Marie Jeanne Bouteille est née le 17 octobre 1921 à Sancerre (18). Son père Jean est receveur des Finances et sa mère Marguerite née GARAGNON est sans profession. Ils sont domiciliés place de la Halle à Sancerre.
Après être passée par l'Ecole Normale de Filles de Moulins (03) elle est nommée institutrice à Peyrolles près de Gannat.
En février 1942 elle entre au réseau «Alliance» comme agent de liaison sans doute par l'intermédiaire de son père Jean.
Selon le rapport du commissaire spécial des Renseignements Généraux de Vichy, «Le 22 avril 1943 à 7 heures du matin, 5 ou 6 policiers allemands se sont présentés au domicile de M.BOUTEILLE, conseiller juridique, 36, rue du sénateur Gacon.
Après avoir obligé les occupants à se lever, les policiers allemands se mirent en devoir de fouiller toute la maison. Ils emportèrent des papiers appartenant à M. et Melle BOUTEILLE, institutrice à Peyrolles près de Gannat ,et quelques menus objets ainsi que les clés du bureau et de la chambre de Melle BOUTEILLE à Peyrolles. Tous les objets appartenant à M.BOUTEILLE ont été mis sous clef».
Ils sont ensuite internés à la Mal-Coiffée, prison militaire allemande à Moulins (03).
De la prison de Moulins, Jean BOUTEILLE et sa fille sont transférés au Fort de Romainville.
Ce fort militaire est situé sur la commune des Lilas en Seine-Saint-Denis au nord-est de Paris. Il accueille d'abord des prisonniers de guerre et des otages, dont certains seront fusillés au Mont-Valérien. Puis à partir de 1943 il devient l'antichambre de la déportation avant de servir de prison pour femmes en 1944. Selon le Mémorial de l'Alliance, "Au Fort de Romainville le 2 octobre, les allemands choisissent cinquante otages parmi les prisonniers en cours de transfert.
Parmi eux se trouvent quatre des nôtres. Pressé par le peloton de S. S. qui le faisait entrer dans le car servant à les conduire au supplice, Jean BOUTEILLE lève la tête vers la fenêtre grillagée derrière laquelle se trouvait sa fille, ainsi que d'autres femmes d'otages destinées à la déportation, qui assistent ainsi encagées, au départ de ce qu'elles ont de plus cher au monde. Le car disparaît, suivi d'un autre contenant le peloton d'exécution et au Mont-Valérien, tombent quatre agents du secteur ""Asile"": Louis BIARD, Jean BOUTEILLE, Pierre MAGNAT et Louis MAUDEUX."
Marie Jeanne BOUTEILLE quitte ensuite le Fort de Romainville pour le camp d'internement de Compiègne surnommé le Front Stalag 122 par les Allemands. Elle y est dessinée ci-dessous, le 29 janvier 1944 par son amie et codétenue, Janine GRELL.
Le 31 janvier 1944 elle fait partie des 959 femmes déportées de Compiègne à Ravensbrück où elle arrive le 3 février dans le convoi N° I.175. Elle figure dans le livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation sous le nom de VANURA/BOUTEILLE Marie-Jeanne.
Elle reçoit le matricule N° 27073 et, après la quarantaine, elle est affectée au Kommando du terrassement pour assécher des marais, puis au Kommando de la «gadoue», en fait les excréments du camp destinés à fertiliser le terrain, puis au Kommando du remblayage avec un mélange de mâchefer et d'os non calcinés. En avril 1944 elle est transférée au kommando de Holleischen.
Se pose à elle et à ses camarades de misère, pour la plupart des résistantes, un douloureux cas de conscience. Accepter de fabriquer des munitions pour l'Allemagne nazie, c'est travailler contre les armées alliées. Refuser de le faire, c'est accepter le risque d'être rapidement éliminée tout en sachant que d'autres – des Allemandes ou des travailleuses volontaires- le feront à leur place avec un fort rendement. Donc elles vont accepter de le faire, mais en ralentissant la chaîne ou en sabotant intelligemment le travail.
Elle y est libérée par les partisans tchèques le 5 mai 1945 et rentre le 24 mai 1945.
Ses services accomplis comme agent P2 comptent du 1er février 1942 au 24 mai 1945 en qualité de chargée de mission de 3ème classe avec le grade correspondant de sous-lieutenant.
En mars 1946, femme de caractère, elle renvoie sa Croix de Guerre - et l'annonce par voie de presse- pour protester contre l'attribution de cette médaille à certains au détriment d'autres "qui l'ont réellement méritée".
Le 4 juillet 1951 elle épouse Emile VANURA à Vichy (03). Les témoins sont le Général Benoit Léon de FORNEL de la LAURENCIE, commandeur de la Légion d'Honneur, et Andrée PÉQUET.
Elle décède à Avignon le 28 août 1959.
«Mort pour la France»
En 1946 elle publie aux Editions Crépin-Leblond à Moulins (03) un livre intitulé "Infernal rébus" où elle retrace sa vie en déportation au camp de concentration de Ravensbrück, puis au Kommando d' Holleischen. En voici quelques extraits.
L'APPEL
" Ce fut le lendemain que nous prîmes vraiment conscience de ce que la vie de Ravensbrück comportait de MISE EN SCÈNE MANIAQUE ÉLUCUBRÉE PAR LES ALLEMANDS, D'AMPLEUR DANS LE GROUILLEMENT DE MILLIERS DE DÉTENUES, ET DU DÉLABREMENT SORDIDE DE CETTE MISÉRABLE MULTITUDE RAYÉE.
La scène du premier appel se reproduisait chaque matin de quatre à sept heures. Je cherchai en vain dans mes souvenirs quelque vision qui pût se rapprocher de l'appel sur la Lagerplatz.
