LA GRANDE MESSE DE DIEN BIEN PHU ORCHESTREE PAR LES ORGUES DE STALINE
(Où CHAUVES-SOURIS CONTRE LUCIOLES)Par : Le Sergent-Chef Antonio Palomeque Avril 1954 Ceux-ci furent les instants de ma vie qui auraient pu être les derniers si je n'avais pas eu la "BARAKA".
En effet, comment expliquer autrement que je sois en vie après les durs moments passés à la fin de mon deuxième séjour en Extrême-Orient.
Cette période de ma vie gravée dans mon souvenir et dans mon cœur quand je pense à tous ceux qui sont restés là-bas, ils étaient plus que des frères d'armes pour moi, ils étaient mes frères de sang amis, tout ce qui me restait en ce moment de ma vie, car la LEGION est une grande Famille et moi, j'étais légionnaire avant tout.
Je venais d'être ré-affecté à la 13ème DBLE en ce mois d'Avril 1954. J'avais déjà traîné ma bosse sur pas mal de champs de combats du Sud-Vietnam depuis Décembre 1946. De la pointe de Càmau jusqu'à Dàlat et de Saïgon jusqu'à Siêm-Reaps. D'abord avec la treizième DBLE (Lieutenant Colonel SARIGNE, Colonel ARNAULT) pendant mon premier séjour de 46 à 51, ensuite au 4è/13. DBLE avec le Commandant D'AGIER de RUFOSSE.
En ce mois d'Avril 1954, les effectifs du Corps expéditionnaire diminuent à vue d'œil surtout à DIEN-BIEN-PHU où le camp retranché établi sur ordre du HAUT Commandement (ordre encore très discuté) devait couper le cordon ombilical des troupes Viêt-Minh et surtout le matériel qui par Lai-Chiâu traverserait la frontière chinoise et descendrait vers ce Delta de la Rivière Noire et le Mékong par Nasam et Somla.
La pacification au Sud était presque terminée. Quelques opérations et la protection du convoi, avec la formation de la nouvelle armée, la nouvelle armée du Sud-Vietnam occupaient la vie des unités.
La situation s'aggravant à DIEN-BIEN-PHU, beaucoup de légionnaires furent affectés là-bas afin de renforcer les effectifs et je fus désigné pour les encadrer.
Arrivés par la voie des airs à Haphông, nous partions le lendemain par la route vers Ha-Dong près de Hanoï, c'est là que se trouvait la Base Arrière de la 13ème DBLE, qui faisait partie du G.M.9. (Groupement Mobil n°9), le gros se trouvant à DIEN-BIEN-PHU.
Nous devions renforcer les effectifs des Bases Arrières complètement dégarnis et ainsi vulnérables à toute attaque des Viet-Minhs qui ne se gênaient pas pour le faire ; surtout quand nous allions ravitailler nos postes avancés par Vietri au bord de la Rivière Claire.
J'ai été affecté comme Sergent-Chef au Service Général de la Base Arrière de la 13ème DBLE à HADONG, je m'occupe des corvées des travaux et des Services de garde de la base. C'était un travail fastidieux et routinier qui ne me plaisait guère. Je m'ennuyais à en mourir.
La situation à DIEN-BIEN-PHU n'allait pas en s'améliorant et nous discutions entre sous-officiers à la "Popote" des quelques brèves informations qui nous parvenaient de là-bas. Les liaisons radios devenaient difficiles et nous commencions à nous faire du "mouron" pour nos camarades qui mourraient loin de nous et la rage nous tourmentait car l'on ne pouvait plus envoyer des renforts par la route.
Mais voilà que, Oh Seigneur, on décide d'envoyer des renforts par les airs et voici qu'on demande des volontaires. Les places étaient chères, en effet quelle aubaine... à l'époque, n'était pas parachutiste qui voulait, le 2ème Régiment Etranger de Parachutistes ne s'appelait encore que 2ème BEP (soit quelques compagnies seulement) et les gars étaient triés sur le volet).
Or, du coup, on pouvait sauter en parachute comme eux, et de plus, peut-être sauver nos camarades dans la cuvette de l'horrible mort qui les attendait chez les Viets. Naïf,-, que nous étions !! les "volontaires de DIÊN-BIÊN-PHÛ" !! ...
