilement massacrés, alors que le plus souvent les ennemis visés auront pu s'enfuir, et refuser que des spécialistes en interrogeant un terroriste permettent de se saisir des vrais coupables et d'épargner les innocents.
Le terrorisme est donc devenu entre les mains de nos adversaires une arme de guerre redoutable, qu'il ne nous est plus permis d'ignorer. Essayée en Indochine, mise au point en Algérie, elle peut leur permettre toutes les audaces, même une attaque directe du territoire métropolitain. Grâce au parti communiste déjà en place et familiarisé avec la clandestinité, ils ne rencontreraient pas de grandes difficultés.
Une bande de gangsters sans idéologie politique, mais sans scrupule et décidée à employer les mêmes moyens, constituerait à elle seule un grave danger.
A la lumière des événements actuels, nous pouvons sans difficultés prévoir dans ses grandes lignes le déroulement d'une prochaine agression :
Quelques hommes de main organisés et bien entraînés feront régner la terreur dans les grandes villes. Si le but poursuivi est seulement de mettre chaque nuit un certain nombre de cadavres anonymes dans les rues pour terroriser les habitants, une organisation spécialisée n'aura aucune difficulté, dans le cadre de nos lois actuelles, à échapper aux poursuites de la police. Les nombreux attentats commis actuellement dans nos grandes villes et qui ne sont qu'un prélude destiné à faciliter la mise en place d'une organisation de guerre importante et à la roder, montrent journellement d'une façon tangible l'inefficacité de la police traditionnelle contre les terroristes modernes. Lorsqu'une attaque d'envergure sera déclenchée, la police court le risque d'être rapidement submergée.
Dans nos campagnes, et plus particulièrement dans les régions accidentées : Massif Central, Alpes ou Bretagne, où la population n'a aucune protection permanente, de petites bandes bloqueront sans difficultés la circulation dans les passages difficiles. Il leur suffira de tuer les passagers des deux ou trois premières voitures qui franchiront un col isolé pour l'interdire désormais à la circulation. Quelques représailles, ou mieux, quelques attentats préventifs sauvagement exécutés dans de rares villages environnants, obligeront d'abord les habitants à pourvoir à l'entretien des bandes et les empêcheront de renseigner utilement les autorités.
Les rares opérations de police timidement montées avec de faibles effectifs tomberont dans le vide. Ces échecs inciteront bon nombre d'aventuriers à rejoindre ces premiers hors-la-loi qui deviendront rapidement des rebelles.
D'immenses zones seront ainsi pratiquement abandonnées à nos adversaires, et échapperont à notre contrôle.
La voie sera ouverte à la guérilla.
Terrorisme dans les villes, guérilla dans les campagnes, la guerre sera commencée.
Voilà la mécanisme simple, bien connu maintenant, qui peut, à tout instant, se déclencher contre nous.
V DÉFINITION DE L'ADVERSAIRE
Pour conduire efficacement une guerre et vaincre, il est indispensable de définir et de situer exactement l'adversaire qui nous est opposé. C'est la première condition à réaliser pour que nos coups portent justes.
Autrefois, l'ennemi était facile à situer. Suivant les périodes de notre histoire, il se trouvait de l'autre côté du Rhin ou de la Manche, ou il en venait. Il avait ses buts de guerre, simples et précis, comme nous avions les nôtres et il aurait été vain de tenter par une propagande, si habile fût-elle, de le convertir à notre cause, ou d'espérer lui faire cesser le combat avant de l'avoir vaincu.
Pour vaincre, la nation et son armée mettaient en œuvre toutes leurs ressources matérielles et morales. Tout individu qui pactisait avec l'adversaire, ou favorisait d'une façon quelconque ses desseins, était considéré comme un traître et traité comme tel.
Dans la guerre moderne l'ennemi est autrement difficile à définir. Aucune frontière matérielle ne sépare les deux camps. La limite entre amis et ennemis passe au sein même de la nation, dans un même village, quelquefois dans une même famille. C'est souvent une frontière idéologique, immatérielle, qui doit cependant être impérativement fixée, si nous voulons atteindre sûrement notre adversaire et le vaincre.
L'art militaire étant simple et tout d'exécution, c'est seulement lorsque nous aurons défini notre adversaire que les problèmes apparemment complexes posés à l'armée par la guerre moderne seront ramenés à ses possibilités et facilement résolus.
Les critères pour y parvenir seront difficiles à trouver ; cependant, une étude des causes de la guerre et des buts poursuivis par nos adversaires nous permettra de les découvrir.
La période de préparation, qui précède l'ouverture des hostilités, se fait en général sous le couvert d'un parti politique à existence légale ; nos adversaires peuvent donc s'introduire à l'intérieur de nos frontières et sous la protection même de nos lois.
Couverts par la légalité, ils s'efforceront :
- de créer à l'intérieur du pays et à l'étranger un climat favorable à leur cause,
- de mettre en place sur notre propre territoire les éléments essentiels de leur organisation de guerre.
Le fait que la guerre moderne n'est pas officiellement déclarée comme elle l'était autrefois, que l'état de guerre n'est généralement pas proclamé, permet à nos adversaires de continuer à bénéficier d'une législation du temps de paix, pour poursuivre ouvertement ou clandestinement leur action. Cette fiction de la paix, essentielle à la poursuite de leur dessein, ils s'efforcent par tous les moyens de la préserver.
Le moyen le plus sûr pour dévoiler nos adversaires sera donc de décréter l'état de guerre le plus tôt possible, au plus tard lorsque les premiers, symptômes de la lutte ouverte se seront révélés : attentats politiques, terrorisme, guérillas, etc.
A ce stade, les préparatifs de nos ennemis seront très avancés, le danger très grand, le minimiser serait une erreur capitale.
Dès lors, tout parti qui a soutenu, ou qui soutient nos adversaires, sera considéré comme le parti de l'ennemi.
Derrière le gouvernement et son armée, la nation attaquée ne fera qu'un bloc.
Une armée, en effet, ne peut se mettre en campagne qu'avec le support moral de la nation; elle en est l'image fidèle, puisqu'elle est composée de la totalité de sa jeunesse, et qu'elle porte en elle les espoirs de la patrie. Son action indiscutée doit être exaltée dans le pays pour lui conserver la noblesse des justes causes qu'elle est chargée de faire triompher. L'armée chargée de mener le combat doit recevoir de la nation un support sans réserve, affectueux et dévoué. Toute propagande qui porterait atteinte à son moral, en lui faisant douter de la nécessité de ses sacrifices, devra être impitoyablement réprimée.
Dès lors, l'armée saura où frapper. Tout individu qui, d'une façon quelconque, favorisera les desseins de nos adversaires, sera considéré comme un traître et traité comme tel.
Dans les pays totalitaires, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur l'adversaire à frapper, les frontières idéologiques ont été ramenées aux frontières géographiques. Tous les ennemis du pouvoir établi ont été préalablement éliminés ou refoulés hors du territoire national.
Sans employer ces procédés extrêmes, incompatibles à coup sûr avec l'idéal de liberté qui nous est cher et la civilisation que nous défendons, il reste évident que nous ne pourrons vaincre un adversaire que si nous l'avons nettement défini.
L'ennemi nous le savons maintenant, ce n'est pas seulement quelques bandes armées qui se battent sur le terrain, mais une organisation qui le ravitaille, le renseigne, soutient son moral. C'est tout un système que nos lois démocratiques tolèrent au sein même du pays attaqué et qui, clandestinement ou ouvertement, peut agir pour que les mesures qui permettraient de porter des coups décisifs à l'adversaire ne soient jamais prises ou soient indéfiniment reportées.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 11:54
VI LA DÉFENSE DU TERRITOIRE
Idées générales.
Puisque l’enjeu de la guerre moderne est la conquête de la population, notre premier objectif sera donc d’assurer sa protection en lui donnant les moyens de se défendre, particulièrement contre le terrorisme.
Ensuite nous devrons préparer et mettre en place des organisations capables en tout temps de détecter les éléments que nos ennemis s’efforceront d’introduire sur notre territoire pour préparer la lutte ouverte.
Enfin, si les hostilités ont été déclenchées, c’est-à-dire si le terrorisme et la guérilla, se sont installés sur une portion importante de notre territoire, nous devrons les combattre avec des moyens appropriés, mais qui seront d’autant plus efficaces qu’ils auront été étudiés et mis en place dès le temps de paix.
Nécessité d’une organisation pour permettre aux habitants de participer à leur propre défense.
Les écoles militaires enseignant les doctrines classiques de la guerre font état de facteurs de décision plus en moins nombreux :
— la mission,
— l’ennemi,
— le terrain,
— les moyens.
Il est par contre généralement fait abstraction d’un facteur qui est essentiel dans la conduite de la guerre moderne : c’est l’habitant.
Le champ de bataille aujourd’hui n’est plus vide, il n’a plus de limites ; il peut englober des nations entières. L’habitant, chez lui, est au centre du conflit. Parmi les actions diverses des troupes sans cesse en mouvement, il est l’élément le plus stable. Bon gré mal gré, les deux camps sont amenés à le faire participer au combat; sous une certaine forme, il est devenu un combattant. Il est donc essentiel de le préparer au rôle qu’il aura à jouer et de le mettre en état de le remplir à nos côtés, avec efficacité.
Pour que l’habitant échappe à la menace des organisations ennemies, pour qu’il cesse d’être une cible isolée qu’aucune force de police n’est en mesure de protéger, nous devons le faire participer lui-même à sa propre défense. Pour cela nous le ferons entrer au sein d’une organisation hiérarchisée, englobant l'ensemble des populations.
Personne n’aura la possibilité de s’y soustraire, afin que chacun, à chaque instant, puisse répondre aux ordres de ses chefs, civils ou militaires, pour participer aux mesures de protection.
Le contrôle des masses par une stricte hiérarchie, et souvent même par plusieurs hiérarchies parallèles, est l’arme maîtresse de la guerre moderne. C’est lui qui permet à nos adversaires de déceler rapidement tout élément hostile au sein des populations qu’ils asservissent. Ce n’est que lorsque nous aurons créé une organisation semblable que nous pourrons à notre tour déceler, puis éliminer rapidement les individus que l’ennemi tentera d’introduire chez nous.
La mise en place d’une telle organisation se heurtera à de sérieuses difficultés. Mais elles ne seront pas insurmontables, si nous avons la ferme volonté d’aboutir. Les bonnes volontés ne manqueront pas; le danger les fera naître. L’expérience de la bataille d’Alger a permis d’en poser les bases précises.
Il suffira le plus souvent de désigner dans une ville un homme énergique et éclairé, et un ou plusieurs adjoints sûrs qui mettront, avec une aide minime des autorités, l’organisation projetée en place.
Le principe est en effet très simple : le chef désigné découpera la ville en quartiers, à la tête desquels il placera un chef et deux ou trois adjoints.
Ceux-ci à leur tour diviseront le quartier en îlots, et désigneront pour chacun d'eux, un chef et plusieurs adjoints.
Enfin, chaque building ou groupe de maisons recevra un chef et deux ou trois adjoints en contact direct avec la population.
Une enquête sérieuse sera nécessaire pour la désignation des membres de l'organisation, et pour éviter tout noyautage. Néanmoins, le système de cooptation obligatoirement employé, rendant chacun des membres responsable de la désignation et du contrôle de ses subordonnés immédiats, permettra une mise en place rapide et sûre de tous les éléments.
Dans les territoires d’outre-mer ou en période de crise lorsque, pour de multiples raisons, nous ne serons pas assurés du loyalisme des populations, principalement si l'organisation ennemie déjà en place est suffisamment forte pour obliger la population à la prudence, le problème sera plus complexe, car les habitants fuiront toute responsabilité qui pourrait les désigner aux coups de l’adversaire.
La pyramide de l’organisation sera dans ce cas créée en partant de la base et par les forces de police chargées du maintien de l’ordre. Les escadrons de gendarmerie mobile, rompus par métier aux contacts policiers avec les populations, seront particulièrement qualifiés pour s’acquitter de cette tâche délicate.
Ils procéderont d’abord à un recensement rigoureux de toute la population.
Le premier chef de la hiérarchie à mettre en place sera le chef naturel : le chef de famille.
Il sera rendu responsable de tous les habitants de son appartement ou de sa maison, et tiendra à jour la liste établie au moment du recensement.
À l’échelon au-dessus, et pendant les opérations de recensement, il sera toujours facile de désigner le chef d’un groupe de maisons (ou d’un building, ou d’un étage dans un building) qui sera rendu responsable d’un certain nombre de chefs de famille, quatre ou cinq au maximum.
Enfin, lorsque le recensement sera terminé, et qu’un contact étroit sera pris avec la population, on procédera à la désignation des chefs d’îlots.
Un chef d’îlot pourra, suivant le découpage de la ville, être rendu responsable d’une dizaine de chefs de groupe de maisons.
Son rôle sera très important. Il ne pourra donc être désigné qu’après une étude sérieuse et par le Commandement.
La condition essentielle pour devenir chef d’îlot sera d’avoir des attaches solides dons l’îlot (être commerçant, avoir une nombreuse famille, être si possible riche..., etc.), c'est-à-dire avoir un standing de vie qui puisse difficilement être abandonné.
Il n’y aura pas d’échelon hiérarchique au-dessus du chef d’îlot. Son rôle serait trop important pour qu’il reste facilement commandable et il serait pour nos adversaires une cible trop vulnérable.
L’organisation sera en fait un tronc de pyramide dont les chefs d'îlots constitueront la petite base.
Un organisme spécial — civil et militaire — devra, en cas de guerre, être mis en place pour l’ensemble d’une ville moyenne, ou par quartiers dans les grandes villes. Son rôle essentiel sera de transmettre aux chefs d’îlots les ordres du commandement, de les faire exécuter, et de recueillir les renseignements que les chefs d’îlots devront leur faire parvenir. En contact permanent avec eux il s’assurera, en permanence, de la bonne exécution des consignes aux divers échelons de la hiérarchie.
Le recensement de la population aura permis de donner à chacun des habitants un certificat de recensement : dont un ou deux exemplaires resteront à la disposition des forces de l’ordre.
Il portera obligatoirement une photographie de l’individu, mais surtout :
— le numéro du groupe de maisons…Ex. : 3
— la lettre de l’îlot…Ex. : B
— le numéro du quartier de la ville…Ex. : 2
L’ensemble constituera un véritable numéro minéralogique :
2. B. 3.
Qui permettra au cours de fréquents contrôles de connaître exactement la situation de tout individu et de fixer la responsabilité des chefs dont il dépend.
Cette organisation permettra au commandement de faire participer des éléments importants de la population à leur propre protection. Ils pourront dans une certaine mesure participer au service d’ordre et exécuter des missions de police simples : la détection, la surveillance et parfois l'arrestation d’individus dangereux s’effectueront sans difficulté; la transmission des consignes sera toujours facile et rapide. Elle deviendra donc rapidement un des éléments essentiels du commandement territorial, qui prendra progressivement une importance sans cesse accrue. Un bureau spécial, appelé Bureau de l’Organisation et du Contrôle des populations, sera nécessaire pour en contrôler l'activité.
Si la situation venait à l’exiger, cet organisme serait en mesure d’établir sans délai un contrôle très strict du ravitaillement, des animaux et de tous moyens que pourraient utiliser en cas de crise nos adversaires contre nous. Cette organisation permettra de donner une définition précise du hors-la-loi : tout individu qui, dans des délais à fixer, n’y serait pas entré serait en effet un hors-la-loi.
Il sera donc nécessaire de rechercher dans la population des hommes capables d’être les chefs de l’organisation à ses divers échelons. La masse des habitants, par routine ou atavisme, est normalement dévouée au pouvoir établi et aux forces de l’ordre. Elle sera prête nous aider si nous le lui demandons à condition que nous soutenions efficacement les gens qui se seront engagés à nos côtés et que nous soyons toujours en mesure de les protéger.
Or, cette protection est une des missions essentielles de l’Organisation des Populations.
Même dans les périodes les plus troublées, les bonnes volontés ne manqueront jamais. L’Indochine, puis l’Algérie l’ont amplement prouvé.
Mais nous ne devons pas oublier non plus que l'ambition a toujours été un mobile puissant pour une élite jeune et dynamique qui veut sortir de l'ornière et arriver. C’est à elle qu’il faudra faire largement appel, et que nous devrons nous attacher en récompensant, selon leur valeur, les services rendus.
Enfin, il nous sera toujours facile de nous assurer de leur fidélité en les plaçant au sein d’une hiérarchie qu’ils pourront difficilement quitter après y avoir été admis.
Une telle Organisation heurtera certainement notre vieil esprit individualiste et fera courir à nos libertés des dangers qu’il ne faut pas minimiser. L’analogie apparente avec certaines organisations totalitaires pourra permettre à nos adversaires des attaques faciles.
Nous ne devrons pas nous laisser leurrer; la différence entre elles est fondamentale; notre organisation est une organisation de guerre défensive dont le seul but est d’assurer la protection des populations, particulièrement contre le danger du terrorisme. Aucun individu en y entrant n’aura à abdiquer une parcelle quelconque de ses libertés essentielles; mais face à l’ennemi commun chacun apportera avec discipline à ses semblables et à ses chefs une aide totale et sans réserve. La guerre gagnée, ou le danger passé, elle n’aura aucune raison de subsister.
Cependant, pour éviter des abus toujours possibles, elle devra être sérieusement contrôlée, afin qu'elle reste uniquement un moyen de protection contre l'ennemi extérieur et ne devienne pas un moyen de pression de politique intérieure.
Elle ne peut être admise que si elle est créée dans un sentiment de justice et si les charges qu’elle nécessite sont équitablement réparties entre tous les habitants d’une même région quelles que soient leurs conditions sociales.
Mais il ne faut pas perdre de vue non plus que c’est le seul moyen que nous avons pour assurer la protection des populations pacifiques et empêcher que le terrorisme ne les contraigne à une servitude autrement rigoureuse et inhumaine.
Autrefois, les nations dépensaient des sommes colossales pour construire des fortifications destinées à les protéger contre les invasions.
Aujourd’hui l’Organisation des Populations : la formation d’une élite destinée à l'encadrer et à nous renseigner sur la pénétration clandestine de nos adversaires sur notre territoire constitue le moyen moderne de défense contre la guerre qui nous menace.
Tout pays qui ne l’a pas mis en place risque en permanence d’être envahi. Il exige des moyens financiers sans commune mesure avec ceux qui étaient autrefois nécessaires pour la construction des fortifications. Nous sommes donc sans excuse si nous ne le créons pas.
Mise en place d’un service de renseignements.
Si nous avions un service de renseignements sûr, nous serions en mesure de déceler toutes tentatives d’infiltrations sur notre territoire, et nous pourrions découvrir les éléments que notre adversaire a introduits au sein même de nos populations et qui lui sont indispensables pour la présentation de l’action offensive projetée.
Or, les habitants les connaissent puisqu’ils subissent durement leur emprise. Mais ils ne les dénonceront que dans la mesure où ils pourront le faire sans risque. La crainte de représailles leur interdira toujours de nous communiquer les renseignements qu’ils possèdent.
L’Organisation des Populations qui, dans une large mesure, leur assurera cette sécurité sera donc un important organisme de renseignements.
La mise en place aura d’abord permis de passer au crible la totalité des habitants et de connaître le milieu dans lequel ils vivent. Des contacts précieux seront pris, de ce seul fait, et une certaine confiance établie avec les forces de l’ordre.
Ensuite, les réunions fréquentes des responsables aux divers échelons permettront des rapports réguliers et fréquents entre les autorités et les représentants qualifiés de la population. De nombreux renseignements seront ainsi recueillis, dont nos adversaires ne parviendront pas à déceler l'origine. Nous aurons donc créé ainsi un premier élément de sécurité et de détente.
SERVICE DE RENSEIGNEMENTS EN SURFACE.
Mais il n’est pas concevable d’espérer transformer tous les habitants en agents.
Cependant, la guerre moderne exerçant son emprise sur l’ensemble de la population, nous devons être renseignés partout. Nous devrons donc disposer d’un vaste réseau de renseignements en surface, qui devra être installé si possible avant l'ouverture des hostilités.
Nous nous plaignons en période de crise de ne plus être renseignés; nous accusons injustement la population de se dérober et de ne pas nous donner les renseignements qu’elle possède. Souvent même, et parce que nous n’avons rien préparé, nous serons tentés d’obtenir par la violence des renseignements qu’un service bien organisé nous aurait donnés sans difficultés.
Le terrorisme sélectif, nous l’avons vu, supprimera avant même l’ouverture des hostilités nos agents de renseignements habituels : les notables, les petits fonctionnaires seront ses premières victimes. La menace des organisations de guerre de l’ennemi condamnera rapidement la population au silence. Lorsque les hostilités s’ouvriront, nous serons brusquement coupés de toutes sources de renseignements, si nous n’avons rien prévu pour y parer.
Avant même que la population ait été organisée, nous devrons donner à certains éléments de la population la possibilité de nous renseigner en sécurité.
L’ère est passée où des services spécialisés recrutaient quelques agents au hasard des circonstances et dans un milieu bien spécial de la société.
Nous devrons donc disposer de centres de formation accélérée nombreux et discrètement installés, capables de former en quelques jours un grand nombre d’habitants au rôle d’agent que nous leur demanderons de remplir. Leur formation sera essentiellement pratique; elle se bornera à leur apprendre quelques procédés élémentaires pour transmettre des renseignements simples : (téléphone, boite postale, boite, etc.) qui seront suffisants pour assurer leur sécurité.
Nous les disperserons ensuite dans toutes les branches de l’activité humaine. Dans les usines, les chantiers divers, les administrations, les grands services publics, etc. Partout où des gens se rassembleront, nous serons, grâce à eux, présents. Nous pourrons presque toujours les recruter dans les milieux mêmes qui nous intéressent, sinon nous leur procurerons un emploi convenant à leurs aptitudes professionnelles qui leur servira de couverture.
Ces agents « bénévoles » donneront des renseignements d’ambiance, et nous ferons connaître les agents que l’ennemi s’efforcera d’introduire dans la population, c’est-à-dire ses activistes de base : collecteurs de fond, propagandistes, meneurs de grèves, etc., qui constituent généralement le premier échelon de l’organisation adverse. Travaillant dans leur milieu, souvent avec eux, ils les découvriront sans difficultés.
Ce réseau de renseignements, malgré son étendue et le nombre considérable d’agents qu’il mettra en œuvre pourra être mis en place à peu de frais. L’emploi que nous leur procurerons leur garantira une solde fixe. Des primes de rendement variables seront en général suffisantes pour entretenir leur zèle.
RENSEIGNEMENT-ACTION.
Un renseignement n’est rien en lui-même, surtout en période de crise, s'il n’est pas rapidement exploité. Nous serons donc amenés à créer un service de Renseignement-Action, en mesure d’exploiter lui-même, dans les meilleurs délais, ses propres renseignements.
Certains éléments du service de renseignements en surface qui auront fait preuve de qualités exceptionnelles pourront entrer au service du renseignement-Action. Ils devront être capables de détecter, de suivre, et quelquefois d’arrêter eux- mêmes les agents ennemis intéressante qu’ils auront découverts.
Mais nos meilleurs agents nous serons fournis par l’adversaire lui-même. Au cours des interrogatoires, nous devrons toujours avoir présente à l’esprit la pensée que la plupart des individus arrêtés, si nous avons assez de souplesse, peuvent changer de camp. Beaucoup d’entre eux ne sont passés au service de l’ennemi que par la contrainte, et n’y sont restés que par la menace d’un chantage permanent. Si nous leur offrons généreusement une autre vie et notre protection, ils seront nos collaborateurs les plus sûrs.
Pour d’autres, il suffira de les amener à dénoncer ouvertement les membres de leur organisation qu’ils connaissent, en particulier leurs chefs et leurs subordonnés. Ils n’auront désormais plus la possibilité de nous trahir et collaboreront avec nous, qui sommes seuls en mesure d’assurer leur protection.
Enfin, l’expérience a montré que si, au bas échelon de la hiérarchie, les aveux et les conversions sont difficiles à obtenir, à partir d’un certain niveau, et surtout parmi les intellectuels, elles sont le plus souvent faciles et rapides.
C’est ainsi que nous recruterons les agents de base de notre service de Renseignement-Action. Bien encadrés par des éléments spécialisés des forces de l’ordre, ils seront en mesure de participer eux-mêmes à l’exploitation de leurs propres renseignements en vue de la destruction de l’organisation adverse.
Mais, sauf pour quelques individus, capables de jouer le rôle d'agent double, leur rentabilité sera de courte durée. Nous devrons constamment les renouveler, en particulier lorsque tous les renseignements qu'ils connaissaient auront été exploités.
Ce service devra donc être en liaison étroite avec tous les éléments chargés de l’exploitation, en mesure de suivre de très près toutes les opérations de police, être au courant de toutes les arrestations, afin d’utiliser au maximum toutes les possibilités de recrutement.
POURRISSEMENT DE L'ADVERSAIRE.
Un service de renseignements bien organisé nous fera connaître les éléments de l’organisation de guerre que nos adversaires s'efforceront d’implanter sur notre territoire.
La solution la plus efficace consisterait sans doute à les détruire avant qu’ils ne constituent un danger. Cependant, si pour des raisons diverses — en général d’ordre politique — nous n’y sommes pas autorisés, nous devrons suivre leur évolution afin de toujours être en mesure de les arrêter lorsque l’ordre nous en sera donné.
La meilleure solution pour être bien informé consistera à introduire nos propres agents dans l’organisation ennemie et de provoquer ainsi son pourrissement.
Ce sera, certes, un travail délicat que seuls quelques agents confirmés seront en mesure de remplir.
Cependant, au fur et à mesure que l’organisation adverse prendra de l’extension, nos adversaires qui travaillent en pays ennemi auront toujours une liberté d’action limitée; ils rencontreront des difficultés de plus en plus grandes pour recruter un personnel de plus en plus nombreux. Ils n’auront plus la possibilité d’exercer un contrôle rigoureux sur tous leurs agents. Nous aurons donc des possibilités, qu’il faudra mettre à profit, pour introduire nos propres agents dans leur organisation.
