Le poste du confluentOu les souvenirs d'un jeune militaire en Indochine après le seconde guerre mondialeLe poste du confluentPoste isolé, nous ne pouvons y accéder que par voie fluviale depuis Dong-Hâ ; il y avait tout un dédale d'arroyos de rivières, de surfaces inondées.
De plus nous étions en pleine période de pluies.
On pouvait à la rigueur y aller par la route, mais il fallait faire un détour de plusieurs dizaines de kilomètres, et encore en période de pluie, les véhicules n'arrivaient pas à pied d’œuvre.
Il fallait débarquer à environ deux kilomètres et faire la route à pied sous peine de voir les G.M.C. s'enliser.
Mon stage était terminé.
Je rejoignais Dong-Hâ le P.C. de la Compagnie et j’allais rendre compte à mon Capitaine (Duriez).
Qui m’a donné l'ordre de rejoindre le poste du Confluent le plus vite possible parce que personne ne connaîssait le mortier de 81.
Evidemment on peut l'installer sans appareil de visée, et éventuellement tirer, mais c'est très imprécis et dangereux.
Donc j’ai été voir le gars du détachement du génie, qui, avec une " portière" de pont (bac à fond plat utilisé dans le Génie) et un propulseur, pour qu’il m'emmène là-bas avec une escorte de deux Tirailleurs.
En moins d'une heure, je suis arrivé au poste et me suis présenté au Lieutenant qui m’a demandé pourquoi j'arrivais avec plusieurs jours de retard.
Je lui ai expliqué et tout s’est bien passé.
Il existait déjà un emplacement de mortier, mais il ne me plaisait pas trop. Il n'était pas assez profond et les rebords n’étaient pas assez relevés.
En cas d'accrochage, il fallait une protection sérieuse des servants.
Avec un Tirailleur qui m'avait été adjoint, j'ai entrepris de modifier l'emplacement.
J'ai installé des piquets pour couvrir avec une toile de tente en cas de pluie.
Tout s’est bien passé, de temps à autre lorsque qu'il y avait de l'agitation à la jumelle le Lieutenant me demandait de tirer quelques obus.
Je sentais que de la part du Lieutenant c'était pour se rendre compte du bon fonctionnement du mortier.
Entre temps j'avais mis au courant un Sergent marocain, il connaissait un peu pour avoir été dans une section de mortier en Italie.
Tout cela, jusqu'au jour où un message est arrivé par radio, notifiant que tous les anciens du 1/2èmè R.T.M. devaient rejoindre leurs unités d'origine, pour les préparatifs de départ.
Donc avec quatre Tirailleurs nous avons fait nos bagages et nous avons rejoint Dong-Hâ.
Lorsque nous sommes arrivé, j'ai eu la joie de retrouver ma section et Ripolès qui etait content de me voir.
Ma joie a été de courte durée, lorsque j’ai été convoqué par Duriez le Capitaine.
"Corniquet, qui vous a dit de rentrer ?" "Mais mon Capitaine le message précisait bien etc..."
"Je sais, je sais, mais nous attendons le regroupement de tout le Bataillon, et ça va demander plusieurs jours.
Au poste du Confluent, ils n'ont personne pour le mortier.
Alors vous allez retourner là-bas, nous vous convoquerons le moment venu.
Dans une heure, je ne veux plus vous voir ici. Comme coup de massue, c'était un coup de massue.
Manifestement le Capitaine faisait une crise d'autorité avec moi, pourquoi, je n'en savais rien.
C’est dans ce genre de « sampan » que j’ai fait le trajet par voie Fluviale de Dong-Hâ, au poste du Confluent.Alors, je suis retourné au détachement du Génie pour repartir au Confluent.
Mais pas moyen avec le gars du Génie il était absent, parti en opération, et pas question d'en rendre compte au Capitaine, ça allait le mettre en colère.
Avec mon sac et mon arme, je suis retourné à l'embarcadère, mais il n'y avait rien.
Alors j'ai avisé un Niaqué avec son petit sampan recouvert d'une natte en bambou en demi-cercle.
Pour dix piastres, il pouvait, m'emmener au poste du Confluent.
J'ai embarqué, et je me suis caché à l'intérieur sous la natte, il était seul rameur, debout à l'arrière comme les gondoliers à Venise, mais il ne me chantait pas la sérénade.
Embarquement au poste du confluent Je lui ai demandé de s'écarter, mais la rivière était en reflux, et il me faisait comprendre qu'au milieu du courant inverse nous n'allons pas avancer.
