MISTRE Maurice: La légende noire du 15° Corps » (par A. Bach)
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La légende de la lâcheté des soldats du midi en 1914 prise à bras-le-corps par un ouvrage critique, militant et érudit.
MISTRE Maurice
La légende noire du 15° Corps
C’est-à-dire éditions
St-Michel l’Observatoire, 2009, 235 p.
Ce livre narre une des premières désinformations de l’opinion initiée par le gouvernement au début de la guerre et en démonte le mécanisme. Alors que ce dernier est encore seul au courant que toutes les armées françaises, sans exception, des Vosges à Charleroi, ont eu le dessous dans leurs affrontements avec l’armée allemande, sort le 24 août un article de presse dans le journal Le Matin qui, inspiré par le Ministre de la Guerre, donne à l’opinion une première explication des défaites inattendues et inexplicables, de Charleroi à Sarrebourg, encore non médiatisées : la lâcheté des troupes de Provence.
Intitulé « La Vérité sur l’affaire du 21 Août – Le Recul en Lorraine », rédigé ou plutôt signé semble-t-il, par le sénateur Gervais, il va susciter de forts remous dans l’opinion et laisser des traces jusqu’à aujourd’hui.
Maurice Maistre, provençal lui-même, aidé par des passionnés comme lui, livre ici les résultats d’une enquête qui lui a demandé de nombreuses années de recherche. S’appuyant sur un corpus de sources particulièrement étoffé que ce soit les sources officielles, les articles de presse, les archives locales et les témoignages des combattants, cadre et troupe, il éclaire un point d’histoire resté encore jusqu’à aujourd’hui dans le domaine des rumeurs et des jugements non étayés. Voici un résumé de la démonstration de sa thèse.
Un état d’esprit initial à l’unisson de la nation
Il met en valeur tout d’abord en s’appuyant sur le contenu des lettres des soldats du 15° corps, l’état d’esprit de ces derniers lors de la mobilisation. Il s’avère qu’il est à l’unisson du pays, comme en témoigne Jules Besson-Girerd, qui, alors que la mobilisation reporte son mariage prévu le 18 août et qu’il trouvera la mort à Bidestroff le 20 août, écrit à sa soeur depuis Menton, le 8 Août : « Je suis versé dans l’active et nous marchons au feu en première ligne, ce qui nous va tout juste mais que faire ? La France nous demande un sacrifice, eh bien nous y allons tous de bon cœur ». Sa signature finale est précédée de la mention « Ton frère qui croit sa vie brisée ».
Les très nombreuses citations de lettres narrant le transport ferroviaire vers la frontière nous fournissent des aperçus affinés de cet événement. Les soldats décrivent les larmes dans les yeux de leurs proches lors de leur départ puis l’espèce de marche triomphale, enthousiasmante scandée par les clameurs et les petits soins donnés aux soldats dans les gares des régions traversées pour en terminer par la surprise d’un accueil froid par des populations lorraines qui, au vrai, anticipent le fait que leur sol va servir de théâtre aux dévastations guerrières.
Des préliminaires préoccupants
La légende de la lâcheté des troupes du Midi va trouver un premier aliment dès le 10 août. Ce jour-là une initiative inconsidérée décidée par le commandant d’une Division de cavalerie qui a réussi à obtenir le concours de deux bataillons du 15° Corps se termine par un fiasco payé par plus de 500 tués en quelques heures le 11 août en matinée. Le général en question se retrouve limogé, car reconnu pleinement responsable de cet échec local mais la rumeur commence à poindre que les troupes engagées se sont débandées.
Joffre : Le 15° Corps « cause de l’échec de notre offensive »
Le 14 août les I° et II° Armées françaises s’engagent face à l’Est et franchissent la frontière. La II° Armée au Nord comprend du Nord au Sud les 20° Corps (recrutement lorrain-parisien), 15° Corps recruté dans le quart sud-est de la frontière italienne au Gard, des Bouches du Rhône à l’Ardèche, 16° Corps (Languedoc-Roussillon). L’offensive, finalement assez coûteuse, progresse normalement entrecoupée par une journée de repos et de réorganisation le 18 août. Cette pause a été l’occasion de l’envoi et de la rédaction d’un grand nombre de lettres, les dernières pour beaucoup. On peut y constater moral et détermination, lettres fiables car, hélas pour eux, non retouchées ultérieurement par les auteurs.