Dans ce domaine encore, les meilleurs éléments nous seront fournis par l’adversaire lui-même. La protection d’une organisation clandestine est assurée par un cloisonnement rigoureux; les contacts personnels aux échelons élevés sont rares, pour des raisons de sécurité. Un service de Renseignement-action bien entraîné aura donc fréquemment la possibilité d’arrêter dans le secret le plus absolu des membres de l’organisation ennemie. Nous devrons nous efforcer de les faire passer rapidement à notre service, en les laissant dans leur organisation après avoir établi avec eux un code de liaisons sûres.
Si nous ne devons pas minimiser la valeur de nos adversaires, nous ne devons pas non plus les surestimer, et leur attribuer des possibilités qu’ils sont loin de posséder. Ils auront toujours d’innombrables difficultés à surmonter. Ce qui facilite leur action, c’est l’absence d’un service spécial mis en place pour les combattre et la liberté pratiquement totale que nous leur laissons dans le domaine de la clandestinité.
Si nous nous sommes préparés dès le temps de paix à affronter la guerre moderne c’est-à-dire :
— si nous avons mis nos populations en état de défense,
— si nous avons pris nos dispositions pour être en tout temps renseignés sur les préparatifs de nos adversaires et leurs intentions, nous n’aurons aucune difficulté pour prendre en temps voulu les mesures nécessaires pour réduire rapidement nos adversaires à l’impuissance.
Cette possibilité ne leur a d’ailleurs pas échappé; elle sera vraisemblablement suffisante pour décourager toute tentative d’épreuve de force et pour maintenir la paix.
Si cependant nos adversaires décidaient de passer à la lutte ouverte, nous aurions en main les moyens pour réduire à notre merci tout ennemi qui tenterait de porter la guerre sur notre territoire.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 12:15
Deuxième partie
LA CONDUITE DE LA GUERRE
ASPECT POLITIQUE DE LA GUERRE
IDÉES GÉNÉRALES
Si les mesures précédemment préconisées n’ont pas été prises, nos adversaires pourront engager la lutte ouverte pour atteindre leur but final : Renverser le pouvoir établi et le remplacer par leur propre système.
L’enjeu de la lutte étant la population, la guerre revêtira donc deux aspects :
Un aspect à caractère politique : action directe sur les populations.
Un aspect à caractère militaire : la lutté contre les forces armées de l’agresseur.
Nos adversaires ne déclencheront les hostilités que lorsqu’un certain nombre de conditions préalables auront été réalisées. Le mal sera donc profond et étendu. Il ne pourra être extirpé qu’avec des moyens puissants, une ferme intention de vaincre et de longs délais.
ACTION DIRECTE SUR LES POPULATIONS.
Les opérations de guerre à l’intérieur des populations, dans les villes en particulier, se ramèneront généralement à une vaste opération policière. Elles seront accompagnées d’une action psychologique menée en profondeur, destinée surtout à faire comprendre la nécessité des mesures prises, et suivies d’une large action sociale pour apporter aux populations l’aide matérielle et morale nécessaire pour leur permettre, après les opérations, de reprendre rapidement une activité normale.
Les opérations policières.
PREPARATION.
Nous avons vu dans un précédent chapitre comment était conduite par nos adversaires l’action sur les populations. Nous avons souligné le rôle capital du terrorisme appuyé par une organisation de guerre.
Les opérations menées dans les villes contre les organisations ennemies, prendront l’aspect de vastes opérations policières. Elles seront du ressort des forces de la police si elles disposent de moyens suffisants; dans le cas contraire l’armée devra les prendre à son compte.
Le but de l'opération policière ne sera pas seulement de rechercher quelques individus ayant commis des attentats, mais d’extirper du sein même de la population la totalité de l’organisation qui s’y est infiltrée et qui la manipule à son gré.
Les unités de l’armée étendront leur action simultanément sur l’ensemble de la ville, en jetant sur celle-ci un immense filet qui se superposera aux forces de la police déjà en place. Celles-ci ne seront pas désorganisées, mais continueront à travailler dans leur cadre normal, en apportant à l’armée une coopération entière.
Les actions en force de l’ennemi n’étant pas à redouter, l’armée opérera par détachements légers; un élément réservé très mobile, de la valeur d’une compagnie, permettra le plus souvent dans une ville même importante de parer rapidement à tout événement imprévu.
Les forces de la police mettront à profit la présence de l’armée, la protection et l’aide qu’elle leur apportera pour entreprendre sans délai :
— l'organisation et le contrôle de la population tel qu'il a été défini dans un précédent chapitre,
— la mise en place d’un service de renseignements en surface, puis d’un service de Renseignement-Action qui devra fonctionner le plus rapidement possible.
Ainsi à l’organisation ennemie nous serons en mesure d’opposer la nôtre. Si nous le voulons sérieusement, elle sera très vite en place. Travaillant en plein jour, avec une méthode et de grands moyens, les forces de l’ordre pourront souvent devancer nos adversaires qui, obligés à la clandestinité, ne disposeront toujours que de faibles ressources.
Ensuite et en liaison avec tous les services de police, nous nous efforcerons d’obtenir le maximum de renseignements sur l’organisation à détruire, et si possible d’en reconstituer l’organigramme. Adaptée à chaque ville suivant son importance et la situation, elle ne sera cependant jamais très différente dans ses grandes lignes de celle d’Alger en 1956-1957, qui est décrite au début de cette étude.
Conduite d’une opération policière.
Simultanément, les forces de l’ordre commenceront les opérations de police proprement dites. Elles se heurteront dès le début à de sérieuses difficultés. En effet, nous le savons, si l’ennemi a ouvert les hostilités c'est parce qu’un certain nombre de conditions préalables ont été réalisées; en particulier c’est qu’il est en mesure d’exercer une sérieuse emprise sur la population que les attentats auront terrorisé.
La population connaît les éléments de base de l’organisation ennemie, les collecteurs de fonds, les activistes, les terroristes des groupes armés vivent en contact permanent avec elle. Mais elle ne pourra les dénoncer que si elle peut le faire en sécurité.
C’est donc cette sécurité que nous devons impérativement lui assurer.
Ce sera un des buts de I ‘organisation des populations et de nos services de renseignements. Mais nous ne pourrons pas attendre que ceux-ci soient en place pour obtenir d’elle les renseignements qui nous sont nécessaires. Les opérations devront donc commencer aussitôt que l’armée aura mis en place son dispositif.
Les habitants seront d’abord rassemblés en totalité et par quartier. Ils seront ensuite rapidement interrogés, individuellement et en secret, dans une série de petites pièces que nous aurons préalablement aménagées. Chaque gradé d’une unité d’intervention devra être capable de leur poser des questions simples dont la plus fréquente sera celle-ci :
— Qui collecte dans votre quartier les fonds de l'organisation?
Nous multiplierons les équipes d’interrogatoire. Un certain nombre d’habitants, assurés de ne pas être découverts, donneront sans difficultés les renseignements demandés. Après les avoir recoupés, nous procéderons à l’arrestation des individus signalés. Nous aurons ainsi des éléments du premier échelon de l’organisation ennemie.
Les arrestations — sauf urgence exceptionnelle — auront lieu la nuit, à la faveur du couvre-feu. Les forces de l’ordre pourront sans difficulté assurer avec peu d’effectif la surveillance de toutes les rues d’une ville. Tout individu surpris hors de son domicile la nuit sera considéré comme un suspect, arrêté et interrogé.
Des petites patrouilles nombreuses pourront se déplacer rapidement et en sécurité appréhender chez eux la plupart des individus recherchés.
Ceux-ci, à leur tour, seront interrogés sans désemparer par des équipes spécialisées. Ils devront nous donner rapidement le nom de leurs chefs et le lieu de leur résidence, afin qu’ils puissent être arrêtés avant le lever du couvre-feu. Au jour, en effet, ils seront certainement prévenus et se mettront hors de portée des forces de l’ordre.
Une série d’opérations semblables fera rapidement tomber en nos mains des éléments importants de l’organisation ennemie et la désorganiseront.
La rafle. — Lorsque nous aurons arrêté des chefs d’une certaine importance, après les avoir soigneusement camouflés et dissimulés, nous ferons défiler devant eux tous les individus rassemblés au cours d’une rafle. Ils désigneront sans difficultés les membres de leur organisation, qu’ils reconnaîtront et que nous pourrons arrêter sur-le-champ.
Poste d'observation. — D’autres fois, nous les placerons dans des « postes d’observation » aménagés sur les points de passage les plus fréquentés d’une ville. Ils signaleront (par radio ou par tout autre procédé) les individus reconnus à des équipes de surveillance qui les appréhenderont sans difficultés.
Certificat de recensement. — Lorsque le recensement sera terminé, l’utilisation du certificat établi pour chaque individu sera un des moyens les plus efficaces à employer. En effet, les membres importants de l’organisation ennemie ont toujours un ou plusieurs pseudonymes. Certains habitants peuvent parfois les avoir rencontrés, mais ne reconnaissent ni leur nom, ni leur fonction, ni leur lieu de résidence. Or, ils pourront aisément les reconnaître sur les certificats de recensement dont un double sera conservé par les autorités. Nous aurons ainsi non seulement leur adresse exacte, mais encore celle des habitants de notre organisation qui en sont responsables (chefs de groupe de maisons et chefs d’îlot).
Mais la conduite d’une opération policière en pleine ville soulèvera de nombreuses difficultés. Il est nécessaire de signaler les principales afin de pouvoir plus facilement les surmonter.
1° La guerre moderne reste un fait nouveau pour la plupart de nos concitoyens. La conduite d’opérations systématiques rencontrera, même chez nos amis, une opposition résultant eu général d’une méconnaissance totale de nos adversaires et de ses méthodes de guerre. Il nous sera parfois très difficile de les vaincre.
Le fait, par exemple, que l’organisation de guerre ennemie dans une seule ville comptera parfois plusieurs milliers d’hommes sera une surprise, même pour la plupart des hauts fonctionnaires de l’administration qui croyaient sincèrement n’avoir à lutter que contre quelques criminels isolés.
Le premier problème posé, celui de loger les individus arrêtés, n’aura généralement pas été prévu. Les prisons, destinées à recevoir des délinquants de droit commun, seront rapidement insuffisantes et ne correspondront pas aux nécessités des opérations.
Les forces de l’ordre seront donc réduites à les interner dans des conditions improvisées, souvent déplorables, qui ne manqueront pas de soulever des critiques, en elles-mêmes justifiées, et que nos adversaires ne manqueront pas d’exploiter.
Dès l’ouverture des hostilités, des camps de prisonniers devront être aménagés, répondant aux conditions exigées par la Convention de Genève. Ils devront être suffisamment vastes pour pouvoir héberger jusqu’à la fin de la guerre la totalité des prisonniers.
2° Par tous les moyens — et c’est de bonne guerre — nos adversaires s’efforceront de ralentir et, si possible, d’arrêter nos opérations en les gênant au maximum.
Le fait que l’état de guerre n’aura généralement pas été proclamé sera, nous l’avons déjà signalé, un de leurs moyens les plus efficaces pour y parvenir.
Ils s’efforceront, en particulier, d’obtenir que les terroristes arrêtés soient traités comme des criminels ordinaires, et les membres de leur organisation comme des délinquants mineurs du temps de paix.
Les archives de l’organisation terroriste d’Alger ont livré à ce sujet des documents particulièrement intéressants.
Nous ne sommes plus protégés par la légalité, écrivait le chef F. L. N. d’Alger en 1957, lorsque l’armée eut pris à son compte l’opération policière. Nous demanderons à tous nos amis qu’ils fassent l'impossible pour que celle-ci soit rapidement rétablie, sinon nous sommes perdus.
La législation du temps de paix donnait, en effet, à nos ennemis le maximum de chances pour échapper à nos poursuites; il était donc vital pour eux que celle-ci soit strictement appliquée.
Or, cet appel n’avait pas été lancé en vain. Peu de temps après, une violente campagne de presse était déclenchée, en France et à l’étranger, demandant que la législation du temps de paix soit strictement appliquée au cours des opérations de police.
3° Les opérations de guerre, particulièrement les opérations policières dans une grande ville, se déroulent au milieu même de la population, presque en public, alors qu’autrefois elles se déroulaient sur un champ de bataille où seules les forces armées avaient accès.
Certaines, rudesses inévitables pourront aisément passer pour des brutalités inadmissibles aux yeux d’un public sensible.
Et c’est un fait aussi que, pour extirper l’organisation terroriste du sein même de la population, celle-ci sera durement bousculée, rassemblée, interrogée, fouillée. De jour comme de nuit, des soldats en armes feront inopinément irruption chez des habitants paisibles pour procéder aux arrestations nécessaires; des combats pourront même se produire, dont les habitants auront à souffrir.
La population qui connaît nos adversaires subira sans protester un mal qu’elle sait nécessaire pour recouvrer sa liberté. Mais nos ennemis ne manqueront pas d’exploiter cette situation de fait pour les besoins de leur propagande.
Cependant, s’il faut faire la part des brutalités inévitables, une discipline rigoureuse devra toujours être en mesure d’interdire celles qui sont inutiles. Or, l’armée a les moyens d’exiger et de maintenir une ferme discipline.
En outre, elle dispose de sa propre justice, justement créée pour réprimer rapidement et sévèrement les délits ou les crimes commis par les militaires dans l’exercice de leur fonction. Elle les sanctionnera sans faiblesse.
Mais, sous aucun prétexte, un gouvernement ne devra à ce sujet laisser une polémique s’engager contre les forces de l’ordre qui ne profiterait qu’à nos adversaires.
L’opération policière sera donc une véritable opération de guerre. Elle sera poursuivie méthodiquement jusqu’à ce que la totalité de l’organisation ennemie soit anéantie. Elle ne sera terminée que lorsque nous aurons organisé la population et créé un service de renseignements efficace lui permettant de se défendre. Cette organisation devra impérativement être maintenue jusqu’à la fin des hostilités pour éviter tout retour offensif de l’ennemi.
Après la bataille d’Alger en 1957, le gouvernement français sous la pression de nos adversaires a laissé détruire celle que l’armée avait mise en place. Trois ans après, l’ennemi avait pu rétablir les siennes et repris le contrôle de la population (voir événements de décembre 1960). La victoire d’Alger de 1957 n’avait de ce fait servi à rien.
L’action psychologique.
Nos buts de guerre devront être nettement connus de la population. Elle devra être convaincue que, si nous l’appelons à se battre à nos côtés, ce ne peut être que pour défendre une cause juste. Et nous ne devons pas la tromper.
La façon la plus sûre pour gagner la confiance sera donc d’écraser nos adversaires qui veulent l’opprimer. Quand nous les aurons mis hors d’état de nuire, le problème de la pacification sera vite résolu.
Aussi longtemps que nous n’y serons pas parvenus, toute propagande, si habile soit-elle, toute solution, même très généreuse, proposées seront sans effet sur une population noyautée par des organismes clandestins, infiltrés dans son sein comme un cancer, et qui la terrorisent.
C’est seulement lorsque nous l’aurons délivrée de ce mal qu’elle pourra librement écouter, penser et s’exprimer. Une paix juste sera alors admise sans difficultés.
Pendant la période opérationnelle, le rôle de l’action psychologique sur la masse sera donc peu efficace. Elle devra le plus souvent se borner à faire comprendre aux populations que la sévérité de mesures quelquefois prises n’a pas d’autre but que de parvenir rapidement à la destruction de l’adversaire.
Mais, avec le retour progressif à la paix, l’action psychologique aura un grand rôle à jouer pour faire comprendre à la masse la foule de problèmes à résoudre pour ramener rapidement à une vie normale des populations parfois très éprouvées. L’organisation des populations sera alors son meilleur instrument de contact et de diffusion.
Mais les peuples savent d’instinct ce qui est juste. C’est seulement par les mesures concrètes que nous prendrons qu’ils jugeront de la valeur de notre action.
L’armée peut en effet gagner une guerre; la paix ne sera durable que si elle est juste.
L'action sociale.
La guerre a toujours été une calamité pour les populations. Autrefois, seuls les habitants qui se trouvaient sur le passage des armées avaient à souffrir de ce fléau.
Aujourd’hui, la guerre moderne frappe toute la population d’un pays, les habitants des grandes villes comme ceux des campagnes les plus reculées.
L’ennemi, incrusté dans la population, s’efforcera toujours de tirer des habitants ses moyens de subsistance. C’est au milieu des habitants que se dérouleront les opérations de guerre; les activités des populations seront donc limitées dans de nombreux domaines. Elles auront à souffrir des exactions de nos ennemis poux les contraindre à l’obéissance et, souvent aussi, des mesures sévères que les forces de l’ordre seront amenées à prendre.
Ce sera le rôle du service social de se pencher généreusement sur toutes les misères que la guerre aura engendrées.
Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que toute aide matérielle que nous pourrons donner profitera uniquement à nos adversaires si l’organisation qui leur permet le contrôle et la manipulation des populations n’a pas d’abord été détruite. Il faudra donc être très prudent tant que l’opération policière n’aura pas été terminée; une aide non contrôlée prématurée ne serait d’aucune utilité pour les habitants.
Mais, lorsque la paix aura été rétablie, même sur une faible portion de territoire, une action sociale large et généreuse aura une importance capitale pour ramener à nous des populations malheureuses et souvent désorientées par des opérations de guerre qu’elles n’auront pas toujours comprises.
La conduite d’opérations de guerre à l’intérieur d’une grande ville, au sein même des populations, sans avoir la possibilité d’utiliser les armes puissantes dont elle dispose, est certainement un des problèmes les plus délicats et les plus complexes qui aient jamais été posés à une armée.
En effet,
— effectuer un véritable travail policier,
— conduire des opérations au milieu même des habitants,
— faire participer activement à leur côté toutes les populations d’une ville aux opérations, sont des tâches pour lesquelles les militaires n’ont en général pas été préparés.
Certains ont même pensé qu’elles devraient être entièrement dévolues à la police et qu’à l’armée devait être réservée uniquement la tâche plus noble, mieux adaptée à sa vocation, de réduire les bandes armées sur le terrain.
Ce serait une grave erreur dans laquelle nos adversaires voudraient certes nous entraîner. La police est seulement destinée à assurer La protection des habitants en temps de paix contre les délinquants ordinaires, ou les criminels de droit commun. Mais elle n’a pas les moyens de mener des opérations de guerre contre une puissante organisation ennemie dont le but n’est plus d’attaquer des individus protèges par la police, mais de conquérir le pays et de renverser son régime.
Or, la protection du territoire national et du régime, c’est bien le rôle essentiel de l’armée.
Elle dispose largement des moyens qui lui sont nécessaires pour vaincre. La victoire, en ce qui la concerne, n’est qu’une question de volonté et de méthode.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 12:30
ASPECT MILITAIRE DE LA GUERRE
IDÉES GÉNÉRALES
L'arme capitale de la guerre moderne, dans les villes en particulier, c'est le terrorisme, appuyé par une organisation spéciale.
Dans les campagnes, c'est un vieux procédé de guerre qui a déjà fait ses preuves dans le passé et qui a été repris en l'adaptant aux conditions modernes de la guerre : c'est la guérilla dont la voie est ouverte par le terrorisme.
La guérilla et le terrorisme ne sont qu'un des stades de la guerre moderne, destiné à créer une situation favorable, permettant la mise sur pied d'une armée régulière, en mesure d'affronter une armée ennemie sur un champ de bataille et de la vaincre.
Le but de la guérilla, pendant une période de temps assez longue, ne sera donc pas tellement d'obtenir des succès locaux que de créer un climat d'insécurité pour obliger les forces de l'ordre à se retirer dans les zones plus facilement défendables.
Ce repli matérialisera l'abandon de certaines portions des territoires que les guérilleros pourront contrôler.
Les guérilleros ne se manifesteront donc au début des hostilités que par des actions mineures, très violentes déclenchées par surprise, mais avec prudence pour éviter les pertes.
Leur éparpillement est une nécessité pour les rendre vulnérables. Leur regroupement et leur transformation en grandes unités régulièrement organisées ne Seront possibles que lorsqu'ils auront acquis le contrôle absolu d'une vaste zone, dans laquelle ils pourront recevoir en sécurité l'aide matérielle substantielle, nécessaire à la mise sur pied, à l'entraînement et à l'engagement d'une armée régulière.
L'apparition d'unités régulières dans certaines régions ne supprimera pas la guérilla, celle-ci sera activement poursuivie, partout où les possibilités d'installation d'unités régulières n'auront pas été réalisées.
Unités régulières et bandes de guérilleros agiront alors en liaisons très étroites et s'efforceront de réaliser des conditions favorables pour engager le combat décisif contre l'armée ennemie et l'anéantir.
La guerre moderne, comme les guerres classiques du passé, ne se terminera en définitive que par l'écrasement sur un champ de bataille, d'une des deux armées, ou par sa capitulation matérialisée par l'acceptation des buts de guerre de l'adversaire.
I. LES ERREURS HABITUELLEMENT COMMISES DANS LA LUTTE CONTRE
LA GUÉRILLA
La guérilla, sa naissance, son évolution, son efficacité sont bien connues. De nombreux auteurs l'ont étudiée, en particulier sur les divers théâtres d'opérations de la dernière guerre mondiale. Elle a permis d'obtenir des résultats incontestables en Russie, en France, en Yougoslavie. En Chine et en Indochine, elle a pu être menée à son terme et vaincre des armées régulières modernes bien équipées. En Algérie, malgré ses faibles moyens en effectifs et en matériel, elle s'oppose depuis des années à l'armée française qui n'arrive pas à l'éliminer.
Pour vaincre la guérilla, certains ont pensé qu'il suffirait de retourner contre elle ses propres armes, c'est-à-dire à la guérilla d'opposer la contre-guérilla.
C'est dans une certaine mesure ce que nous avons essayé de faire en Indochine puis en Algérie.
Or, nous le constaterons par la suite, les moyens dont dispose la guérilla et ceux d'une armée régulière sont très différents, opposés même en bien des points.
Tenter d'employer les moyens de la guérilla que nous ne possédons pas, ou que nous n'avons pas la possibilité de mettre en œuvre, c'est nous condamner à négliger l'emploi de ceux que nous possédons et qui peuvent être d'une efficacité certaine.
Je crois que c'est de la confusion des possibilités de la guérilla et de celles d'une armée régulière que découlent en grande partie les erreurs commises et les échecs subis dans la conduite des opérations.
En Indochine, nous avons pu faire de la contre-guérilla contre les Viet-minhs, puis de la guérilla dans une même région et à des intervalles de temps très courts. Cette expérience nous a permis de bien saisir la différence des possibilités offertes aux guérilleros et aux soldats d'une armée régulière.
Lorsque l'armée française occupait la région de Than-Uyen sur la rive droite du fleuve Rouge, au nord de Nghia-Lo, en pays Thaï, la sécurité de la ville et de son terrain d'aviation était assurée par un poste fortifié, installé sur un piton rocheux, tenu par une compagnie régulière, renforcée par des partisans.
Mais la sécurité était très aléatoire, même aux abords immédiats de la ville, et à plusieurs reprises les Viet-minhs purent ouvrir le feu sur des avions qui se posaient sur le terrain.
Au mois de novembre 1952, après la chute de Nghia-Lo et le repli des unités régulières dans le camp retranché do Na-San, la ville de Than-Uyen, évacuée par un pont aérien, fut occupée par les Viet-minhs et se trouva dès lors à deux cents kilomètres des troupes françaises les plus proches (Na-San).
Or, au mois d'octobre 1953, nos maquisards autochtones de la rive droite du fleuve Rouge, levés dans les populations qui nous étaient restées favorables, purent par leurs seuls moyens réoccuper d'abord la région de Phong-Tho et son terrain d'aviation, réussir un coup de main fructueux sur Lao Ray et, enfin, s'emparer de la ville de Than-Uyen et de son terrain d'aviation et s'y maintenir pendant sept mois.
Pendant cette longue période, tous ceux qui se sont posés en avion à Than-Uyen ont été frappés par le fait que le poste n'avait pas été réoccupé et que le terrain n'était jamais gardé. Cependant, la sécurité était mieux assurée que l'année précédente lorsque les troupes françaises en avaient la responsabilité. Les troupes régulières, en effet, surveillaient à l'œil nu le terrain et les abords immédiats depuis le poste où elles étaient installées. Hors de ce cercle visuel, d'un très faible rayon, elles étaient aveugles, particulièrement la nuit où tout leur échappait.
Les Viet-minhs qui connaissaient les limites de ce cercle pouvaient sans difficultés nous harceler.
Par contre, nos maquisards qui avaient été recrutés dans la population locale et qui vivaient au milieu d'elle, ne surveillaient pas le terrain, mais les Viet-minhs eux-mêmes.
Ils avaient introduit leurs agents partout, dans les unités Viet-minhs d'abord, puis dans chaque village, dans chaque maison, sur toutes les pistes de la région.
C'était la population tout entière qui était chargée de surveiller l'ennemi, et rien ne pouvait lui échapper.
Lorsque les maquisards nous signalaient que la région était libre, les avions pouvaient sans risque se poser sur le terrain dont la protection immédiate était inutile.
L'appui de la population est donc capital pour le guérillero ; il nous interdit, en particulier de réaliser contre lui la surprise, facteur essentiel du succès au combat.
Aussi longtemps que cet appui ne lui aura pas été retiré, nous ne pourrons pas le surprendre, sauf s'il commettait des imprudences, qu'il ne commettra plus lorsqu'il sera mieux entraîné et aguerri.
C'est la raison pour laquelle les procédés couramment employés contre la guérilla :
- postes militaires,
- commandos autonomes ou patrouilles détachées de ces postes,
- embuscades isolées,
- opérations dîtes de " grande envergure "
N’obtiennent que très rarement, accidentellement le plus souvent, les résultats escomptés.
Les postes militaires
Les postes militaires, installés à grands frais dans les zones à pacifier, n'ont en général aucun rayonnement.
Souvent même les villages qui les entourent sont aussi noyautés par nos ennemis que les villages très éloignés.
Placés en général sur des points de passage que nous devons tenir pour déplacer en sécurité nos moyens lourds, ils ne causent aucune gêne aux guérilleros qui n'ont pas besoin de les emprunter.
Leurs bandes pourront sans difficultés circuler dans les larges espaces qui les séparent, organiser et contrôler à leur profit la population sans être inquiétés;
Quelques attentats terroristes habilement calculés suffiront, ensuite, pour soumettre les habitants à leur volonté.