Nous n'étions que l'instrument d'une tactique erronée, fabriquée dans les Etats Majors du moment. Ils promettaient des B-27, ces fameux bombardiers américaines pour régler le conflit. Ils ne sont jamais arrivés (ou bien les Américains l'ont-ils fait exprès ? !!... ).
Enfin ! Sur le moment, ces considérations n'entraient pas en ligne de compte, et puis... un légionnaire est fait pour mourir... non ?
Donc, nous voilà, tout s'est passé en un clin d'œil ; visite médicale, période réduite d'entraînement où l'on apprenait le roulé-boulé en sautant d'un vieux JUNKER sur socle en béton, le montage du "barda" et surtout à taper sur le ventral (Système d'ouverture du parachute de secours), pourquoi ?... Dame, c'est qu'ils savaient où nous allions ! Ensuite ils nous ont dirigés vers Gialâm, l'aérodrome militaire où se trouvaient, pas loin, les camps du 1er et 2ème BEP.
J'avais eu une rencontre agréable et surprenante en arrivant à ma nouvelle affectation, la 3ème Compagnie du 2ème BEP, mon commandant le Capitaine VIAL vu pour la première fois en 1951, à Sidi-Bel-Abbes juste au départ de mon deuxième séjour, il était jeune sous-lieutenant à l'époque, frais émoulu de Saint-Cyr, et était mon chef de section pendant toute la traversée d'Oran à Saigon, pendant laquelle - pour passer le temps - on lui racontait des trucs Viet-Minh.
Enfin, le jour du départ est arrivé, pour "eux" nous étions "mûrs". Le 16 avril au soir, nous recevions nos "bardas" (parachutes). J'avais pris le commandement du premier "stick" (soit douze légionnaires).
Auparavant, il avait fallu chercher les légionnaires qui traînent dans les bistrots et qui avaient fait le mur car le quartier avait été consigné jusqu'au départ. Dans mon "stick", ils manquaient PINTO un espagnol et son ami RUIZ aussi qui faisait le dernier tour des "ConGhaï" dans les quelques gargotes du village voisin de l'aérodrome de Gia-Lam où les Dakota nous attendaient dans le noir. L'air était frais, il n'y avait pas de Lune (du moins je n'y prêtais pas une attention particulière occupé que j'étais à rassembler tout mon "stick"). Finalement, la patrouille me ramène mes deux gars qu'aussitôt nous récupérons avant que la nouvelle n'arrive au Commandant de Compagnie. Ceci pour leur éviter la taule et le grand plaisir de participer à notre croisade. Tant bien que mal, nous réussissons à leur faire enfiler le barda et à grimper ensemble dans le Dakota. J'espérais que l'air frais de la nuit les dessaoulerait.
A 1 heure du matin, les moniteurs nous reçoivent dans leurs appareils froids comme des boîtes de conserves réfrigérées. J'installe mon "stick" à gauche et à droite, à l'intérieur de l'appareil, assis les bras croisés sur le ventral.
Un silence s'installe dans l'appareil, nos regards se croisaient. Ils me posaient des questions et je répondais avec un sourire de circonstance. Je surveillais mes deux lascars, assoupis et cuvant leur "cuite" sur leur ventral. Pinto avait attaché son képi à la jambe en se disant qu'il allait lui porter chance. Le moniteur se tenait tranquille à côté d la porte par laquelle nous devions sortir et surveiller le signal clignotant au fond de l'avion derrière la cabine de pilotage.
Deux heures ont passé, deux heures interminables de vol. Enfin, la lumière s'est allumée. Rouge pour l'instant. Tout le monde s'est levé à mon commandement et a accroché les sangles du parachute. On a regardé cette lumière qui devait se mettre au vert au-dessus de la "Disette" et nous permettre de sauter.
Mais il était dit que les Viets ne l'entendaient pas de cette manière et par deux fois je me suis mis devant la porte pour sauter le premier, étant chef de "stick" et j'avoue que le spectacle n'était pas attrayant du tout.
Le moniteur barrait la porte de son bras et sa jambe. Dehors dans le noir, le plus profond, quelques lumières étincelaient. Etait-ce celles de DIÊN-BIÊN-PHU ? Le moniteur et moi regardions ensemble la lumière clignotante le bruit des moteurs et des rafales de vent fouettant les parois extérieures de l'avion faisaient vibrer l'avion de plus belle. En bas, les bidons d'essence allumés nous signalaient l'emplacement de la disette, sur laquelle nous devions sauter au "go" du moniteur.
