Archive (c) DGALe projet de Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 sera soumis pour examen au Parlement à partir du 20 mars prochain. En attendant, les députés de la commission de la Défense nationale ont fait le bilan de celle qui se termine, via un rapport co-rédigé par François André et Joaquim Pueyo.
L’exécution de la LPM 2014-2019 est compliquée à évaluer étant donné qu’elle a été actualisée en juillet 2015 pour prendre en compte les mesures prises après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, à Paris. Pour rappel, il était prévu de continuer la politique consistant à réduire les effectifs des armées (-33.675 postes) afin de préserver les grands programmes d’armement (quitte à revoir les « cibles » commandées à la baisse), de limiter les opérations à 3 théâtres (hormis une présence à Kaboul, celui de l’Afghanistan venait de se fermer pour les forces françaises), de miser sur les exportations, en particulier d’avions Rafale, et d’avoir recours à des recettes exceptionnelles à un niveau élevé.
Avec la menace terroriste, les suppressions de postes ont été atténuées, avant d’être annulées. Ce qui a eu pour effet de stabiliser la masse salariale du ministère des Armées à partir de 2015. En effet, bien que ce dernier ait mis « scrupuleusement en œuvre les réductions d’effectifs qui lui étaient demandées depuis 2009, il ne parvenait pas à en tirer un bénéfice budgétaire » car « la politique d’encouragement des départs, le coût des dispositifs de reconversion et d’incitation au départ, la compensation des sujétions opérationnelles ou encore les indemnisations versées au titre du chômage contribuaient à maintenir les dépenses de titre 2 à un niveau élevé », a expliqué M. Pueyo.
« Depuis 2015, la masse salariale est conforme à l’autorisation donnée en loi de finances grâce au pilotage centralisé dorénavant exercée par la direction des ressources humaines du ministère des Armées. Il permet notamment de réaffecter des emplois non pourvus à d’autres fonctions », a ajouté le député.
En outre, l’actualisation de la LPM a permis de remplacer les recettes exceptionnelles, incertaines par définition, par des crédits budgétaires. Ce qui a permis d’éviter la mise en place de la solution « hasardeuse » des fameuses sociétés de projet. Le bon « alignement des planètes », avec une faible inflation et un prix du pétrole bas (ce que l’on a appelé les « coûts de facteur ») ainsi que des retards industriels ont donné assez de marge de manoeuvre pour augmenter le budget de l’entretien programmé des matériels (EPM) et accélérer l’acquisition de certains équipements critiques (comme les hélicoptères).
Les contrats à l’exportation obtenus à partir de 2015 (en particulier ceux concernant le Rafale) ont fait que le pari initialement fait pour maintenir les capacités des industriels concernés a été tenu.
Aussi, a noté M. André, tout ceci a « grandement contribué à la bonne exécution de la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. »
Cependant, il y a eu quelques points noirs, qui sont susceptibles de concerner la prochaine LPM. Le premier porte sur la prise en charge du surcoût des opérations extérieures, volontairement sous-évalué à 450 millions d’euros afin de faire jouer la solidarité interministérielle au bénéfice du ministère des Armées (solidarité interministérielle à laquelle ce dernier participe, à la hauteur de son poids budgétaire).
Avec l’enchaînement des opérations (Mali, Centrafrique, Levant, sans oublier le Liban et les missions dans les pays baltes), le surcoût des opérations extérieures a régulièrement dépassé le milliard d’euros. Pour faire face à ces dépenses, le ministère du Budget a donc augmenté le niveau de gel des crédits des différents ministères, dont celui des Armées (à hauteur de 8%).
« La sous-évaluation délibérée de la provision pour les surcoûts OPEX rend inévitable une correction d’ampleur en cours de gestion. Bercy ‘gèle’ donc massivement les crédits du ministère des Armées en début d’année à titre préventif. Le ‘dégel’ n’intervient parfois que tardivement […] entraînant des ruptures de trésorerie, concentrées sur le programme 146 qui retrace les crédits d’équipementsé, a déploré M. Pueyo. « Ce mode de fonctionnement aboutit, très concrètement, à placer la politique du ministère des Armées sous la tutelle de Bercy et ruine tout effort de programmation, en ne permettant qu’un pilotage à vue inefficace et coûteux! », a-t-il estimé.
Les réductions de « cibles » et les renégociations des contrats d’armement ont également pesé lourd. « La baisse des cibles et l’étalement des livraisons ont conduit à une augmentation significative des coûts unitaires et, dans certains cas, à une augmentation du coût total du programme », a fait remarquer M. Pueyo, reprenant ainsi les conclusions émises récemment par la Cour des comptes. Le cas des frégates multimissions (FREMM) est éloquent.
« La flotte française ne sera composée que d’une quinzaine de frégates ne répondant pas totalement au besoin opérationnel et pour un coût total de 14,5 milliards d’euros, au lieu des 17 bâtiments de premier rang prévus en 2008 qui coûtaient alors 12,5 milliards d’euros. En d’autres termes, nous avons réussi à payer plus cher pour avoir moins bien », a regretté le député.
Après avoir établi ce constat, les deux rapporteurs ont défini une « cartographie » des risques pour la prochaine LPM. Le premier point de vigilance concerne (encore) le surcoût des opérations extérieures. Pour rappel, il est question que le ministère des Armées le prenne à sa charge à hauteur de 1 milliard d’euros d’ici 2020.
Or, a souligné M. Pueyo, « la revue stratégique fait état d’une aggravation des menaces alors que nos adversaires se dotent de capacités inédites et de nouvelles technologies. Les conditions d’engagement de nos forces et d’emploi de nos matériels sont difficiles ». Aussi, le surcoût des OPEX auant plus que doublé en dix ans, tout indique qu’il se maintiendra à un « niveau élevé », le « milliard étant devenu tendanciel ».
Le coût du Maintien en condition opérationnelle (MCO) est lui aussi en « hausse tendancielle », car « le vieillissement des parcs d’équipement et leur caractère hétérogène rendent la maintenance plus coûteuse mais dans le même temps, l’arrivée des nouveaux matériels, plus sophistiqués, la renchérit également. »
Sans surprise, le plafonnement des « restes-à-payer » [ndlr, l’écart entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, débloqués à la livraison] que prévoit la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 faut peser une épée de Damoclès sur les grands programmes d’armement.
« Nous estimons qu’un plafonnement trop rigide des restes-à-payer met en péril la loi de programmation militaire, en empêchant le lancement de tout nouveau programme d’ampleur, quel que soit le niveau des menaces constaté aujourd’hui. Nous souhaitons que la mission ‘Défense’ en soit exemptée et que la maîtrise des restes-à-payer soit assurée, comme il se doit, par la loi de programmation », ont fait valoir les deux rapporteurs. Seulement, cette bataille a déjà été perdue…
Un troisième point de vigilance porte sur un risque de dérapage de la masse salariale du ministère des Armées. « Une forte concurrence avec le secteur privé existe pour certains métiers rares ou très qualifiés (médecins, mécaniciens spécialisés, linguistes…) qui nécessitera un effort en termes de rémunération. Les plus petites soldes devront elles aussi être revalorisées, dans le cadre de la transposition des règles de la fonction publique » et ces « éléments nous conduisent à penser que la masse salariale augmentera dans les prochaines années et que sa maîtrise sera un défi constant », a dit M. Pueyo.