Quelques extraits de témoignages reçus, exode par La Sénia, pas question d'avions militaires pour l'intant
Je n'ai jamais raconté à personne mon rapatriement car je n'ai jamais eu de voix pour le faire.. très vite un sanglot me coupait la parole. Ici, dans le silence je peux écrire ce que je ne peux encore prononcer à ce jour.
Nous habitions à l'usine Vidal et Manégat, ave Fallières, mon père (en retraite CFA) y était contremaître. Début juin 62, lors des fréquents échanges de tirs entre les fellaghas descendus au village Nègre et la légion, nous avons reçu un rockett sur le toit de l'usine. Deux jours après, ma mère, ma soeur et moi sommes parties vers la Sénia comme tous les copains, dans l'attente d'un avion. Sur la route, j'ai aperçu José B.......y en treillis avec la légion dans un petit village, un geste furtif... tout allait trop vite. Vous connaissez les conditions dans lesquelles nous attendions l'appel d'un numéro nous permettant d'embarquer ! Notre jeunesse nous laissait encore un semblant d'insouciance quand nous reconnaissions une telle, un tel, mais je ne voyais pas encore dans quel état se trouvait ma mère... assises sur nos sacs "made in Toile de chez Vidal et Manégat", nous attendions notre tour et ma mère si vive et directive pour nous d'habitude ne réagissait plus, elle a ce jour-là perdu sa voix et elle est restée aphone un bon mois... c'était trop d'émotions, mon père restait en Algérie, nous, nous étions sur le point de partir et elle se sentait sans doute complètement dépassée et impuissante..
J'ai définitivement perdu mon insouciance , cette légèreté que nous donne la prime jeunesse à l'instant où j'ai mis le pied dans l'avion. A cet instant-là, j'ai basculé dans un piège ;j'ai compris le drame, l'irréversible et j'ai voulu redescendre. Ma mère m'a dit bien plus tard que j'ai pleuré, supplié de ne pas m'emmener, mais je ne me rappelle plus, l'hôtesse m'a donné de l'eau et un cachet. Mais ce dont je me rappelle encore, c'est que j'ai senti physiquement s'arracher mes racines de cette terre bien-aimée et je sais encore la douleur que cela fait, elle passait par le coeur et les tripes pendant que je regardais désespérément les derniers lambeaux de terre défiler sous mes yeux.... depuis, je n'ai plus de racines sous mes pieds et j'envie les gens qui vivent sur la terre de leur naissance pour cette raison.
Adrienne
Juin 62, j' ai 17 ans 1/2, j' habite la Mâconnais, et chaque jour je fais,à pied, le trajet qui mène au lycée de jeunes filles, je croise quelques autochtones, qui m' adressent quelques menaces , pas rassurantes du tout, en faisant allusion à l' indépendance prochaine. J' en fais état à mon père, qui, manu miltari, demande une autorisation de sortie au commissariat, et dès le lendemain, nous partons très tôt, pour La Sénia, sans attendre le convoi de la Légion Etrangère.
Mon père, étant lié par contrat, doit rester sur le sol d' Algérie. Je suis "parquée", sur un terrain, face à l' aérodrome ( je crois me rappeler, qu' il s' agissait d' un hippodrome), nous sommes très nombreux et les passages vers les hangars d' accueil, se font au compte goutte. La journée s' écoule, mon père doit retourner à Sidi Bel Abbès, avant la nuit. ( J' apprendrai plus tard, qu' entre temps, sa voiture a été volée). Inquiet de me laisser seule, il demande à un militaire de garde,qui me lance un regard, de bien vouloir veiller sur moi.Il m' embrasse, et me laisse seule, dans la foule, désemparée.
Je reste donc, non loin de mon ange gardien, et en fin de soirée, je suis transférée dans un hangar, où, assise sur ma valise, j 'attends la suite des événements.
La nuit tombe, et toujours le même soldat m' accompagne jusqu'à un hangar où sont alignés des centaines de lits de camp . Des compatriotes sont là, épuisés, en attente d' un avion.
_Avez vous un point de chute en France, me demande le soldat? Je lui réponds que je vais chez ma soeur, installée dans la région toulousaine.