Mais voilà que des rafales de la DCA viet crépitent an bas, au claquement des balles des mitrailleuses, se mêlent le miaulement des éclats d'obus, à chaque fois que le Dakota s'approchait de la disette, les tirs redoublaient de façon telle que chaque fois l'avion devait prendre de l'altitude, pour éviter les projectiles.
Vu de la porte du Dakota, le spectacle était effrayant, les légionnaires voulaient regarder mais l'air qui pénétrait par la porte était dangereux car il pouvait les aspirer d'un moment à l'autre. C'était un supplice et nous voulions nous libérer. A la troisième fois et à une altitude qui n'avait rien à voir avec la théorie, la lumière s'est allumée au vert et la sonnerie a retenti, le moniteur a retiré ses bras et ses jambes et à crié "GO! ".
Le vent a sifflé et m'a emporté dans sa course et je me suis trouvé suspendu en l'air dans le noir. Mon premier réflexe était de m'assurer que mon arme était bien serrée contre ma cuisse. Il faisait presque froid, mais j'étais insensible, et je regardais à gauche et à droite, en haut et en bas, mais je ne voyais aucun de mes légionnaires, par contre, les balles traçantes antiaériennes des Viets, elles, je les voyais bien se rapprocher de mon parachute. Un instant, il m'est venu à l'idée de faire une prière mais je n'ai pas eu le temps. Avant de réciter les premiers mots, je touchais terre ou plutôt les barbelés. Mes jambes et mes bras étaient en sang mais je n'osais pas appeler le mot de passe. Je ne savais pas où j'étais venu atterrir. J'entendais quelques plaintes autour de moi et avec mon couteau je me suis libéré du parachute pour aller au secours des quelques légionnaires plus mal tombés que moi et qui ont fini par crier "A moi La Légion !". Je m'attendais à ce que les Viets répondent dans le noir d'une rafale, mais non, une voix se fait entendre : "Par ici, par ici". C'était les sentinelles de la 3ème Compagnie du 3/13ème DBLE installées sur "Eliane". Enfin, nous étions parmi les notre. Nous passions le reste de la nuit à récupérer nos légionnaires malgré le feu nourri des orgues de Staline Viets.
Le lendemain, j'étais convoqué au P.C. du Colonel Langlais, commandant les troupes Aéroportées du GM 9 pour rendre compte de ma mission, et là, devant les officiers, j'ai reçu des mains du susdit l'insigne du Brevet de Parachutiste avec ces mots que je n'oublierai jamais : "Sergent Chef PALOMEQUE, cette insigne porte le numéro du brevet d'un camarade tombé au champ d'honneur. Si vous réussissez à sortir de cet enfer, vous aurez la chance de connaître le numéro de votre brevet de parachutiste !"
Et là entouré des officiers que je voyais pour la première fois, on a trinqué le pastis. Oui Incroyable... Il faisait une chaleur qui collait les vêtements à la peau. C'était l'apéritif à DIÊN-BIÊN-PHU, animé par les batteries Viets sur les pitons. Je sortais de ce blockhaus complètement étourdi mais fier. En ce moment, j'aurais tué tous les Viets qui auraient eu le culot de nous attaquer. Seulement voilà ! Ils étaient insaisissables et en plus invisibles, pour le moment, de moi seulement tout frais débarqué.
Au lieu de Viets, je ne voyais que des légionnaires blessés ou d'autres terrés comme des lapins, dans la poussière des tranchés détruites et des blockhaus en ruines. C'était un paysage lunaire, désolant. Et cette chaleur moite et lourde ! J'essaie de reconnaître quelques visages connus mais en vain... Tous ces légionnaires faisaient partie du GM 9 du (Groupement Mobile) qui opérait au Tonkin depuis peu et moi, toutes mes campagnes, je les avais faites au Sud dans le Delta du Mékong. Malgré cela, je me permettrais de leur adresser quelques blagues et de m'intéresser à leurs activités qui se bornaient à des patrouilles de reconnaissance le jour, à la surveillance et à la protection des P.C. des Etats-Majors la nuit. Je me rappelle que la dernière patrouille qui avait essayé d'aller jusqu'au village était tombée dans une embuscade et s'était repliée sous les tirs des Viets vers nos lignes. Résultat : quelques blessés et quelques morts. C'était comme cela tous les jours. Mais il le fallait, histoire de montrer aux Viets qu'on était encore là et de les empêcher de s'approcher trop près.
