LE MARECHAL S’EST ÉVADÉ !
« Voyez-vous, Rémy ! Il faut que la France ait toujours deux cordes à son arc. Il lui fallait alors la corde De Gaulle mais il lui fallait aussi la corde Pétain. »
(Propos tenus par Charles De Gaulle à Gilbert Renault(1) en 1947).
Dans deux articles récents, j’ai traité les socialistes espagnols (et les sans–culottes de 1793) de « nécrophages ». Le terme est un peu excessif car le nécrophage se nourrit de cadavres alors que ces gens-là se nourrissent d’une haine féroce, recuite et revancharde, matin, midi et soir. Certains en prennent même en infusion sur les coups de seize heures ou avant d’aller se coucher.
Mais oublions la sémantique, qui ne change en rien ma façon de voir les choses :
Nous, peuples prétendument civilisés, nous respectons le sommeil des défunts, fussent-ils des ennemis, et tant pis si ça déplait à la députée LFI Danièle Obono qui nous invite à « manger nos morts », le cannibalisme nécrophage ne fait pas partie de nos coutumes, mœurs et traditions.
Maurice Barrès prônait le respect de la terre et des morts or je me revendique barrésien.
Pourtant, il m’est arrivé d’approuver l’exhumation d’un corps, si cette exhumation est faite pour une cause légitime, juste, noble, ou si elle répond tout simplement au souhait du défunt.
Laissez-moi vous citer un exemple qui remonte à un demi-siècle, presque jour pour jour.
Mais faisons, préalablement, un bond en arrière. Le 15 août 1945, au terme d’un procès où on n’avait pas réussi à l’accuser de « haute trahison » (2), le vieux maréchal Pétain était condamné à mort (et à l’indignité nationale). De Gaulle avait bien compris que des millions de Français étaient pétainistes jusqu’en mai 1944, et que les mêmes étaient devenus gaullistes après le débarquement du 6 juin en Normandie. Il savait aussi que, durant la guerre, beaucoup d’autres avaient cru que De Gaulle était « le glaive », et Pétain « le bouclier ». Dès le 17 août, il commua la peine du maréchal en réclusion criminelle à perpétuité pour ne pas se mettre à dos une grande partie de l’opinion.
Au fort de la Pierre-Levée
Philippe Pétain sera d’abord interné au fort du Portalet dans les Pyrénées, puis transféré le 16 novembre 1945 au fort de la Citadelle, sur l’Île-d’Yeu. Le 29 juin 1951, eu égard à sa santé, il est assigné à résidence dans la maison privée de Paul Luco, à Port-Joinville. Il meurt dans cette maison le 23 juillet 1951, puis est inhumé le 25 juillet dans le petit cimetière de la commune.
Or, en 1938, le maréchal Pétain avait exprimé dans son testament le souhait d’être enterré à Verdun, parmi les poilus de la Grande Guerre dont il avait été le chef. Après sa mort, la translation de sa dépouille a été très régulièrement réclamée par « l’Association pour Défendre la Mémoire du maréchal Pétain » (ADMP) qui invoquait la nécessité d’une « réconciliation nationale ».
En mai 1954, l’ADMP lançait une pétition, soutenue par de très nombreuses associations d’anciens combattants de la Première Guerre Mondiale, qui recueillait 70 000 signatures.
Cette demande est refusée par le gouvernement français (3) qui ne voulait pas « faire oublier le maréchal de 1940 au profit du général de 1916 », et pourtant, pour les anciens combattants de 14-18, Pétain restait avant tout leur général en chef, « le vainqueur de Verdun ».
C’est à la suite de nombreux refus que va débuter une affaire de « pieds nickelés » qui m’a beaucoup amusé à l’époque (et qui m’amuse encore 50 ans plus tard). Dans la nuit du 18 au 19 février 1973, un commando de six hommes volait le cercueil de Pétain dans le cimetière de Port-Joinville. Son but était de transférer la dépouille du maréchal à l’ossuaire de Douaumont, près de Verdun, pour qu’il soit inhumé selon sa volonté.
