Extrait du récit de l'obergefreiter Matthias, relaté en 1941Sur le site anac-fr.com/2gm/
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RECIT
Nous faisions partie à cette époque d’une unité d’assaut et notre mission était de prendre l’ennemi en mouvement, avant qu’il n’atteigne la ligne de la Dyle. Dans cette intention, de puissantes forces blindées avaient été engagées au canal Albert. Il n’était pas toujours possible d’avoir le contact avec les forces adverses. La plupart du temps nous foncions si vite que nos PAK (canons antichars), nos unités de FLAK (canons de 88 antiaériens) et notre artillerie légère pouvaient encore rattraper et détruire nombre de chars légers et lourds, belges et français.
La plupart d’entre eux tentaient d’éviter le combat mais tombaient en panne d’essence. Ce fut finalement un grand succès, mais nous n’avions pu empêcher que de puissants éléments ennemis se retranchent derrière la position Dyle. Sur les glacis de cette ligne puissamment fortifiée se trouvait une position organisée et protégée par un obstacle antichars original (barrières Cointet) et un réseau de barbelés (?). L’obstacle antichars fut franchi en des points si nombreux que les puissants tirs d’interdiction restèrent pratiquement sans effet, vu la largeur de la brèche. (C’est la façon allemande de voir les choses !)
Les rames de nos colonnes étaient largement déployées entre une voie ferrée et un bois (Cinq Etoiles). Devant nous, une de nos batteries lourdes répondait aux tirs de l’artillerie ennemie. En arrosant le terrain, l’ennemi mit plus d’un coup au but près de la batterie : une pièce fut touchée, deux servants blessés. Les trois autres pièces comblèrent le vide et, grâce au repérage par le son, nos artilleurs eurent bientôt raison de la batterie ennemie.
Malgré ce succès, il était évident que nous ne pourrions pas rester sur place. Bientôt arrive l’ordre de débarquer : nous quittons alors cette cuvette abritée des vues de l’ennemi et le bataillon entier, largement déployé, gagne sa base de départ (â Baudecet). Tandis que nous nous éloignons en marchant, l’artillerie ennemie se met à arroser la zone de stationnement que nous venons de quitter. (Un message émis en clair avait été capté par un radio alsacien de l’artillerie divisionnaire de la 15e Division de Juin, à Corroy.)
L’obscurité tombait et avec elle, grâce à Dieu, la fraîcheur, car la journée avait été bigrement chaude.
Apparemment, l’ennemi n’ignorait rien de nos mouvements, car la zone où nous progressions fut pareillement prise à partie (sud-ouest du Bois de Buis et le long de la chaussée de Tirlemont) mais nous étions en formation très déployée et nous n’avons de ce fait subi aucune perte.
Tandis que notre artillerie allongeait son tir pour aller cogner derrière la ligne fortifiée, on nous poussa encore en avant et nous avons rejoint notre base de départ, une grande prairie humide, à droite d’une grande chaussée pavée qui mène à Gembloux. (Il s’agit de la prairie au sud-est de la ferme de Basse-Baudecet.) Gembloux est une ville moyenne, entre Bruxelles et Namur, avec pas mal d’industries.
Toute la nuit (du 14 au 15 mai) les chars et l’artillerie roulent à droite et à gauche pour aller prendre position devant nous (la 4e Pz Div au sud de Baudecet, la 3e Pz Div au nord). Nous coupons les barbelés avec soin, en plusieurs endroits, pour accélérer la progression du lendemain.
La nuit est très courte. Les ordres sont passés d’homme à homme. Tout est prêt pour le lancement de l’attaque. Brusquement l’artillerie déclenche un tir hurlant sur Gembloux. Sous sa protection, nous nous mettons en marche. Nous atteignons bientôt la ligne de crête et nous sommes immédiatement reçus par les tirs de mitrailleuses. Sur la droite, une batterie ennemie de lourd calibre démolit un pâté de maisons.
Devant nous, le terrain descend en pente douce en direction de Gembloux (Ratintot), puis remonte en pente plus raide jusqu’aux lisières de la localité. Ce terrain ne nous offrait guère de protection ; l’ennemi pouvait sans doute observer tous nos mouvements et réagissait en conséquence. Plus nous approchons, plus les tirs gagnent en intensité. Mais encore cette fois, ils restent sans effet car nous avançons déployés. A notre hauteur, des pièces antichars et des canons d’infanterie sont pointés, les chars quant à eux restent embossés à l’arrière (côté allemand).
Vu le terrain, il fallait nécessairement que notre bataillon prenne la formation au milieu de la zone d’attaque et l’ennemi l’avait sans doute prévu car il nous assène un tir d’artillerie qui d’après les anciens de 14 18, pouvait se comparer aux barrages roulants de la Grande Guerre.
Le feu était particulièrement nourri sur notre droite qui fut bloquée. Pour nous, à l’aile gauche, il s’agissait de tirer parti de notre position moins désavantageuse pour foncer. Les blindés furent poussés vers l’avant et, sous leur protection, nous parvînmes à progresser jusqu’à 300 mètres des lisières. Mais là, les obstacles antichars, garnis de nombreux nids de mitrailleuses et de fusiliers, se multipliaient (ce sont les obstacles Cointet le long de la chaussée de Wavre) : ils ouvrirent sur nous un tir bien ajusté et, malheureusement, très efficace. Les gaillards étaient si bien camouflés qu’on ne pouvait les distinguer.
Nos chars ont tiré rageusement, à la limite de rupture, mais les mitrailleurs ennemis ripostaient toujours; les gars devaient être drôlement gonflés. Le feu devint si intense que nous fûmes bloqués sur un terrain fraîchement labouré, sans aucun couvert (champ devant le bois d’Enée). Tout mouvement de notre part était ponctué d’une rafale de mitrailleuse. Nous nous enterrions comme les poules dans la poussière.
Inutile de jurer cependant ! Voilà plus de dix heures que nous sommes sous cette grêle de feu et nous n’avons progressé que de 50 mètres dans les positions ennemies. Le chef de notre groupe radio a été tué, un sous-officier et un agent de liaison sont grièvement blessés. J’ai mis les quatre fusils-mitrailleurs en position, mais il n’est pas question de tirer, le terrain dénudé ne nous offre aucun masque."
Prisonniers français capturés lors de la bataille de GemblouxAmitiés