Noël 1948 au poste de Câm-Lô Le 24 décembre 1948 veille de noël, nous sommes trois catholiques dans le poste, les Tirailleurs sont bien sûr, tous musulmans.
Mais je pense que c'est Noël.
C'est la naissance du Christ.
Alors je me laisse aller à penser à la France où il doit faire bon vivre à l'heure actuelle.
Je pense aux sapins illuminés, aux crèches dans les églises, aux magasins approvisionnés, aux cadeaux, à la messe de minuit avec le "Minuit Chrétien".
Je pense à tout ça. La liaison qui nous a ravitaillés nous a apporté de bonnes choses, un jambon en boîte, du boudin blanc, du pain frais et deux bouteilles de bon vin.
Pour les Tirailleurs, un demi mouton encore congelé.
Tout le monde est content. Le lendemain arrive, ce soir, c'est la veillée et nous allons "gueuletonner".
Exceptionnellement il n'y aura pas de sortie.
Ripolès nous a dit, « ce soir nous dressons la table, je ne veux pas vous voir dégueulasses, attention, rasés et propres " O.K mon Adjudant-Chef".
Les Tirailleurs ont de leur côté profité de Noël aussi, et vont se faire un tagine de 1ère classe.
Traversée d’une rizière innondée. Plus habitués à monter et a galoper fièrement sur des purs-sang arabes dans les montagnes arides de l’Atlas, ou de monter les Méharis du désert. Les tirailleurs Marocains, peu habitués à ce climat, sont venus pour servir la France, s’embourber dans les rizières Indochinoises.
Le soir arrive, la nuit tombe comme à l'accoutumée, les sentinelles sont en place aux quatre coins du poste dans les blockhaus rudimentaires...
Pas de problèmes, nous commençons l'apéritif par un bon verre de vin, puis je découpe le jambon et nous mangeons avant de faire frire les boudins blancs.
Nous nous éclairons à la bougie.
Car, je tiens à dire que dans le poste de Cam-lô, il n'y a pas d'électricité, depuis longtemps les Viêts ont saboté tout le réseau.
Les bougies sont comptées, nous les utilisons avec parcimonie.
Le reste du temps, pour nous éclairer nous utilisons un système d'éclairage que tous les gars qui ont fait l'Indo connaissent.
Une bouteille, 1/3 d'essence 1/3 d'eau (l'essence flotte) un morceau de journal roulé à la grosseur du goulot de la bouteille et qui trempe dans l'essence, il faut attendre que le papier soit imbibé et l’on peut allumer sans risque.
Nous n'avons jamais eu d'accident.
Je me souviens des nuits de veille avec cet éclairage, qui donne une lueur blafarde.
Bref ! ...Tout se passait bien, jusqu'au moment, où nous avons entendu un coup de feu isolé en direction du poste, puis un deuxième venant d'un autre coté.
Aussitôt branle-bas de combat, nous sommes tous au poste de défense (nous laissons apéritif et jambon).
La section est au complet je me sens rassuré.
Pour le principe nous envoyons quelques rafales de F.M. en direction des coups isolés, puis plus rien, silence.
C'est là que nous entendons au porte-voix avec un fort accent Viêt " Français !
Ce soir c'est Noël, en France les gens s'amusent ... rejoignez-nous! ...
Et vous Messieurs les Marocains, quittez ces Français qui vous exploitent et occupent votre pays.
Venez avec nous avec votre arme, vous serez bien traités "Je ne me souviens pas trop bien, mais c'était à peu près ça.
Sans engager la conversation nous ouvrons le feu aussitôt dans leur direction, puis un brave Marocain qui n'avait rien compris nous demande " Achi goule chinaouïac? (qu'est-ce qu'il dit ce chinois? ), réponse " mayarfouch" (je n’ai pas compris ).
Au bout d'une heure nous sommes toujours au créneau, sans bruit, nous essayons de scruter la nuit mais nous ne voyons que des lucioles.
Et puis quelques tirs isolés, un coup devant, un coup derrière, une rafale par-ci par-là. Bref, ils sont là à une centaine de mètres au-delà des barbelés.
Ils doivent attendre que nous sortions.
Mais nous n'allons pas tomber dans ce piège.
Alors, comme nous craignons une attaque, nous restons toute la nuit au créneau.
Le lendemain nous allons voir et nous constatons qu'ils étaient là ; au-delà des barbelés.
Nous retrouvons quelques douilles.
Le midi nous avons terminé le reste du jambon, le boudin blanc et notre vin rouge.
Voilà notre Noël 1948 au poste de Câm-Lô.
Nous avons passés deux fêtes de Noël en Indo, celle de 1948, au poste de Cam-Lô n’avait pas été particulièrement joyeuses.
Souvenirs de Claude Corniquet