En matière de finances publiques, les « autorisations d’engagement » (AE) correspondent à un niveau autorisé de dépenses futures dans le cadre de l’exécution de contrats susceptibles de s’étaler sur plusieurs années. Les traites afférentes à ces derniers sont honorées par des crédits de paiement (CP). La différence entre des AE et des CP s’appelle des « restes à payer ».
Évidemment, le montant des « restes à payer » du ministère des Armées est plus élevé que celui de ses homologues, étant donné qu’il doit conduire des programmes d’armement sur le long terme. Aussi, le Sénat, mais aussi la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, ont exprimé leur désaccord sur l’article 17 de la Loi de programmation des finances publiques (LPFP), laquelle conditionne par ailleurs la Loi de programmation militaire (LPM).
Cet article de la LPFP vise « à fixer un objectif annuel de stabilisation des restes à payer de l’État, définis comme le montant d’autorisations d’engagement (AE) consommées non encore couvertes par la consommation des crédits de paiements (CP) correspondants, afin d’assurer que le pilotage budgétaire des années à venir n’ait pas pour effet d’aboutir à une augmentation des restes à payer sur les années ultérieures. »
Et ainsi, ce texte précise que « le montant de restes à payer, tel que retracé annuellement dans le compte général de l’État annexé au projet de loi de règlement, hors impact des changements de règles de comptabilisation des engagements, ne peut excéder, pour chacune des années 2018 à 2022, le niveau atteint à fin 2017. »
La ministre des Armées, Florence Parly, avait assuré que si cet article « devait être appliqué de manière unilatérale au seul ministère des Armées, ce serait évidemment un frein majeur à la modernisation des équipements. » D’où les tentatives de certains parlementaires d’en exonérer les Armées. Seulement, le ministre de l’Action et des comptes publics, Gerald Darmanin eut le dernier mot…
Du moins le croyait-on. En effet, le rapport annexé du projet de LPM 2019-2025 revient à la charge. « La loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoit, en son article 17, une disposition visant à permettre un suivi par le Parlement des restes à payer de l’Etat. Compte tenu de l’augmentation des engagements prévue sur la période de la LPM, l’évolution du reste à payer du ministère des armées augmente mécaniquement. Pour cette raison, cette disposition programmatique de la LPFP ne contraindra pas les investissements du ministère des armées », y lit-on.
Lors de l’audition de Mme Parly par la commission de la défense à l’occasion de la présentation du projet de LPM 2019-2025, la question de cet article 17 a été évoqué par au moins deux députés.
« La programmation est un levier budgétaire, mais, en l’occurrence, nous craignons d’être face à une loi de programmation sous perfusion de Bercy. Il faut que vous nous donniez des garanties claires sur la réalisation, dans l’exécution, de ces principes et objectifs que vous avez énoncés et auxquels nous souscrivons », a affirmé Damien Abad [LR]. « L’article 17 vide de sa substance cette loi de programmation militaire en donnant un pouvoir démesuré au ministère des Finances. Pouvez-vous donc affirmer ici […] que cet article n’a pas vidé préventivement la LPM de tout levier budgétaire? », a demandé Alexis Corbière [LFI].
« En ce qui concerne l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques, je peux vous rassurer : s’il avait dû s’appliquer au budget du ministère des Armées, alors tous les propos que je viens de vous tenir auraient été en l’air, car il aurait détruit le principe même de la programmation des équipements sur la durée. C’est pourquoi le rapport annexé de la loi de programmation militaire indique que l’article 17 de la LPFP ne contraindra pas les investissements du ministère des Armées. Lors de notre dernière rencontre, cela restait un point d’inquiétude et de vigilance ; il me semble avoir été entièrement levé grâce à cette mention », leur a ensuite répondu Mme Parly.
Une simple mention dans un rapport annexé peut-elle suffire à battre en brèche l’article d’une autre loi de programmation? C’est ce que pense Claire Legras, la directrice des affaires juridiques auprès du ministère des Armées.
« Le Conseil d’État a fait valoir que l’articulation entre la LPM et la LPFP était satisfaite par une mention suffisamment précise dans un document soumis à l’approbation parlementaire : soit l’étude d’impact, soit le rapport annexé. Nous avons veillé à ce que cette articulation apparaisse dans les deux documents. […] Quant à la portée juridique de cette affaire, le rapport annexé, comme les articles programmatiques du projet de loi, est de niveau législatif sans avoir de valeur normative », a-t-elle expliqué lors de son passage devant la commission « Défense » de l’Assemblée nationale.
Pour autant, cette explication ne satisfait pas tout le monde. Et elle fait matière à débat. « Selon le gouvernement, ce rapport annexé aurait une valeur identique à la loi. Cette position est juridiquement contestable. Or, dépend de la valeur de ce rapport annexé notamment l’exclusion de la mission défense des dispositions de l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques », souligne le député François Cornut-Gentille (LR).