«Aux morts!» : de retour en France, les dépouilles de six soldats de Diên Biên Phu reçoivent les honneurs militaires
Par Hugues Maillot
Publié hier à 15:23
Les chasseurs alpins du 7e BCA portent les caisses dans lesquelles reposent les dépouilles des soldats français morts à Diên Biên Phu. ECPAD
REPORTAGE - Les corps de ces militaires français tombés lors de la dernière grande bataille de la guerre d’Indochine ont été rapatriés ce jeudi. Ils avaient été découverts entre 1998 et 2022. Un long travail d’identification commence désormais.
Au petit matin, le pavillon de réception de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle bruisse d’une activité inhabituelle. Deux drapeaux tricolores et deux drapeaux européens encadrent une allée menant au tarmac. Tartes sur la tête, foulards jaunes noués autour du cou, chaussettes blanches tendues sur les mollets, les militaires du 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA) répètent en grand uniforme bleu marine. Ils s’apprêtent à accueillir un chargement exceptionnel, arrivé du Vietnam à 6h45 par vol commercial. Les dépouilles de six soldats français, tombés lors de la bataille de Diên Biên Phu, vont être rendues à leur patrie, 70 ans après.
Le 7e BCA n’a pas participé à la guerre d’Indochine. Il est présent en qualité de piquet d’honneur, ces petits détachements de soldats constitués spécialement pour un service particulier. Mais «en tant que jeune militaire, ça a du sens d’être ici», glisse le général Jérôme Pellistrandi, présent pour la cérémonie. «C’est une continuité». À 9 heures, deux grandes caisses recouvertes d’un drapeau français sont escortées par les militaires. Pas de cercueil ici : le rite funéraire vietnamien implique traditionnellement la crémation. Les restes des héros français ont donc été placés dans des urnes.
Les militaires du 7e BCA entourent les boîtes où reposent les dépouilles. ECPAD
«Ils ne seront pas oubliés»
Les cercueils provisoires s’immobilisent au milieu de l’allée. «Aux morts !», tonne un chasseur alpin. Les militaires se placent au garde à vous, et le clairon retentit pour la sonnerie aux morts. «La France accueille aujourd’hui les dépouilles de six de ses combattants tombés à Diên Biên Phu», déclare solennellement Thierry Laurent, directeur de cabinet de Patricia Mirallès. La secrétaire d’État aux Anciens combattants est en déplacement au Canada, aux côtés du premier ministre Gabriel Attal. «Il est juste qu’ils retrouvent la terre qu’ils ont quittée il y a si longtemps», poursuit le représentant de la ministre. «Nous ne savons pas aujourd’hui qui ils sont, mais nous savons ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont enduré. Ils ne seront pas oubliés».
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Les autorités vietnamiennes ont donné leur accord pour le rapatriement de ces dépouilles le 25 mars dernier. Elles avaient été découvertes entre 1998 et 2022, dans le jardin de particuliers. «Les processus décisionnels prennent parfois du temps, on ne maîtrise pas tout», justifie Thierry Laurent auprès du Figaro. Les liens entre la France et le Vietnam sont pourtant bons. Du 3 au 8 mai, la secrétaire d’État Patricia Mirallès s’y rendra d’ailleurs, à l’invitation des autorités vietnamiennes, pour commémorer les 70 ans de la guerre d’Indochine, nous annonce son cabinet. À la mi-journée, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a également annoncé sa présence.
La cérémonie d’hommage. ECPAD
L’identification éventuelle des corps prendra également du temps. «Tout dépend du profil biologique, qui permettra d’établir la stature, la taille, l’âge ou encore le sexe», explique Marie Meucci, archéo-anthropologue à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG). «Si nous avons des os en bon état et complet, ou encore des dents, nous pourrons trouver de l’ADN et le comparer aux fichiers médicaux militaires de l’époque», indique-t-elle.
Un long travail d’identification
Mais pour ces dépouilles, la spécialiste s’attend à trouver «des os brûlés». Il faudra alors les «laver» et les étudier pendant plusieurs jours avant d’obtenir éventuellement des résultats et de rédiger un rapport. Il est toujours «assez rare de pouvoir donner une identité», tempère Marie Meucci, qui prendra en charge les dépouilles au laboratoire d’anthropologie bio-culturelle d’Aix-Marseille. Une plaque patronymique a été retrouvée sur l’un des corps, sans qu’il soit certain qu’elle lui appartienne. «Nous sommes en train de rechercher sa famille, mais il était visiblement assez jeune et n’avait pas d’enfants», confie le cabinet de la secrétaire d’État Patricia Mirallès. Trois des soldats appartenaient manifestement à une unité de parachutistes.
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Si les corps des soldats sont identifiés, la mairie de naissance sera chargée de retrouver la famille. Cette dernière pourra alors choisir de se voir restituer la dépouille, pour l’enterrer près de chez elle, ou de la faire inhumer dans une nécropole nationale ou un carré militaire. Les corps non-identifiés seront enterrés à Fréjus, au Mémorial des Guerres en Indochine.
Au terme de la courte cérémonie, les caisses contenant les six dépouilles sont montées à bord d’un camion. Elles seront transportées à Suippes, à l’Est de Reims, pour être déconditionnées, examinées une première fois et reconditionnées avant de partir pour Marseille. Sur chacune d’entre elles, un billet de banque vietnamien de 1000 dong a été déposé. L’effigie de Hô Chi Minh, vainqueur de la guerre d’Indochine, y est aposée. Une tradition funéraire vietnamienne pour accompagner le voyage des âmes.