«Si aujourd’hui on perd la bataille du renseignement, on perd la guerre»Jean-Claude Mallet, coauteur du livre blanc sur la défense :
Conseiller d’Etat proche de la gauche, Jean-Claude Mallet, 53 ans, a présidé la commission qui a rédigé le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. A la veille des annonces sur la réorganisation des armées, il revient sur la nouvelle stratégie de la France, approuvée par le chef de l’Etat le 17 juin.
Le livre blanc a été publié il y a plus d’un mois et vous êtes toujours à votre poste. Pourquoi ?Le président de la République a prolongé ma mission pour assurer le soutien aux travaux et le suivi de la prochaine loi de programmation militaire, que prépare le ministère de la Défense, et notamment sa cohérence avec les options stratégiques du livre blanc.
Un livre blanc plutôt mal accueilli par les militaires, comme l’a montré le texte très critique du groupe Surcouf…
Je rentre d’une série de visites dans les forces armées, où j’ai présenté nos travaux et dialogué avec les personnels. J’y ai trouvé des gens en position d’attente, mais prêts à se passionner pour le nouveau cadre que nous avons élaboré. Pour le reste, l’addition des complaintes ne fait pas une stratégie…
Fallait-il pour autant imposer le silence dans les rangs ?Il y a un besoin d’expression accru dans les armées, dans le respect de certaines règles. Tout signal dans ce sens est le bienvenu. Dans le cadre des travaux de la commission nous avons d’ailleurs auditionné et associé de nombreux militaires. Je tiens à saluer le rôle du chef d’état-major des armées.
Comment va se traduire la mise en œuvre de ce livre blanc ? La loi de programmation militaire doit reprendre les deux priorités que le président de la République a validées : la protection des forces [engagées en opération extérieure] et le renseignement. Cela signifiera étaler dans le temps un certain nombre de programmes, comme les frégates ou les chars lourds. L’un de nos problèmes est qu’il y a encore des gens qui ont toujours en tête la structure de l’armée de 1945 , en alignant le nombre de chars, d’avions et de bateaux. Ils en sont toujours à Overlord
[le débarquement en Normandie de 1944, ndlr]…
Ces matériels sont-ils devenus inutiles ? Le risque est que nos modèles d’armée, français et allié, soient contournés un jour par nos adversaires. Je suis fils et neveu de compagnons de la Libération et je n’ai pas envie de préparer une nouvelle défaite. Si, aujourd’hui, on perd la bataille de l’information et du renseignement, on perd la guerre. Le renseignement est indispensable aussi bien pour la décision politique que pour la manœuvre militaire. C’est le gage de la liberté d’action.
Mais savoir ne suffit pas, il faut aussi pouvoir… La liberté d’action d’un pays comme la France est un choix stratégique consensuel entre la droite et la gauche. Cela signifie qu’il faut des sources nationales de renseignement, mais aussi une dissuasion nucléaire, pour éviter qu’un jour nous soyons l’objet d’un chantage sur nos intérêts vitaux. Il faut aussi des capacités clés : je pense par exemple aux missiles de croisière, qu’ils soient tirés d’un avion, d’un bateau ou d’un sous-marin. Nous ne gagnerons pas la guerre avec des missiles de croisière, posséder ce type de moyens garantit à la France d’être dans la première phase de la planification de toute opération militaire avec les alliés. Nous sommes ainsi dans le premier cercle. Même chose avec des forces terrestres bien équipées capables d’aller au contact en premier.
Lors de vos travaux vous avez étudié plusieurs options. Quelles étaient-elles ? D’abord, celle qui a été retenue, avec la concentration de nos moyens sur un axe allant de l’Atlantique à l’océan Indien, en passant par la Méditerranée. Ce qui signifiera une modification importante, dont un allégement du dispositif en Afrique. Nous avons présenté trois autres options au Président : la création de quatre ou cinq grandes bases à l’étranger, une option à dominante aéromaritime et enfin une option de repli sur le territoire national avec de fortes capacités de projection aéroterrestres. Nous avons fait jouer ces options dans le cadre d’une quinzaine de scénarios de crises. Au terme d’une dizaine de mois de travaux, nous avons conclu que l’option la plus raisonnable était celle qui est désormais inscrite dans le livre blanc.
Source : secret défense