En partant, il a commencé à discuter avec d'autres Niaqués du coin.
Je lui ai intimé l'ordre de ne pas parler, car j’allais peut-être passer plusieurs heures avec ce rameur que je ne connaissais pas du tout.
Alors j’ai pris mon arme, je l'ai armé et je l’ai pointé sur le rameur pour lui faire comprendre ma méfiance.
Nous étions partis depuis une demie heure à peu près et je m'apercevais qu'il s’approchait trop près de la rive.
Ça ne me plaisait pas, d'autant plus qu'il y avait des niaqués (paysans) qui travaillaient dans les rizières, et la vue d'un soldat français seul dans une barcasse, aurait put succiter des mauvaises intentions.
Je commençais à être inquiet, car maintenant j’étais seul en pleine nature avec mon rameur qui ne m'inspirait pas tellement confiance.
J'avais mon P.M. toujours braqué sur lui et je lui faisais comprendre qu'au moindre écart de conduite de sa part, je ferais usage de mon arme.
Je pensais qu'à quelques jours, de la fin de mon séjour et de mon rapatriement je risquais ma vie dans ce milieu inhospitalier, suite à la décision du capitaine.
Les minutes et les quarts d'heures devenaient interminables, j’essayais de ne pas penser au danger... je scrutais les berges de la rivière en évitant toujours de me montrer pour ne pas attirer l’attention... je poussais un soupir de soulagement quand enfin j’ai aperçu au loin le poste du confluent, après le contour de la rivière, mâolen!, mâolen!…
(J’ai invité le rameur à maintenir la cadence car je m’apercevais qu’il ralentissait dans les coups de rames) enfin, nous avons accosté au poste, j’ai donné les dix piastres à mon rameur qui a semblé satisfait de cette somme.
Le Lieutenant a été très étonné de me revoir et m’a demandé ce que je venais faire ?... Je lui ai expliqué.
Deux jours se sont passés, et le message est arrivé, : Corniquet devait rejoindre Dong-Hâ au plus vite.
J’étais soulagé ouf !
Mon sac a été fait en quelques minutes.
Je n’étais plus d'accord pour repartir tout seul, alors le Lieutenant sympa a repassé un message pour que l'on vienne me chercher.
Deux heures après, le gars du Génie était là avec une escorte.
J’ai fait mes adieux et j’ai rejoint Dong-Hâ. C’est dans ce genre de « sampan » que j’ai fait le trajet par voie Fluviale de Dong-Hâ, au poste du Confluent.
Les préparatifs – le retour.Nous passons la journée pour nettoyer, préparer les bagages de la Compagnie, ranger les dossiers et nous sommes prèts.
Le lendemain matin, le convoi à vide arrive.
Nous chargeons d'abord les sacs et le matériel dans un G.M.C. et nous embarquons dans les autres véhicules.
Nous partons en direction de Quang-tri où nous attendons un long moment que le P.C. du Bataillon charge et embarque.
Nous ne voyons que des mines réjouies, surtout chez les Tirailleurs qui sentent le "Bercail".
Il y a la décontraction et la bonne humeur.
Direction Saïgon, nous y arrivons tard le soir.
Nous sommes installés au camp Pétruski pour la nuit.
Le lendemain matin nous rendons armes et munitions.
Cela se fait très sérieusement, les armes sont contrôlées strictement.
L'après-midi, direction l'embarcadère, nous n'avons même pas eu droit à une petite journée de "shopping" dans Saigon.
Le Commandement craint des débordements coté Tirailleurs vers le « parc à buffles ».
Ce sont des gars qui depuis 27 mois ne sont pas sortis.
Toujours est-il, que le Commandement à bien prévu son coup pour que le restant du bataillon ne soit pas lâché dans Saïgon.
Le Maréchal JoffreNous sommes le 13 juillet 1949.
Nous embarquons par une étroite coupée le long du bateau, c'est le "Maréchal Joffre" (vieux rafiot).
Avant d'embarquer nous avons reçu un espèce de ticket avec un numéro et une couleur, ce morceau de papier donne l'endroit où nous devons nous installer.
Les ponts supérieurs sont pour les Officiers supérieurs, les ponts intermédiaires pour les autres Officiers et ainsi de suite.
Plus on est gradé, plus on monte.
Moi bien sûr, Caporal-Chef, je me retrouve avec les hommes de troupe dans les cales.
Les hommes d'équipage, nous guident.