En outre, le dispositif des postes est étalé à livre ouvert sous les yeux de nos ennemis qui les observent à loisir. Aucune de leurs activités ne pourra leur échapper.
La seule utilité réelle des postes résulte en fait des servitudes qu'ils nous créent, leur entretien, leur ravitaillement, nous obligent à ouvrir et à entretenir des routes, à assurer parfois sur de longs itinéraires la sécurité des convois, à maintenir ainsi une certaine activité militaire qui, sans les postes serait nulle.
Commandos autonomes et patrouilles.
Pour rompre cet isolement qu'ils ne tarderont pas à ressentir, les postes les plus actifs ou les plus aguerris enverront à l'extérieur des patrouilles dont l'effectif ne pourra que très rarement dépasser une soixantaine d'hommes (2 sections).
Certains secteurs utiliseront même des commandos spécialement entraînés d'un effectif égal à celui d'une compagnie. Ils auront pour mission de parcourir de jour comme de nuit un secteur déterminé par des itinéraires très variés, dans le but de créer une certaine insécurité pour les guérilleros dans la zone entourant le poste et rassurer par leur présence les populations.
La population verra ainsi quelquefois les commandos ou les patrouilles passer, au milieu d'elles, avec bien souvent une certaine sympathie - vieux souvenir : du temps de paix. Mais ils passeront toujours trop rapidement pour détruire l'organisation ennemie que les rebelles ont installée dans chaque village, qui la terrorise et la plie à sa volonté : collecteurs de fonds, chefs de front, guetteurs, etc. Aussi longtemps que cette organisation n'aura pas été détruite, la crainte de la population restera la même, et la pacification n'aura pas progressé.
Hors de leurs postes ou de leurs bases, commandos ou patrouilles ne pourront pas subsister longtemps quelques jours à peine, le temps d'épuiser le ravitaillement qu'ils peuvent emporter avec eux.
Il ne leur sera pas possible de vivre sur le pays, car ils ne disposent d'aucun des moyens dont usent les guérilleros.
Les bandes armées ont, en effet, la population qui les éclaire, une organisation qui prépare chaque jour leur stationnement, pourvoit à leur ravitaillement et assure en permanence leur sécurité.
Les commandos se déplacent en aveugle, sous la seule protection des éclaireurs qu'ils détachent en avant d'eux, la nuit, au repos, des sentinelles rapprochées ne leur assureront qu'une sécurité très précaire, leur usure physique et nerveuse sera donc rapide.
En outre, ils ne pourront pas varier leurs itinéraires autant qu'ils pourraient le souhaiter, en particulier sur le chemin du retour, surtout si le relief est difficile.
Ils n'échapperont pas à la surveillance de la population et des guetteurs qui sauront vite déceler leurs habitudes.
Ils sauront qu'à partir d'un certain point une patrouille engagée sur une piste ne la quittera plus, quelquefois par routine, souvent parce qu'elle n'aura pas la possibilité de s'en sortir.
Il ne se passera rien aussi longtemps que nos ennemis ne pourront pas réunir des forces suffisantes pour l'attaquer. Mais lorsque cette possibilité leur sera donnée, ils le feront.
Cette expérience, inlassablement tentée par des militaires qui croient encore qu'il est possible de battre nos adversaires sur leur propre terrain s'est souvent soldés par de graves échecs au mieux, elle n'a jamais donné de résultats probants.
C'est une des raisons pour lesquelles certains postes qui, à leur création, faisaient preuve d'une certaine activité à l'extérieur, se replient sur eux-mêmes et ne sortent plus.
Embuscades isolées.
Pour les mêmes raisons les embuscades isolées ne donneront pas de résultats.
Le plus souvent, elles seront décelées avant même leur mise en place et seront inutiles; d'autres fois, elles pourront même tourner à notre désavantage.
Commandos de chasse ou autre, embuscades isolées, sont des procédés de combat que peut employer la guérilla qui bénéficie de l'appui de la population et qui dispose sur le terrain d'une organisation-soutien.
Aussi longtemps que nous ne disposerons pas des mêmes moyens, nous n'obtiendrons que des résultats médiocres, sans comparaison avec les risques courus et les efforts demandés à la troupe.
Les opérations dites " de grande envergure "
Les opérations de grande envergure conduites avec des moyens classiques dans un cadre voisin de celui de la guerre conventionnelle, toujours limitées* dans le temps dispersent momentanément les bandes beaucoup plus qu'elles ne les détruisent.
L'opération habituelle consiste généralement à tenter d'encercler par surprise une zone bien définie dans laquelle des guérilleros ont été signalés, tandis que des éléments mobiles en effectueront le ratissage.
Malgré l'ingéniosité, et quelquefois même la maîtrise, dont font preuve certains commandants d'opérations dans la manœuvre en surface de leurs unités avec les moyens modernes mis à leur disposition, elles sont en fait toujours les mêmes.
Mais la surprise, facteur essentiel du succès, n'est pratiquement jamais réalisée. En effet, nous l'avons vu, la population au milieu desquelles nos troupes vivent et se déplacent, a pour mission de renseigner les guérilleros, et aucun mouvement de troupe ne peut lui échapper.
Le bouclage n'est jamais étanche ; les troupes chargées du ratissage sont toujours trop peu nombreuses pour fouiller un terrain toujours vaste et difficile, dans lequel les bandes dispersées ont la possibilité de disparaître pendant la durée toujours très courte de l'opération.
* Il est fréquent, en effet, qu'il soit décidé à priori qu'une opération donnée ne durera qu'un temps déterminé et toujours très court: quelques jours.
Attirés par vocation par l'aspect purement militaire de la guerre, c'est-à-dire par la poursuite et la destruction des bandes en combat sur le terrain, les commandants d'opération espèrent inlassablement parvenir à les manœuvrer comme des unités régulières et obtenir un succès rapide et spectaculaire ; mais ils portent peu d'intérêt au travail moins noble, pourtant essentiel, qui réside dans l'action en profondeur sur la population et dans la destruction de l'organisation clandestine qui permet toujours aux bandes de survivre malgré les quelques échecs locaux que leur infligent épisodiquement les forces de l'ordre.
Mais, seule une longue occupation du terrain permettant de conduire au sein même des populations une opération policière analogue à celle des villes nous permettrait d'y parvenir.
Enfin, l'assurance de ne jamais courir le risque d'une défaite caractérisée sur le terrain, qu'un adversaire disposant de moyens identiques aux nôtres pourrait nous infliger, permet à n'importe quel chef militaire de commander des opérations.
Si la destruction des bandes, n'est pas obtenue, par contre les objectifs géographiques sont toujours atteints dans les délais prévus ; quelques rebelles tués permettront toujours de meubler habilement un compte rendu. Si quelques armes ont pu être récupérées, l'opération qui revêt habituellement l'aspect d'une manœuvre du temps de paix, prend alors un air de victoire et un éclat suffisant pour satisfaire un commandement peu exigeant.
Mais l'essentiel, la destruction de l'appareil de guerre ennemi, n'est jamais obtenu, principalement parce qu'il n'est jamais sérieusement visé.
Pour enlever, si c'était encore nécessaire, toute illusion sur les possibilités de monter par surprise une opération d'envergure contre, des guérilleros si la population n'a pas au préalable été basculée du, côté des forces de l'ordre je citerai le fait suivant rapporté par un ancien officier d'Indochine:
« En 1948, dans le secteur de.... j'avais pu, disait-il, entrer en relation» avec un capitaine Viet-minh qui commandait un commando (un Bo Doi) indépendant du régiment stationné dans la région.
Il n'était pas communiste alors que tous les cadres du régiment l'étaient.
Mais il ne voulait pas se rallier à la France pour les raisons suivantes:
« Un jour, me disait-il, lointain ou proche, nous ferons la paix avec la France. Ma situation personnelle sera alors fonction de celle à laquelle je serai parvenu. Si je me: ralliais à vous aujourd'hui, vous me considéreriez toujours comme un transfuge et vous, ne me donneriez qu'un emploi médiocre. J'ai choisi le camp Viet-minh parce que c'est celui qui me donne les plus grandes chances de m'élever. Ainsi, si le régiment qui est mon voisin «subissait un sérieux échec, mon secteur serait agrandi et mon avancement assuré. Je peux donc vous, donner à son sujet des renseignements qui peuvent vous être utiles.
Effectivement, il me remit un plan précis et détaillé du P.C. du régiment et de ses installations camouflées dans la forêt qui avaient jusqu'alors échappé à toutes nos fouilles. En échange, je lui promis généreusement de lui donner à temps voulu, la date de l'opération projetée. " C'est inutile, me dit-il, ironique, je suis toujours informé de vos départs en opération au moins vingt-quatre heures à l'avance. J'aurai donc toujours le temps nécessaire pour me retirer dans un autre, secteur. "
J'avais cependant, me disait l'officier, la certitude que je préparais mes opérations dans le secret le plus absolu.
Pourtant c'était un fait, rien ne pouvait échapper à la foule des agents disséminés dans la population qui nous entourait et qui nous épiaient sans cesse. »
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 13:37
II. LE PROBLEME DE LA GUERRILA
Ses moyens et les nôtres.
Une armée classique disposant d'effectifs nombreux et instruits et d’un abondant matériel moderne s’est montrée finalement incapable de vaincre un adversaire qui en est pratiquement dépourvu et dont les cadres et la troupe n’ont en général reçu qu’une formation militaire rudimentaire. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître c’est pourtant une amère réalité que nous devons constater.
Esclave de sa formation et de ses traditions, notre armée n’a pas réussi à s’adapter à une forme de guerre que les écoles militaires ne lui ont pas apprise.
Ses efforts méritoires, ses souffrances, ses sacrifices parviennent à gêner nos adversaires, à ralentir l’exécution de leur plan mais, en définitive, elle s'est montrée incapable de les empêcher d’atteindre leur but.
L’armée frappe le plus souvent dans le vide, usant ainsi en pure perte des moyens considérables.
Une augmentation même très importante de ses moyens ne ferait donc pas avancer la solution et serait pratiquement inutile. C’est l’emploi de ces moyens que nous devons entièrement réviser.
Si nous voulons affronter avec succès la guérilla et la vaincre dans des délais de temps admissibles, nous devons d’abord :
— étudier les moyens dont elle dispose,
— étudier les moyens et les possibilités dont nous disposons,
— rechercher les points faibles de la guérilla et y appliquer le maximum de nos moyens,
— tirer de cette étude des principes généraux qui nous permettront de mettre au point une méthode simple pour préparer et conduire avec succès les opérations contre la guérilla.
Le tableau ci-dessous nous donne les moyens essentiels de la guérilla et ceux d’une armée classique. Il nous permet une comparaison facile.
Armée classique
1° Effectif nombreux et bien armés. Ravitaillement, en vivres et en munitions facile.
2° Peut se déplacer rapidement sur an terrain favorable ou équipé (aviation, autos, bateaux etc.)
3° Possède un réseau de transmission bien organisé qui lui donne de grandes facilités de commandement.
Guérilléros
1° Effectifs peu nombreux, peu et mal armés (du moins au début des hostilités). Ravitaillement en vivres et munitions toujours très difficile.
2° Ne peuvent se déplacer qu'à pied.
3° Peu de moyens de transmission à grande portée
(du moins au début), donc difficultés pour coordonner des actions d'ensemble.Mais – Armée classique
Mais – Armée classique
1° Éprouve de grandes difficultés à se déplacer dans la zone des maquis et sa connaissance du terrain est toujours imparfaite.
2° La population, même si elle ne nous est pas hostile, ne nous apporte pratiquement aucun soutien.
Nous formons à tous les échelons au milieu d’elle des îlots facilement repérables.
3° Nous avons les plus grandes difficultés à être renseignés sur les mouvements des guérilleros et sur leurs intentions.
Mais - Guérilléros
1° Le guérillero a choisi son terrain. Il y est adapté; il peut s’y déplacer rapidement et bien souvent y disparaître.
2° Le guérillero a l'appui de la population (spontané ou obtenu par le terrorisme), avec laquelle il est étroitement lié.
Elle assure son ravitaillement quotidien.
Elle peut même le faire disparaître en l'absorbant dans sa masse en cas de danger.
3° La population les renseigne sur tous nos mouvements et quelquefois même, grâce aux agents qu'ils peuvent introduire chez nous, sur nos intentions.
De l’étude de ce tableau, nous pouvons conclure (que les moyens les plus puissants dont dispose la guérilla lui sont donnés par :
— une connaissance parfaite d’une région qu’elle a choisie et de ses possibilités,
— le soutien que lui apporte l'habitant,
Ceux d’une armée classique résident dans :
— une grande supériorité numérique et matérielle et des facilités de ravitaillement pratiquement illimitées,
— des possibilités de commandement et de manœuvres étendues grâce à des moyens modernes de transmission et de transport,
Que peut donc le guérillero avec les moyens dont il dispose?
Le terrain.
Il a choisi son terrain et nous l’impose. Celui-ci est, en règle générale, inaccessible à nos moyens lourds et rapides et nous fait perdre le bénéfice de notre armement moderne. Nous devons y combattre à pied dans des conditions identiques à celles du guérillero.
Dans son terrain qu’il connaît parfaitement, il pourra facilement nous tendre des embuscades ou, en cas de danger, disparaître.
Par contre, si le guérillero est un combattant incomparable dans sa région ou dans celle où il s’est adapté, il perd une grande partie de sa valeur dans une région nouvelle ou inconnue. Aussi, sauf nécessité absolue, il ne quitte pas son terrain, il s’y accroche, car il sait qu'en dehors de sa région, privé de ses moyens de support, il ne sera qu’un combattant médiocre.
La population.
Nous avons déjà vu que l’appui de la population lui est indispensable. La guérilla n’est possible que dans une région où la population la soutient inconditionnellement. Le guérillero ne peut vivre qu'au milieu d’une population préalablement organisée et soumise à sa volonté : c’est d’elle qu’il tire sa subsistance et sa protection.
C'est l'habitant en effet qui le ravitaille presque quotidiennement en vivres, ce qui lui permet d'éviter la constitution de dépôts encombrants, facilement repérables et toujours difficiles à reconstituer. C’est lui, quelquefois, qui le ravitaille en munitions.
Il assure en outre sa protection en le renseignant. Nos bases de repos et de ravitaillement sont installées au milieu de la population, dont la mission essentielle est de les surveiller. Aucun mouvement de troupe ne peut donc lui échapper. Toute menace pour le guérillero lui sera en tout temps rapidement transmise, il pourra ainsi se mettre à l'abri ou nous tendre de fructueuses embuscades.
La population lui assure même quelquefois asile au sein de sa masse où il peut en cas de danger disparaître.
Mais dépendre aussi étroitement du terrain et de la population est aussi le point faible de la guérilla. Avec nos moyens puissants, nous devons obtenir sa soumission ou sa destruction en agissant sur son terrain et sur son soutien : la population.
Sachant que le guérillero s'accroche à son terrain nous devrons résolument l’y affronter, mais lorsque nous l’occuperons nous devrons avoir la volonté et la patience de le traquer jusqu’à ce que nous l’ayons anéanti. Il faudra du temps, les opérations, seront donc longues.
Nous savons aussi qu'il est moins bon combattant hors de chez lui, nous devons en conséquence nous efforcer de lui faire perdre le bénéfice de son terrain en l’obligeant à le quitter. Pour cela, chaque fois que nous le pourrons, nous ferons obstacle à son ravitaillement en vivres, beaucoup plus impérieux que son ravitaillement en munitions. Cette action impliquera souvent des mesures politiques ou économiques qui n'entreront pas toujours dans les attributions des chefs militaires, mais ils devront les faciliter au maximum et les prendre eux-mêmes chaque fois qu’ils en auront le pouvoir.
Contrôler le ravitaillement, c'est déjà agir sur la population. Nous devrons tout mettre en œuvre pour priver la guérilla de son soutien. Nous y parviendrons par une politique à longue portée, ayant pour base des réformes d'ensemble capables de nous rallier la population. Elles sont du ressort du gouvernement et dépassent le cadre de cette étude.
Mais surtout nous devrons interdire au guérillero toute emprise sur la population, en détruisant systématiquement l’organisation de guerre qui la manipule. Enfin, nous devrons permettre aux habitants de participer efficacement à leur propre sécurité, et de se protéger contre tout retour offensif de l’adversaire en les faisant entrer dans l’organisation hiérarchisée dont nous avons précédemment, parlé.
Cette organisation devra être entreprise sans délai, dans les réglons pacifiées et dans celles susceptibles de donner asile aux bandes armées.
Pour résumer cette rapide analyse nous retiendrons trois principes simples que nous nous efforcerons toujours d’appliquer :
- couper les guérilleros de la population qui les soutient,
- rendre intenables les zones de maquis,
- mais pour que les mesures prises donnent les résultats attendus agir simultanément sur une grande étendue et pendant le temps nécessaire qui peut être très long.
La lutte contre la guérilla devra donc être méthodiquement organisée et conduite avec une patiente et une fermeté inlassables. Sauf de rares exceptions, elle n’atteindra jamais de résultats spectaculaires, chers aux militaires toujours amoureux du panache !
C'est seulement par un ensemble de mesures complexes, parfaitement coordonnées - que nous allons nous efforcer d’étudier - qu'elle provoquera l'usure, lente peut-être, mais sûre, de la guérilla et son anéantissement.
Leçons à tirer de la guerre de Corée.
Avant de tirer de cette étude des conclusions pratiques pour la conduite des opérations contre la guérilla, il est intéressant d'examiner celles qui, depuis la guerre de 1939-1945, ont réussi.
Dans ce domaine, l'armée américaine a obtenu en Corée un succès complet. En effet, grâce à une série d'opérations méthodiquement conduites, elle est parvenue dans des délais de temps relativement courts à faire disparaître entièrement la guérilla qui s’était installée, en 1950 derrière le front, à l'intérieur de la zone occupée par les troupes américaines.
Dans un article de la Military Review : Beating the guerilla de décembre 1955, le lieutenant-colonel John E. Beehe (de l'Infantry Faculty General Staff College), tire, de ces opérations les leçons dont nous devons faire notre profit.
1° Les opérations militaires seules dit-il, ne sont pas suffisantes. Les opérations contre la guérilla comportent deux objectifs :
a) La destruction des forces de la guérilla,
b) L’élimination de leur influence, sur la population.
2° Un plan de contre-guérilla prévoyant des mesures politiques, économiques, psychologiques, administratives et militaires, destinées à prévenir la formation, d’unités de guérilla ou à les détruire si elles se sont formées, doit être préparé à un échelon très élevé du commandement.
3° Pour la conduite des opérations contre la guérilla, il recommande l'application des mesures suivantes
- Le P. C. du commandant des forces de contre-guérilla, doit être établi à proximité de la zone de guérilla. Il doit y faire pénétrer ses troupes qui établiront des bases d’opérations en prenant les précautions de sécurité nécessaires.
Elles prépareront ensuite un plan de combat et d’embuscades contre les guérilleros de façon à maintenir une pression constante sur eux, afin de ne jamais leur donner la possibilité de se reposer, de se réorganiser et de préparer de nouvelles opérations.
L'opération sera terminée seulement lorsqu’il ne restera plus de guérilleros dans la région.
4° Les opérations de contre-guérilla ont mis en œuvre des effectifs importants et ont duré plusieurs mois.
Les deux principale !» furent :
a) L’opération Ratkiller, dans la région montagneuse du sud-ouest coréen, dans laquelle trois divisions ont été engagées : deux divisions coréennes et une américaine auxquelles s’ajoute un bataillon des forces de police.
Elle dura trois mois et demi : du 1er décembre 1951 au 16 mars 1952, au cours desquels 11.000 guérilleros furent tués et 10.000 faits prisonniers.
b) L’opération Trample, contre les éléments de guérilla qui restaient encore dans le sud de la Corée. Deux divisions ont été engagées dans cette opération qui a duré de décembre 1953 à juin 1954, soit environ six mois. Ce fut la dernière des opérations contre la guérilla, et la première au cours de laquelle la population a apporté un appui total eux troupes chargées du maintien de l'ordre.
Ces leçons ne sont pas différentes de celles qu’on peut tirer de quelques opérations contre la guérilla au sud-Vietnam, au début de la campagne d’Indochine, et même en Algérie, et qui ont réussi.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 13:57
III. LA CONDUITE DES OPÉRATIONS CONTRE LA GUÉRILLA
L’ennemi.
Dans toute opération de guerre nous devons d’abord situer notre ennemi pour pouvoir faire converger nos coups sur lui.
Nous savons que dans la guerre moderne nous ne nous heurtons pas seulement à quelques bandes armées, mais à une organisation installée au sein même de la population — dont les bandes ne sont qu’un des éléments — et qui constitue la machine de guerre de nos adversaires.
Pour vaincre, c’est cette organisation que nous devrons anéantir.
Nous avons vu l’importance qu’elle pouvait atteindre dans une seule ville comme Alger. Grâce à l’Algérie nous sommes maintenant en mesure de connaître l’ensemble d’une organisation de guerre capable de couvrir tout un pays.
L'Algérie a été divisée par nos adversaires en 6 Willayas.
Chaque Willayas est divisée elle-même en : 4 ou 5 Zones ou Mintaqua.
Chaque Zone est à son tour divisée en : 4 ou 5 Régions ou Nahia.
Chaque Région est divisée en : 4 ou 5 Secteurs ou Khasma.
Enfin, chaque Secteur est lui-même divisé en un certain nombre de Communes ou Douars.
A chaque échelon territorial de cette organisation nous retrouvons, comme dans les villes et remplissant les mêmes fonctions, les mêmes chefs :
— un chef politico-militaire,
— un responsable politique,
— un responsable militaire,
— un responsable des liaisons et renseignements.
En outre, des organisations qui n’étaient pas nécessaires dans les villes ont été créées pour l’ensemble de l’organisation territoriale :
— un intendant responsable des questions logistiques et particulièrement du ravitaillement on vivres.
— un responsable du service de santé, chargé d’organiser des hôpitaux et, dans la mesure des possibilités, d’apporter ses soins à la population.
A tous les échelons les états-majors sont collégiaux, la voix du chef politico-militaire étant prépondérante.
Le découpage territorial, fait uniquement en vue de la conduite de la guerre, n’est jamais copié sur les organisations administratives du temps de paix. Cependant, approximativement on peut admettre :
— qu’une Willaya a la superficie d’une Igamie,
— qu’une Zone — d’un Département,
— qu’une Région — d’un Arrondissement.
L'unité de base de l’organisation est la Région ou Nahia. C’est le plus petit échelon où se trouve au complet un état-major comme celui que nous venons de décrire.
Aux échelons inférieurs, Secteur (Khasma) et Commune (Douar), il peut n’être qu’embryonnaire. Dans les Communes eu particulier, il est réduit à un comité de cinq membres
— le comité des cinq — dont le plus important est le Messoul chargé des questions de ravitaillement.
Une Région est divisée en un certain nombre de Secteurs, quatre ou cinq suivant l’étendue et les caractéristiques du terrain. (Voir croquis.)
a) Nous avons d’abord un Secteur urbain de faible superficie mais qui englobe largement l'agglomération la plus importante de la Région (Nahia) qui est très souvent le chef-lieu de l’arrondissement.
Il dispose d’un commando, de la valeur d’une section, bien armé et très entraîné, chargé en particulier de commettre les attentats et de faire peser une menace permanente sur les habitants de la ville.
b) Trois ou quatre Secteurs semblables ayant les mêmes caractéristiques.
Par l’intermédiaire du Secteur urbain, ils se rattachent à la ville où ils ont en permanence des représentants auprès de l'organisme politico-administratif de la ville.
Chacun dispose de sa zone des « Campagnes Habitées », qui s’étend entre la ville et la montagne, où est organisé le séjour de la bande armée, en général une compagnie (katiba) par Secteur, et d’une Zone « Refuge » dans la partie montagneuse la plus accidentée, où la bande peut se retirer en cas de danger.
Un Secteur jouit d’une large autonomie dans la portion de terrain qui lui a été attribué. Il est principalement chargé de l’entretien d’une bande de la valeur d’une compagnie, qui est l’unité de guérilla du Secteur (Khasma).
La bande, sauf pour des missions opérationnelles fixées par la Région, ou en cas de menace grave, ne quitte pas le Secteur, où elle dispose de bases et d’éléments, lui permettant de subsister hors de son Secteur elle ne disposerait d'aucun appui et se déplacerait dans un terrain, le plus souvent inconnu, elle serait donc très vulnérable.
Dans un même Secteur les divers éléments de l'organisation ennemie se répartissent géographiquement en trois ensembles :
1° Celui des villes ou des agglomérations importantes.
Il est aux ordres d’un chef politico-administratif, qui est chargé d’organiser :
— le terrorisme urbain,
— les collectes de fonds,
— la propagande,
— un service de renseignements, particulièrement chargé de signaler les mouvements des troupes stationnées dans la ville.
2° Celui des Campagnes Habitées.
Il est aux ordres d’un chef politico-militaire. Dans cette zone plus ou moins contrôlée par des forces de l’ordre, ou très sporadiquement, l’organisation politico-militaire a un rôle très important :
— elle maintient d’abord un contrôle ferme de la population,
— elle répartit, ou fait transiter, le ravitaillement venant des villes,
— elle héberge et nourrit les bandes qui y sont normalement stationnées ou celles qui y transitent, elle leur donne tous les renseignements nécessaires et grâce à ses partisans armés, assure leur protection rapprochée.
3° Celui des Zones Refuges.
Il est aux ordres d’un chef politico-militaire. La Zone Refuge est située dans un terrain d'accès difficile, isolé par des destructions importantes : coupures de routes, sabotage de ponts, etc. et organisée pour assurer le stationnement des bandes.
Le chef politico-militaire est chargé de pourvoir à leur sécurité et à leur ravitaillement il assure, en outre, la garde des dépôts et des cantonnements lorsque les bandes sont absentes.
La bande armée, par la menace permanente qu'elle fait peser sur les habitants et la crainte qu'elle inspire aux unités des forces de l’ordre, est la garantie de l’ensemble de l’organisation.
Elle vit normalement dans sa Zone Refuge, mais elle fait de fréquents séjours dans la Zone des Campagnes Habitées, en particulier l’hiver où elle y vit pratiquement en permanence.
