Connaissez-vous « Maybe Airlines »? Tel est le nom utilisé – seulement pour taquiner – pour désigner la flotte d’avions de transport de l’armée de l’Air, dont la disponibilité demeure encore trop faible, y compris, parfois, sur les théâtres d’opérations extérieurs.
La Loi de programmation militaire 2019-25, qui promet une « remontée en puissance » pourra-t-elle y remédier? En théorie, on peut le penser. D’ici 10 ans, la flotte de transport aérien militaire sera rationnalisée, avec l’arrivée de l’A330 MRTT Phénix et la poursuite des livraisons de l’A400M Atlas, ce qui laisse espérer une capacité de projection de 5.000 tonnes en cinq jours (contre 200 actuellement).
En attendant, le rapport pour avis sur les crédits de l’armée de l’Air, que vient de remettre le député Jean-Jacques Ferrara, souligne les fragilités en matière de transport aérien militaire, notamment dans sa dimension tactique. Et sa « remontée en puissance devra faire l’objet d’un fin pilotage, afin d’accompagner en douceur le retrait des flottes les plus anciennes comme l’accueil des plus récentes », prévient-il.
L’une des fragilités actuelles concerne la disponibilité des appareils. Il est courant de dire qu’elle est toujours très bonne sur les théâtres extérieurs. Ainsi, au premier semestre 2018, elle a atteint les 66,7% (parfois en « cannibalisant » des appareils restés en métropole). Mais il ne s’agit que d’une moyenne qui ne rend pas compte de la réalité. « Ces données globalisées ne reflètent que partiellement la disponibilité des flottes. Celle-ci est en effet très variable d’un mois à l’autre et d’un type d’avion à un autre », avance M. Ferrara.
Ainsi, les Casa CN-235 déployés à N’Djamena affichait un taux de disponibilité de 81% en avril dernier mais de seulement… 46% le mois suivant. Idem pour les C-130H Hercules (53% en mai contre 35% un mois plus tôt).
Le vieillissement des flottes explique ces chiffres. « Entre 2016 et 2017, le nombre de comptes rendus de faits techniques a doublé s’agissant de la flotte CASA. On constate principalement une dégradation des performances moteurs et un décollement des revêtements externes du fuselage, qui s’explique notamment par les conditions météorologiques et climatiques en Afrique. Selon les informations recueillies […], il faut compter environ 18h30 de maintenance pour une heure de vol sur CASA, et jusqu’à 27 heures de maintenance pour une heure de vol de C130H », avance le rapport.
Pour remédier à ces problèmes, l’État-major des armées se tourne vers l’affrètement d’avions auprès de compagnie privées [Daher, Dynami Aviation, SNC-Lavalin, Pegase Air Drop, Air Attack, etc] pour le transport de fret « inter-théâtre ». Ce qui a coûté, rien que pour le Sahel, 25 millions d’euros en 2017.
« Ces pratiques posent question, d’autant que l’affrètement est également mis en œuvre au profit de l’opération des forces spéciales Sabre, qui exige pourtant la plus grande discrétion et la plus grande confidentialité », note M. Ferrara, pour qui « le marché de l’affrètement tactique semble encore plus opaque que celui de l’affrètement stratégique » [qui fait l’objet d’une enquête judiciaire, ndlr].
Outre la disponibilité des appareils, les ressources humaines constituent un autre problème sérieux. « L’armée de l’Air est ‘à l’os’ et ce ne sont pas les quelques recrutements prévus par la LPM 2019-2025 qui permettront de relâcher la pression pesant sur les personnels. L’ensemble des spécialités est touché en raison de l’importance des déflations décidées entre 2008 et 2014, période durant laquelle l’armée de l’air aura représenté près de 40 % des suppressions de postes au sein du ministère de la Défense », rappelle le député.
S’agissant de l’aviation de transport, il manque « l’équivalent d’un escadron et demi de transport tactique et 125 agents de transit pour un besoin de cinq cents personnes. » Résultat : les équipages sont plus souvent sollicités qu’à leur tour pour les opérations extérieures.
« La durée des mandats des équipages de transport est ajustée à l’activité réalisée sur le théâtre, afin de lisser l’activité de l’ensemble des pilotes entre la métropole et les théâtres d’opérations. Néanmoins, compte tenu des effectifs, les personnels tournent régulièrement. C’est notamment le cas de certaines spécialités, comme les navigateurs officiers systèmes d’armes (NOSA), qui constituent une micropopulation particulièrement sollicitée », souligne M. Ferrara.
Et, avec en plus les soucis d’indisponibilité des avions, cela joue sur la formation et l’entraînement des équipages, au point que la question du maintien de compétences complexes, comme la navigation très basse altitude, le posé d’assaut ou le posé de nuit, se pose.
« Aussi, les pilotes expérimentés sont déployés en OPEX, privant ainsi les jeunes restés en métropole d’instruction. Quant à ceux qui ont eu l’opportunité d’achever leur formation, ils sont contraints de s’entraîner en opérations. De plus, alors que les heures de vol sont déjà contraintes, il importe de comprendre que, pour les personnels navigants, le décompte des heures de vol a lieu que le pilote soit aux commandes ou simplement dans l’avion : le nombre d’heures de vol ne reflète ainsi pas nécessairement le nombre d’heures permettant effectivement d’entretenir les compétences », explique le député.
« En asséchant les flux de recrutement durant cinq ou six ans, l’armée de l’air a en fait perdu une génération de pilotes, ce dont on mesure les effets aujourd’hui tant dans le vivier OPEX que pour l’encadrement intermédiaire », souligne-t-il encore.
Mais ces problèmes de ressources humaines ne concernent pas seulement le personnel navigant : les mécaniciens et autres techniciens, sans lesquels il n’est pas possible de faire décoller un avion, sont également sous tension, avec, là aussi, le risque d’une perte de savoir-faire. « Sur la base aérienne d’Évreux, la moitié des mécaniciens a moins de deux années d’ancienneté. La diminution du nombre de personnels qualifiés participe également des difficultés de la préparation opérationnelle », note le rapport.
Le souci est que de nombreux spécialistes quittent l’armée de l’Air au terme de leur contrat et que le recrutement a du mal à suivre, en raison de la forte demande du secteur privé. « Offrant des rémunérations plus élevées pour des emplois aux sujétions moindres, avec peu de mobilité géographique, des primes de responsabilité élevées et un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, les entreprises civiles accueillent un nombre croissant de jeunes sous-officiers qui ont quitté l’institution et des sous-officiers expérimentés aux qualifications et compétences recherchées », assure M. Ferrara.