La politique américaine à l’égard de New Delhi relève d’un numéro d’équilibriste… Ayant besoin de l’Inde face à la Chine, les États-Unis doivent composer avec certaines décisions indiennes, qui vont à l’encontre de leurs positions à l’égard de la Russie et de l’Iran.
Ainsi, avec l’intention d’acquérir des systèmes de défense aérienne S-400 Triumph auprès de la Russie pour près de 5 milliards de dollars, l’Inde pourrait théoriquement faire les frais du Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act [CAATSA], c’est à dire la loi américaine qui impose des sanctions économiques contre toute entité ayant conlu un contrat avec des entreprises russes du secteur de l’armement.
Certes, la dernière loi de financement du Pentagone [National Defense Authorization Act – NDAA], promulguée en août par le président Trump, prévoit théoriquement des exemptions, dont New Delhi pourrait bénéficier. Seulement, la semaine passée, Randall Schriver, le secrétaire américain à la Défense adjoint, chargé de l’Asie et du Pacifique, a indiqué que l’Inde n’obtiendrait pas forcément une dérogation.
« Nous préférerions nettement […] que l’Inde cherche des alternatives et qu’elle voie si nous ne pourrions pas devenir un partenaire pour répondre à ce genre de besoins », a par ailleurs affirmé M. Schriver. Pour Washington, l’achat de S-400 pourrait créer des problèmes en matière d’interopérabilité avec d’autres matériels militaires américains dont les forces armées indiennes sont dotées.
Autre dossier qui fait débat : la décision américaine de sanctionner, dès le 4 novembre prochain, les pays qui se procurent du pétrole auprès de l’Iran. Or, l’Inde a justement besoin du brut iranien…
Qui plus est, New Delhi a beaucoup investi dans les infrastructures du port « stratégique » de Chabahar, situé dans le Sud-Est de l’Iran, sur la côte de l’océan Indien. Or, la construction de ce dernier a été assurée par par Khatam al-Anbia, un conglomérat dépendant des Gardiens de la révolution… Pour l’Inde, il s’agit d’une porte d’entrée pour ses exportations en direction de l’Afghanistan, et, plus largement, des pays d’Asie centrale.
Aussi, le déplacement pour une rencontre au format 2+2 à New Delhi, le 6 septembre, du chef du Pentagone, James Mattis, et de Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, était attendu.
S’agissant du pétrole iranien, « nous examinerons des dérogations là où c’est approprié […] mais nous considérons que les achats de brut iranien par tous les pays seront réduits à zéro, faute de quoi des sanctions seront imposées », a déclaré M. Pompeo.
Pour autant, dans une allusion au projet de nouvelles « Routes de la soie » [One Belt, One Road], mené par la Chine, qui propose la construction d’infrastructures via des prêts à certains pays, qui connaissent alors un endettement massif, le chef de la diplomatie américaine a assuré que États-Unis et l’Inde agiraient de manière à « empêcher (les actes de) coercition économique extérieure. »
S’agissant des S-400, M. Pompeo a dit comprendre « l’histoire de la relation entre l’Inde et la Russie et souligné qu’il ne s’agit pas de « pénaliser les grands partenaires stratégiques comme l’Inde, partenaire majeur dans la défense. » Et d’insister : « Les sanctions ne sont pas destinées à avoir un impact négatif sur des pays tels que l’Inde. Elles ont pour but d’avoir un impact sur le pays sanctionné, à savoir la Russie. »
Mieux même : à l’occasion de cette rencontre 2+2, les États-Unis et l’Inde ont signé un nouvel accord, dit « COMCASA » [Communications Compatibility and Security Agreement / Accord sur la sécurité et la compatibilité des communications], lequel ouvre la voie à l’accès aux appareils indiens aux réseaux sécurisés d’information utilisés par les avions américains, comme la liaison 16.
Par le passé, l’Inde et les États-Unis ont déjà conclu des accords de coopération militaire, comme, en 2016, le Logistics Exchange Memorandum of Agreement (LEMOA), dans le domaine de la logistique. Il était aussi question d’un Basic Exchange and Cooperation Agreement (BECA) pour le renseignement spatial.
Enfin, les deux pays ont également convenu d’organiser conjointement des manoeuvres militaires en 2019.
« Nous avons décidé de mener pour la première fois en 2019 des exercices conjoints (terre, air, mer) avec les Etats-Unis au large des côtes orientales de l’Inde », a en effet annoncé Nirmala Sitharaman, la ministre indienne de la Défense.