Les membres de l’organisation d’un Secteur vivent donc sur deux ensembles :
a) La ville et, les Campagnes habitées,
b) Les campagnes habitées et les Zones Refuges. Mais il n’y a pas de liaisons directes entre les villes et les Zones Refuges.
Lorsqu’une telle organisation a pu s’installer dans un pays, des opérations militaires uniquement dirigées contre les bandes armées n'arriveront pas à les atteindre.
Y parviendraient-elles que l’essentiel de l’organisation resterait en place et serait, même sans les bandes, assez puissant pour maintenir son emprise sur les populations.
La victoire ne peut donc être acquise que par la destruction complète de l’ensemble de l'organisation.
Idée de manœuvre.
Cette analyse nous permet de constater que la partie la plus vulnérable de l’organisation ennemie se trouve dans les villes. Elle est toujours à portée des troupes qui l’occupent. Une opération policière, conduite d’après les principes que nous avons précédemment énoncé, permettra de la détruire.
Mais l’objectif le plus rentable à atteindre sera la destruction de l'organisation politico-militaire des Campagnes Habitées.
Nous devrons donc l'entreprendre aussitôt que nous disposerons des moyens nécessaires. Cette opération nous ramènera, d’une part, vers l'organisation des villes, et d’autre part elle nous donnera les filières nécessaires pour atteindre les bandes dans leurs Zones Refuges. Nous pourrons détruire ainsi la totalité de l’organisation qui supporte les bandes.
Coupées de leurs sources de ravitaillement et de renseignements, elles deviendront plus vulnérables.
Une opération de grande envergure devrait donc logiquement débuter par une opération policière dans la Zone des Campagnes Habitées.
L’occupation de la Zone des Campagnes Habitées et la destruction de l’organisation qui supporte les bandes sera donc notre premier objectif.
Nous obligerons ainsi, dans une première phase, les bandes à se retirer dans leur Zone Refuge.
Privées de ravitaillement et de renseignements, elles n'auront plus la possibilité de les quitter sans risques et auront de grandes difficultés pour se défendre lorsque nous déciderons de les attaquer.
Utilisation des moyens.
1° Mise en place d’un système défensif initial:
LE QUADRILLAGE.
Les premiers actes de guerre de l'ennemi - attentats terroristes, actions localisées de guérilla - auront généralement surpris les forces de l’ordre du temps de paix : police, gendarmerie, armée, trop dispersées et trop vulnérables, elles se seront rapidement repliées sur les agglomérations qui leur offrent le plus de possibilités de résistance à l'agresseur.
D'autres éléments auront été poussés sur les points essentiels à tenir.
Entre les postes tenus la circulation aura été maintenue ou rétablie au moyen de convois protégés. Mais la plupart des axes de circulation secondaires auront dû être abandonnés.
L'agresseur nous aura ainsi obligés à prendre rapidement un dispositif de défense en surface pour protéger les points sensibles et empêcher l’asphyxie totale du territoire.
Ce dispositif, plus ou moins dense, est mis en place d'après un plan établi par le commandement, en fonction des nécessités immédiates et de ses moyens disponibles : points sensibles, densité de la population, répartition de l'habitat, obligation de maintenir la circulation sur les axes essentiels à la vie du pays.
C’est ainsi que s’établît un système défensif appelé quadrillage, dont l’organisation hiérarchisée est calquée sur le découpage administratif, pour utiliser : au maximum toutes les possibilités de commandement et permettre, dans la mesure du possible, à l'administration de fonctionner.
Le département devient une Zone,
Arrondissement devient un Secteur,
Le canton devient un Quartier.
Ce retrait des forces de l'ordre a livré rapidement une partie importante du territoire à l’adversaire.
La surprise a joué à son avantage. Désormais, il va s’efforcer :
— de consolider et de compléter son organisation de guerre,
— de défendre le territoire conquis contre les actions des forces de l'ordre,
— de faire sauter progressivement le maximum de mailles du quadrillage pour accroître la superficie du territoire contrôlé.
2° Attaque et destruction de l’organisation de guerre ennemie.
Comment avec les moyens dont nous disposons immédiatement, puis avec les renforts que nous recevrons, pouvons-nous envisager la destruction de l’organisation de guerre ennemie et la libération du territoire occupé ?
LES TROUPES DE SECTEUR :
a) Les postes.
Nous aurons d’abord les troupes qui ont formé le quadrillage initial, appelées troupes de Secteur.
Si la Région est l’élément de base du dispositif ennemi, le Secteur-Arrondissement est l’élément de base, de notre système.
Le repli de nos éléments a amené la création d'un certain nombre de postes militaires dans les villages les plus importants et dans les villes et plus particulièrement au chef-lieu du Secteur-Arrondissement.
Or, nous avons vu le peu d’efficacité des postes. La conquête de la population étant le but visé par la guerre moderne, tout élément qui n'est pas en contact direct et permanent avec elle n'est d’aucune efficacité.
Pour améliorer leur rendement, nous les sortirons des bâtisses où ils se sont installés, entourées de murs, construits pour supporter un siège que nos adversaires n’ont ni l’intention, ni la possibilité de faire.
Dans la plupart des villages, nous trouverons souvent une ou deux maisons vides, où logent habituellement les bandes de passage, que nous pourrons occuper. D’autres maisons pourront être louées aux habitants ou même construites, si c’est nécessaire, pour loger les hommes.
Nous organiserons ensuite, non plus la défense du seul poste militaire, mais celle de tout le village et de ses habitants.
Un périmètre étanche et infranchissable sera créé ( fils de fer barbelés, broussailles, matériaux divers ...) protégé par quelques blockhaus armés d’armes automatiques et capables de flanquer la totalité du périmètre.
Une opération policière sera aussitôt entreprise à l’intérieur du village ainsi protégé, simultanément, nous organiserons la population suivant les principes que nous avons précédemment étudiés.
Les habitants des villages les plus proches, ou les isolés, seront progressivement ramenés à l’intérieur du périmètre de sécurité. La plupart d'ailleurs y viendront d'eux-mêmes. Les habitants ne pourront quitter le village que par des portes où toutes les sorties seront contrôlées : ils ne pourront emporter avec eux ni argent, ni ravitaillement. La nuit, personne ne pourra quitter le village ou y entrer.
Nous rétablirons ainsi le vieux système des villages fortifiés, du moyen âge, destinés à protéger les habitants contre les "grandes bandes ". Mais la première opération policière à faire sera celle du chef-lieu du Secteur-Arrondissement.
Un Bureau de contrôle et d’organisation populations devra être installé dans les meilleurs délais à l’état-major du Secteur (voir cet organisme p. 37). La ville elle-même sera entourée d’un périmètre étanche, protégé, et dont toutes les entrées et les sorties seront contrôlées.
Les habitants du chef-lieu et des villages-postes recevront un certificat de recensement (voir p. 37), dont un exemplaire sera envoyé au P. C. du Secteur et du Quartier.
Chaque certificat portera obligatoirement en caractère très lisible le numéro minéralogique de l’individu, établi de la façon suivante ;
Numéro du groupe de maisons.... Ex. : 4
Lettre de l'îlot .... Ex. : B
Numéro du quartier .... Ex. : 2
Lettre de la ville ou du village-poste.... Ex. : C
Soit : 4 B 2 C.
La première partie : 4 B nous donnera les chefs responsables de l’individu : chef de groupe de maisons et chef d’îlot, la deuxième partie : 2 C permettra de le situer exactement.
Le certificat de recensement permettra de doter chaque individu d’une carte de ravitaillement (voir en annexe).
En outre, tous les animaux seront recensés, les animaux de trait : chevaux, ânes, mulets et les bovins : veaux, vaches et boeufs seront marqués au fer avec le numéro signalétique de leur propriétaire.
Nous avons vu l’importance du ravitaillement pour les guérilleros. Dès lors, aucun ravitaillement ne pourra sortir des villes ou des postes. Les animaux eux-mêmes seront strictement contrôlés.
Il suffira d’interdire sans contrôle la circulation des denrées alimentaires sur les axes routiers, pour couper en peu de temps les principales sources de ravitaillement de nos adversaires.
Ainsi, même avec des moyens très réduits, nous arriverons à reprendre le contrôle de la majeure partie de la population d’un pays, de 80 à 90% si l’on fait le total des habitants des grandes villes jusqu'aux petites bourgades où, sont installées des brigades de gendarmerie qui auront bien souvent des moyens suffisants pour le faire.
Nous aurons ainsi en main une masse de manœuvre importante, sérieusement protégée et contrôlée, et suffisante pour bloquer dans tous les domaines l’offensive ennemie.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 14:12
LES TROUPES DU SECTEUR :
b) Les troupes d'Intervalle.
Mais de larges intervalles resteront vides de troupes et leurs habitants livrés sans défense à l'action permanente de nos adversaires.
Les grandes opérations du type de celles que nous avons décrites, ou les raids de commandos, créeront une gêne passagère à nos ennemis, mais ils seront toujours trop rapides et superficiels pour détruire leur organisation de guerre.
L’organisation et le contrôle de la population des villes et des villages -postes permettra de faire participer une partie importante des habitants à leur propre défense. Ces troupes pourront être ainsi libérées qui renforceront l’élément réservé du commandant de Secteur : devenues disponibles et mobiles, elles formeront les troupes d'intervalle du Secteur, destinées à agir en permanence entre les postes.
Les effectifs devront être suffisants pour leur permettre en toutes circonstances de surclasser une bande dont l’importance et la valeur peuvent varier suivant les régions et le stade auquel sera parvenue la guérilla. Mais si nous n’avons pas laissé la situation se pourrir en réagissant vite, l’ennemi ne pourra pas créer de bandes supérieures à une centaine d’hommes, soit approximativement une compagnie. C'est l’effectif qui lui permet en effet de se déplacer en sécurité sur de longues distances et de vivre sur le pays et l'habitant qui sont le plus souvent ses seules sources de ravitaillement.
Un bataillon d’infanterie à quatre compagnies sera donc l’unité d’intervalle type. Il sera essentiellement mobile, en mesure de se déplacer en véhicules pour les longs déplacements sur route, mais normalement à pied.
Sa mission essentielle sera :
— la destruction de l’organisation politico-militaire des campagnes habitées,
— éventuellement, la destruction des bandes qui tenteront de s’opposer à son action ou qu’il aura la possibilité d’accrocher,
— le resserrement des populations sur les centres contrôlés et, si possible, la création de nouveaux centres, afin de parvenir à regrouper et à contrôler la totalité des habitants de la Zone des Campagnes Habitées.
Si les effectifs des troupes d’Intervalle du Secteur ne dépassent pas un bataillon, elles ne pourront certainement pas traiter simultanément l’ensemble de la Zone des Campagnes Habitées d’une Région (Nahia) qui correspond approximativement à notre Secteur-Arrondissemont.
Mais nous savons que dans une Région (Nahia) chaque Secteur (Khasma) dispose de sa propre Zone des Campagnes Habitées, où il organise le séjour d’une bande armée dont il assure le support logistique.
C’est donc, au minimum, la Zone des Campagnes Habitées d’un Secteur (Khasma) que nous devrons attaquer. Ses limites sont faciles a définir : l’opération policière des villes et des postes-villages nous aura donné suffisamment de renseignements pour l’établir sans difficultés.
Dans cette Zone, les troupes d’intervalles n’espéreront pas surprendre l’adversaire en s'efforçant d’y pénétrer par surprise, ce qui, nous l’avons vu, est illusoire, mais elles le surprendront par leurs méthodes de combat.
Elles pénétreront dans la Zone à traiter en formation gardée pour éviter toute surprise et pour être on mesure de manœuvrer en cas d’accrochage avec une bande si elles ont la chance de la rencontrer.
Si la bande réussit à s’échapper, ou si elle est dans sa Zone Refuge, l’opération policière devra aussitôt commencer. En effet, l’organisation politico-militaire ne suit pas la bande qu’elle alourdirait : elle reste sur place ou à proximité ; elle est donc toujours à la portée des unités d'intervalle si elle reste le temps nécessaire pour la rechercher et la détruire.
Gardant toujours les éléments en réserve, les unités s'étaleront sur une grande surface, afin d’occuper si possible la totalité de la Zone des Campagnes Habitées du Secteur (Khasma), en particulier le maximum de villages et des passages fréquentés.
Puis, tandis qu’une partie des cadres fera procéder à une fouille minutieuse du terrain pour rechercher les caches, les dépôts de toute nature, et étudiera pour la nuit un dispositif très serré et coordonné de petites embuscades, les spécialistes des unités entreprendront, le travail policier.
Dans chaque village, la totalité de la population (des deux sexes) sera rassemblée avec interdiction à quiconque de s’éloigner pendant la durée de l’opération. Sans violence, chaque habitant sera individuellement et secrètement, interrogé. Des questions simples mais précises seront posées à chacun d’eux, deux en général suffiront pour ce premier interrogatoire :
— Quels sont les individus qui collectent les fonds dans votre village?
— Quels sont les jeunes gens armés qui assurent la surveillance du village ?
Si ce premier interrogatoire est bien organisé, plusieurs habitants nous les désigneront sans difficultés. Bien souvent, espérant n'être pas découverts, ils seront parmi les gens rassemblés. Nous n’aurons donc aucune difficulté pour les arrêter. Ceux qui auront réussi à quitter le village ne se seront pas réfugiés très loin. Privés de tout contact avec les habitants, ils tomberont bien souvent dans nos embuscades de nuit lorsqu’ils tenteront de se renseigner ou de s’enfuir.
Le premier échelon de l’organisation politico-militaire ennemie tombera aussi entre nos mains. Un interrogatoire plus poussé nous en fera rapidement découvrir tous les membres (chefs de front, membre du comité des cinq, ravitailleurs, guetteur, etc.), ainsi que les dépôts, de vivres et les caches d’armement.
Huit jours au moins seront nécessaires aux équipes spécialisées pour détruire l’organisation politico-militaire d’un village. Ce sera donc la durée minimum d’une opération policière dans la Zone des Campagnes Habitées.
Parallèlement à ce travail de destruction, nous implanterons les premiers éléments de notre propre système.
Ce seront d’abord des agents de renseignement.
Pour réussir nous ne devrons jamais perdre de vue que nous ne serons renseignés que par des gens qui pourront le faire sans risque : c’est cette sécurité indispensable que nous devrons assurer à nos agents.
Nous les choisirons dans le village même. Ce seront en général les habitants qui au cours du premier interrogatoire nous aurons le mieux renseignés. Nous les ficherons, mais nous ne prendrons contact avec eux qu'au cours de la prochaine opération policière et dans les mêmes conditions. Ils nous désigneront alors les hommes que l'ennemi a mis en place, pour remplacer la première organisation détruite.
Plus tard, lorsque la situation se sera améliorée nous apprendrons à ceux qui s'en montreront capables des procédés de transmission discrets de renseignements simples : en particulier à l'occasion de leur contact avec les villes ou les postes.
Nous entreprendrons aussitôt l'organisation et le contrôle des populations de la Zone des Campagnes Habitées.
Nous procéderons d’abord au découpage classique en quartiers, îlots et groupes de maison et à leur numérotage. Ensuite, nous ferons le recensement précis de tous les habitants et de leurs moyens d’existence, en particulier de leur cheptel.
Puis nous les ferons, entrer dans la hiérarchie dont nous avons déjà parlé.
Nous demanderons au début peu de chose aux cadres que nous aurons désignés. Mais ce premier travail facilitera grandement le contrôle de la population au cours des opérations policières suivantes, qui devront être fréquentes si nous voulons empêcher que l’organisation détruite ne se reconstitue. En particulier, seront considérés comme suspects tous les individus qui ayant été recensés, seront introuvables : les chefs responsables et leur famille seront tenus pour responsables.
Par contre, les individus non contrôlés qui se présenteront seront inscrits sur le contrôle après un interrogatoire sommaire.
Les habitants qui pourront rejoindre les villages-postes le feront, avec notre aide, ils emporteront tous leurs moyens inexistence. Nous augmenterons ainsi progressivement le nombre des habitants contrôlés et protégés. La différence de vie, en particulier la sécurité assurée aux habitants dans les périmètres protégés, constituera un puisant attrait pour toute la Zone des Campagnes Habitées.
Chaque fois que nous disposerons des effectifs et des moyens nécessaires nous devrons en créer de nouveaux.
Ce n'est que par un travail méthodique que nous établirons progressivement un contrôle strict de tous les habitants et de leurs moyens d’existence.
Le ravitaillement des bandes deviendra de plus en plus difficile dans la Zone des Campagnes Habitées que nous viderons progressivement de sa substance. Si elle ont pu échapper aux fréquentes opérations policières des troupes d’intervalle, elles devront se maintenir dans leur Zone Refuge et y vivre dans des conditions difficiles.
Grâce aux nombreux renseignements recueillis sur elles,(stationnements, caches, dépôts, etc.) le commandant de Secteur pourra, s’il peut recevoir temporairement quelques moyens supplémentaires, les poursuivre dans leur refuge avec des chances de succès et les détruire.
Ainsi, une conduite méthodique et patiente des opérations permettra dans la plupart des secteurs faciles ou moyens, de détruire dans des délais raisonnables l'appareil de guerre ennemi et de ramener la paix.
3° Action, du général, commandant la Zone-Département.
Si l’action des commandants de Secteur est déterminante à l’échelon exécution, le général commandant la Zone-Département aura un rôle de coordination essentiel pour parvenir à la destruction méthodique de l'organisation ennemie sur une très grande étendue.
Il fixera initialement pour chaque Secteur les points à occuper en fonction d’un plan d’ensemble pour éviter l'asphyxie du Département. Il déterminera en particulier les axes routiers sur lesquels la circulation sera maintenue.
Ce premier coup d’arrêt ayant été porté à l'adversaire, il passera à l'offensive. Il attaquera d’abord l'organisation ennemie des villes importantes du Département, particulièrement celle de son chef-lieu afin que les attentats terroristes spectaculaires qui donnent à nos adversaires un grand prestige, cessent.
Il donnera des directives précises pour la conduite des opérations policières. Il veillera à ce que l’organisation et le contrôle des populations soient entrepris sans délai. Il s’assurera que les procédés et les moyens employés sont les mêmes sur toute l’étendue de la Zone-Département pour maintenir l’unité d'action. Il gardera toujours à sa disposition un important élément réservé, pour faire peser successivement son action sur les points qui lui paraîtront les plus rentables pour hâter l’exécution du plan de pacification qu’il aura établi.
Enfin, nous l’avons vu, les limites de l’organisation ennemie coïncident, rarement avec les limites administratives du temps de paix que notre organisation militaire a dû adopter.
L’action, entreprise par les commandants de Secteurs ne devra pas s'arrêter à ces limites, mais être poursuivie méthodiquement sans hiatus, sur tout le territoire de, l'organisation ennemie attaquée : Secteur (Khasma) ou Région (Nahia). D’où la nécessité d’une coordination des opérations à l'échelon Zone-Département et d’une stricte planification des méthodes et des moyens.
Les Zones Refuges en particulier sont généralement installées en terrain d'accès difficile, au relief mouvementé, coupé très souvent par des limites administratives. L'attaque des Zones Refuges sera dans ce cas déclenchée par le général commandant la Zone-Département, lorsque les opérations policières périphériques conduites par les commandants de Secteur auront, été conduites à leur terme.
Ainsi, tout en laissant une large initiative à ses subordonnés, il s'assurera par de fréquentes inspections que ses directives sont strictement appliquées.
Dans tous les domaines il veillera à ce que l'exécution de son plan de pacification soit poursuivi particulièrement en ce qui concerne les réalisations pratiques, qui exigent des moyens considérables qu'il importe de ne pas gaspiller.
- construction de routes nouvelles, ou remise en état de celles qui ont été sabotées,
- construction de nouveaux villages-postes pour recueillir les populations repliées des Zones dangereuses,
- construction d’écoles,
- développement économique du Département pour donner aux populations déplacées des ressources suffisantes pour vivre.
Un plan bien conçu, exécuté avec méthode et sans faiblesse, mais avec coeur et clairvoyance, épargnera à la population qui aura beaucoup à souffrir des opérations de guerre, des souffrances inutiles.
4e Les troupes d'Intervention de la Zone-Département.
Dans les régions d’accès difficile où la guérilla a pu aménager pour ses bandes des bases bien équipées, où elle dispose d'effectifs nombreux et aguerris, les troupes de Secteurs n’auront en général pas les moyens suffisants pour les attaquer et les détruire.
Elles devront donc faire appel aux troupes d’Intervention.
Les troupes d'Intervention de la Zone -Département seront en principe constituées par les éléments réservés au général commandant la Zone qui pourront, le cas échéant, être renforcés par des unités prélevées sur la Réserve générale du commandant du théâtre d’opérations.
C'est par l'emploi judicieux de ses troupes d'Intervention que le général commandant la Zone pourra accélérer la pacification en les faisant intervenir au moment voulu, sur des points bien définis.
Leur mission normale sera la destruction des bandes lorsque les troupes d’Intervalle des Secteurs les auront obligées à se retirer dans leur Zone -Refuge.
Une opération contre les bandes armées ne différera pas essentiellement des opérations conduites par les troupes d’intervalle dans la Zone des Campagnes Habitées. Elle sera leur prolongement logique.
Les effectifs à mettre en œuvre seront fonction de l'Importance des bandes à réduire et de l'étendue de la Zone Refuge.
En général, deux ou trois régiments d'Intervention, travaillant en liaison avec les unités d’intervalle des Secteurs intéressés, suffiront.
Elles seront commandées soit par le général commandant la Zone ou son adjoint, quelquefois par l’un des commandants de Secteur les plus directement intéressés à l’opération.
CONDUITE DE L’OPERATION :
a) Bouclage de la Zone.
Dans un premier temps, la zone à traiter sera bouclée par les troupes d’Intervalle des secteurs intéressés qui s’installeront dans la Zone des Compagnes Habitées.
Si l’opération policière a été bien faite,- le, contact aura été rompu entre les bandes et la population. Celles-ci, on effet, auront été regroupées et organisées; un service de renseignement aura été mis en place.
Les troupes chargées du bouclage seront familiarisées avec un terrain qu'elles auront maintes fois parcouru. Le bouclage ne sera pas linéaire, mais s'étendra sur une zone profonde; parfaitement connue, dans laquelle tout élément de bande sera immédiatement signalé et accroché.
L'OPERATION.
Le bouclage étant mis en place, les troupes d’intervention pénétreront dans la Zone Refuge, par héliportage, parachutage ou à pied, de façon à occuper, simultanément si possible, la totalité du chemin de parcours des bandes. En cas de rencontre avec une bande, elles devront toujours être en mesure de l’accrocher, de la manœuvrer et de la détruire.
Le commandant de l’opération répartira la zone à traiter entre ses unités qui y installeront des bases légères où sera maintenu un élément réservé.
Pendant la première journée, avec prudence et en sécurité, les unités rayonneront le plus loin possible de leur base pour reconnaître le maximum de pistes, de sentiers, de passages où, la nuit venue, des embuscades seront tendues.
Une réserve héliportable sera toujours maintenue à la disposition du commandant de l’opération pour lui permettre d’exploiter et de conduire à sa fin tout accrochage qui pourrait se produire en un point quelconque de la zone d’opération.
Les hélicoptères, les avions légers d’observation seront de précieux auxiliaires de reconnaissance et de protection.
La totalité de la population rencontrée sera aussitôt rassemblée, l’opération policière commencée sans délai permettra de compléter les renseignements sur les dépôts, les lieux de stationnement des bandes, les caches, les hôpitaux, etc.
Les renseignements obtenus seront exploités sur-le-champ, mais avec prudence et toujours avec des effectifs suffisants pour éviter toute surprise contre un adversaire bien armé, aguerri et décidé à se défendre.
Tous les individus reconnus comme faisant partie de l'organisation ennemie seront arrêtés et maintenus dans les unités pour exploitation pendant toute la durée de l'opération.
La population, en général peu nombreuse, sera évacuée en totalité sur un centre de regroupement qui aura été préalablement aménagé à cet effet.
Ainsi, dès le début, les bandes seront coupées de tout contact avec la population et livrées à leurs seules ressources.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 14:18
La totalité des troupes engagées dans l’opération devra prendre le repas du soir avant la fin du jour. La nuit venue, aucun feu ne devra être allumé. Aux points propices reconnus dans la journée, des embuscades seront tendues. Les premiers jours, après le début de l’opération, leur effectif pourra atteindre une section. Mais les jours suivants, mettant à profit la désagrégation de l'adversaire et une meilleure connaissance du terrain, elles devront être de plus en plus nombreuses avec des effectifs de plus en plus réduits, ne dépassant pas quatre ou cinq hommes.
Toutes les pistes, en particulier celles où il n’aura pas été possible de tendre des embuscades, seront piégées, au moyen de pièges simples — grenades ou plastic — relevés au matin par les hommes mêmes qui les auront placés, pour éviter toute méprise.
Ainsi chaque nuit, les troupes d’intervention et les troupes de Secteur tendront un vaste filet : les maquisards qui, la nuit, voudront se déplacer pour quitter la zone dangereuse ou se regrouper s’y heurteront.
En règle générale, il est recommandé de tirer sans plus attendre sur tout individu qui se présentera à bonne portée d'une embuscade, c'est- à-dire une dizaine de mètres au maximum.
En effet, il est difficile de tirer correctement la nuit à une distance supérieure, et les guérilleros ne se présenteront jamais en groupe compact devant une embuscade.
Le système sera maintenu pendant deux heures après le lever du jour, car c’est bien souvent le matin que les maquisards qui voudront s'échapper tenteront leur chance.
Autour de la zone traitée, et sur la plus grande profondeur possible, tous les postes devront être vigilants et en mesure de contrôler tous mouvements ou habitants suspects. Tout individu qui n’aura pas son certificat de recensement sera à priori considéré comme suspect et arrêté.
Pendant la journée, à l'intérieur de la zone, des patrouilles fouilleront inlassablement et minutieusement tous les fourrés ; elles ramasseront les morts pour les identifier, les blessés pour les interroger. Les prisonniers feront l’objet d’interrogatoires rapides et leurs déclarations seront contrôlées sur-le-champ.