Le « cerveau » de l’opération était l’avocat et homme politique Jean-Louis Tixier-Vignancour.
Tixier se rend sur l’île d’Yeu en janvier 1973 pour de premiers repérages, en particulier pour connaître les horaires du ferry « La Vendée », liés aux heures de marée. Il prépare son coup avec Hubert Massol, un de ses adjoints à « l’Alliance Républicaine pour les Libertés et le Progrès » (ARLP), le parti politique qu’il dirige. Massol recrute quatre personnes, à laquelle se joint un artisan funéraire du cimetière de Thiais. Les conjurés retiennent la date des 18 et 19 février, quelques semaines avant les élections législatives de mars, pour que l’opération ait un retentissement maximal.
Symboliquement, Tixier-Vignancour et Massol veulent qu’elle ait lieu avant le 21 février, jour anniversaire du début de la bataille de Verdun.
Renault Estafette avec toit surélevé similaire à celle utilisée par le commando.
Le vendredi 16 février, une complice, Solange B…, commerçante dans l’Essonne, et Armand G…., un des membres du commando qui se fait passer pour son mari, se rendent sur l’île avec une « Estafette » Renault de location. La couverture pour ce déplacement est la vente de vêtements sur le marché de Port-Joinville. Le dimanche suivant, les cinq autres membres du commando arrivent sur l’île par le ferry, comme de simples touristes, en laissant leur véhicule dans le port de Fromentine.
Le commando est hébergé à l’« Hôtel des Voyageurs », tenu par Gilles N….., un ami de Tixier-Vignancour. C’est chez cet hôtelier que résidait Annie Pétain, l’épouse du maréchal, pendant toute la détention de son mari.
Vers 2 h du matin, dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19, les six hommes dirigés par Hubert Massol pénètrent avec l’« Estafette » dans le cimetière de Port-Joinville. En une demi-heure, ils ouvrent la tombe du maréchal et dérobent son cercueil. La pierre tombale est remise en place, les joints refaits et les abords ratissés pour enlever les multiples traces de pas et les éclats de ciment dus à l’ouverture de la tombe. Le cercueil, étonnamment bien conservé après plus de vingt ans, est chargé dans l’« Estafette » qui est poussée hors du cimetière, moteur coupé pour éviter le bruit.
Le commando retourne à l’hôtel et boit le champagne avec son tenancier. À 4 h du matin, toute l’équipe embarque, avec la fourgonnette, sur le ferry qui quitte le port à la marée haute.
Arrivés au port de Fromentine, quatre membres du commando montent dans la voiture qu’ils avaient laissée la veille et les deux véhicules prennent la route ; l’opération a parfaitement réussi.
Mais tout va très vite déraper. Vers 9 h, l’employé municipal Jean Taraud fait sa ronde quotidienne et se rend sur la tombe du maréchal Pétain pour vérifier son état après les visites du week-end (4). Il s’aperçoit que les abords de la tombe sont étonnamment propres, mais surtout que les joints de la pierre tombale sont frais ; Il prévient aussitôt les gendarmes. Les pandores alertent le préfet de Vendée et le procureur de la République, qui préviennent à leur tour le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin. Au sein du pouvoir, c’est l’affolement général !
Préfet et procureur, accompagnés d’un juge d’instruction des Sables-d’Olonne, accourent sur l’île d’Yeu (pour cause de marée, un hélicoptère est mis à leur disposition). Une fois sur place, ils font ouvrir la tombe : le maréchal s’est évadé ! Et aussitôt les pistes les plus fumeuses voient le jour. On parle d’une équipe, embarquée sur un bateau en provenance de l’Espagne franquiste, qui aurait été chargée de voler le cercueil. La piste paraît tout à fait crédible car l’Espagne abrite encore d’anciens « collabos » comme Darquier de Pellepoix ou le dirigeant fasciste belge Léon Degrelle qui avait, en son temps, promis « d’aller libérer le maréchal Pétain ».