La journée du 19 est particulièrement acharnée face à un adversaire qui durcit sa résistance. Le 20 au matin, dans le brouillard se déclenche la contre-offensive allemande qui s’applique sur l’ensemble des I° et II° Armée. Sous le choc le front plie et à 10 heures le général de Castelnau ordonne la retraite générale qui ne va s’arrêter qu’à la nuit du 22 à l’Est de Nancy. Il faut expliquer au politique les raisons de cet échec. Joffre en fournit une dès le 20 à 19 heures par téléphone à Messimy, Ministre de la Guerre: « j’ai fait replier en arrière le 15° Corps qui n’a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l’échec de notre offensive. J’y fais fonctionner ferme les conseils de guerre ».
Un constat peu respectueux de la réalité
L’auteur qui décrit longuement les réalités du combat au travers des documents officiels et des témoignages des soldats montre bien que ces deux affirmations sont controuvées. Il n’y a pas que le 15° Corps en retraite mais la totalité des deux armées. Le communiqué du 21 août 11 h, plus mûrement réfléchi, adressé lui aussi au Ministre, reconnaît que nos troupes se sont heurtées à une position fortifiée, ont du se replier mais que « tout le monde y a fait son devoir ». Si cette nouvelle expression est certainement aussi excessive que celle de la veille, elle est toutefois moins éloignée de la vérité. La preuve en est fournie par l’auteur qui avec une équipe autour de lui a, à partir du fichier de “Mémoire des hommes”, reconstitué patiemment l’état des morts au combat du 15° Corps
Loin des chiffres annoncés jusqu’ici de 1000 tués pour une perte annoncée de 9800 hommes, ils ont répertorié 4160 tués entre les 10 et 20 août 1914 dont 3370 pour les 48 heures des 19 et 20 août. Ces chiffres, sont à rapprocher du nombre de tués du 20° Corps de Foch (3400 d’après les chiffres connus). Ils ne témoignent pas de disparité entre les corps, du moins en ce qui concerne les tués. L’auteur signale en particulier les 309 tués du 27° BCA à Gelucourt le 20 août soit près de 40% de son effectif. A un tel niveau de pertes auquel il faut ajouter les blessés, et sachant qu’un grand nombre de cadres, épine dorsale de la lutte, sont hors de combat, on peut considérer que l’efficacité tactique d’une troupe est fortement amoindrie et que des phénomènes de panique et de fuite sont dans l’ordre des choses. Il faut souligner à cette occasion l’énorme apport qu’a été pour la recherche la mise en ligne des fiches des tués sur le site “Mémoire des hommes”. On peut désormais quantifier le volume des pertes et bâtir des tableaux particulièrement éloquents sur les batailles–massacres à partir de ces données vérifiées.
Genèse d’un article crucifiant
Pour comprendre les conditions de lancement de la rumeur de lâcheté des Méridionaux, il est important de s’appuyer sur la chronologie. Le communiqué du 21 août peut être considéré comme une annulation de l’assertion de Joffre de la veille sur la couardise annoncée du 15° Corps. Or, le 24 août, un article paraît qui ignore ce rectificatif puisqu’il contient la phrase suivante : « surprises sans doute par les aspects terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement. L’aveu public de leur impardonnable faiblesse s’ajoutera à la rigueur des châtiments militaires ».
Comment avait évolué la situation depuis ce 21 août ? Le 21 août, le GQG avait été informé que la I° Armée, tout comme la II°, s’était mise en retraite. En soirée c’est le général commandant la IV° Armée qui avait annoncé ses déboires dans les Ardennes tandis que celui commandant la V° avertissait d’un échec sérieux de son 10° Corps d’armée près de Charleroi. Le pouvoir politique, s’il ne connaîssait pas exactement l’étendue des échecs le 23 août, à savoir que les 5 armées françaises étaient en retraite, en savait suffisamment pour conclure qu’un tel résultat ne pouvait être imputé uniquement à l’un des 21 corps d’armée d’active présents sur le terrain. Le problème était qu’il ne pouvait laisser se diffuser les idées selon lesquelles ces incontestables défaites pourraient être imputées soit à la stratégie mise en œuvre soit au constat de la supériorité matérielle et intellectuelle de l’armée allemande ou soit aux deux. Ainsi avant que le public n’apprenne l’étendue et la généralisation du désastre, cet article rédigé le 23 et signé par le sénateur Gervais sur l’idée du ministre de la Guerre, idée assumée par lui, livrait en pâture à l’opinion l’honneur des soldats de « l’aimable Provence ».