Ce dispositif obligera les maquisards, coupés de la population et aveugles, à quitter leurs caches confortables — qui d’ailleurs seront bien souvent découvertes — pour tenter de fuir ou pour se procurer de l’eau et des vivres. Les blessés deviendront une charge écrasante.
Un service d’action psychologique actif, disposant de haut-parleurs et de tracts adaptés à la situation du moment, aura les plus grandes chances d'obtenir la reddition des mous, que les circonstances auront placés hors de l’emprise et de l’autorité de leurs chefs. Beaucoup de maquisards, qui auront échappé aux embuscades, démoralisés, se rendront. L’opération en effet devra durer le temps nécessaire pour obtenir la destruction complète de la bande visée.
Tout ce qui pourrait être susceptible de faciliter d’une façon quelconque la vie des guérilleros, ou être utilisé par eux : dépôts, abris, caches, vivres, cultures, maisons, etc., devra être systématiquement détruit ou récupéré. La durée de l’opération permettra justement la récupération méthodique des matériaux et des denrées, qui seront distribués ou rendus aux habitants regroupés. La totalité des habitants et du cheptel devra être évacuée.
A leur départ, les troupes d’intervention devront non seulement avoir détruit complètement les bandes, mais ne laisser derrière elles qu’une zone vidée de toutes ressources et parfaitement inhabitable.
L’opération dans une Zone Refuge contre les bandes armées, avec l’appui des troupes d’intervention, devra mettre un point final à la lutte contre la guérilla dans un secteur.
Pour réussir, elle devra être minutieusement préparée à l’échelon du général commandant la Zone Département. Elle ne sera déclenchée que lorsque les opérations menées par les troupes d’intervalle des Secteurs auront créé une situation favorable et que le commandement aura pu réunir la totalité des moyens nécessaires. Minutieusement préparé, énergiquement conduite, elle ne doit pas échouer.
Elle doit permettre au commandant de Secteur de regrouper et de contrôler la totalité des habitants de son Secteur, but final des opérations de la guerre moderne.
Cependant, le contrôle et l'organisation des populations et l’ensemble des contrôles annexes qu’il permet d'établir.
- contrôle du ravitaillement
- contrôle des animaux,
- etc,
ainsi qu’un service de renseignement sans faille, devront être maintenus vigilants jusqu’à ce que la paix soit revenue sur l'ensemble du territoire.
Leur manque de vigilance ou leur disparition prématurée permettrait à coup sûr à nos adversaires de reconquérir le terrain perdu et remettrait en cause la pacification du Secteur.
5° Les troupes d'Intervention de Réserve générale.
Le commandant en chef d'un théâtre d’opérations devra toujours disposer d’une Réserve générale importante. Elle lui permettra d'intervenir, au point précis et au moment qu'il jugera opportun, dans la conduite des opérations.
C’est, nous l'avons vu, grâce à une utilisation judicieuse de ses unités réservées qu’il pourra accélérer et terminer la pacification dans certains secteurs difficiles.
Or, pour des raisons d'économie des forces, certaines régions devront être abandonnées ou tenues seulement avec de très faibles effectifs. L’ennemi aura ainsi la possibilité de s’y organiser sérieusement et d’y entretenir des forces importantes. Lorsque le commandement décidera de les pacifier, les moyens normaux des Secteurs ou des Zones seront insuffisants. Les opérations incomberont alors aux unités de Réserve générale.
De même, au début d’un conflit, l'ennemi n’aura généralement pas la possibilité de déclencher les hostilités simultanément sur l'ensemble du territoire. Il s’installera d’abord dans des zones propices à la guérilla qu’il s’efforcera de garder sous son contrôle.
A ce stade, une action en force, rapidement déclenchée et vigoureusement conduite, d’après les principes que nous, avons précédemment étudiés, doit dans des délais courts, anéantir la guérilla et empêcher l’extension du conflit. La réussite de l’opération entreprise et donc capitale puisqu’elle est susceptible de ramener La paix.
Dans un cas comme dans l’autre, la zone opérationnelle devra être nettement définie et isolée. Dans le premier cas, ce sera le rôle des Zones et des Secteurs limitrophes.
Dans l'autre, dès les premiers actes d’agression, les éléments des forces de l’ordre dont nous disposons sur place: armée, gendarmerie, police, les divers services de renseignements du temps de paix, s'efforceront de déterminer avec le plus de précision possible les limites de la zone passée sous le contrôle de l'ennemi.
En prenant rapidement en bordure de cette zone les mesures précédemment étudiées :
— contrôle et organisation des populations,
— mise en place d'un service de renseignements efficace,
Ils empêcheront l’extension en surface de l'action ennemie et s’accrocheront fermement aux localités essentielles de la périphérie. Ce sont celles-ci qui finalement délimiteront la zone à attaquer.
L’importance des effectifs — deux à quatre divisions si l’on s'en tient à l'expérience de Corée — et des moyens très divers, civils et militaires, à mettre en œuvre, la nécessité de coordonner étroitement des actions très complexes, exigent qu'une telle opération ne soit déclenchée qu'après une étude sérieuse permettant d'établir un plan d’action précis, et seulement lorsque. tous les moyens nécessaires auront été réunis. Des moyens insuffisants, des négligences dans la préparation et dans l’exécution des opérations feraient courir à un échec certain qui aurait les conséquences les plus graves : l'extension du conflit en surface ne pourrait pas être arrêtée et une guerre très longue ne pourrait plus être évitée.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 14:26
Le commandant de l'opération sera le commandant des unités de Réserve générale engagées. A ce titre, il recevra la totalité de la mission à remplir, c’est-à-dire qu’on ne lui demandera pas seulement d’affaiblir les bandes ou de les disperser, mais de détruire entièrement l’appareil de guerre de l’ennemi et de rétablir dans la zone considérée une vie normale.
La durée de l’opération ne sera pas fixée a priori. Elle se terminera seulement lorsque l’organisation de guerre ennemie — bandes armées comprises aura été entièrement détruite (c’est-à-dire lorsqu’il ne restera plus un seul guérillero dans la région), mais encore lorsqu'un système capable d’empêcher tout retour offensif de l'adversaire aura été mis en place.
On donnera à temps voulu, au commandant de l’opération un adjoint qui, au départ des Réserves générales, avec les moyens qui lui seront laissés et l'organisation mise en place, devra assurer au territoire libéré un retour rapide vers la paix.
6° Conduite de l'opération.
Une telle opération différera seulement par son ampleur de celles que nous avons précédemment exposées, mais les principes à appliquer seront les mêmes.
Si les effectifs engagés permettent d’obtenir une densité de troupes suffisantes sur l’ensemble de la zone à traiter, les opérations commenceront simultanément dans la Zone des Campagnes Habitées et dans les Zones Refuges. Un délai de temps important pourra ainsi être gagné, Mais nous ne pourrons qu'exceptionnellement réunir les effectifs nécessaires pour, une opération d'une telle ampleur.
L'opération commencera donc par la Zone des Campagnes Habitées dont nous avons signalé toute l’importance, dont nous connaissons les caractéristiques essentielles et qu’entourent les Zones Refuges.
Une vaste opération policière, couvrant la totalité de cette zone nous permettra de détruire l’important organisme politico-militaire qui s’y est implanté et de parachever, si c’est nécessaire, la destruction de l’organisation politico-administrative des villes.
Nous y rencontrerons quelquefois des bandes armées que nous nous efforcerons de détruire, mais nous leur interdirons désormais ce séjour privilégié, en les obligeant à se retirer et à vivre dans leurs Zones Refuges.
Parallèlement à l’opération policière, un Bureau de contrôle et d’organisation de* populations sera créé; destiné à mettre en place et a diriger l'organisation hiérarchisée des populations et ses contrôles annexes :
— contrôle de ravitaillement,
— contrôle des animaux,
— contrôle de la circulation des individus et des biens de consommation,
— etc.
La totalité de la population sera regroupée dans des villages-postes qui seront dotés des moyens et des installations nécessaires pour assurer le contrôle et la protection des habitants.
Des villages, des routes, des postes seront ainsi créés, et une administration normale remise en place.
La Zone des Campagnes Habitées deviendra ainsi un immense chantier dans lequel la population, bien encadrée, apportera une aide précieuse et efficace.
C’est seulement lorsque l’opération des Campagnes Habitées sera terminée que nous entreprendrons les opérations contre les Zones Refuges.
Nos services de renseignements, la population, les prisonniers, les ralliements qui auront provoqué l'isolement des bandes, l'impression de force et de confiance qui se dégagera d’une vaste opération conduite énergiquement et avec méthode dans la Zone des Campagnes Habitées, nous auront permis bien avant le déclenchement de l'opération d’être renseignés sur les bandes, leur armement, leurs effectifs, leurs lieux habituels de stationnement, leurs abris, leurs caches; leurs dépôts, leurs itinéraires les plus fréquentés, leurs moyens habituels d'existence, et leurs sources de renseignements.
Nous n’aborderons donc pas en aveugles les Zones Refuges, mais nous aurons des dossiers d'objectifs complets et précis.
Bien qu’à une plus grande échelle, l’opération sera conduite comme celle des Zones Refuges des Secteurs et des Zones-Département,
Tous les moyens de transport modernes, hélicoptères, parachutes, moyens de transport divers, devront être employés pour coiffer simultanément et dans des délais très courts la totalité de la Zone Refuge ennemie qui aura été préalablement bouclée, Aucune chance ne sera ainsi laissée aux bandes pour s’échapper.
L’opération durera aussi longtemps qu'elles n'auront pas été détruites et se terminera seulement lorsque la zone qu’elles avaient choisie comme repaire, vidée de tous ses moyens de subsistance, sera rendue entièrement inutilisable.
Nous arriverons ainsi à une véritable spécialisation des troupes engagées dans la guerre moderne. Nous aurons d'abord :
LES UNITÉS DU QUADRILLAGE.
En général, ce seront celles qui auront été mises place les premières pour limiter l’effort offensif de l’adversaire.
Chargées d’occuper les villes, les points sensibles du territoire, d’assurer la sécurité des axes de circulation, leur mission, apparemment statique, devra être des plus actives,
Leur rôle est très important en ce sens qu’elles cloisonnent la zone ennemie, gênent, son examen en surface et, grâce aux postes qu’elles occupent et au réseau routier qu’elles entretiennent, fournissent d’excellentes bases de départ aux troupes spécialisées dans les opérations offensives.
La sécurité non seulement des villes importantes, mais de l’immense majorité de la population qui habite les petites villes et les bourgs leur incombent. Cette sécurité reposera, en effet, sur :
— leur habileté à détruire l'organisation ennemie implantée dans les villes,
— la valeur du système de contrôle des populations qu'elles auront su mettre en place,
— le contrôle de la circulation des personnes et des biens dont dépendra pour une large part la réussite des opérations menées à la périphérie par les troupes d’intervalles.
Les troupes du quadrillage devront être rompues aux opérations policières, elles devront les conduire fermement, mais avec tact et discrétion, afin de ne jamais s’aliéner par des tracasseries inutiles les populations avec lesquelles elles seront en contact permanent.
Elles seront progressivement remplacées par les forces de polices, normales, en particulier par la gendarmerie, lorsque l’aide et la collaboration des habitants auront été acquises. Elles, iront alors renforcer les troupes d’intervalle et leur permettront d'étendre leur champ d’action.
LES UNITES D'INTERVALLE
Elles devront être constituées avec des troupes excellentes, bien entraînées et instruites. Leur mission essentielle sera :
— la destruction de l'organisation politico-militaire ennemie de l’immense Zone des Campagnes Habitées de leur secteur dont nous avons vu le rôle important.
— regrouper ensuite les populations dispersées pour assurer leur protection.
— les organiser enfin pour qu’elles puissent participer elles-mêmes à leur propre défense.
Elles devront pratiquement être nomades, capables de vivre très longtemps éloigné de leur base, de se disperser sur une grande surface pour mener à fond une opération policière et de se regrouper rapidement en cas d’accrochage pour manœuvrer et détruire les bandes qui tenteront de s'opposer à leur action.
LES UNITÉS D’INTERVENTION.
Ce sont elles qui devront rechercher les bandes dans leurs repaires et les détruire. Elles devront être des troupes d’élite.
En effet, aborder un adversaire résolu dans un terrain difficile, parcourir de longues distances à pied, de jour ou de nuit, pour l’atteindre, tendre des embuscades des nuits entières par petites équipes de quatre ou cinq hommes sur des pistes de forêts, exigent un entraînement complet et un moral à toute épreuve.
Conduire une opération policière efficace, interrogé rapidement sur le terrain même de leur capture des prisonniers intéressants, pour passer sans coup férir à l'exploitation, exigent des cadres de haute valeur.
Cet entraînement difficile et coûteux ne pourra être dispensé qu'à une faible partie des unités du Corps de bataille. Il conviendra donc de les utiliser judicieusement sans en provoquer une usure prématurée.
Si l’on s’en tient à l’expérience de Corée et aux besoins actuels de la guerre en Algérie, c’est un minimum de quatre divisions dont devrait disposer un général commandant un théâtre d'opérations important.
Réunies sous les ordres d’un chef dynamique, parfaitement au courant des procédés de combat de la guerre moderne, elles seraient en mesure de traiter successivement en quelques mois les régions les plus menacées et les plus pourries.
En résumé, la guérilla, grâce aux facilités que lui procurent le terrain qu'elle a choisi et la population qui la soutient, peut être efficacement conduite par de petites bandes contre une armée disposant d'effectifs nombreux. Son adversaire est toujours à portée de sa main; ses nombreux agents peuvent l’observer en permanence et étudier à loisir ses points vulnérables.
Les bandes pourront donc toujours choisir les moments propices pour l'attaquer ou le harceler.
Son action pour être efficace n’exige pas une coordination impérieuse de tous ses éléments, obligatoirement trop dispersés et qui agissent sur un même territoire.
L’audace, l'initiative, le courage seront les qualités maîtresses des chefs de bandes des guérilleros.
A ses débuts, tout au moins, la guérilla est une guerre de lieutenants et de jeunes capitaines.
Nous nous heurtons, au contraire, à un ennemi invisible, fluide, insaisissable. Pour l'atteindre, nous n’avons pas d’autre solution que de jeter un immense filet aux mailles solides sur toute la zone où ses bandes se déplacent.
Les opérations contre la guérilla ne pourront donc réussir que si elles sont conduites sur une grande échelle, si elles durent le temps nécessaire, et si elles sont minutieusement préparées et dirigées.
Suivant le colonel E. Beobe, déjà cité :
— Une opération de contre-guérilla n'est terminée que lorsqu'il n'y a plus de guérilleros dans la région et non lorsque la guérilla aura été désorganisée et dispersée.
Nous ajouterons :
— lorsque la totalité des organisations de guerre ennemies auront été détruites et les nôtres mises en place.
La lutte contre la guérilla n’est donc pas, comme on a pu parfois le laisser supposer, une guerre de lieutenants et de capitaines. L’importance des effectifs que nous devrons mettre en œuvre, les vastes étendues sur lesquelles ils seront amenés à intervenir, la nécessité de coordonner étroitement sur de grands espaces des actions parfois très diverses, les mesures politico-militaires à prendre vis-à-vis des populations, la coopération nécessairement très étroite avec les diverses branches de l’administration civile que nous devrons remettre en place, exigent que les opérations contre la guérilla soient conduites d’après un plan minutieusement étudié, établi à un échelon très élevé du commandement *, capable à tout moment de faire efficacement sentir son action dans les domaines très divers embrassés par la guerre moderne.
La lutte contre la guérilla est, en définitive, une question de méthode. Un État moderne dispose de forces largement suffisantes pour la combattre. Nos échecs répétés proviennent seulement d’une mauvaise utilisation des moyens dont nous disposons.
Beaucoup de chefs militaires les jugent insuffisants. Nous savons qu’il n’y a pas d’exemple dans l’histoire militaire d’homme de guerre qui ait pu obtenir tous les moyens souhaités pour aller à la bataille.
Le grand chef de guerre, c’est justement celui qui sait vaincre avec les moyens qui lui sont donnés.
* En principe le commandant du théâtre d’opération.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 15:04
Préambule de mon contact
Trois grands évènements ont bouleversé la guerre d’Algérie, trois évènements qui auraient pu bouleverser le sort de l’Algérie et par là même celui de la France devenue puissance pétrolière… Et qui n’aurait sans doute pas à subir l’invasion islamique qu’elle connaît de nos jours. Ces trois évènements sont le 13 mai 58, les barricades et bien évidement le putsch… Ayant beaucoup de temps libre, j’ai beaucoup lu et surtout relu quelques dizaines d’ouvrages, ce qui m’a donné envie de vous parler de ces trois points clefs.
Pour le premier c’est facile, le livre du colonel Trinquier, suffira, et c’est pourquoi je vous le livre ci-après dans son intégralité. On pourra noter, à la lecture des dernières lignes, peut être un début d’explication quant à sa mort restée pour le moins mystérieuse.
Pour ce qui concerne les barricades, comme le putsch, je vais, si Dieu me prête vie, faire une synthèse des évènements en m’attachant surtout au-dessous des cartes… La guéguerre entre Ortiz et Lagaillarde lors des barricades ou le refus d’une partie du 14e RCP de participer au putsch…
En attendant voici :
LE COUP D'ÉTAT DU 13 MAI
Roger TRINQUIER
ÉDITIONS L'ESPRIT NOUVEAU
39, boulevard Magenta – PARIS
Grâce aux progrès de la science ; grâce à la technique de la propagande ; grâce à la crise que la spécialisation à outrance a créée au détriment de la culture dans les élites sociales, les tyrans possèdent des moyens illimités pour asservir les peuples.
Quiconque, en mettant la main sur l'appareil de l'Etat, s'empare de la radio*; quiconque a le temps de fabriquer une police politique et d'ouvrir des camps de concentration et de torture, devient pratiquement indéracinable.
* La télévision n'existait pas encore.
Les philosophes qui ont dit que le XXe siècle serait celui de l'émancipation des masses se sont trompés. Le XXe siècle est celui de l'esclavagisation des masses.
Dans les temps anciens, les peuples se révoltaient facilement contre les forces qui montaient la garde devant le pouvoir, armées de piques et de chassepots. Il suffisait pour combattre à égalité qu'ils trouvassent eux-mêmes des piques et des chassepots.
Des femmes en haillons ont arraché un roi de France au Palais de Versailles et l'ont ramené à Paris prisonnier.
Mais on ne peut combattre à égalité des polices qui possèdent des rockets, des gaz meurtriers, des super-tanks, sans compter les ressources infinies de la publicité mensongère. Comment des femmes en haillons, comment des foules insurgées arracheraient-elles facilement le général de Gaulle au Palais de l'Elysée.
Les peuples allemands et italiens n'ont pu, à aucun moment, se dégager des chaînes qui les liaient à leurs tyrans. Ils ont dû suivre jusqu'au fond du malheur, jusqu'au fond de la tombe, leurs bourreaux affolés, traqués, vaincus. Encore a-t-il fallu qu'Hitler et ses gangsters se tuassent entre eux-mêmes, car soixante-dix millions d'Allemands ne seraient pas parvenus à les faire mourir.
Le général de Gaulle est sur la pente psychologique qui le condamne à préférer lui aussi la plus extravagante aventure à la chute.
Car la chute signifiait l'obligation de rendre des comptes, ses comptes personnels et les comptes de sa faction.
(Henri de KÉRILlS) « De Gaulle dictateur »
Livre paru en octobre 1945. Imprimerie de la Défense Républicaine, Paris.
Le « Coup D'ETAT », c'est la prise de l'appareil de l'Etat par un coup de force à la faveur de circonstances exceptionnelles, au profit d'un homme ou d'un clan.
La « RÉVOLUTION », c'est la transformation profonde de l'appareil de l'Etat sous la poussée des forces vives de la Nation pour l'adapter à des besoins nouveaux.
Le système établi par un « Coup D'ETAT » est toujours éphémère; il est sans cesse remis en cause, il dure rarement autant que l'homme qui l'a perpétré, il ne lui survit jamais.
Une RÉVOLUTION, au contraire, est l'œuvre de la Nation tout entière. Elle y participe jusque dans ses couches les plus profondes.
Elle transforme la vie de la Nation. Elle est le début d'une ère nouvelle.
Le système établi par le «Coup D'ETAT» du 13 MAI disparaîtra. La «RÉVOLUTION» dont il a brisé l'élan reprendra sa course et donnera à notre pays l'ETAT NOUVEAU dont il a besoin pour affronter les temps modernes.
LA PREPARATION DU « COUP D'ETAT »
Le 13 Mai a été un véritable «Coup d'Etat» qui a permis à une équipe sans scrupule de s'emparer du pouvoir.
La facilité apparente de sa réussite a laissé croire qu'une telle entreprise pourrait être recommencée sans une préparation extrêmement poussée.
Nous vivons une période pré-révolutionnaire.
L'Etat qui a la charge des affaires de la Nation, de nos affaires, est vieux. C'est celui que nous a laissé Napoléon 1er. Les divers régimes qui se sont succédé n'y ont apporté pratiquement aucune modification.
Les Chefs de l'Etat ont pu changer de nom, comme ceux de nos Assemblées et des ministres qui nous ont gouvernés, mais l'appareil de l'Etat, c'est-à-dire la structure administrative et politique du Pays est restée la même.
Créé à une époque où «Labourages et pâturages» étaient encore les ressources essentielles de notre économie, l'Etat français n'est plus adapté aux besoins d'une Nation moderne.
Le sentiment que l'Etat ne sert plus, ou sert mal, les intérêts de la Nation, se manifeste de façon permanente mais encore confuse dans toutes les classes sociales et sur l'ensemble du territoire national.
L'absence d'une prise de conscience plus nette de cette déficience est la cause directe de la plus grande catastrophe nationale de notre histoire : la perte de l'Algérie et l'exode de milliers de nos compatriotes entièrement ruinés sur la France continentale.
Depuis qu'une évolution scientifique et matérielle sans précédent dans l'histoire du Monde a bouleversé notre économie, nos ressources, notre façon de vivre, et la répartition même de nos populations sur notre territoire, nous sentons chaque jour davantage que l'appareil de l'Etat, conçu pour une autre époque, ne correspond plus aux besoins d'une nation moderne.
De toutes parts, des craquements annoncent que l'effondrement du vieil édifice est proche.
- L'Armée s'interroge, elle n'obéit plus, ou mal, ou se rebelle.
- Les fonctionnaires de l'Etat, au moyen de grèves incessantes, sont en état de révolte larvée, mais permanente.
- Les paysans s'attaquent directement à une administration et à un système qui ne les sert plus ou les sert mal.
- Les ressorts de l'Etat n'obéissent qu'imparfaitement il l'impulsion venant du sommet.
- Le Chef de l'Etat est un vieil homme, d'une autre époque.
Bref, le mécontentement des cadres de la Nation est général.
L'Etat étant au service de la Nation, c'est donc un devoir pour celle-ci de le changer. L'Etat n'est, en effet, qu'une institution humaine, un appareil fabriqué par des hommes pour les servir. Il n'est qu'un moyen, qui ne vaut que par les services qu'il leur rend.
Si on aime la Patrie, qui est notre terre, ou la Nation, les hommes, valeurs immuables et éternelles, on ne peut ni aimer l'Etat ni lui être attaché puisqu'il n'est qu'un instrument en perpétuelle évolution.
Cependant, l'Etat étant au service de la Nation, le servir c'est normalement servir la Nation. De cette similitude de devoir, l'Etat tire avantage pour se substituer à la Nation et utiliser ses forces pour sa propre défense.
En effet, l'Etat chargé des intérêts de la Nation dispose en permanence de tous ses moyens : armée, police, administration, moyen de propagande et d'information, etc.
La Nation, en conflit avec l'Etat, n'est donc plus qu'une masse d'hommes désorganisés et sans moyens.
Un Etat même faible, délabré et impopulaire, représente toujours une force redoutable. Pour le combattre la Nation devra donc trouver dans son sein d'autres moyens, de nouvelles forces et les organiser. Des mouvements révolutionnaires, des partis d'opposition devront d'abord s'organiser sur l'ensemble du territoire national, et coordonner leur action avant d'engager avec des chances de succès la lutte contre l'Etat.
Une Révolution, c'est-à-dire l'entreprise ayant pour but final la transformation de l'Etat, est donc une œuvre de longue haleine. Elle ne peut réussir que si les forces d'opposition représentent réellement le sentiment national, si elles ont l'appui du peuple et si elles sont conduites par des hommes décidés. Alors seulement, elles triompheront d'un Etat progressivement abandonné, en particulier par l'Armée, dont la mission première n'est pas la défense de l'Etat, mais la défense de la Nation, c'est-à-dire la protection de tous nos compatriotes.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 15:15
Le 13 Mai 1958 ces conditions avaient été réalisées.
La menace d'abandon de l'Algérie par un gouvernement usé et sans volonté a provoqué un violent sur saut populaire. L'imminence du danger a réveillé les énergies des hommes les plus menacés. Le peuple algérien a entraîné son armée qui s'est révoltée contre l'Etat. L'ensemble du peuple français, lassé d'un système qui ne correspondait plus à rien, a finalement suivi.
La Révolution nécessaire, c'est-à-dire l'avènement d'un Etat neuf et moderne, aurait pu être faite à partir du 13 mai si une équipe habile et sans scrupule ne s'était machiavéliquement servi du prestige du général de Gaulle pour détourner à son profit ce mouvement populaire et faire un véritable « Coup d'Etat ».
De Gaulle a remplacé un système par un autre; mais les structures profondes de l'Etat et les hommes sont restés les mêmes; rien dans l'essentiel n'a été changé. L'autorité et les pouvoirs qu'il s'est octroyé ont seulement permis de consolider la situation des profiteurs du régime.
En fait, la Révolution a été bloquée sur son chemin. Si cette escroquerie, sans précédent dans notre histoire, a réjoui nos ennemis, inquiétés par le sursaut du 13 Mai, elle a été douloureusement ressentie par notre élite nationale soucieuse avant tout de la défense des grands intérêts de la Patrie.