Le lendemain le 18 Avril 1954, après m'être rendu compte que je me trouvais dans Eliane l'un des plus important point d'appui à l'Est de la Cuvette, près de Dominique et Béatrice au nord, avec à l'Ouest le terrain d'aviation rendu inutilisable, je rejoignais ma Compagnie.
Je fus affecté à la 3ème Compagnie du 3/13ème D.B.L.E. du capitaine Chevalier, et reçu le commandement d'une section. Ce jour là, nous fûmes convoqués le soir même au rapport par le Capitaine.
DIÊN-BIÊN-PHU le jour je n'ai pas eu le temps d'apprécier. Le ciel était bas et l'odeur de la poudre étouffait le printemps tonkinois. Les légionnaires se reposaient de la surveillance de nuit, terrés comme des taupes qui dans le blockhaus qui dans son trou individuel, d'ailleurs la hiérarchie se distinguais par l'importance du trou. Plus le trou ou le blockhaus était grand, plus le grade était élevé.
D'ailleurs, cela ne leur mettait pas à l'abri des tirs Viets-Minhs. C'est ainsi que le Lieutenant-Colonel Faucher s'est fait descendre dans son blockhaus devant sa carte d'Etat-Major par un obus explosif entré par le créneau sans demander la permission juste avant le 7 avril 1954 avant mon arrivée.
Je brûlais d'envie de me retrouver devant les Viets, vraiment ! Sans aucun esprit d'héroïsme, je l'avoue. Mais je n'avais connu dans le Sud que des guérilleros et j'avais tellement entendu parler des Brigades Internationales du Régiment 308 Viets que, parmi les ruines des tranchées et des blockhaus, l'esprit de vengeance m'étouffait.
J'ai du attendre le soir pour connaître ma première mission, m'employant à faire connaissance avec mes hommes éparpillés sur Eliane avec le Sergent Kuftman, un allemand et adjoint de section..
Il n'y avait pas de soleil et dans le crépuscule, il faisait lourd et les mouches cherchaient un coin pour passer la nuit fatigués qu'elles étaient de "butiner" toute la journée sur les plaies des blessés et des cadavres. Enfin, sur le camp retranché dans le soir d'une accalmie qui cependant n'annonçait rien de très bon, nous profitons pour nettoyer nos armes et nous poser des devinettes dans le genre : "Où vont-ils nous envoyer ? A Gabrielle ou à Dominique ?"... Car nous avions entendu dire que Dominique avait été prise par les Viets, reprise par les tirailleurs marocains, reprise une fois encore par les Viets, reprise par les tirailleurs marocains, reprise une fois encore par les Viets qui tenaient à rester là-haut mais alors ils ne tenaient pas en compte la hargne des Légionnaires de la 13ènie DBLE, qui la reprise à plusieurs fois.
Enfin la décision de notre avenir allait être prise par l'Etat-Major qui choisissait sans demander notre avis d'envoyer notre Compagnie faire la relève de Huguette III. Ce point d'appui se trouvait à l'Ouest du terrain d'aviation
Donc l'heure du rapport arriva et nous entrâmes dans les blockhaus du Capitaine qui, devant les Plans Directeurs nous explique l'opération. Il s'agissait de creuser une tranchée pendant la nuit en partant du bas de la colline d'Eliane traversant le terrain d'aviation et ayant comme point de repère un avion détruit sur la piste d'envol jusqu'à Huguette. Une fois terminée la tranchée devait faire le va et vient de relevés au nez et à la barbe des Viets. Seulement les Viets n'ont pas de nez et encore moins de barbe ! Le plan fut donc balayé par leurs tirs de mortier et fusil lance-grenade.
D'abord le mouvement de l'opération fut amorcé à la tombé de la nuit. Ma section reçu l'ordre de commencer en tête de la Compagnie la marche d'approche du terrain d'aviation en descendant la colline. Je fis transmettre à mes Légionnaires les consignes de ne pas oublier leur pelle individuelle, d'enlever tout objet brillant et de faire le moins de bruit possible en marchant sur les cadavres et les ruines des blockhaus et trous d'obus.
