L’infâme Georges Boudarel…
Certains n'ont peut-être jamais entendu parler de ce personnage, ils n'y ont rien perdu, mais il est bon de savoir que ce genre d'individu a existé et le faire savoir.
Boudarel étant mort à ce jour, paix à son âme, de ce fait nous garderons une certaine retenue à son sujet, bien que son comportement dans la période de sa vie qui nous intéresse, la Guerre d'Indochine, soit inqualifiable sinon digne d'un "Salopard".
Le pire, c'est qu'il n'ait jamais éprouvé de regret, pire encore il a dit que si c'était à refaire, il le referait, regret qu'il a peut-être eu en arrivant là-haut devant le Tout puissant, enfin je lui souhaite !
A moins qu’il y ait retrouvé quelques-unes de ses victimes qui lui auront peut être demandé des comptes…
Georges Boudarel est né à Saint Etienne en 1926, dans une famille catholique, son père est comptable.
Il étudie dans un séminaire les Pères Maristes, élève studieux et doué, il envisage de renter dans les ordres, mais à la veille de la prêtrise il quitte le séminaire et adhère en 1946 au Parti Communiste.
Après l'obtention de sa licence de philosophie, sursitaire, envoyé par le Bureau colonial du PC, il rejoint l'Indochine en avril 1948 et est nommé professeur de philosophie au lycée Yersin de Dalat.
En 1949, il est nommé professeur d'Histoire et de philosophie au lycée Marie-Curie à Saigon.
Il maintient le contact grâce au Groupe culturel marxiste, antenne du PC à Saigon, parmi les membres du Groupe, un certain Jean Chesneaux, arrêté en septembre 1947, sa voiture chargée de tracts vietminh.
Il déserte son poste le 17 décembre 1950 pour rejoindre le Vietminh Il est affecté comme rédacteur créateur de l'émission en langue française de La Voix de Saigon-Cholon libre, station de radio clandestine du Vietminh dissimulée dans une boucle de la rivière Song Bé.
Fin 1951, il est désigné pour servir au Nord Tonkin, en vue de faire de la propagande en faveur de la paix et du rapatriement du Corps Expéditionnaire français (CEFEO) auprès des prisonniers français.
Il est donc nommé Instructeur Politique adjoint au commissaire politique, - celui qui fait la sale besogne -, chargé du lavage de cerveau des prisonniers militaires Français du Corps expéditionnaire au fameux Camp 113, son surnom Viet est "Dai Dông" c’est-à-dire : Fraternité universelle…
…Dans ce camp, il faut le rappeler, le taux de mortalité est de 85%, bien plus élevé que dans les camps nazis.
C’est aussi à cette époque qu’il est appelé sous les drapeaux sur le territoire indochinois et, ne se présentant pas aux autorités militaires françaises, il sera considéré comme « insoumis »
En 1964, Boudarel, quittera "clandestinement le Vietnam (il est condamné à mort au Vietnam pour insoumission et désertion, refusant les réformes agraires) pour Moscou où il prend le nom de "Boris", puis Prague où jusqu'en 1967 il exerce ses talents d'apparatchik communiste dans une filiale du Kominform, la Fédération syndicale Mondiale (FSM)
Revenu en France, où il est condamné à mort par contumace depuis sa désertion, il profite de la Loi d'amnistie de 17 juin 1966 relative aux infractions commises en relation avec les évènements d’Algérie.
Loi qui grâce à des amis députés communistes comprend un amendement, l’article 30, qui stipule que « sont amnistiés de plein droit tous crimes et délits commis en liaison avec les évènements consécutifs à l’insurrection vietnamienne, et antérieurement au 1er octobre 1957 » - blanchissant à jamais les gens qui, comme lui; qui ont déserté en Indo - l'absolvant par là des ignominies commises...
...De plus il obtiendra le rétablissement de ses droits universitaires, toujours avec l'aide du Parti Communiste Français et des syndicats de l'Education nationale.
Il intègre même le CNRS, où sans renier ses engagements de jeunesse et protégé par ses "honorables" collègues et prévalant de sa connaissance du Vietnam, il acquerra les droits à la retraite universitaire qu'il améliore par de juteuses conférences sur le Vietnam !