Sa réaction a été rapide et spontanée. Cependant mal informée des conditions dans lesquelles s'étaient déroulés les événements de mai 1958, elle a agi trop vite, sans prendre la mesure de l'obstacle à franchir et sans avoir réuni des forces suffisantes. C'est là, essentiellement, la raison de ses échecs répétés, qui ont finalement rendu plus difficile à accomplir la Révolution. Il était donc nécessaire, avec le recul de quelques années, de se pencher de nouveau sur les événements de mai - juin 1958.
Le 13 Mai n'a pas été un accident spontané, ni même une entreprise hasardeuse. Ce fut, au contraire, un véritable « Coup d'Etat » longuement prémédité par une équipe décidée à tout pour s'emparer du pouvoir.
Le moyen classique avait échoué, c'est-à-dire l'accès au pouvoir dans la légalité, grâce à une force politique devenue majoritaire à la faveur des élections.
La tentative du R.P.F. avait été pour le général de Gaulle un échec cuisant. Ruminant sa déconvenue, il s'était retiré à Colombey-les-Deux-Eglises pour y écrire ses mémoires.
Ignoré du peuple français, abandonné par les hommes politiques, il ne représentait plus rien.
La politique sibylline, qu'il avait pratiquée pendant toute la guerre, en avait fait à la libération un homme isolé abandonné même par la plupart de ses fidèles. Homme de droite par ses origines et sa pensée, il s'était constamment appuyé sur la gauche et même sur les communistes.
Pour la gauche, c'était une aubaine inespérée. Responsable du désastre de 1940, elle avait, devant l'ennemi, lâchement abandonné le pouvoir. Grâce à de Gaulle, elle y était revenue et avec une certaine gloire. Mais son but atteint, de Gaulle n'était plus dans son sein qu'un intrus. Les vieux routiers de la IIIe République surent habilement s'en débarrasser.
La droite était ulcérée du mépris dont, à la Libération, de Gaulle l'avait abreuvée. Le patriotisme était sa raison d'être, son domaine; or de Gaulle l'en avait brutalement expulsée. Ce sentiment de frustration l'avait profondément marquée. Enfin la libération et son cortège d'exactions sanglantes dont elle avait fait les frais étaient encore trop récents pour pouvoir sans déchirement être oubliés.
Cependant, faisant passer leur patriotisme avant leurs ressentiments, beaucoup d'honnêtes gens firent, en dépit des erreurs passées, confiance au général. La IVe. République n'avait enfanté que des médiocres, il était le seul homme qui émergeait après la disparition des vieilles gloires de la IIIe. Ils avaient donc rejoint et grossi la petite équipe du général. Mais ils manquaient d'enthousiasme et la confiance qu'ils lui faisaient était précaire et bien prête d'être retirée.
Voilà pourquoi la tentative du R.P.F. ne pouvait pas réussir ; ce ne fut qu'un feu de paille vite éteint. La légalité ayant échoué, et toute espérance étant fermée dans ce domaine, il ne restait pour s'emparer du pouvoir que la solution d'un coup de force, c'est-à-dire du « Coup d'Etat ».
Pour y parvenir, il fallait d'abord créer un climat, entretenir en permanence une atmosphère défavorable au régime à abattre, le discréditer par tous les moyens. Les hommes de de Gaulle, au gouvernement, au parlement, dans toutes les grandes administrations, partout où ils pouvaient agir, s'acharnèrent à rendre ce régime impuissant.
Tous les projets importants qui auraient pu lui donner du relief furent systématiquement attaqués ou repoussés, toutes les occasions bonnes pour renverser un ministère et accréditer dans la masse l'idée de l'impuissance du système furent provoquées.
Des projets d'une importance capitale pour l'Europe et la défense de notre civilisation comme la C.E.D., furent impitoyablement sabotés par des manœuvres confuses ou les prétextes les plus divers.
Les communistes, leurs alliés, portés au pouvoir* à la Libération, par de Gaulle, solidement installés au Parlement et dans toutes nos grandes administrations, furent brusquement accusés de trahison et de séparatisme pour les besoins de leur propagande et pour s'attirer la sympathie des hommes libres.
* La France est le seul pays du monde libre où les communistes, à la fin de la guerre de 1939-1945, ont accédé au Pouvoir. Il fallut attendre pour les en chasser, le départ de de Gaulle et le ministère Ramadier.
Ainsi fut accréditée dans la masse, la nécessité de faire appel à un homme prestigieux, seul Français capable, en ces temps difficiles et dangereux, de gouverner le Pays et de le sauver.
Le climat créé, il fallait trouver le moyen pour attaquer directement l'Etat et le faire basculer. Il fallait donc disposer de l'armée.
Ce n'était pas impossible. L'armée était ulcérée; la victoire dont elle avait été frustrée en Indochine, malgré les sacrifices qu'elle avait consentis, était en Algérie à portée de sa main. Il suffisait pour l'obtenir, qu'un gouvernement énergique le décide.
Or, l'armée avait le pressentiment que nos hommes politiques ne tenaient pas à sa victoire; elle risquait de leur donner une Algérie dont ils ne savaient que faire. Ils attendaient, du pourrissement de la guerre et de sa durée, la lassitude du peuple français pour l'abandonner. Pour avoir la sympathie de l'armée, il suffisait de lui promettre que l'Algérie resterait française. Pour en disposer il fallait mettre à sa tête un chef dévoué au général de Gaulle et à son équipe.
La désignation du général Salan comme commandant en chef en Algérie en décembre 1956 fut donc pour eux une catastrophe. Le général Salan, élevé dans la tradition républicaine du respect de la légalité, n'était pas homme à se prêter à de telles manœuvres. Il fallait donc obtenir, ou provoquer, son départ. Pour y parvenir on essaya d'abord de le discréditer dans l'opinion publique et dans l'armée. Tout fut mis en œuvre, le mensonge et la calomnie habilement distillés par une propagande bien orchestrée.
Vieil Indochinois, on l'accusa d'abord, sous le manteau, d'être un fumeur d'opium; accusation facile mais combien ridicule pour ceux qui connaissent des fumeurs d'opium et le général Salan.
Pour attiser contre lui la haine des Algériens, on l'accusa d'avoir perdu l'Indochine et d'être responsable du désastre de Dien Bien Phu. Il devenait ainsi l'homme qui allait perdre l'Algérie. Cette seule accusation était capable de dresser contre lui toutes les populations algériennes.
L'armée métropolitaine, ou plutôt ceux qui en huit ans n'avaient pas cru devoir faire un seul séjour en Indochine, ne l'aimait pas. Ayant accompli, depuis 1945, trois séjours en Indochine, le général Salan était pour eux un reproche vivant. Il y avait aussi une querelle de boutons. Si en Indochine, domaine des coloniaux, il était normal que le général commandant en chef soit un colonial, cela semblait impensable en Algérie qui avait toujours été le domaine de l'armée métropolitaine. Or le général Salan était avant tout un timide. Les louanges de la presse, les mises en scène spectaculaires chères au maréchal de Lattre le laissaient indifférent. Profondément fidèle aux traditions de discrétion et de discipline de l'armée, il laissait volontiers ignorer au grand public ses plus hauts titres de gloire.
On oubliait, ou même on n'avait jamais su qu'en février 1952 il nous avait tirés, avec une maîtrise incontestée du piège d'Hoa Binh où le maréchal de Lattre avait laissé enfermer ses meilleures troupes; qu'à l'automne de 1952, il avait su habilement et sans perte, briser l'attaque viet-minh contre le pays Thaï et le Laos, à Na-San d'abord et enfin dans la plaine des Jarres.
Econome à l'extrême du sang de ses soldats, ennemi de toute vaine gloriole, il avait obtenu ces victoires aux moindres frais en laissant toute la gloire à ses subordonnés.
En mai 1953, son séjour terminé, il était rentré en France, laissant à son successeur une situation claire et des chances honnêtes pour conduire nos troupes à la victoire.
Pourtant la rumeur publique, habilement suscitée, le rendait responsable du désastre de Dien Bien Phu, survenu une année après son départ, pour des causes d'ailleurs beaucoup plus politiques que militaires. La défaite consommée, on avait oublié qu'il était revenu en Indochine pour limiter le désastre. Ancien adjoint du maréchal de Lattre, ancien commandant en chef, il avait accepté pour servir le Pays, d'être le second du général Ely, un général politique et bureaucrate pratiquement inconnu de l'armée.
Dans des conditions extrêmement difficiles, il avait assuré la direction des opérations jusqu'à la fin des hostilités, le 27 juillet 1954, permettant ainsi à notre pays d'obtenir des conditions de paix très honorables qu'il ne tenait qu'à notre gouvernement de faire appliquer.
Lorsque le général Ely, en septembre 1954, fit savoir par la radio et par la presse :
« Qu'il préférait un gouvernement fort et anti-français en Indochine à un gouvernement faible et pro-français » ...
Le général Salan comprit qu'il n'avait plus rien à faire en Indochine parce que, assurément, cette politique n'était pas la sienne.
Il rentra donc en France, sans éclat et sans bruit, mais disponible pour notre Pays.
Lorsqu'en décembre 1956, le général Salan fut désigné comme commandant en chef en Algérie, le terrorisme systématiquement employé comme arme de guerre dans les villes avait jeté la terreur et la consternation dans la population. Affolée, elle était prête aux pires excès. L'armée, impuissante devant cette arme nouvelle dont elle ne connaissait pas la parade, était désemparée.
Sans un homme capable de comprendre la guerre moderne et de s'imposer, l'Algérie était perdue. Or le général Salan était cet homme. Ayant une vaste connaissance des problèmes posés par la guerre subversive, il avait, en outre, le sang-froid et l'énergie qu'il fallait pour employer, sans hésiter, les moyens nécessaires pour écraser la rébellion.
Ses ennemis, qui le calomniaient, n'ignoraient pas ses qualités et ses chances de succès. Il fallait donc l'abattre sans plus attendre. La situation trouble d'Alger devait donner à l'assassinat l'apparence d'un attentat terroriste à mettre au compte du F.L.N. L'émotion causée en France et en Algérie permettrait d'imposer un chef tout dévoué à la cause du « Coup d'Etat ».
Voilà les raisons de l'attentat dirigé contre le général Salan et qui coûta la vie au commandant Rodier.
Cette affaire est maintenant du domaine public et seul, la justice, pour des raisons d'opportunité, paraît encore l'ignorer.
Au mois d'octobre 1957, à la fin de la bataille d'Alger, je reçus l'ordre de M. Chaban-Delmas, ministre des Armées, de rentrer en métropole. Peu avant mon départ, Mme Kovacs, épouse du principal accusé dans l'affaire du bazooka, me fit parvenir un long document. Il était divisé en deux parties: la première relatait les réponses que son mari avait faites au juge d'instruction, le commandant Marchelli, et dans la deuxième partie, ce qu'il n'avait pas dit.
Cette lecture m'avait effaré, autant par le nom des personnalités que j'avais ainsi découvertes, que par le cynisme dont elles avaient fait preuve pour préméditer un lâche assassinat. Je donnais ce document au général Salan, mon chef direct et principal intéressé. Je savais dès lors qu'il y aurait beaucoup de difficulté pour que cette affaire soit vraiment jugée devant un tribunal. En fait, elle ne l'a jamais été.
On en a souvent parlé, mais devant les juges jamais personne n'est allé vraiment au fond des choses.
C'est qu'en effet il y avait deux catégories de comploteurs : ceux qui connaissaient peu le général Salan et qui estimaient que le salut de l'Algérie et de notre Pays valait bien la vie d'un général et ceux qui se moquaient de l'Algérie et pour lesquels l'affaire algérienne n'était qu'un moyen pour s'emparer du pouvoir : ceux-là, aucun scrupule ne les a jamais effleurés.
Le pouvoir entre leurs mains, la scission n'a pas tardé à se produire. Les premiers dans la lutte pour l'Algérie française sont devenus les alliés du général Salan. Oubliant donc contre eux des griefs pourtant bien légitimes, le général Salan n'a jamais voulu les attaquer. L'heure de la justice n'a pas encore sonné.
Comme l'a dit si justement M. Mitterrand au procès du général Salan, le premier acte sanglant du Coup d'Etat du 13 Mai a donc bien été l'affaire du bazooka.
Son but était de supprimer l'obstacle constitué par le général Salan, pour mettre à ce poste essentiel un chef populaire dévoué à leur cause et qui aurait mis à leur disposition l'armée d'Algérie.
La tentative du bazooka ayant échoué, les comploteurs ont alors tout mis en œuvre pour exploiter la situation tragique des Français d'Algérie. Il fallait, par des manifestations de plus en plus importantes, organisées pour des motifs les plus divers, en exploitant à fond tous les incidents fournis par les événements, les amener à se soulever contre le pouvoir. Ils escomptaient que l'armée venue en Algérie pour les défendre, basculerait un jour de leur côté et pèserait alors de tout son poids pour abattre un régime qu'ils voulaient renverser. Ce résultat atteint, et sans risque, ce serait un jeu pour leurs équipes depuis longtemps prêtes, de manœuvrer pour s'emparer de l'Etat.
Ce calcul était exact. Mis moi-même, un après-midi, dans l'obligation de tirer sur la foule pour faire évacuer le gouvernement général d'Alger qu'elle venait d'envahir, j'ai choisi de me ranger à ses côtés, quels que puissent être pour moi les risques encourus.
Ce faisant, j'avais conscience d'être fidèle à la première et plus ancienne mission de l'armée : la protection de nos compatriotes et la défense de la Nation.
Les temps en effet n'étaient pas venus où les chefs militaires se croiraient autorisés à faire massacrer dans la rue ou chez elle une foule de malheureux désemparés et désarmés.
A la lumière de ce que j'ai vu et de ce que j'ai fait, et des événements qui depuis se sont déroulés, il sera facile de démontrer que le 13 Mai n'a pas été un événement fortuit mais bien un « Coup d'Etat» longuement préparé et froidement exécuté.
Les récits de ces événements faits dans l'ambiance d'euphorie qui leur a succédé ont habilement masqué ou déformé la vérité.
Le temps des illusions est maintenant passé, celui de la vérité est venu.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 15:46
II
LE ROLE DES ORGANISATIONS DE LA POPULATION
DANS LA BATAILLE D'ALGER
Le but visé par la GUERRE MODERNE n'est plus comme dans les guerres du passé de s'emparer d'objectifs géographiques ou militaires et de conquérir des territoires. L'objectif, c'est la population, qu'il faut soumettre par tous les moyens, le plus efficace étant le terrorisme ; le territoire visé sera ensuite acquis par surcroît.
Le terrorisme moderne habilement manié est donc une arme redoutable. Il a suffit en effet d'une centaine de terroristes organisés pour que nous lâchions le Maroc en 1954, étant incapables de le défendre avec les armes classiques.
En Algérie, le terrorisme a été employé à une échelle encore jamais connue dans le monde. L'organisation terroriste mise en place dans la ville d'Alger au cours de l'année 1956 comptait à elle seule plus de 5 000 hommes. Dans les rues, à leur travail, chez eux, les habitants menacés de mort violente avaient l'impression déprimante d'être des cibles isolées et sans défense.
La confiance des citoyens dans l'Etat était perdue puisqu'il ne parvenait plus à assurer son rôle essentiel, la protection des habitants et de leurs biens. Les forces de police s'étant avérées incapables de s'opposer aux terroristes qui commettaient impunément dans la ville des attentats de jour en jour plus nombreux et plus meurtriers, les pouvoirs de police durent être donnés à l'armée, en la personne du général Massu, commandant la 10e D.P.
Désigné comme son adjoint, chargé de la liaison avec les autorités civiles et de la coordination de l'action des régiments et des unités de secteur sur la ville, je m'étais installé à la préfecture d'Alger pour que les liaisons dont j'étais chargé soient assurées d'une façon souple et continue.
Puisqu'il s'était avéré qu'aucune force de police n'était en mesure de protéger les habitants partout menacés, il était nécessaire de les faire participer eux-mêmes à leur propre défense. Il fallait donc les faire entrer dans une organisation capable de coopérer activement et en permanence à la lutte contre le terrorisme en liaison avec les forces du maintien de l'ordre.
C'est ainsi que fut officiellement créé le dispositif de protection urbaine, le D.P.U., par un arrêté du préfet d'Alger, approuvé par le Ministre Résident. La mise en place fut simple et rapide. Toutes les organisations d'anciens combattants d'Algérie nous avaient offert leur concours. Certaines, poussées par les événements, s'étaient déjà engagées dans des actions individuelles et dangereuses de contre-terrorisme incontrôlé. Il était donc préférable de canaliser et de mettre à profit toutes les bonnes volontés en vue d'une action commune.
Je proposai donc de mettre à la tête de cette organisation deux présidents d'associations d'anciens combattants qui me parurent les plus capables et les plus dévoués. Ils désignèrent par arrondissement* un chef d'arrondissement et deux adjoints. Puis en liaison avec les commissaires de police, les arrondissements furent découpés en îlots, à la tête desquels furent placés des chefs d'îlots et plusieurs adjoints. Enfin ceux-ci désignèrent pour chaque building, un chef et un nombre d'adjoints suffisant pour assurer une surveillance permanente du building et de ses environs. Un statut des membres du D.P.U. fut étudié par le directeur de Cabinet du préfet.
*Il y avait dix-huit arrondissements de police à Alger.
Ils devaient en principe recevoir une autorisation de port d'armes et certaines garanties en cas d'accident en service commandé.
En dépit des embûches inlassablement semées, le dispositif se mit en place. Lorsque tous les buildings furent équipés, ses effectifs atteignirent 7 500 hommes.
La police, dont le D.P.U. devait être l'auxiliaire le plus précieux, créa le maximum de difficultés pour empêcher ou ralentir sa mise en place. Les enquêtes exigées pour le recrutement de ses membres étaient anormalement retardées, et aucune discrétion n'était observée. A une époque où il était dangereux d'être désigné aux coups du F.L.N., les listes étaient largement étalées dans tous les commissariats, dans le but évident de freiner les candidatures. Par maladresse et mesquinerie, la police et l'administration s'étaient ainsi attiré l'antipathie du D.P.U. Le permis de port d'armes ne fut pratiquement jamais délivré, et les garanties en cas d'accident jamais envisagées.
Cependant le danger faisait surgir les bonnes volontés. Sans attendre les résultats de l'enquête, je distribuai les cartes aux volontaires recrutés par cooptation, garantie qui parut toujours suffisante. Pour lutter contre le terrorisme, il fallait aller très vite, et les officiers à la préfecture travaillaient jours et nuits.
Cependant, malgré les événements, les fonctionnaires civils n'avaient rien changé à leurs habitudes. Du samedi midi, au lundi matin la préfecture était vide. Faute d'occupants, nous en étions les maîtres; notre tâche fut facilitée par le dévouement inlassable du personnel féminin qui n'hésitait pas à notre demande, à venir, s'il le fallait, travailler des dimanches entiers.
Je devais en principe rester en liaison très étroite avec M. Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture. Mais je le voyais à peine, il était toujours débordé. Il s'est plaint par la suite de ne pas être au courant de nos activités; il lui suffisait pourtant de se donner la peine d'en prendre connaissance et de s'y intéresser.
Au début de la bataille d'Alger, un état-major mixte, civil et militaire avait été créé et siégeait à la préfecture. Le préfet assista à la première réunion, accompagné de son directeur de Cabinet, de son chef de Cabinet et du secrétaire général, M. Paul Teitgen, désigné comme élément civil permanent.
L'état-major se réunissait tous les jours à 14 heures, y assistaient, sous la présidence du général Massu, tous les colonels commandant les régiments de la 10e D.P., les commandants des divers secteurs d'Alger, l'état-major de la 10e D.P., un officier représentant le Corps d'Armée d'Alger et tous les officiers qui avaient une question importante à traiter. L'heure choisie permettait aux divers états-majors de diffuser les ordres jusqu'aux plus petits échelons, assez tôt pour qu'ils soient exécutés avant la nuit.
Mais pour M. Teitgen, cette heure était trop près du repas de midi. Il n'y assistait pratiquement jamais. Quelquefois lorsqu'il y venait, toujours en retard, il était accueilli par un bruit de chaises infernal, qui avait le don de l'exaspérer.
- Voilà M. Mixte qui arrive disait alors de sa grosse voix, le général Massu, pendant que M. Teitgen affairé et ahuri, comme un écolier pris en faute, s'asseyait à la place hâtivement libérée à la droite du général.
Or toutes les questions importantes étaient traitées à ces réunions. Pour en être informé, il aurait suffi qu'il y participe.
Le D.P.U. se révéla rapidement comme un merveilleux instrument de lutte antiterroriste. Rien ne pouvait échapper à l'activité de ses membres. Tout inconnu entrant dans un building était immédiatement signalé.
Lorsque Larbi Ben M’Hidi, (sic) le chef le plus dangereux de la rébellion, décida de quitter la casbah pour occuper un petit appartement dans un building européen, il fut immédiatement repéré ; signalé dès le lendemain de son installation à la compagnie du 3e R.P.C. du quartier, il fut aussitôt arrêté.
En outre, chaque fois qu'une manifestation importante était prévue, en particulier après les attentats des lampadaires et du Casino de la Corniche qui avaient fait plusieurs centaines de victimes, ils se joignaient aux manifestants, en prenaient la tête et s'efforçaient de les canaliser, afin que la manifestation ne dégénère pas en émeutes ou en ratonnades.
C'était enfin un instrument de propagande de choix.
Par le canal du D.P.U., les mots d'ordre pouvaient être rapidement diffusés. C'est ainsi qu'il fut facile de combattre la campagne de diffamation lancée contre le général Salan. Il avait suffi de distribuer à chacun des membres une fiche rappelant dans ses grandes lignes sa carrière pour réduire à néant les calomnies dont il était l'objet.
Malgré l'opposition de l'Administration, effrayée par l'importance numérique du D.P.U. et par son rôle, l'organisation de la population européenne de la ville d'Alger fut relativement facile.
L'organisation de la population musulmane fut plus délicate. Elle était entièrement sous l'emprise de l'organisation terroriste du F.L.N. Tout musulman de la casbah, qui d'une façon quelconque aurait collaboré avec nous, courait le risque d'être impitoyablement torturé, puis massacré.
Il fallut donc attendre que les opérations de police menées par les régiments de la 10e D.P. aient démantelé l'organisation terroriste.
L'organisation de la casbah et des bidonvilles fut l'œuvre des escadrons de gendarmerie mobile qui firent un travail étonnant de méthode et de précision. Ils firent d'abord un recensement complet de la population; les chefs de famille furent rendus responsables des gens de leur appartement; puis les chefs du building ou d'un groupe de maisons, responsables des chefs de famille. Enfin, la casbah et les bidonvilles furent divisés en îlots nettement définis, marqués par de grandes lettres peintes, et un chef responsable fut désigné pour chacun d'eux.
Nous louâmes au centre de la casbah, une maison où chaque soir un officier réunissait les chefs d'îlots, pour leur donner des consignes et des mots d'ordre. La plupart des chefs F.L.N. arrêtés furent remis en liberté et travaillèrent avec nous pour achever le démantèlement de l'organisation rebelle.
Désormais dans ce labyrinthe qui paraissait inextricable, rien ne pouvait nous échapper.
La population musulmane, terrorisée par les sbires du F.L.N., taillable et corvéable à merci, pût enfin respirer et recouvrer sa liberté. Le service social s'ingénia à réparer les dommages, peu nombreux en réalité, causés par la bataille d'Alger et fit de son mieux pour soulager une population misérable. Jamais personne avant nous ne s'était penché aussi près d'elle et avec autant d'affection. Cette coopération confiante a déconcerté nos adversaires qui attendaient de l'Armée les brimades et les exactions, nécessaires pour creuser entre les deux communautés, le fossé indispensable aux besoins de leur politique.
Mais la fermeté de la répression ne s'exerçait que contre nos ennemis. La population qui les connaissait ne s'y est jamais trompée, et fit preuve à notre égard d'une fidélité et d'un dévouement sans borne.
A cette époque, la casbah était ouverte jour et nuit; les visiteurs pouvaient y circuler en toute sécurité, plus sûrement même qu'avant l'ouverture de la rébellion.
Mais la démonstration du 11 Novembre avait effrayé le pouvoir. Le chef placé à la tête de telles organisations était en effet très puissant et représentait pour un régime moribond comme la IVe République, indiscutablement un danger. Le fait qu'un militaire avait tenu des réunions publiques, qu'il avait été applaudi, était intolérable pour des hommes politiques à quelque parti qu'ils appartinssent. La presse m'avait violemment attaqué et traité de fasciste dangereux pour la démocratie.
Mes jours étaient désormais comptés en Algérie. M. Chaban-Delmas, ministre des armées, vint le 14 novembre à Alger et donna quarante-huit heures au général Salan pour m'expédier en métropole à l'école des troupes aéroportées à Pau, où, à mon insu, j'étais muté depuis un mois.
Mais le général Salan avait retardé l'échéance espérant la faire annuler. Il dut cependant me convoquer pour me dire :
- Il n'y a rien à faire pour vous garder plus longtemps. Le ministre m'a promis de vous mettre au tableau pour le grade de colonel, si je n'insistai pas pour vous maintenir en Algérie. Rentrez, vous vous reposerez ; je vous ferai revenir aussitôt que je le pourrai.
Je partis donc en France désolé. Je craignais que l'œuvre commencée soit interrompue et que les organisations que j'allais laisser, mal comprises par beaucoup de militaires, attaquées par le pouvoir, ne survivent pas à mon départ. Les membres du D.P.U. proposèrent de faire une grande manifestation pour protester contre mon limogeage. Je refusai car elle aurait rendu encore plus suspecte aux yeux des autorités une organisation qu'il fallait à tout prix conserver.
Je décidai de passer mon congé à Paris. Des camarades de l'état-major me présentèrent au général Challe, alors adjoint du général Ely. Il me fit entrer dans une petite équipe chargée de rédiger un règlement sur la guerre subversive. Il s'intéressait passionnément à l'Algérie et me demanda de faire une série d'exposés sur la bataille d'Alger aux divers bureaux de son état-major.
Puis je rejoignis la base école des troupes aéroportées à Pau.
Dès mon arrivée, le général Massu m'envoya la lettre suivante :
Alger, le 12 décembre 1957,
Mon cher Trinquier,
Ma position en ce qui te concerne est que tu m'as été arraché par surprise et que la stricte justice veut que tu rejoignes la 10e D.P. aussitôt que de Vismes t'aura relevé. Tu prendras alors le 6e R.P.C.