Le château de la Vérie (photo de 2011) où le commando s'arrête.
Au cours de la matinée, le commando s’arrête à côté de Challans, au château de la Vérie, propriété d’un député de Vendée durant l’entre-deux-guerres, devenu délégué départemental à l’Information sous le régime de Vichy. Ne trouvant personne au château, le commando repart trois heures plus tard. À midi, les six hommes s’arrêtent pour déjeuner dans un restaurant et apprennent par la radio que le rapt du cercueil a déjà été découvert. Ils décident d’abandonner leur destination originale, Verdun, trop risquée, et se dirigent vers Paris qu’ils atteignent dans l’après-midi. Là, après avoir symboliquement fait descendre les Champs-Élysées au cercueil, le commando se sépare.
Hubert Massol s’en va consulter Tixier-Vignancour et constate que le domicile de l’avocat fait déjà l’objet d’une surveillance policière. Le cercueil est transféré dans un autre véhicule et Massol va seul, le cacher dans un box en proche banlieue parisienne, à Saint-Ouen.
L’affaire fait la une de la presse et des informations à la radio et à la télévision. Le ministre de l’Intérieur, en campagne dans sa circonscription du Morbihan, remonte d’urgence à Paris.
On renforce la surveillance aux frontières. Pour que le cercueil de Pétain ne soit pas enterré secrètement à Verdun, des barrages de gendarmerie sont établis dans la région et la nécropole de Douaumont est étroitement surveillée. La surveillance tourne parfois au gag : à Paris, des flics déguisés en touristes surveillent même la tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.
Les médias émettent un tas d’hypothèses plus ou moins loufoques pour vendre du papier : Provocation de l’extrême-gauche, opération de nostalgiques de Vichy, etc… Mais dans les milieux d’extrême-droite, le bruit court déjà que c’est un coup de Tixier-Vignancour (5).
L’enquête progresse vite. La police identifie la camionnette louée à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine, et remonte jusqu’à la commerçante qui est arrêtée chez elle. Interrogée, elle reconnaît qu’elle s’est bien rendue sur l’île d’Yeu pour y vendre des vêtements avec un ami forain, mais elle déclare ne rien savoir d’autre et affirme tout ignorer des membres du commando.
Jacques Isorni
Jacques Isorni, l’avocat du maréchal Pétain, se doute que c’est un coup de son rival Jean-Louis Tixier-Vignancour. Il lui rend visite au palais de justice de Paris, lui fait cracher le morceau, l’engueule copieusement et arrive à le convaincre de mettre un terme à l’opération. Ils se mettent d’accord sur la seule sortie qu’ils jugent honorable : obtenir une inhumation provisoire aux Invalides, puis obtenir ensuite que Georges Pompidou se déclare favorable à une inhumation à Douaumont.
Le 21 février, comme il faut bien en finir, Hubert Massol va se dénoncer, mais sans impliquer Tixer-Vignancour qui doit le défendre à son procès (et qui compte bien profiter de l’occasion pour rouvrir le procès du maréchal). Le soir même Massol convoque des journalistes à une conférence de presse improvisée au « Café Cristal », avenue de la Grande-Armée. Il leur déclare qu’il est prêt à révéler le lieu où se trouve le cercueil s’il reçoit un engagement écrit du président de la République que le cercueil va être déposé aux Invalides en attendant sa translation à Douaumont. Mais la police fait irruption dans le café et arrête Massol. Ce dernier, qui ne manque ni de courage ni de panache, accepte d’indiquer aux policiers l’adresse du box s’il y est accompagné par des journalistes et des photographes. Consulté, Raymond Marcellin, le ministre de l’Intérieur, finit par céder. Le cercueil du maréchal est retrouvé à Saint-Ouen peu après minuit le jeudi 22 février, trois jours après son enlèvement. L’évasion du maréchal Pétain aura été brève !