Des paniques avérées
Etait-ce totalement injustifié ? Non. Comme le note justement Maurice Mistre : « Une troupe qui bat en retraite est toujours plus ou moins démoralisée. Les retraites en bon ordre ne se voient que dans les récits d’officiers racontant leur vécu après-guerre ». Au 15° Corps, des fuites-paniques ont eu lieu, une des plus connues a concerné le 173° RI
Un cas emblématique : celui du 173° RI
A certaines paniques correspondent des explications comme dans le cas, du 173° RI. Ce régiment recruté en Corse, à la hâte, n’a pu partir à temps pour le Nord-Est avec sa division d’affectation, la 30°. A dire vrai, il n’était pas initialement prévu car cette 30° Division disposait déjà de ses deux brigades complètes, avec leurs deux RI. En effet, compte tenu du fait que l’Italie faisait partie de la Triple Alliance, il avait été convenu qu’en cas de guerre, la défense de l’île se suffirait par la levée d’un régiment à partir des autochtones résidant sur l’île. L’Italie ne semblant pas s’aligner sur l’Allemagne, le commandement militaire sur place avait hâtivement fait monter en puissance ce régiment et l’avait offert au 15° Corps en surplus. Comme le relève honnêtement l’historique du 58° RI : « il faut tenir compte de la mobilisation de ce régiment dans lequel furent incorporés pêle-mêle des hommes de tout âge et dont beaucoup n’avaient jamais fait de service militaire. Lancés dans la fournaise, en descendant du train, ils ignoraient tout de la guerre ». En effet, ce régiment est arrivé en pleine bataille le 18 août, a rejoint à pied le lieu des combats durant la journée avant qu’un de ses bataillons relève par nuit noire dans la forêt de Bride un autre du 58° RI bousculé par l’ennemi et pressé de se retirer avec ses morts et ses blessés. Cette mission, déjà difficile de jour sur un front stabilisé, même pour une troupe excellente, tient de la gageure de nuit, en forêt, sans positions organisées.
Dernière des difficultés, ce bataillon devait se maintenir en contact à sa gauche avec une unité du 20° Corps d’armée, unité totalement inconnue des officiers du 173° et qui le restera car le 58° lui-même avant relève n’avait pu trouver ce contact. Comment s’étonner alors que, à partir du 20 août matin, la contre-offensive allemande frappe là un maillon faible du dispositif ? Erreurs, fusillades réciproques entre amis, débandades en furent le résultat. Cette débandade est donc une réalité constatée sur le terrain par les troupes et la population. Le régiment en question, à l’issue de son baptême du feu dans une telle situation, affaibli par l’étendue de ses pertes, ne pouvait en sortir que momentanément brisé moralement. Le 20° Corps en a été en particulier un des témoins, car il lui a été demandé d’envoyer une unité pour reprendre le terrain perdu par cette unité, tâche qu’on accomplit toujours avec répugnance L’irritation de l’unité envoyée(37° RI) fut d’autant plus grande qu’en réalité, le 20° Corps, considéré comme le corps d’élite de l’armée française était alors lui-même en grande difficulté. Une de ses divisions, la 39°, avait été surprise le matin du 20 et en quelques heures avait laissé sur le terrain 23 de ses 36 canons. Le 20° Corps ne pouvait vraiment plus compter que sur sa deuxième division, la 11ème, dite Division de Fer, pour se rétablir dans sa zone d’action. La situation était d’autant plus compliquée que si la 39° Division avait été surprise, c’est que sur ordre de son chef, le général Foch, elle n’avait pas pris de posture défensive la nuit précédente de manière à pouvoir se projeter en avant dès l’aube sans perte de temps. De ce fait elle avait reçu l’attaque allemande dans les pires dispositions tactiques. Le hic était que la veille le général Castelnau avait demandé au 20° Corps d’arrêter sa progression et de s’installer sur le terrain en mesure le lendemain de prêter main forte aux deux autres corps d’armée confrontés à des difficultés de progression. Or Foch n’avait pas tenu compte de cet ordre et avait maintenu son ordre d’offensive sans se soucier des voisins. Il y aurait eu une grande émotion si cette situation – désobéissance de Foch, conséquence pour sa 39° Division – avait été diffusée par voie de presse. Comme le fait remarquer le Lt Picheral du 19° RAC dans son récit De Lagarde à Dieuze, paru en 1922, le 20° CA avait en temps de paix un recrutement qui, pour une large part était un recrutement parisien. Son commandement et ses états-majors, composés d’officiers brillants, avaient des relations étroites avec le ministère de la Guerre et avec toutes les personnalités parisiennes.