Dans la nuit noire et glaciale, des projecteurs aveuglants braquaient de haut leurs faisceaux, à perte de vue sur des alignements et des alignements de milliers de femmes pétrifiées comme de froides statues de sel, des files si longues et si étroitement serées qu'auprès d'elles une revue de grenadiers sous Napoléon eût paru un jeu de quilles. Parfois le faisceau d'un projecteur tournait et crêtait de lumière en enfilade une rangée de têtes qui aussitôt rentrait dans l'ombre.
Croassant dans le ciel sombre s'abaissaient et remontaient des vols de corbeaux. Ni dantesque, ni infernal, en ce sens qu'il ne présentait rien d'enchevêtré ni de rougeoyant, ce spectacle non dépourvu de lugubre grandeur était d'un tragique infini, par l'effort immense qui résistait et palpitait sous cette rigidité marmoréenne.
Un peu en avant de l'étendue anonyme et massive grise comme du plomb, se trouvait un pupitre de bois. A la fin de l'appel surgirent de partout des Allemandes en uniforme aux capes noires de chauve-souris, avec sur la tête un capuchon noir à profil de cagoule. Ces gardiennes S.S. passèrent en revue le vaste block qui, de très loin, eût semblé grenu à cause des innombrables têtes régulièrement placées, et allèrent se mettre en demi-cercle autour du pupitre où le vent fit onduler leurs amples capes.
Le ciel s'éclaircissait de gris, les corbeaux excités par les projecteurs poussaient des croassements déchirants. Enfin l'ober-aufseherin, raide lieutenante S.S., et l'adjoint du komandant s'avancèrent orgueilleusement pour signer le registre.
La sirène de fin d'appel sonna..."
Le REVIER (INFIRMERIE)
" Un spectacle qui évoquait dignement les ladreries du Moyen-Age, la pourriture des léproseries et d'une cour des miracles remplie de mendiants à demi-désséchés par la faim et rongés d'ulcères. Ces Tchèques, ces Hongroises, ces Slovènes, ces Juives, ces Polonaises, des Ukrainiennes, quelques Allemandes et Françaises montraient les stigmates de leur odieuse condition d'esclaves. Il y avait des jambes réduites au tibia et à la peau, déformées et bossuées d'ecchymoses diverses par des coups de bottes, des gales infectées, des humeurs froides, des escarres, des phlegmons et surtout, par plaques grandes comme la main sur ces dos où l'on comptait les côtes, des plaies dues à l'avitaminose, des plaies rouges et violettes suintantes de pus et d'un liquide rosâtre, si creuse parfois qu'on y eût enfoui tout un rouleau de papier gaufré et que l'os apparaissait à travers la chair décomposée.
Une Polonaise à l'épaule rongée épluchait les bords de sa plaie et releva la tête et nous dit:"" Dans un an vous en aurez autant"".
LE KOMMANDO
" Le Kommando était une ancienne ferme aménagée à usage de camp. D'un côté de la cour se trouvait un bâtiment à deux étages, greniers transformés en blocks aux fenêtres barrées de grilles et dont le rez-de-chaussée formait le waschraum et les closets; cette bâtisse se prolongeait par des locaux prévus pour une infirmerie, une cantine à l'usage des S.S. et unposte de garde qui jouxtait la grande porte cloutée, armée de barres de fer et de verrous comme celle d'une prison. En face de cette rangée de constructions se trouvait l'ancienne habitation des fermiers, maintenant celle des surveillantes S.S., et mitoyenne avec une longue étable qui formait un troisième block.
Ces deux côtés de la cour se faisant face étaient réunis par toute une grange qui faisait le tropisième côté, et le quatrième, en face du troisiuème, consistait en un mur très haut troué de la grande porte. Les quatre côtés étaint longés en leur sommet par un réseau serré de fils électrifiés qui les surmontaient".
LE SABOTAGE
" Il était dangereux de ralentir le rythme des machines, si l'on considère les rondes multipliées des S.S., des contremaîtres, des aufseherinnen et des Industrie ! Mais nous arrivions à laquer longtemps le même plateau de cartouches, prenant l'une, reprenant l'autre déjà laquée et lui passant une nouvelle couche de laque le plus épais possible pour en user davantage; fourbir les cartouches avec un chiffon imbibé d'acétone et d'eau sous prétexte de les nettoyer, en réalité pour les faire se rouiller ce qui, deux mois plus tard, les rendait impropres au service; choisir les poudres humidifiées par hasard de préférence aux poudres sèches; épointer autant que possible les percuteurs qui, le moment venu, frapperaient mal la capsule de fulminate, laquelle éclaterait à contretemps, tout cela sans s'arrêter une minute de remuer à vide, ce qui provoquait chez nous une exténuante surexcitation nerveuse, de surveiller les portes vitrées où pouvaient apparaître à chaque instant des faces d'Allemands, de prévenir leurs soupçons en nettoyant minutieusement les machines que par ailleurs nous sabotions".
SOURCES : :copyright: AFMD de l'Allier
- Archives Départementales de l'Allier 1864 W 1, 1289 W 91, 1756 W 1 N° 3780,
- Archives Départementales du Puy-de-Dôme 908 W 168
- Archives Municipales de Moulins 5 H 81
- Bouteille-Garagnon Marie Jeanne Infernal rébus Editions Crépin-Leblond Moulins 1946
- Dictionnaire Historique de la Résistance sous la direction de François Marcot Editions Robert Laffont 2006
- Etat civil de Sancerre, d'Avignon (84) et de Royère-de-Vassivière (23)
- Livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation Editions Tirésias 2004
- Mémorial de l'Alliance Amicale du réseau «Alliance»