J'ai vu Fonde* de passage avec le général Challe pour le Sahara. Il est très loin des réalités algériennes.
Il voulait demander à Bigeard s'il avait organisé les populations du Timimoun !!!
Tu l'as conquis par tes explications, mais il a tendance à s'imaginer les choses plus faciles et rapides qu'elles ne sont.
Or, nous démarrons à peine sinon à Alger du moins dans les villages regroupés du secteur de Blida.
Je m'occupe particulièrement et directement de cette question depuis ton départ. Tâche de rencontrer Bonnemaison en France, c'est un psychologue averti.
Bon courage pour faire tourner ta boîte à Pau !!!
Ne te frappe pas, autant que j'en aurai le pouvoir je ne te laisserai pas tomber.
Bien amicalement,
MASSU.
*Le colonel Fonde faisait à ce moment partie de l'E.M. du général Challe à Paris.
Cette lettre me mit un peu de baume au cœur.
Massu était en effet un vieux camarade et notre amitié remontait bien avant la guerre au temps où les problèmes posés à l'armée étaient simples. Et cette amitié ne s'est jamais démentie.
Le général Massu était en effet un des rares officiers généraux à avoir compris l'importance des organisations civiles que nous avions créées à Alger. II avait apprécié l'influence du D.P.U. pour le maintien des contacts avec la population européenne. II savait aussi que seul le maintien de l'organisation de la population musulmane pouvait, dans les labyrinthes inextricables des bidonvilles et de la casbah, empêcher l'organisation terroriste difficilement détruite de renaître de ses cendres. Et j'étais satisfait d'apprendre ainsi tout l'intérêt qu'il leur portait.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 15:53
III
LE PROBLÈME ALGÉRIEN VU PAR M. FARÈS EN 1958
Fin décembre, je rejoignis Pau et fis de mon mieux pour faire tourner la base école des troupes aéroportées. Mais de ce poste, idéal en temps de paix, je ne pouvais détacher ma pensée de l'Algérie.
Tous les Européens que j'avais connus à Alger, de passage en France, venaient me voir et avec eux, beaucoup de Musulmans.
La bataille d'Alger m'avait fait connaître un grand nombre d'entre eux et dans toutes les classes sociales.
Dans bien des domaines, mes camarades et moi-même, nous nous étions efforcés de parer à l'imprévoyance de l'administration. La guerre durait depuis plus de deux ans et pourtant rien n'avait été prévu pour l'hébergement des prisonniers. Ils s'entassaient dans la prison-forteresse de Barberousse dans des conditions lamentables.
Faute de locaux, j'avais fait installer des camps pour les loger de façon décente. J'allais le plus souvent possible les visiter, écouter leurs doléances, me pencher sur leurs misères et m'efforcer dans la mesure de nos moyens de les soulager.
Je connus aussi beaucoup de musulmans. Souvent, si leur cas n'était pas sérieux et le motif de leur arrestation insuffisant, je les faisais libérer.
Beaucoup d'entre eux devinrent et restèrent mes amis. Ils savaient que mon bureau à la préfecture était toujours ouvert à leurs familles, souvent mises par les événements dans une situation difficile.
Plusieurs d'entre eux, après leur libération, vinrent me rendre visite à Pau. C'était, pour la plupart, des hommes cultivés, issus de la bourgeoisie musulmane.
Ils avaient sentimentalement suivi la rébellion parce qu'elle était nécessaire pour changer un état de choses qui n'avait que trop duré.
Ce qu'ils attendaient de la France, c'était un immense élan de générosité qui effacerait les injustices du passé, les préjugés anciens, les préjugés raciaux, et resserrerait d'une façon durable les liens entre les deux communautés. Ils me demandèrent de prendre contact avec celui qu'ils considéraient comme leur chef de file, M. Farès, notaire à Coléa, (sic) ancien président de l'Assemblée algérienne. Réfugié à Paris, il n'avait pas encore pris officiellement parti pour le F.L.N., mais depuis la rébellion il avait renoncé à toute collaboration avec notre administration. Comme beaucoup de ses compatriotes, il attendait.
J'acceptai de le rencontrer à Paris pendant la quinzaine qui précéda mon départ pour l'Algérie. Pendant une semaine, avec des amis musulmans, leurs épouses et la mienne, nous sortîmes ensemble ou bien je les reçus chez moi. L'atmosphère d'abord tendue devint vite cordiale, animée et sympathique, et c'est dans un climat apaisant, créé surtout par nos épouses, que nous pûmes aborder, sous tous les aspects, le problème algérien.
Mme Farès m'avoua ses appréhensions lorsqu'elle avait appris qu'elle allait rencontrer un officier parachutiste, un de ces tortionnaires dont on avait dit tant de mal. Elle avait, me dit-elle, hésité, avant de me serrer la main. Mais elle, comme ses amis, ne devait pas tarder à reconnaître que leurs véritables amis, c'étaient bien nous.
Nous nous étions, c'est vrai durement battu contre la rébellion, mais nous savions aussi qu'en beaucoup de domaines elle était justifiée et qu'elle répondait aux aspirations légitimes de tout un peuple.
D'une façon très claire et très simple, M. Farès m'exposa longuement le problème algérien.
- C'est une question de confiance, me dit-il, entre la France et les Algériens. Vous nous avez fait trop de promesses que vous n'avez jamais tenues. La confiance, nous l'avons perdue principalement en raison de la mauvaise foi évidente de la France dans l'application du statut de 1947.
Il s'était ensuite violemment élevé contre l'aristocratie française de souche qui avait maintenu un écran entre la France et l'Algérie afin de tirer le maximum de profits d'un état de fait qu'elle s'ingéniait, par tous les moyens, à prolonger.
- Pour rétablir un climat de confiance, me disait-il, des promesses confuses ou lointaines sont maintenant insuffisantes. Il faut apporter aux musulmans une solution concrète, simple et rapide, susceptible de frapper les esprits.
Pour M. Farès, le problème algérien ne pouvait recevoir que deux solutions. La première consistait à donner l'indépendance totale à l'Algérie, comme nous l'avions donnée à la Tunisie ou au Maroc.
- Les Algériens, me disait-il, ont manifestement, et dans tous les domaines, une maturité politique supérieure à celle de leurs voisins. Il est difficile d'admettre qu'ils ne soient pas traités sur le même pied d'égalité.
M. Farès considérait que cette solution serait une catastrophe pour l'Algérie comme elle l'était pour la Tunisie et le Maroc. Mais ses conséquences, la masse musulmane ne pouvait pas les pressentir. Habituée ancestralement à la souffrance et à la misère, elle finirait par s'y habituer ; pour elle l'indépendance était un mot magique qui devait résoudre tous ses problèmes.
La bourgeoisie attendrait ; elle verrait comment se déroulerait le processus de l'indépendance ; elle espérait, comme dans tous pays, jouer un rôle important. Si la vie en Algérie lui devenait impossible, elle savait que la France ne lui fermerait pas ses portes et que chez nous elle trouverait toujours un refuge sûr ; elle était préparée à cette éventualité.
La deuxième solution, celle que préconisait sincèrement M. Farès et ses amis, qu'il avait toujours soutenue à l'Assemblée algérienne, était une égalité complète entre tous les habitants d'Algérie, autochtones ou Français de souche, quelles que soient leur race et leur religion, avec les Français de France.
- C'est la solution, me disait-il, que les musulmans attendent depuis un siècle. Ils estiment l'avoir méritée par leur sang versé généreusement dans toutes nos guerres et sur tous nos champs de bataille en Europe et outre-mer. Si le slogan : l'Algérie c'est la France, est sincère, il faut qu'il devienne une réalité et que leurs habitants soient tous égaux en droits et en devoirs. Mais il ne peut plus être un paravent commode pour masquer des injustices et des inégalités.
Or, ceci peut être rapidement décidé, d'un trait de plume. L'ensemble des musulmans est assez évolué pour s'adapter au nouveau régime. Une scolarisation progressive de tous les enfants permettra, si c'est nécessaire, d'accélérer cette évolution. Mais toute autre solution, autre que l'indépendance complète ou une égalité totale ne peut être qu'une vue de l'esprit... une chimère irréalisable, certainement une manœuvre destinée à faire des musulmans des citoyens de deuxième zone et à retirer d'Algérie des avantages matériels : pétrole, bases militaires, zones stratégiques etc., sans payer la contrepartie.
Nous ne nous y prêterons jamais. Ce serait une dérobade peu élégante de la part de la France pour :
- ne pas payer les frais que l'égalité entraînerait, en particulier pour l'application des lois sociales en Algérie ;
- ne pas accepter au Parlement un nombre accru de députés algériens.
Or, M. Farès et ses amis estimaient que c'était un mauvais calcul.
- Les lois sociales vous coûteront moins cher, me disaient-ils, que plusieurs années de guerre se terminant finalement par un abandon. Quant aux députés musulmans, il n'y a aucune raison pour qu'ils ne défendent pas loyalement des intérêts devenus communs. Ils le feront certes mieux que les députés communistes actuels. Mais, ajoutait-il, il y a indéniablement pour la France un risque, c'est à elle de le prendre ou de le refuser ; tout retard dans la décision ne fera que la rendre plus difficile.
M. Farès et ses amis avaient donc bien posé le problème.
- En ce qui nous concerne, me disaient-ils, nous sommes prêts à jouer l'une ou l'autre de ces deux solutions. Mais incontestablement nous préférons la seconde. Si la France généreuse décidait sincèrement et sans tricherie de la faire appliquer, nos amis politiques l'appuieraient de tout leur poids.
« Mais il est impensable d'espérer que nous puissions soutenir une solution intermédiaire qui n'a aucune chance de se réaliser. La solution est donc entièrement entre les mains du gouvernement français. »
Je connaissais en Algérie beaucoup de personnalités musulmanes que le hasard m'avait fait rencontrer. Elles étaient du même avis. Je ne pouvais oublier que c'était en promettant une égalité complète aux jeunes chefs F.L.N. de la casbah que nous avions obtenu leur ralliement.
Je me rappelais les longues conversations que j'avais eues avec Yacef Saadi, le chef terroriste d'Alger et avec sa secrétaire Zora Drif, une jeune étudiante en droit qui l'avait suivi. Lorsque je leur avais demandé pourquoi ils s'étaient révoltés, ils m'avaient répondu :
« Pour n'avoir plus à supporter le mépris des Européens.
« Pour l'abolition de l'injustice qui se manifestait dans tous les domaines ; la masse, me disaient-ils, s'en rendait compte surtout depuis son adhésion aux syndicats.
« Pour des salaires égaux entre ouvriers européens et musulmans.
« Pour une égalité des droits et des devoirs.
« Pour la suppression de l'appareil colonialiste, c'est-à-dire le système des communes mixtes avec tout ce que cela entraînerait : Caïd, agha... etc, qui a été le vrai obstacle pour une rencontre véritable entre Européens et musulmans, qui a isolé les musulmans, les a confinés dans des coutumes qui ont entretenu chez eux la crainte des Européens.
« En somme, me disaient-ils, nous nous sommes battus pour rechercher une vie meilleure, pour une augmentation du niveau de vie.
« Chez la masse, me disaient-ils encore, la considération passait avant la citoyenneté qui n'avait pas encore de sens précis.
« Si la citoyenneté française leur avait été donnée lorsqu'ils la réclamaient, sincèrement avec tout ce que cela supposait, l'Algérie aurait été trois départements français et l'Algérien musulman, Français.
« Maintenant, il y a eu une évolution au sein des masses qui s'aggrave du fait que la guerre creuse un fossé entre les deux communautés. »
- Quand un musulman déclare vouloir sa liberté, qu'entend-il ?
« D'abord moralement que sa dignité d'homme soit respectée.
« Avoir une part dans la gestion des affaires de son pays.
« Avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que les Français, socialement par exemple avoir la même rémunération que les ouvriers français. Voilà pourquoi, me disaient-ils, nous avons lutté. »
Or, toutes ces revendications étaient fondées. Ce n'était pas une mince surprise pour nos militaires de constater que sur le fond du problème nous étions d'accord. La plupart de ces injustices, nous les avions découvertes en venant en Algérie. Nous avions promis que leurs justes revendications seraient satisfaites. Il nous semblait impensable que la France, bonne, grande, généreuse pût un jour les leur refuser.
Quand je demandais à Yacef Saadi et à Drif Zora comment ils voyaient la solution, ils me répondaient :
- Sous quelle forme peut-on faire coexister deux communautés durement éprouvées et qui s'opposent l'une à l'autre actuellement ?
Il semble que nos efforts doivent se concentrer sur la masse, arrêter le sang et par là même préparer un rapprochement. Etant donné l'ascendant de certains représentants du F.L.N. Yacef Saadi à Alger, le C.C.E.* pour toute l'Algérie, c'est auprès d'eux que nous devrions commencer par agir.
* Comité de Coordination Extérieure, organisme qui a précédé le G.P.R.A.
Nous avons écrit au C.C.E., me disaient-ils, pour lui expliquer qu'il fallait assouplir notre position pour ne pas essouffler le peuple. Puisque le problème est maintenant posé, essayons de nous entendre, là est notre objectif. L'indépendance n'est qu'un mot, il faut agir en fonction des réalités. Puisque le peuple a eu confiance en nous, puisque c'est pour lui que nous avons lutté, la solution doit tenir compte avant tout de son intérêt et non d'un idéal. Il semble d'ailleurs que le C.C.E. ait pris conscience de la valeur de ces remarques et qu'il ait abandonné son intransigeance.
Voyez, me disaient-ils, ils doivent avoir reçu notre rapport, puisque le C.C.E. dit bien que l'indépendance n'est pas nécessaire pour un arrangement honnête et raisonnable. Et ils me montraient dans les journaux du jour les déclarations du C.C.E. à Tunis. Aussi, me disaient-ils, un contact personnel avec Krim Belkacem ou Albane (sic) Ramdane pourrait être fructueux, nous pourrions aménager cette rencontre si vous le désiriez :
- En écrivant à Krim et en lui demandant de fixer un point de rencontre où vous pourriez discuter de la situation ;
- Ou y aller nous-mêmes. Notre connaissance de la situation, de la réalité, l'influence de Yacef Saadi sur le C.C.E. permettrait de trouver une solution. Nous serions accompagnés par un officier et sous les garanties que vous exigeriez. Un arrangement pourrait intervenir donnant satisfaction à tout le monde.
Il aurait l'avantage, du fait de l'accord commun, de ne plus être remis en question. Il y a le désir chez le C.C.E. de laisser le problème entre la France et nous.
Il faut comprendre pourquoi ils ne veulent pas risquer de rompre avec la France. En effet, l'indépendance mènerait l'Algérie à l'asphyxie et le peuple à la misère. Le pays connaîtrait le même bouleversement, le même chaos que le Maroc et la Tunisie et certainement une contre-révolution comme cela risque de se produire en Tunisie*.
* Voir en annexe les déclarations de Zora Drif et Yacef Saadi.
Ces discussions dans une atmosphère très détendue, avaient été très longues, elles avaient duré plusieurs après-midi. Leur point de vue n'était pas tellement différent de celui de M. Farès. Le problème algérien n'était donc pas insoluble.
J'avais mis le général Salan au courant de ces discussions, elles le passionnaient et il m'encourageait vivement à les poursuivre.
Trois jours avant son incarcération, Yacef Saadi me remit une longue lettre destinée au C.C.E.
Il demandait qu'un contact soit pris avec un officier français qu'il accompagnerait pour étudier les conditions d'un retour à la paix sur les bases qui avaient fait l'objet de nos longues discussions. Je remis cette lettre au général Salan. C'était au mois d'octobre.
Comme très souvent, sous la IVe République, nous n'avions pas de gouvernement. Il fallut attendre plus d'un mois avant d'en avoir un. Cette possibilité ne pouvait donc pas être exploitée.
Quelque temps après, je demandai au général Salan quelle suite avait été donnée à cette affaire :
- Aucune, me dit-il navré, le gouvernement a estimé que si nous prenions contact actuellement avec un des membres du C.C.E. nous en ferions un interlocuteur valable et accroîtrions inutilement son prestige.
M. Farès ne m'avait certainement pas rencontré pour que je garde pour moi les informations qu'il m'avait données.
Je rédigeai un long rapport relatant notre entretien, puis pour être assuré de ne pas avoir déformé sa pensée, je le lui soumis. J'en remis deux exemplaires au général Ely, chef d'état-major général de l'armée et en portai personnellement un autre au général Ginestet* chef de Cabinet de M. Métayer, secrétaire d'Etat aux forces armées (Terre) que j'avais connu pendant la bataille d'Alger.
*Assassiné à Oran en 1962.
J'en gardai une copie que je destinai au général Salan. C'était le 13 mars 1958. Je venais d'être désigné pour remplacer le colonel Bigeard à la tête du 3e R.P.C. et je devais prendre mon commandement le plus rapidement possible.
Pendant mon séjour à Paris, j'avais fait part à des amis et à des officiers des divers états-majors de ma rencontre avec M. Farès. J'avais montré le rapport que j'avais rédigé. Certains ne croyaient plus à la possibilité d'une intégration. Pour eux, cette solution, valable jusqu'en 1945, était maintenant dépassée.
Trop d'événements s'étaient passés qui avaient irrémédiablement creusé un large fossé entre les deux communautés. Les musulmans ne l'accepteraient plus jamais. D'autres ne pouvaient pas admettre que des musulmans puissent un jour être leurs égaux et jouir des mêmes droits qu'eux. Ils n'avaient ni la même formation ni la même éducation et des mœurs tellement dissemblables que l'égalité avec eux leur paraissait irréalisable.
Et pourtant chacun d'eux voulait garder l'Algérie à la France. Il leur semblait impossible que la France quitte un jour l'autre rive de la Méditerranée. Ils espéraient que l'écrasement de la rébellion nous permettrait de revenir au régime d'antan.
Mais l'immense majorité des officiers, comme moi-même, étions persuadés que le salut de l'Algérie était dans l'égalité de tous ses habitants. Il semblait impensable d'envisager un pays où deux catégories de citoyens vivraient côte à côte avec des droits et des devoirs différents dans une même ville ou dans un même village.
En quittant de nouveau la France j'étais donc décidé dans la mesure des possibilités qui me seraient offertes à tout mettre en œuvre pour que l'Algérie soit vraiment une province française et ses habitants libres et égaux en droit avec tous les Français.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Ven Avr 07 2023, 16:44
.
IV
LE 3e RÉGIMENT DE PARACHUTISTES COLONIAUX
Mon séjour à Pau avait été très court, trois mois à peine. Ce n'était pas le 6e R.P.C. que j'allais commander, mais le 3e régiment rendu célèbre par le colonel Bigeard. J'étais heureux de commander un régiment. Pour un officier passionné de son métier, il ne pouvait certes y avoir de commandement plus exaltant. C'était le rêve de tout jeune officier à sa sortie d'une Ecole Militaire. Un régiment en opération était en effet la plus grande unité qui permette encore un contact direct et permanent avec les hommes. Au-dessus on entrait dans le domaine de la bureaucratie.
Nos régiments de parachutistes étaient formés de jeunes garçons enthousiastes, tous volontaires, aimant l'effort, le danger et le risque sous toutes ses formes, et fiers de servir sous l'uniforme glorieux qu'ils avaient choisi.
Ce contact avec l'élite de notre jeunesse ne pouvait être que vivifiant et humain.
En outre, pour un officier solide et sportif, aimant l'effort physique et la vie en plein air, c'était un commandement facile, exempt de grandes responsabilités, où il suffisait d'appliquer avec bon sens les règles d'un métier depuis longtemps appris. C'était faire la guerre sur le terrain, rechercher l'ennemi, l'accrocher et le vaincre en plein jour; c'était vivre la griserie excellente du combat bien mené, avec des hommes ardents, des officiers lucides et fonceurs pour lesquels l'accrochage était avant tout un match qu'il fallait gagner, pour la gloire de son équipe et pour l'honneur du Régiment.
Bigeard quittait un régiment qu'il avait modelé à son image. Il en avait fait une machine de guerre d'une redoutable précision. Prodigieux entraîneur d'hommes, dur pour lui comme pour ses hommes, il pouvait tout exiger d'eux.
De ses paras, de ses officiers, il avait su faire des surhommes, presque des vedettes qui forçaient l'admiration des foules lorsqu'ils défilaient à un rythme impressionnant en chantant dans les rues d'Alger. Ils étaient devenus des guerriers impassibles et hautains, détachés d'une humanité sur laquelle ils planaient avec un superbe dédain.
Pour eux Bigeard était un dieu, le dieu de la guerre descendu sur terre. Ils étaient ses hommes, ses soldats et ils en étaient fiers. Sans explication, ils l'auraient suivi jusqu'au bout du monde.
Un des plus grands mérites de Bigeard, qui en a bien d'autres, c'était justement d'avoir su donner autant de relief et d'éclat, autant d'importance à un petit régiment qui comptait à peine douze cents hommes.
Mais Bigeard avait pour devise :
« Bien faire et le faire savoir. »
En fait, la presse était à son service et elle avait réussi à en faire une grande vedette nationale. Aucun de ses exploits n'était ignoré. Ses photos, celles de son régiment, largement diffusées étaient connues dans toute la France. D'origine modeste, il avait émergé pendant la Résistance en passant directement du grade d'adjudant à celui de capitaine. Dans la presse il n'avait pas d'ennemi, pas même celle d'extrême gauche qui ne l'avait jamais attaqué.
Il avait dans l'armée des appuis puissants qu'il savait remarquablement utiliser ; le général Gilles, commandant des parachutistes que Bigeard avait ébloui ne jurait que par lui ; le général Massu d'une façon plus nuancée aussi. Le ministre des Armées lui-même le recevait comme un grand chef.
Au mois de mars 1958, M. Chaban-Delmas l'avait convoqué à Paris :
- Bigeard, lui avait-il dit, vous êtes un chef prestigieux. Vous allez vous présenter aux élections législatives de Paris en remplacement de M. X ... M. Alexis Thomas, président de l'U.N.C. actuellement candidat, se désistera en votre faveur. Vous serez élu, vous vous présenterez à l'Assemblée portant toutes vos décorations. Vous ferez à la tribune de l'Assemblée une déclaration fracassante pour appeler le général Charles de Gaulle au pouvoir pour résoudre le problème algérien. Ensuite vous démissionnerez et je vous prendrai à mon cabinet.
Bigeard avait décliné cette offre qu'il jugeait aussi scabreuse que compliquée, mais il avait gardé des liaisons très étroites avec le ministre des Armées.
Cette étrange adulation flattait Bigeard et le servait; il en usait sans limite. Jamais encore on avait vu dans l'armée un chef d'un grade aussi subalterne y tenir une aussi grande place et mépriser avec autant de désinvolture les règles les plus élémentaires de la discipline.
Mais ses chefs n'ignoraient pas ses relations ; chacun savait qu'il était l'homme de Chaban-Delmas, par ses officiers à qui il montrait, avec une fierté teintée de mépris, sa correspondance.
La IVe République était depuis sa naissance un régime moribond, actuellement incapable de régler le problème algérien. Ils étaient nombreux ceux qui songeaient à la renverser. Pour cela il fallait un bras séculier, un chef populaire capable le jour J de donner le coup de force nécessaire pour la faire basculer.
Il ne fallait pas un Bonaparte qui pouvait dans l'aventure garder le pouvoir pour lui, mais un officier de grade subalterne, de prétentions limitées, que des étoiles et des décorations combleraient. Mais il le fallait aussi, courageux, aimant l'aventure, connu, aimé et admiré du grand public, disposant d'une troupe fidèle prête à le suivre sans hésiter.
Bigeard était donc bien l'homme qui répondait à leur désir et dans ce but ils l'avaient savamment conditionné.
Il allait à Philippeville créer un centre d'instruction où tous les jeunes officiers servant en Algérie devraient passer. Ainsi son rayonnement dépasserait le cadre étroit d'un régiment de parachutistes. Tous les moyens nécessaires à son installation lui furent rapidement donnés et sans lésiner. Le ministre des Armées* vint lui-même pour l'inauguration et présenta aux élèves le colonel Bigeard comme le grand chef de l'armée française de demain.
* Chaban-Delmas.
Pourtant je trouvai étrange que Bigeard ait ainsi quitté son régiment.
Ce n'était pas un cadeau facile à recevoir; en fait, aucun colonel n'était volontaire pour le remplacer.
Le général Salan qui se défiait de Bigeard, dont les attitudes et les relations lui déplaisaient, n'était pas mécontent de son départ. Il m'avait demandé de lui succéder et le général Massu avait appuyé de tout son poids ma candidature.
La veille de mon départ, à Paris, j'avais reçu une carte du général Massu ainsi rédigée :
« Mon cher Trinquier,
« Ton affectation est officielle.
« Il est entendu que tu ne te manifesteras pas à Alger et que tu ne reprendras pas contact avec le D.P.U.
« Sidi-Ferruch et les zones opérationnelles doivent te suffire.
« A bientôt. Amicalement.
MASSU. »
« P.-S. - Apprête-toi à une guerre conventionnelle, avec des assauts sous le feu ami et ennemi. »
Ainsi j'étais donc bien informé, je restais toujours indésirable à Alger.
Le 3e R.P.C. était sur la frontière tunisienne. Le barrage n'était pas encore entièrement installé et les accrochages avec les bandes qui tentaient de rentrer en Algérie étaient fréquents et souvent très violents.
A mon passage à Alger, je vis le général Salan. Il me fit les mêmes recommandations que le général Massu au sujet du D.P.U. : c'était la condition mise par le ministre pour mon retour en Algérie.
Je lui remis en outre une copie de mon rapport au sujet de l'entrevue que j'avais eue avec M. Farès.
Un télégramme du ministère de l'Intérieur m'avait précédé, demandant au général s'il m'avait autorisé à prendre ce contact.
- Je l'ai fait de ma propre initiative, lui dis-je, mais j'ai donné ce rapport au général Ely et à M. Métayer.
- Vous avez bien fait, sinon vous vous seriez attiré des ennuis. Le gouvernement déteste les initiatives qui ne sont pas dans la ligne de sa politique.