La diffamation: un procédé qui s’enracine et s’appuie sur des stéréotypes
Toutes les conditions étaient réunies pour tenter de faire une diversion en fournissant comme explication à la retraite la faillite d’un corps d’armée, cet aveu exonérant les autres de leur manque de réussite. L’auteur rappelle en citant Noël Kapferer (Rumeurs, le plus vieux media du monde, Seuil, 1995) que la rumeur, « production sociale ou à dessein porte sur le comportement des autres, plus pour le fustiger que le décrire [...] Elle est le paravent facile à un déficit d’explications approfondies d’où son succès en période de crise ». L’opinion y était préparée. L’auteur a déniché de nombreuses publications qui présentaient depuis longtemps les populations du Midi sous un jour peu favorable. En voici quelques unes :
Georges Charles Huysmans dans le Carnet Vert publié en 1887 : « Midi égale race de mendiants et de lâches, de fanfarons et d’imbéciles ». Gaston Méry dans son ouvrage Jean Révolte de 1892 : « Le Méridional se faufile partout où il y a une parcelle de pouvoir ; le pouvoir c’est ce qui l’hypnotise comme l’or hypnotise le Sémite». Le futur président de la République, Poincaré, dans le journal L’Opinion du 25 Mars 1911 : « Je crains que les gens du Midi n’aient pas des intérêts extérieurs de la France le même souci que ceux du Nord ».
A ces traits de caractère diffamatoires largement répandus, on peut et doit ajouter une raison supplémentaire d’exécration, notamment dans les régions conservatrices, cas de la Lorraine à cette époque, explicitée finement par l’auteur : « les historiens ont dit que cette guerre avait marqué une trêve entre la France de Voltaire et celle de Jeanne d’Arc. Apparemment et collectivement peut-être, mais foncièrement et individuellement, non !…. Il est bon de rappeler aussi que les grands thèmes idéologiques de l’époque : patriotisme, pacifisme, nationalisme, internationalisme étaient facteurs de division. Les conflits sous-jacents existaient toujours et s’exprimaient à la moindre occasion. » (p. 93).
Or le Midi inquiète depuis longtemps par sa turbulence politique et cette dernière donne lieu à des interprétations tranchées comme celle présentée par le Cdt Bouyssou dans son rapport à l’issue des émeutes viticoles de 1907 : « le Biterrois est intelligent, paresseux, jouisseur, extrêmement vaniteux, souple et faux. Par nature, il fait de la politique, il lit les journaux et aime à pérorer sur le forum […] Au point de vue moral, le Midi est totalement perverti […] Dans ce pays le respect de l’autorité est aboli, le mépris de toute hiérarchie est érigée en principe ».
Un « Midi » fortement ancré à gauche
L’auteur consacre un chapitre, fortement documenté, à la coloration politique de la Provence. Citons seulement le fait que le Var et le Gard ont envoyé en 1914 cinq députés socialistes sur six à la Chambre. En 1913 si la loi des trois ans de service militaire est votée, elle n’a recueilli l’assentiment que de deux députés du Var sur sept. Donc avant 14 l’image du Provençal est bien assise dans l’opinion: il est “emphatique, futile, anticlérical, rouge”.
Dans sa forme comme dans son contenu, un message pour être cru doit correspondre à un point de vue déjà instillé par imprégnation dans l’opinion sous forme de stéréotype. L’auteur en constate le résultat en citant les réactions tant de la presse que des milieux politiques. Pour le provençal et monarchiste Maurras, les « quelques défaillances individuelles » ont pour origine naturellement « la démocratie diviseuse et cosmopolite ». Clemenceau, sénateur du Var, a lui relayé la stigmatisation dans son article de L’Homme libre du 25 août : « Ce jour-là, ils (les Méridionaux) ont déplorablement failli et, parait-il, avec trop d’ensemble. Qu’on les encadre et qu’on les mène au plus fort du feu pour leur donner sans retard la chance de réparation à laquelle leur passé leur donne droit ! [..] On m’informe de bonne source que des officiers, des soldats ont été fusillés sur le front des troupes. Si cela est vrai, c’est qu’un chef énergique s’est enfin trouvé là pour faire rentrer par une immédiate répression, trop justifiée, chacun dans le devoir ».