_Bon, on va tâcher de vous faire partir cette nuit.
En effet, alors que l' extinction des feux a été faite dans les hangars, j' aperçois deux militaires, guidés par une torche électrique ,s' approcher de moi. Un avion en partance pour Marseille, est sur le point de décoller.L' un d' eux regarde ma carte d' identité, toujours à la lueur de sa torche. La scène est fantasmagorique.Mes sauveurs prennent mes bagages,une pluie fine tombe sur le tarmac, et je monte dans cet avion qui va m' emmener,définitivement, loin de ce pays. Par le hubLot, je vois mes deux soldats, souriants , m 'adresser des signes d' adieu.
Christiane
Un aéroport, un tunnel de tôle où s’alignent des lits, des militaires, des gens désoeuvrés et anxieux.
Maman, mon petit frère, deux ans, mon cousin, six ans, ma cousine, huit ans, et moi, quatre ans et demi. Nous sommes dans l’avion. L’hôtesse nous présente un plateau (un couvercle en carton dans ma mémoire) avec des bonbons. Mon frère se précipite et jette à terre tous les bonbons. L’hôtesse nous dit de les ramasser et de les garder.
Nicole
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément..."
C'est ce que je vais essayer de faire dans ce qui suit, sans être amer mais en restant honnête et objectif.
Juin 1962, il fait nuit, et nous sommes des centaines de jeunes, moins jeunes, vieillards, sur le parking de l'aéroport de la Sénia, attendant qu'il y ait des places disponibles dans les avions à destination de la France. Inconscients de la réalité de ce qu'il se passait, nous dansions, dehors tandis que d'autres embarquaient. Où allions nous atterrir? Marseille ? Lyon ? Paris ?, Pour nous, ce fut Toulouse. Nous pensions que nous reviendrions à SBA dans peu de temps... jean
Le 28 mai 1962 nous embarquons tous les trois à La Sénia dans une Caravelle d’Air France après avoir passé une nuit dans les hangars de l’aéroport, sur des couchages de fortune, au milieu d’une foule de femmes et d’enfants apeurés et en pleurs. Pour embarquer, nous jouons des coudes dans une sérieuse bousculade, le sauve-qui-peut général. Des conditions difficiles pour un baptême de l’air, avec de nombreux passagers malades. A l’atterrissage à Marseille, mon frère est évacué en priorité par les services de santé ; il s’est évanoui dans l’avion. Après la fouille de nos bagages et un contrôle d’identité, nous avons attendu avec inquiétude le retour de notre frère, emmené à l’infirmerie. Lorsque celui-ci est revenu vers nous, blanc comme un linge, l’infirmier nous a dit : « mais vous êtes tous pâles dans la famille, je pensais que les Pieds Noirs étaient tous bronzés ! » Voilà la première remarque enregistrée sur le sol métropolitain. Bon, fini de traîner, il nous fallait maintenant rejoindre Béziers, notre point de chute prévu, par le train. En gare de Marseille nous avons réussi à monter dans un train bondé, avec des gens affolés, certains pleuraient. Nous partions à l’aventure, totalement démunis, dans un pays nouveau pour presque tous, séparés du reste de la famille resté en Algérie. Allions-nous revoir un jour nos parents ? leurs adieux étaient gravés en nous et l’angoisse nous serrait le cœur.
Raymond
Juin 62. Place Carnot, notre forum. Dès le 16 au matin,alors que la veille encore les bâtiments publics étaient saccagés, circulait l'information inespérée: Un accord de cessez-le-feu venait d'être conclu à Alger. Revenu en hâte chez moi, j'en informai mon épouse, dans l'attente d'un heureux évènement et la décision fut vite prise. L'après-midi même nous voici sur le quai de la gare, endimanchés car il fallait bien préserver ce que nous avions de mieux et les valises à la main. Le train de Tlemcen arrivait et, chance inouïe, un ami d'enfance,allant sur Oran, nous faisait de grands signes pour nous signaler des places disponibles dans son compartiment et nous demander de lui passer nos bagages. Sitôt installés nous apprenions qu'entre Valmy et La Senia des tireurs isolés guetteraient le convoi. Vérité ou psychose galopante ? Dans le doute nous descendîmes à Valmy pour joindre l'aéroport en taxi, amenuisant ainsi nos ressources financières déjà peu florissantes ! Plusieurs centaines de personnes nous y précédaient déjà.