Jusqu'au 13 Mai, je n'eus aucune nouvelle sur la destination qui avait été donnée à ce rapport. Le soir même je quittai Alger pour rejoindre le 3e R.P.C. sur la frontière tunisienne.
Le régiment m'attendait, au repos à Youks-les-Bains, dans la région de Tebessa. Bigeard vint m'attendre sur le terrain d'aviation accompagné de son fidèle commandant en second, le chef de bataillon Lenoir. Nous partîmes aussitôt à la base du régiment.
Je comptais rester quelques jours avec Bigeard, faire si possible une opération avec lui pour me familiariser avec les rouages de l'état-major et connaître les officiers ; puis dans quelques jours, en présence du général Gilles commandant les parachutistes, ou du général Massu commandant la division, recevoir officiellement le commandement du régiment, devant le drapeau avec le cérémonial réglementaire.
Connaissant le goût du faste et du décor de Bigeard, sa soif de publicité, je pensais même que toute la presse serait convoquée pour donner plus d'éclat à un événement important qui le concernait.
Mais lorsque nous arrivâmes sur la place de Youks-les-Bains, les hommes en tenue de sport étaient déjà rassemblés et Bigeard me présenta au régiment qui en chantant défila devant nous. On ne pouvait donc pas rêver d'une cérémonie plus modeste et plus simple.
Le lendemain, à 7 heures, Bigeard partait, emmenant avec lui le commandant en second et la presque totalité de l'état-major du régiment.
Au 3e, je ne connaissais aucun officier. J'avais eu de nombreux contacts avec eux pendant la bataille d'Alger, mais aucun n'avait directement servi sous mes ordres. Je savais donc que je n'aurais pas d'entrée, le bénéfice du vieux rappel des campagnes passées qui facilite toujours le démarrage. Mais j'avais remarqué dans les rangs beaucoup de mes anciens sous-officiers et j'avais lu dans leur regard leur satisfaction de me voir à leur tête.
Ce passage rapide de commandement, s'il m'avait étonné ne me prenait pas au dépourvu. Vieil officier de troupe, rompu au maniement direct des hommes, je savais qu'un chef quel qu'il soit, en partant est vite oublié ; c'est du nouveau désormais que tout doit dépendre. Ne connaissant personnellement aucun officier, je n'avais sur aucun d'entre eux d'idée préconçue ; mais je savais que tous étaient solides entraîneurs d'hommes, et la plupart, d'une intelligence remarquable ; ils l'avaient montré pendant la bataille d'Alger.
Ils m'attendaient à l'œuvre. Mais ils savaient aussi que je les observais et que désormais, pour un temps, le sort de leur carrière était entre mes mains. J'étais donc assuré de pouvoir compter sur leur dévouement.
Décidé à ne rien laisser perdre des qualités morales et physiques que Bigeard avait inculquées au régiment, je n'entendais pas le copier. Un chef a sa personnalité propre ; c'est la sienne qui doit finalement marquer son unité.
J'obtins sans difficulté le départ rapide de quelques officiers qui me parurent trop bigeardistes, procédai à l'intérieur du régiment à quelques mutations et remis un état-major sur pied.
L'attitude de Bigeard n'était pas sans calcul. En lui faisant quitter son régiment l'équipe de Chaban-Delmas risquait de perdre un atout majeur. En cas de crise ou de putsch, un officier quel qu'il soit ne vaut que par l'unité qu'il commande directement, à condition qu'elle le suive. Dans un état-major il ne représente que lui-même. Or un régiment sûr en cas de crise pouvait être un élément décisif. Mais Bigeard pensait que le prestige qu'il avait donné au régiment et que le régiment incontestablement lui devait, serait suffisant pour le reprendre en main si des événements venaient à l'exiger.
Il ne tenait donc pas à me faciliter la tâche.
Un homme qui n'est pas favorisé par la chance, en temps de guerre surtout, ne doit pas se faire militaire. Mais la chance m'avait souvent souri, je comptais d'abord sur elle.
Bigeard placé sur une mauvaise position par le commandant du barrage, avait épuisé le régiment pendant deux mois en courses pénibles, dans un terrain extrêmement difficile, sans avoir pu accrocher les fellaghas.
Le régiment habitué aux succès était moralement et physiquement fatigué.
Le général Vanuxem, responsable du barrage, décida à ce moment-là de constituer, à partir des régiments de parachutistes, des groupes mobiles autonomes pour faire la chasse aux bandes qui franchissaient la frontière.
Je reçus donc un excellent bataillon d'infanterie, une batterie d'artillerie, un escadron de chars et un détachement d'hélicoptères.
Confiant dans ses commandants de groupes mobiles, le général décida que dans la zone de chasse qu'il leur avait donnée, ils seraient entièrement libres de leurs mouvements ; les commandants de secteurs devraient à leur demande leur fournir tous les appuis nécessaires. Puis il m'expédia à l'extrémité sud du barrage dans l'oasis de Négrine, à la limite du désert.
Il fallut quinze jours pour me libérer de l'emprise du commandement local qui admettait difficilement la liberté totale que nous avait laissé le général Vanuxem. Après avoir manqué par sa faute la première bande dont nous ne pûmes étriller que la queue, le général vint lui-même, sur place, exiger que ses ordres soient exécutés.
Je fis un rapide tour de ma zone de chasse, en avion et en hélicoptère pour avoir bien mon terrain dans l'œil.
En face de Négrine sur la frontière se trouvait l'oasis tunisienne de Midès. En hélicoptère on voyait nettement l'oasis, puis au nord de la palmeraie, un petit détachement de troupes régulières, et au sud le camp des fellaghas, dernière étape des bandes avant leur passage de la frontière. Deux Katibas venaient d'y arriver, je ne voulais pas les rater.
Je fis d'abord une reconnaissance des itinéraires possibles qui partaient de la frontière.
Un jour, en fin de soirée, une de mes compagnies se fit sérieusement arroser par des mitrailleuses de 12.7 installées en Tunisie. Les hommes purent s'abriter ; mais leur position était inconfortable et un décrochage sous un feu aussi nourri pouvait causer de lourdes pertes.
Tout le régiment attendait la décision que j'allais prendre.
Après m'être assuré que les unités sous le feu ne risquaient rien, je fis soigneusement repérer tous les emplacements de mitrailleuses, par les chars et l'artillerie.
Ouvrir le feu n'était pas sans risques. Après l'incident de Sahkiet sidi Youssef qui le mois précédent avait eu des répercussions dans le monde entier, il était délicat de créer un nouvel incident de frontière.
Je décidai donc d'attendre, montre en main, une demi-heure pleine pour ouvrir le feu. Mais à l'heure prévue, un ouragan de fer et de feu s'abattit de l'autre côté de la frontière sur la dizaine de mitrailleuses que nous avions parfaitement repérées. A la jumelle nous suivions les résultats. Ce fut un véritable succès.
Je rendis compte de l'incident au commandement qui m'approuva pleinement.
Mais ce premier succès, spectaculaire, obtenu à peu de frais était de bon augure pour le régiment. Je me repliais ensuite, loin de la frontière, en bordure du Djebel Onk à une trentaine de kilomètres, c'est-à-dire à une nuit de marche pour les fellaghas qui quitteraient l'oasis de Midès.
Sur un front de vingt kilomètres, c'est-à-dire sous la protection de la batterie d'artillerie placée au centre du dispositif, avec l'escadron de jeeps et mon P.C., j'installai à l'entrée de chaque vallée des embuscades d'une ou deux compagnies.
Des patrouilles de secteur circulant dans le vaste no man's land qui nous séparait de la frontière assuraient notre couverture pendant la journée. A la nuit tombante, elles rentraient à Bir-El-Atter, laissant le champ libre aux Katibas pour passer. Il fut d'abord très difficile de faire comprendre aux officiers que dans le terrain qui nous était échu, nous n'avions aucune chance de rattraper les Katibas, après leur passage ; il était préférable de les attendre derrière le filet que nous leur avions tendu.
Trois longues nuits d'attente semblèrent interminables à des hommes qui jusque-là avaient remporté leurs succès grâce à leur entraînement incomparable à la marche. Mais la quatrième nuit à l'extrémité Est du dispositif, le plus rapproché de la frontière, un élément d'une Katiba se heurta à notre filet.
Le combat de nuit fut difficile, des éléments importants purent décrocher et atteindre la montagne. Mais l'ensemble du groupement manœuvrant avec une extrême rapidité, réussit vers midi à encercler tous les fuyards. A la nuit, progressivement l'étau s'était refermé. Ecrasés par l'artillerie et l'aviation dans les rochers où ils s'étaient retranchés épuisés de fatigue, au matin, les survivants, une cinquantaine sur une Katiba de 150 se rendaient avec la totalité de leur armement. Le commandant de compagnie lui-même blessé était fait prisonnier.
Ce résultat avait été obtenu pratiquement sans pertes, un tué et quelques blessés. Depuis longtemps un si beau bilan n'avait pas été obtenu. C'était l'enthousiasme et la joie.
C'était la semaine Sainte qui cette année tombait le 7 avril. Nous descendîmes dans l'oasis de Négrine, le matin de Pâques. Tout le régiment assista à la messe dite par notre aumônier dans la palmeraie. Le Père Chevalier n'avait jamais eu autant de monde. Les parachutistes avaient beaucoup d'affection pour notre aumônier qui était pour eux d'un dévouement à toute épreuve. Mais le dimanche si par hasard nous étions au repos, ils avaient rarement le temps d'aller à la messe.
Beaucoup ce matin-là, suivant la tradition, firent leurs Pâques. L'aumônier les confessait en se promenant avec eux dans la palmeraie. C'était plus une conversation amicale qu'une pénitence. Le Père les connaissait tous, il savait leurs péchés, toujours les mêmes, et avait pour eux beaucoup d'indulgence.
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Sujet: Re: Colonel Roger TRINQUIER Mar Avr 11 2023, 15:24
Mais avant que la nuit ne soit revenue, tout le groupe était reparti en embuscade. Du Djebel Onk jusqu'à l'entrée de la vallée du Mechra, notre filet fut de nouveau tendu.
Cette fois l'attente ne fut pas longue. Au lever du jour après une dure étape employée à traverser le no man's land, une Katiba entière en colonne se présenta à l'entrée de la vallée du Mechra.
Les guetteurs depuis plus d'une heure avaient vu se découper sur le ciel la longue file de leurs silhouettes. Harassés de fatigue après une nuit de marche, chargés comme des bourricots - chacun portait en plus de son armement une vingtaine de kilos de munitions - les Djenouds* s'étaient arrêtés pensant avoir terminé la partie la plus difficile et la plus dangereuse du parcours. La montagne propice était maintenant proche: avant que le jour se soit levé ils entreraient dans la vallée au bord de l'eau fraîche et passeraient la journée à l'abri des vues de notre aviation.
*Soldat du F.L.N.
Personne dans l'embuscade, forte de deux compagnies, commandées par le capitaine Planet, n'avait bougé. Les postes radio s'étaient tus; les agents de transmissions en silence s'étaient glissés dans la nuit pour porter aux chefs de section les ordres nécessaires. Ils étaient simples, mais la réussite exigeait qu'ils soient strictement appliqués:
« Attendre que la Katiba se remette en route.
Ne tirer que lorsque la section qui se trouvait sur la piste ouvrirait le feu. Pour celle-ci n'ouvrir le feu qu'à bout portant sur la tête de la colonne.
Après..., les ordres seraient donnés comme d'habitude par les postes radio. Jusque-là l'immobilité la plus complète.»
Cet ordre fut ponctuellement exécuté. Dans la grisaille de la nuit finissante la Katiba se rassembla sans bruit sur la piste, puis lentement se mit en marche.
Soudain un déluge de feu s'abattit sur elle. Les deux sections de tête furent littéralement hachées, en queue de colonne, c'était l'affolement et la débandade.
Planet avait attendu ce moment précis pour me prévenir par radio. Il n'avait, avec juste raison, voulu prendre aucun risque.
En jeep je me précipitai sur la piste, suivi par l'escadron de jeeps et de chars. Dans le soleil qui débouchait à l'horizon ce fut une véritable charge de cavalerie. Il nous fallut à peine dix minutes pour arriver sur les lieux du combat.
Nous abordâmes ainsi une vaste cuvette dans laquelle une section de fellagha essayait de se regrouper pour gagner la crête opposée. A quelques pas de moi, un jeune djenoud, assis, son fusil entre les jambes, mort de fatigue, me regardait hébété. Je lui fis signe, il lâcha son fusil et vint vers nous se rendre prisonnier.
Les chars et les jeeps rapidement dépassèrent la colonne qui sans résistance se rendit. La fouille du terrain fut méthodiquement faite; quelques coups de feu claquèrent encore, mais à 10 heures lorsque le général Vanuxem alerté arriva, le combat était terminé; le décompte du bilan commençait.
De nouveau une Katiba au complet était anéantie :
150 armes neuves, une trentaine d'armes automatiques, 5 tonnes de munitions. Ce nouveau bilan dépassait le premier.
En une semaine, plus de 300 armes avaient été récupérées. C'était un succès sans précédent. Lorsque dans le courant de l'après-midi nous regagnâmes notre oasis, les hommes étaient fous de joie.
En effet, le général Vanuxem avait promis une citation par arme récupérée et dix citations pour une arme automatique. Et ceci pour éviter tout bluff, pas d'armes, pas de citations, car l'arme prise sur l'ennemi était seule le signe tangible de la victoire.
Pour nous cela faisait à peu près une citation pour tous les hommes du régiment. La petite croix de guerre, au ruban rouge rayé de blanc, pour laquelle tant de risques étaient consentis et tant de sacrifices faits, allait enfin orner les poitrines de garçons qui l'attendaient depuis longtemps.
Dans Alger, au retour, ils bomberaient fièrement le torse et rouleraient comme ils disaient « des mécaniques », bien moulés dans leurs vestes de para neuves impeccablement ajustées.
Dieu ne serait pas leur cousin. La terre et la ville seraient à eux.
Au cours de ces quelques accrochages j'avais pu voir à l'œuvre le bel instrument de guerre que m'avait laissé Bigeard. Des officiers ardents, l'esprit lucide et clair en toutes circonstances, et des hommes d'un courage et d'une audace inégalés; une mécanique d'une remarquable précision.
La guerre qu'ils faisaient était d'abord un sport, le plus beau, celui qui comportait le plus de risques et ils s'y donnaient corps et âme. C'était pour sauver l'Algérie, et la garder à la France, mais ce but était lointain, insuffisant pour passionner leurs jeunes esprits. Ils se battaient d'abord pour le régiment, pour l'honneur de leur régiment, pour la compagnie à laquelle ils appartenaient qui devait être la première en tout, pour leur équipe. Et pour cela ils ne toléraient entre eux aucune défaillance.
Les rivalités entre les unités étaient féroces ; le bilan était ponctuellement tenu à jour et affiché en permanence dans tous les bureaux de compagnie. Tous le connaissaient par cœur. Bigeard avait poussé cet esprit de compétition au paroxysme. Pas de bilan, pas de citations.
Au cours du premier accrochage sérieux dans le Djebel Onk, je fus effaré d'entendre à la radio, en plein combat, la conversation suivante entre deux commandants d'unité.
« - Cette mitrailleuse est à moi, je l'ai repérée le premier. N'avance plus ou je te tire dessus. Je vais donner l'assaut dans cinq minutes», disait impérieusement le commandant de la 3e à celui de la 1ère.
Je dus ramener plus de pondération, mais ce ne fut pas sans peine.
Après ces deux échecs sanglants le F.L.N., qui avait espéré passer par le sud où le barrage n'était pas encore construit, cessa toute tentative de franchissement; les filets de nos embuscades restèrent vides.
Les hommes étaient fatigués; depuis trois mois, ils n'avaient pas eu un seul vrai jour de repos; nourris exclusivement avec des boîtes de rations, certains commençaient à avoir le scorbut.
Nous aurions dû rentrer normalement à Alger le 1er avril. Depuis la fin de la bataille d'Alger chacun des régiments de la division à tour de rôle y assurait une permanence. Elle était surtout morale, mais c'était une détente agréable pour les hommes et les officiers et ils y tenaient beaucoup.
Mais après nos brillants succès, le général Vanuxem ne voulait plus nous lâcher.
Le 1er mai enfin nous pûmes décrocher. Aux aurores, le long convoi de camions du régiment quitta Négrine. La nuit, la neige était tombée sur les Aurès-Nementchas. Un vent glacial descendait des montagnes et soufflait en ouragan en direction du désert. Sur la piste qui nous conduisait à Bir-El-Atter le vent et les véhicules soulevaient un épais nuage de poussière dans lequel la colonne disparaissait. Au volant de ma jeep, en tête du convoi, j'étais transi de froid.
Au passage je m'arrêtai un instant au P.C. du 8e R.P.C. qui venait prendre notre relève et bus avec plaisir une tasse de café.
Puis nous prîmes la route d'Alger.
Le 2, le régiment avait regagné sa base de repos, remarquablement installée dans un bois de pins près de Sidi-Ferruch, à vingt kilomètres d'Alger.
V
L'APRÈS-MIDI ET LA NUIT
DU 13 MAI
Le séjour à Négrine nous avait fait couper les ponts avec le reste du monde. Les journaux ne nous parvenaient pas, l'ère du transistor n'était pas arrivée.
Nous avions tout ignoré des événements d'Alger et des intrigues qui s'y nouaient. J'étais d'ailleurs bien décidé à appliquer les consignes que m'avait données le général Massu :
- Surtout ne te manifeste pas à Alger.
Après trois jours de repos complet, j'envoyai à Alger les trois compagnies prévues, sous le commandement du commandant en second du régiment, arrivé la veille en Algérie, et que je connaissais peu.
Le terrorisme n'était plus qu'un mauvais souvenir ; les trois compagnies avaient surtout un rôle moral à jouer pour montrer à la population que les paras tant redoutés du F.L.N. étaient toujours dans la ville. Elles étaient mises à la disposition du colonel commandant le secteur d'Alger-Sahel et échappaient à mon autorité.
Nos randonnées à la limite du désert avaient usé notre matériel jusqu'à la corde. II fallait le remettre en état, et reprendre l'instruction pour maintenir en forme le régiment. C'était une tâche suffisante et je m'y consacrais.
Je n'avais pris contact avec le général Massu que par téléphone. Il m'avait convoqué seulement pour le 14 mai, dans l'après-midi.
J'avais appris qu'une importante manifestation avait eu lieu à Alger le 26 avril, mais je n'y avais pas attaché d'importance.
Les hommes étaient heureux de vivre au bord de la mer, dans la fraîcheur des bois de pins où notre camp était installé. Ils préparaient leur tenue pour le défilé prévu pour la fête nationale du 8 mai à Alger.
Si pour certaines unités une prise d'armes est une corvée, pour les garçons du 3e c'était une récompense.
Ils savaient l'enthousiasme qu'ils déclencheraient dans la population, et ils voulaient le mériter. Ils voulaient, comme le leur avait demandé Bigeard, être les plus beaux, les plus forts, les plus souples ; défilant en chantant, ils y mettaient toute leur âme.
Tous avaient acheté des décorations neuves ; j'avais secoué les états-majors pour faire sortir les dernières citations, et pour que les croix de la valeur militaire brillent encore plus nombreuses sur leurs poitrines.
Mais le 7, je n'avais encore reçu aucun ordre concernant le défilé. A la 10e D.P., on me fit savoir que le régiment n'était pas prévu au programme, je téléphonai à l'état-major du général Salan pour avoir une explication. Le chef du 3e Bureau, un camarade de promo, me dit :
- Les autorités civiles ne veulent pas te voir à Alger. Nous savons que cela te tient à cœur. Le général Salan a donc décidé que tu viendrais, mais avec une seule de tes compagnies, et deux autres du train.
Mais je ne voulais pas défiler avec des tringlots.
Je demandai au général Massu de supprimer les compagnies du train que je pouvais très bien remplacer, et finalement j'emmenais avec moi tout le régiment. Comme d'habitude, il fut follement applaudi.
Et ce fut devant une de mes compagnies et notre drapeau que M. Lacoste se fit remettre par le général Salan la croix de la valeur militaire.
Le 13 Mai, dans l'après-midi à 15 heures, j'avais une réunion importante dans mon bureau à Sidi-Ferruch. L'intendant de la division, celui du corps d'armée, le chef du 4e Bureau de la 10e Région militaire, mon major, le chef d'état-major du régiment et moi-même, devions étudier la remise en état du matériel du régiment.
Le matin, un coup de téléphone de la division m'avait prévenu qu'une manifestation devait se dérouler à Alger dans l'après-midi. Je reçus l'ordre de maintenir une compagnie en alerte immédiate, et une deuxième dans un délai d'une heure. Mais je n'y avais pas attaché d'importance. Les manifestations à Alger étaient fréquentes. Quelques remous, quelques bousculades, des cris, après quoi, tout finalement rentrait dans l'ordre avant la nuit.
Notre réunion commença à l'heure prévue.
A 16 h 30 cependant, par téléphone le secteur d'Alger-Sahel me demanda de mettre en route sur Alger la compagnie d'alerte. Elle devait se rendre au terrain des Taggarins où des ordres lui seraient donnés.
Je transmis l'ordre au capitaine Planet, commandant la 3e compagnie, qui partit aussitôt.
A 17 heures, je reçus un nouvel ordre par téléphone. La situation à Alger était confuse, la manifestation avait pris des proportions inquiétantes. On me demandait de mettre en route deux nouvelles compagnies. Avec celles qui étaient détachées en permanence à Alger, c'était la totalité du régiment qui allait être engagée. Bien qu'on ne me l'ait pas précisé, j'étais obligé d'y aller moi-même. Sans attendre que les deux compagnies soient rassemblées, je leur donnai rendez-vous aux Taggarins, et partis en V. L. *.
*Voiture légère, autrement dit une 203.
Je rattrapai Planet sur la route à l'entrée d'Alger.
Je pris contact avec les compagnies du régiment déjà engagées dans la ville, puis avec le colonel Godard, commandant le secteur d'Alger-Sahel. Il me fut très difficile de l'atteindre. Je lui rendis compte de mon arrivée avec trois nouvelles compagnies, et lui fis savoir que j'avais pris sous mon commandement tout le régiment. Je lui demandai de passer par mon intermédiaire s'il avait des ordres à donner à mes unités. Il protesta, alléguant qu'il était préférable qu'il actionne lui-même directement les compagnies déjà engagées. Mais je m'y opposai formellement.
C'était la réaction normale d'un colonel qui n'aime pas que son régiment soit disloqué et lui échappe.
J'installai mon P.C. sur le muret qui bordait la route, et m'assis à côté de mon poste radio. C'était un excellent observatoire; nous dominions en effet parfaitement le Palais du Gouvernement Général et la place du Forum.
Le Forum et le G.G. étaient gardés par un cordon de C.R.S. Nous les distinguions parfaitement installés en haut des escaliers. Cette protection linéaire nous semblait bien fragile pour s'opposer aux mouvements de la foule, massée autour du Monument aux Morts et dont les vociférations parvenaient jusqu'à nous.
Nous vîmes des jeunes gens monter les escaliers, déborder sans difficultés les C.R.S., envahir par petits groupes la place du Forum, les C.R.S. se replier brusquement sur le Gouvernement Général, et une foule de plus en plus dense occuper toute la place.
Je reçus à ce moment-là du secteur Alger-Sahel l'ordre d'envoyer une compagnie pour épauler les C.R.S.
Je transmis l'ordre à Planet, assis à mes côtés, qui comme moi, observait le déferlement de la foule.
- C'est idiot d'avoir engagé des C.R.S. dans cette affaire, dis-je à Planet en le quittant.
Chacun savait en effet à Alger que les C.R.S. étaient la bête noire de la population, la cape rouge brandie devant un taureau excité. C'était certainement ce jour-là une erreur.
Je recommandai à Planet de ne pas s'engager trop à fond dans une bagarre aux côtés des C.R.S., même s'il devait se laisser enfoncer, ce ne serait jamais très grave.
Calmement, Planet partit avec sa compagnie embarquée sur six camions. Je les vis descendre la route qui serpentait des Taggarins jusqu'au G.G. Arrivés sur le Forum, ses camions s'immobilisèrent ; les hommes sautèrent à terre, mais la foule les envahit ; ils disparurent comme engloutis par une épaisse couche de neige noire. J'essayais de prendre contact par radio avec lui, mais vainement. La distance était pourtant faible, à peine 500 mètres à vol d'oiseau. Je vis un de ses camions enfoncer les grilles, la foule s'engouffrer dans le portail ouvert et entrer en masse dans le Palais du Gouvernement Général.
Bientôt des manifestants apparurent sur les terrasses agitant en signe de victoire de nombreux drapeaux. Par les fenêtres des monceaux de papiers étaient jetés, voltigeaient dans l'air, puis retombaient comme de gros flocons de neige.
L'excitation de la foule paraissait à son paroxysme. On voyait mal maintenant comment elle pourrait être maîtrisée. Nous étions surpris de voir le service d'ordre à ce point débordé. Autrefois, après quelques bousculades, quelques horions sans importance, sans violences excessives, nous avions toujours repris la situation en mains. Le calme était toujours revenu avec la nuit.
Assis à côté du poste radio qui ne m'apportait ni renseignements ni ordres, je regardais avec mes commandants de compagnie cet étrange et ahurissant spectacle.
Autour de nous, une foule de badauds s'était rassemblée. Mais eux étaient des pacifiques. Ils observaient comme nous, avec intérêt et sympathie, le déroulement des événements mais ne tenaient nullement à descendre dans l'arène.
- Il faut y aller, dis-je à mes deux capitaines. Nous verrons mieux sur place, puisque personne ne peut nous renseigner et que nous ne recevons pas d'ordres.
Je renvoyai ma V. L. à Sidi-Ferruch, montai dans la jeep du capitaine Schmidt commandant la compagnie d'appuis, et donnai l'ordre au capitaine Calès de nous suivre avec l'escadron de jeeps.
- Nous allons entrer dans un fameux bazar, qu'en pensez-vous, Schmidt ? Alger est une ville vraiment extraordinaire.
En nous mettant en route en direction du G.G. j'étais à cent lieues de me douter de l'importance des événements qui allaient suivre. Pourtant, j'avais le net pressentiment qu'il se passerait quelque chose, qu'il fallait y être et que nous y jouerions probablement un rôle.