Des articles paraissent pour minimiser l’impact de celui du sénateur Gervais, pour tenter de faire oublier cette accusation. De même un groupe interparlementaire de députés et sénateurs de la 15° Région va entrer en lutte pour s’insurger contre l’image ainsi donnée, mais le siège de l’opinion est désormais fait et perdurera, nationalement et internationalement comme en témoigne cette réflexion tirée d’une lettre d’octobre 1917, après Caporetto, d’une italienne à un officier français retranscrite par le contrôle postal :« vous avez des raisons de ne point nous insulter : rappelez-vous ce qui s’est passé chez vous au commencement de cette guerre, lorsque des milliers de vos soldats, presque tous du Midi, se sont divisés en deux groupes, les uns devenant déserteurs, les autres se rendant à l’ennemi ». Il faut noter ici la qualité et le nombre de citations, riches et variées, utilisées par l’auteur pour fournir un tableau composite des réactions des uns et des autres, citations croisées, nationales, gouvernementales, locales, civiles et militaires.
La dernière partie du livre est consacrée à la description des efforts faits localement pour réhabiliter la mémoire des soldats du 15° Corps, efforts couronnés de succès en Provence mais non dans la nation. Certes sous la pression parlementaire Messimy déclarera-t-il au Sénat le 29 Novembre 1923 : « J’ai connu cet article avant qu’il ne fut imprimé, j’en ai autorisé la publication ; je suis responsable de ses conséquences, pour une part tout au moins » mais au fond comme le remarque François-Xavier Emmanuelli dans Histoire de la Provence (Hachette, 1980) : « il y a eu pour beaucoup de survivants de la bataille de Dieuze, un deuil qui n’a pu se faire et une parole qui n’a pu être entendue ».
Ce traitement proche de ce qu’on appelle communément de nos jours un « lynchage médiatique » est à l’origine de la constitution d’une mémoire douloureuse, enfouie dans les mémoires familiales mais qui a survécu jusqu’à aujourd’hui hors des modes de diffusion de l’histoire officielle nationale. Cet apparent oubli officiel, cette absence de souci de revenir sur une distorsion de la réalité aboutit de temps en temps à l’émergence d’individualités ou d’équipes comme dans le cas de Maurice Mistre qui, prenant au mot le devoir de mémoire, se lancent dans une contre-enquête historique pour fissurer l’image constituée conjoncturellement, dans un contexte particulier, et depuis jamais retouchée.
Raviver un passé resté mémorialement douloureux ne peut se faire que sous le mode contestataire car s’il y a présomption d’injustice il doit y avoir des coupables et leur dénonciation ne peut être sereine. L’auteur comme on dit est ici du genre « engagé ». Il laisse apparaître ses préférences partisanes et en particulier en profite pour régler ses comptes avec le général Castelnau dont on sent bien qu’il le fustige certes comme commandant de la II°Armée mais surtout comme Président d’un mouvement de droite après-guerre (la Fédération Nationale Catholique) qu’il apprécie peu. La description de son action est puisée dans les portraits à charge faits par ceux qui n’aimaient pas ce général, alors que certaines des affirmations reprises ici se sont depuis révélées fausses. Sur le plan ponctuel, on peut relever, mais bien peu, quelques approximations. Ainsi le décret du 2 octobre 1870 instaurant les cours martiales n’avait plus d’existence légale en 1914 contrairement à ce qui est affirmé. De même le commandant Wolff n’a pas été condamné à mort le 25 août mais le 1er septembre.
Ceci étant dit, j’ai été frappé par la rigueur historienne qui transparaît dans la richesse des sources réunies, la qualité de leur agencement, de leur critique, preuves que ceux que certains désignent dédaigneusement comme des « amateurs éclairés » sont à même de faire avancer la recherche sur 14-18. Si, comme le dit Antoine Prost « la grande guerre n’appartient à personne, pas même aux historiens » cette dernière a en fait besoin de ces amateurs engagés qui, comme ici, quand ils respectent scrupuleusement les règles de la recherche historique, ouvrent de nouveaux horizons à la compréhension de ce stupéfiant conflit. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain et considérer que les quelques saillies partisanes et coups de sang qui parsèment l’ouvrage ne sont que peu de choses par rapport à l’apport historique qu’offre cette enquête rigoureuse qui interpelle sur la facilité de façonnage de la vérité par les medias en temps de guerre.
En bref je recommande fortement la lecture de cette déconstruction d’une légende en mentionnant que de tels travaux, rigoureux, rencontrent peu d’échos chez les éditeurs installés et que cet ouvrage n’a pu voir le jour que « grâce aux souscripteurs qui par avance en ont soutenu l’édition » comme cela est indiqué en début de livre.
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