Les Officiers sont très bien logés dans des cabines, ils sont plus qu'à l'aise
Moi en bas, parmi les Tirailleurs je me suis trouvé une place au 3e étage d'un ensemble de lits pas trop loin d'un hublot.
Nous ne sommes même pas autorisés à voyager partout sur les ponts.
Les Officiers ont plusieurs ponts qui nous sont interdits.
Voilà le bateau : "Le Joffre" c'est un vieux rafiot, qui bientôt va être à la retraite...
Les amarres sont lâchées, nous nous éloignons, nous voguons vers la France, je suis heureux.
Nous avons eu du très gros temps dans l'Océan Indien, plusieurs jours de tempête.
Nous n'étions pas autorisés à déambuler sur le pont.
Le vent, les embruns et les paquets de mers balayaient tout.
Nous étions astreints, pour la sécurité, à rester en cale, hublots verrouillés avec une simple "loupiote" qui nous ne permettait même pas de lire.
Après 25 jours de mer du 13/7/1949 au 8/8/1949 le bateau a fait escale à Oran (Algérie) pour nous débarquer avant de poursuivre vers Marseille.
Comme le 2e R.T.M. est basé à Marrakech cela fait une sacrée distance à parcourir.
Nous embarquons à nouveau dans un train formé pour nous.
Et comme toujours les hommes de troupe voyagent dans des wagons de marchandises avec de la paille, (pour ne pas dire wagons à bestiaux, où il était encore marqué au pochoir : 40 hommes ou 8 chevaux).
Aujourd'hui cela peut choquer, mais à l'époque c'était comme ça..
Les Officiers et Sous-Officiers avaient eux des wagons voyageurs, un peu plus confortables.
Je n'avais même pas la chance d'être avec mon copain de toujours, Dal Magro, qui lui était Sergent et pouvait voyager avec plus d'aisance que nous.
La Koutoubia à Marrakech Nous avons pris place dans le train le 8/8/1949 (le même jour que notre débarquement du bateau) et nous sommes arrivés à Marrakech le 11/8/1949 au soir.
Trois jours de " tape-cul ", les chemins de fer marocains gérés par des Français n'ont pas fait d'effort pour nous transporter dans de bonnes conditions.
D'abord de vieux wagons hors d’usage, ensuite les mécaniciens et responsables sans la moindre pensée pour nous, telle que : "tient ce sont des gars qui rentrent d'Indo nous allons les transporter le plus rapidement possible".
La nuit, le train s'est arrêté sur une voie de garage en pleine nature, (pour le cas où nous aurions débarqué en ville pour semer la perturbation) puis est reparti le lendemain matin à petite vitesse marchandise.
Alors qu'en une bonne journée nous aurions pu faire le voyage.
Voilà comment nous étions traités, nous venions de passer 27 mois dans des conditions parfois épouvantables.
Même le Commandement aurait dû avoir un peu plus d'égards envers nous.
Mais, à l'époque les soldats d'Indo n'avaient pas la " cote" des civils qui ne connaissaient rien de cette guerre.
Comme l'écrit si bien Roger Delpey dans son livre " en parlant de ce qu'ils ont vu et fait ils sentent qu'on ne les écoute pas ou d'une manière distraite, et ils préfèrent alors garder pour eux cette tranche de vie"
À Marrakech, nous avons, nous, les Européens attendu environ un mois avant que tous les Tirailleurs marocains soient partis en permission et que le 1er Bataillon de marche du 2e R.T.M. soit dissous.
Nous avons obtenu notre C.F.C. (congé de fin de campagne de quatre mois).
Avec Dal magro, nous nous sommes débrouillés pour trouver une place dans un avion Marrakech -Bordeaux.
Nous avons fait le trajet jusqu'à Paris ensemble par la S.N.C.F. et nous avons passé une petite journée dans la Capitale.
Nous nous sommes payé une bonne "bouffe" dans un restaurant.
Nous l'avions bien méritée.
Ensuite nous nous sommes séparés, nous promettant de nous revoir un jour.
Lui est parti gare de l'Est et moi gare Saint-Lazare. Nous ne savions pas à l'époque, que nous aurions mis tant de temps pour reprendre contact.
Avec les deux ouistitis pensionnaires au poste de Câm-lô.
Je ne raconte pas le mal de chien que nous avions à civiliser ces deux singes.
Lorsqu’ils étaient en liberté, il ne fallait Pas oublier de ranger tout : stylo, encre Papiers, et autres pataugas ou affaires, sans risque d’être obligé d’aller les récupére et les chercher dans la cour du poste ou sur le toit. Souvenirs de Claude Corniquet