Le cercueil du « vainqueur de Verdun » est déposé dans l’église du Val-de-Grâce. Recouvert d’un drapeau tricolore, il est veillé durant toute la nuit par une section de Gardes Mobiles.
Le lendemain, à 8 h 30, en présence du préfet de police de Paris, la cavale se termine. Le cercueil est ramené, en avion militaire puis en hélicoptère, à l’île d’Yeu. Après une brève cérémonie religieuse, il est remis en terre en présence des autorités du département de la Vendée – préfet, procureur de la République, juge d’instruction, etc…- de nombreux anciens combattants, d’une foule de curieux et, bien sûr, des habituels charognards de la presse. Georges Pompidou fait envoyer des fleurs qui seront déposées sur la tombe lors de la ré-inhumation. Saluons la beauté du geste !
Le dénouement de cette affaire rocambolesque est aussi cocasse que son début :
Les quelques membres du commando arrêtés, brièvement incarcérés à la prison de la Santé, sont présentés au juge d’instruction Louis Calvet qui les inculpe, mais… les remet en liberté le jour même. Tixier-Vignancour, faute de preuves, n’est pas inquiété. En fait, les membres du commando ne seront jamais jugés ; aucune instruction ni procès n’interviennent dans les mois suivants.
Officiellement, on raconte que, ni la Justice, ni le gouvernement ne souhaitaient un procès qui risquait de devenir politique et de donner une magnifique tribune à Tixier-Vignancour. Le délit a été couvert, un an plus tard, par l’amnistie collective décrétée par Valéry Giscard d’Estaing après son élection à la présidence de la République en mai 1974. Un non-lieu au titre de cette amnistie a été prononcé par le juge d’instruction en juillet 1975.
Officieusement, on raconte que Tixier-Vignancour aurait menacé l’entourage de Giscard de révéler le rôle (et le nom de code) de ce dernier dans la préparation de l’attentat du Petit-Clamart contre De Gaulle le 22 août 1962. Mais il s’agit sans doute de ragots complotistes ?
Commémorations de la reprise du fort de Douaumont
Cette histoire, je l’ai dit, m’a beaucoup amusé, mais je suis resté un éternel gamin, un gosse turbulent, mais un gosse avec une morale, des valeurs et des principes. Dans la préface d’un de mes livres (6), j’écrivais :
« Le maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun », à qui nous devons la fin de la guerre du Rif avant que ce digne vieillard ne choisisse de faire « le don de sa personne à la France pour atténuer ses souffrances» après la mémorable raclée de juin 1940, a été maltraité par l’histoire; Vichy a occulté Verdun. Je trouverais pourtant normal qu’on reconnaisse enfin son rôle durant la Grande Guerre pour qu’il puisse reposer parmi ses soldats, au fort de Douaumont… »
Éric de Verdelhan
2 mai 2023
1)- Gilbert Renault est plus connu sous son nom de résistant « colonel Remy ».
2)- Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Lire à ce sujet « Le procès Pétain » de Jean-Marc Varault (publié aux éditions Perrin).
3)-Il faut savoir que, chaque année pour le 11 novembre, tous les présidents de la République, de De Gaulle à Mitterrand, feront fleurir la tombe du vainqueur de Verdun.
4)- Car à l’époque beaucoup de gens venaient sur la tombe du maréchal.
5)- Rappelons que la droite nationale n’a jamais pardonné à Tixier-Vignancour d’avoir appelé à voter pour François Mitterrand au second tour de la présidentielle de 1965. Depuis il était surnommé « TV : Tourne-Veste » dans plusieurs journaux de droite.
6)- « Au capitaine de Diên-Biên-Phu » (publié chez SRE-éditions).