La nuit était noire, on distinguait les silhouettes noires des montagnes environnantes d'où parfois quelques balles traçaient des signes dans l'air ainsi que des obus de mortier 85 ou 120. Leur harcèlement ne s'arrêtaient jamais, ni de nuit ni de jour.
Nous marchions en colonne par un. Je marchais derrière mes deux éclaireurs, les sentinelles en poste avaient déjà reçu leurs consignes de nous laisser passer. Je gardais la liaison radio avec mon Capitaine qui marchait derrière ma section. L'arrivé au bord de la piste d'envol ne fut pas difficile. Je signalais à mon Capitaine : "Premier Objectif atteint". Il me répondait : "Placez des sentinelles et revenez aux ordres. Je m'exécute et faisant marche arrière ; je revenais vers mon Commandant de Compagnie que déjà entouraient les autres chefs de section ? Dans une tranchée dans le noir et sur la lumière d'une torche électrique camouflée le Capitaine nous explique l'opération une dernière fois. Deux sections devaient protéger la troisième pendant que celle-ci creusait la tranchée.
Encore une fois ils désignaient ma Section puisqu'elle était en tête de commencer à creuser. Seulement une tranchée est étroite et pour creuser avec deux Légionnaires suffit et deux autres pour extraire la terre, le reste de la section attendait les armes à la main, avec l'ordre de ne pas tirer sans commandement. Il s'agissait de ne pas se faire repérer par les patrouilles Viet qui descendent de Collines environnantes s'infiltraient de nuit entre les P.A Dominique et Huguette.
Bon sang ! Cela n'a pas loupé. On avait pas creusé encore 2 ou 3 mètres que Boum Boum ! Les voilà leurs mortiers en branle. Les éclairs d'obus étincelaient dans la nuit autour de nous, leurs tirs étaient imprécis mais réguliers. J'étais en place derrière mes excavateurs et j'osais sortir la tête pour voir d'où venaient ces tirs, il nie semblait que c'était plutôt de lance-grenades à fusil.
Je regarde dans le noir et je m'aperçois qu'on n'est pas loin de l'avion détruit au milieu de la piste ? J'appelle mon Capitaine à la radio pour lui dire que s'il ne le savait pas ces tirs étaient adressés sur nous et qu'ils nous rendait la mission très difficile et que cela allait nous coûter quelques hommes. Il me répondait de continuer coût que coûte.
Allez faire comprendre à des légionnaires, eux étaient habitués à se battre pas à creuser des galeries en laissant les Viets les arroser des obus. Enfin, ils ont compris quand-même et petit à petit on s'approchait de l'avion détruit donc sa masse noire imposante dans la nuit représentait pour nous le paradis car là on devait être relevé. Mais cela devenait de plus en plus difficile on avait déjà évacué quatre blessés sur les 27 légionnaires que j'avais dans la section sans compter ceux de l'arrière de la Compagnie. Quelle situation !!! On ne pouvait rien faire les Viets étaient invisibles, mais ses obus on les recevait bien en pleine gueule. Au milieu de ce tintamarre, il fallait s'arrêter pour prendre le souffle je faisais la relève des hommes à la pelle toutes les 15 minutes la terre nous arrivait j usqu'à la gorge les vêtements se collaient à la peau et ce sacré casque nous emmerdait plus qu'une autre chose où était mon vieux képi... !
Enfin, du P.C. Eliane sur demande de mon Capitaine les sections lourdes mirent en route leurs mortiers de 120 pour un tir de protection le capitaine me fit relever et revenir à l'arrière faire reposer les hommes que de 20 h à 1 h du matin n'ont pas arrêté de creuser jusqu'à l'avion.
La deuxième section m'avait relevé puis la 3ème avait relevé la deuxième, mais la nuit fut courte, très courte (sûrement la plus petite nuit de mon existence) et on fût surpris par le petit jour.
Le Capitaine nous réunit pour nous dire qu'il avait changé les plans et que la relève on allait la faire en plein jour en progressant par bonds successifs jusqu'à Huguette 111 sur les tirs ennemis et qu'il fallait faire vite. Belle gymnastique en perspective.