J'eus alors l'inspiration de remonter la longue file des postulants au départ et de me présenter au contrôle d'entrée en faisant état de la situation, plus qu'apparente, de ma jeune épouse. Cinq minutes plus tard nous étions enfin abrités dans le hall surpeuplé de l'aérogare pour une longue nuit d'attente. Le lendemain dès l'ouverture des guichets des files s'allongeaient devant les panneaux annonçant Paris, Marseille et Toulouse et je pris stoïquement ma place dans les rangs. Soudain, remarquant un employé disposant une ardoise indiquant Bordeaux devant un guichet encore clos, je m'y précipitai pour occuper la 1ère position.
Vers 13 heures notre groupe fut appelé sur l'aire de départ dans un espace délimité latéralement par des barrières et recouvert par des tôles ondulées. Il ne restait plus qu'à attendre l'avion et ce n'était pas le moindre des soucis pour mes compagnons de voyage qui pour la plupart appréhendaient ce baptême de l'air imposé qui ne faisait qu'aggraver leur désarroi de quitter leur pays natal en y laissant encore des maris, des frères ou des grands-parents trop anxieux pour entreprendre une telle équipée.Il faut en effet préciser qu'en ma qualité "d'accompagnateur" j'étais le seul Homme rapatrié dans ce convoi qualifié de "sanitaire". Cette inquiétude s'exprimait par des imprécations, le plus souvent en Espagnol, lancées contre le Grand Responsable de nos malheurs "ese hijo de..." par de pauvres femmes accablées, dont une mostaganémoise qui voyageait avec 9 enfants, dont les siens, tous habitant la même cour!
Alors que les files voisines s'engouffraient une à une dans les avions poursuivant leur noria, notre attente, interminable sous la tôle faisant office de "plancha", se prolongeait ,épuisante et les faux-bruits de circuler...pour s'amplifier encoreà la vue du DC 3 de la Sabena qui vint enfin s'aligner devant nous alors que nous approchions des 20 heures: pour certains les flancs de l'appareil noircis par l'échappement prouvaient bien que celui-ci n'était pas fiable et ce détail provoqua l'hystérie d'une passagère répétant:" por eso que no llegaba, se estaba quemando.."
Fort heureusement la traversée fut sans histoire et même agréable, surtout pour les enfants gâtés par les hôtesses. Le personnel Belge manifesta en l'occurrence une gentillesse et une disponibilité rares. Pour eux le mot "Rapatrié" avait une signification : Ils avaient déjà évacué leurs compatriotes du Congo.
L'accueil à Bordeaux fut à la hauteur des circonstances :Le Préfet de Région était venu nous recevoir en pleine nuit et des familles avaient offert des chambres pour nous héberger. Un exemple qui ne fut pas suivi partout si j'en crois les témoignages de mes parents et amis.
Jean-Paul
Comme je le subodore , l'Armée de l'Air n'a pas fait grand chose.......
et pourtant il y avait des Noratlas.....
Appel à témoins lancé (20 personnes) pour Maison-Blanche et La Sénia.
Le Noratlas fut très utilisé en Algérie dans tous types de transports ou de largages, sur tous les terrains, par plusieurs types d'unités, notamment le S/GMMTA (Sous-Groupement des Moyens Militaires de Transport Aérien) qui fut créé en Algérie le 1er avril 1955. Il comprend à ses débuts le GT 1/62 «Algérie» basé à Alger Maison-Blanche, puis le 2/62 «Anjou» qui arrive d'Indochine, en mars 1956 est créé le 3/62 «Sahara». Ces unités servaient, entre la métropole et l’AFN, au transport des personnels et des blessés.
groupe 3/62, basé à Colomb-Béchar
3 groupes de transport, combien d'avions ?nb : j'en parle aussi sur CAF, mais comme il surveillé par le Ministère, je ne donnerai pas les résultats de l'enquête qui vont peut-être prouver que l'AA n'a rien fait (l'ALAT à Aïn- Arnat OUI !)