Je fis transmettre ces ordres à mes légionnaires que Oh ! surprise qu'ils m'embrassent de joie ; enfin, on allait bouger un peu mais il y en avait quelques une que cela ne réjouissait pas trop mais ils n'avaient pas le choix, maintenant il fallait continuer et libérer ceux qui étaient à Huguette dans une situation désespérée d'après mon Capitaine et ils n'avaient pas d'eau ni de vivres et les blessés et morts étaient plus nombreux que les vivants.
Je me croyais à Camerone - Fait d'armes de la Légion au Mexique en 1835 faisant partie de la légende de la Légion Etrangère. Son nom "CAMERONE" -, ma parole ! Je fis part à mes hommes de l'importance de l'opération et qu'il fallait réussir ou mourir. Je pensais à ma petite Cochinchinoise, et à ma petite fille, mon fils, mon amour de guerre resté là-bas à Saïgon et qui étaient tout pour moi. Les reverrais-je ou pas ? Aïnch - Allah !
Avant le lever du soleil et profitant de la brume matinale sur la cuvette assez épaisse le Capitaine donne l'ordre du départ d'une section en tête, la mienne en 2ème position et une autre serrant le terrain d'aviation. Les tirs Viets avaient diminués d'intensité de la nuit et j'avais l'impression qu'ils buvaient le café, il fallait en profiter, on avançait en colonne par un nous exposant le moins possible et profitant des trous d'obus pour nous protéger comme cela pendant une demi-heure et d'un seul coup les Viets ayant compris le but de l'opération ont déclenché un tir de destruction tout autour d'Huguette, les orgues des Staline ont commencé à réciter leur messe matinale, et à balayer toute cette partie du terrain d'aviation que nous devions traverser pour arriver au point d'appui. De bond en bond, nous arrivâmes près de barbelé de Huguette. Nous nous suivions derrière la section de tête presque au pas de gymnastique sous les obus qui décimaient nos légionnaires.
J'ai vu des légionnaires comme des diables sauter les barbelés. Les Viets avec leurs mitrailleuses bien installés sur la lisière des montagnes nous tiraient comme des lapins. Je distinguais le Lieutenant qui commandait Huguette et qu'au milieu de son P.A. essayait de nous guider dans le labyrinthe des tranchées.
J'avais reçu comme consigne avant le départ d'Eliane que je devais occuper les secteurs se situant à l'Ouest de Huguette face à la montagne, en dirigeant mes hommes vers cette endroit je faisais vite le tableau de la situation. Il ne me restait plus que 15 légionnaires en état de défendre le Point d'Appui et mon secteur mesurait bien 100 mètres de tranchée avec trois blockhaus défendus chacun par une mitrailleuse calibre 12.7. Tout au long de la tranchée des postes individuels où je plaçais les quelques hommes qui me restaient avec quelques fusils lance-grenade que je plaçais près de moi dans mon petit blockhaus au centre de mon dispositif.
Au centre de ce dispositif, j'établis ma première liaison radio avec mon capitaine qui grâce à Dieu, avait réussi à rentrer à Huguette et s'installait au P.C. du Commandant d la Compagnie précédente. Il donna l'ordre que pour le moment il fallait surveiller les objectifs ennemis afin de découvrir leurs mouvements. Il fallait aussi faire une inspection des secteurs occupés par nous.
Eh bien voilà un moment de répit ! le paysage n'était pas attrayant du tout d'un bout à l'autre de mon dispositif. Je ne vois que des morceaux de cadavres, ici un doigt, là une tête. Vraiment c'était macabre. Il parait que du côté du capitaine, il y avait un puit et que l'eau était rouge et boueuse ? Nos bidons étaient presque pleins mais la chaleur commençait à monter et l'air était presque irrespirable. En plus les grosses mouches devenaient vraiment de la compagnie indésirable. Elles se posaient sur tout, je m'arrêtais d'aller d'un bout à l'autre de la tranchée avec mon sergent adjoint pour vérifier l'attention de nos légionnaires. J venais de voir en face de mon blockhaus un légionnaire avec la moitié de la face arrachée par un éclat d'obus et il était resté là, avec le fusil entre les mains. J'ai vu la colonie des asticots progresser sur son visage au jour le jour ! Sans pouvoir faire quelque chose pour lui.
D'un poste à l'autre, j'allais me renseigner du mouvement des Viets. Seulement pour voir, il faut sortir la tête et ces Viets avaient une adresse de foire pour nous faire descendre, ainsi il fallait mille précautions pour observer leur travail de fourmis.
C'est ainsi qu'à chaque ronde, je m'efforçais de deviner leur présence dans les mouvements du terrain, car ils changeaient leurs fourmilière tous les jours, et parfois nous réussissions à les neutraliser avec quelques rafales de mitrailleuses et des grenades à fusils, mais la nuit c'était difficile. Il faisait noir comme gueule de loup et on devait profiter des fusées éclairantes envoyées par Eliane pour surveiller leurs activités et des fois on les surprenaient la tête dehors, ils ne perdaient pas de temps... Ils creusaient, creusaient...
Nous aurions voulu sortir et attaquer mais avec quoi et puis on n'avait pas d'ordre. On était pris comme des rats, par contre les Viets étaient des taupes et ce qui devait arriver arriva...
C'était la nuit du 24 avril, le 30 était "Camerone" et on y pensait quand même. La fusillade commence après un dur bombardement au mortier. Elle nie prit dans les blockhaus nord de mon dispositif, mon chef de groupe FM m'indique qu'il voit les Viets attaquer au Nord d'Huguette. Je vérifie, c'est juste on le distinguait dans le noir, très loin et je me dis que cela ne va pas tarder pour nous je lui donne l'ordre de tirer à volonté et de se replier vers le centre du dispositif afin de nous replier ensemble vers Eliane si tout va mal. Je me sentais isolé. La radio du Capitaine ne fonctionnait plus. Je suis revenu vers nies autres deux postes, la mitrailleuse et le FM, le blockhaus de la mitrailleuse s'était effondré par un obus et mes hommes tués sur le coup. Avec moi il y avait un caporal qui nie suivait et duquel je me servais d'agent de liaison. Nous sommes arrivés au blockhaus de la FM sud au même moment au milieu du crépitement des projectiles, je vois surgir sur nos têtes au dessus de nos tranchées des dizaines de Viets, on tire des rafales, on en tue quelques uns mais il y en avait trop. Avec mon Caporal Chef de groupe FM et quelques légionnaires, je forme un petit réduit et donne l'ordre de sortir des tranchées. Mais les Viets sont passés comme un ouragan. J'étais étonné de voir en sortant de la tranchée des Viets partout, dedans, dehors. C'étaient des ombres dantesques et insaisissables. Ça courrait et sautait partout comme des diables, c'était l'enfer. Ils ne faisaient même pas cas de nous. Dans ce tohu-bohu, j'ai pris la décision avec les quelques hommes qui me restaient de me replier vers Eliane, car je m'attendais à ce que l'artillerie installée au P.A. Isabelle fasse un tir de destruction et que si nous n'amorcions pas le repli, nous les survivants de Huguette 3, on allait faire partie de la chair à canon mélangée à celles des Viet-Minhs.
J'en étais là de ma réflexion, entouré de mon petit groupe des légionnaires quand d'entre les ombres des diables Viets s'est détaché deux ou trois, qu'en s'approchant de nous, on a pu se rendre compte par la façon qu'ils manipulaient leurs armes menaçantes en direction de nous, que notre mission se terminait. Et notre mouvement de repli avec.
Ne voulant pas exposer la vie de mes légionnaires, je leur ai donné l'ordre de se rendre et j'ai donné l'exemple en déposant mon arme à terre et levant les bras. C'était le 24 Avril 1954 à 4h du matin.
Car à CAMERONE, il y avait 3000 mexicains contre 60, mais a DIÊN-BIÊN-PHU, les Viets étaient 30.000 contre une poignée de légionnaires qui avaient perdu tout espoir de victoire, trahis par le gouvernement de la France et leur politique d'abandon de l'Indochine.
La suite de notre geste fût un long calvaire jusqu'au camps de Prisonniers n°42. Mal nourris, blessés et malades suivaient ceux qui ne l'étaient pas, niais qui devaient les secourir nuit et jour malgré la fatigue de la marche et l'hostilité de la population. Nous avons parcouru plus de 1.000 kilomètres à pieds et souvent pieds-nus. Dormant le jour et marchant la nuit pour nous cacher de l'aviation française, sur cette sacrée piste de Hooh min par où sont arrivées toutes les forces du Viet-Minh à DIEN-BIEN-PHU.
Le Sergent-Chef Antonio Palomeque
14 Juillet 1998