Le 13 février 1991, au cours d’un colloque organisé au Sénat par le Centre des Hautes Etudes sur l’Afrique et l’Asie Modernes, Boudarel doit prendre la parole... C'est alors que Jean Jacques Beucler, ancien ministre et ancien député, qui a été lui-même captif en Indochine quatre ans durant, prend le micro et parle au nom des nombreux anciens prisonniers du Vietminh qui l’entourent...
...Heureux moment qui a permis à la France entière, la France de bonne volonté, de découvrir qu'un salopard coulait des jours tranquilles ...
Mais tout d'abord quelques précisions sur Jean Jacques Beucler, qui va déclencher cette fameuse "Affaire Boudarel".
Lt Beucler
Jean Jacques Beucler est né le 3 juillet 1923 à Trèves (Allemagne), il est le fils du Général Beucler, et sort Aspirant de Cherchell major de la Promo "1941-42".
Il fait la Campagne d'Italie en tant qu'aspirant au 5è RTM, puis celle de France et d’Allemagne.
En 1949 il embarque pour l'Indochine, il est alors lieutenant au 5è Goum du 3è Tabor Marocain.
Ayant été aérotransporté à Cao Bang en octobre 1950, il est fait prisonnier après avoir été grièvement blessé, sur la funeste RC4 (Route Coloniale N°4 qui longe la frontière de Chine)
Il restera 4 ans dans les geôles Vietminh, 4 ans durant lesquels, écrit-il il a parcouru à pieds 30 000 km et absorbé 2 tonnes de riz !
3 fois blessé, 5 fois cité dont 2 fois à l'ordre de l'Armée, Chevalier de la Légion d'Honneur à 27 ans, Croix de guerre 39/45 et TOE et pensionné militaire à 100%.
Il quitte l'Armée avec le grade de capitaine, industriel pendant 23 ans, il relève une petite usine métallurgique, milite au sein du "Centre des Jeunes Patrons", puis laisse son entreprise et entre en politique.
Centriste, puis UDF, il sera maire de Corbenay (1966-1983), conseiller général de Faucogney-et-la-Mer et conseiller régional de Franche-Comté
Député de Haute-Saône de 1968 à 1981 et enfin, sous Giscard, secrétaire d'État à la Défense puis aux Anciens Combattants (1977-1978).
Il s'occupe ensuite du milieu associatif des anciens combattants en tant que Délégué général du "Comité d'entente des Anciens d'Indochine", il décèdera en 1999 a Nice.
Venons-en aux faits :
En 1986, un certain colonel retiré à Nice, le colonel Mitjaville, révélait à J.J. Beucler qu'il avait été interné pendant la Guerre d'Indochine dans un camp Viet dirigé par un français déserteur rallié à l'ennemi, et du fait qu'il était officier, il avait particulièrement souffert des sévices de ce personnage !
Trente-trois ans après, il venait d'apprendre qu'un maître assistant à l'Université Paris VII portait les même noms et prénoms et se spécialisait sur le Vietnam, la coïncidence était troublante, Mitjaville se proposait de démasquer son ancien bourreau, quand il décède des suites lointaines de sa captivité.
Peu avant sa mort, J.J. Beucler lui promet de continuer les recherches et en Janvier 1991, il apprend incidemment que parmi les intervenants dans un colloque sur "l'actualité vietnamienne", le 13 février 1991 au Sénat, figure un professeur du même nom.
Beucler s'y rend donc avec quelques camarades de captivité, il n'a pas de plan précis, ils ne sont même pas certains qu'il s'agisse du même homme.
Ils s'installent en bordure d'une travée et à proximité d'un micro, l'humour s'en mêle quand le Président de séance s'approche de Beucler :
"Monsieur le Ministre, j'apprends votre présence et j'en suis fort heureux, je sais que vous vous intéressez à l'Indochine..."
Pour éviter de le transformer en complice volontaire, Beucler ne lui parle pas de la vraie raison de sa venue, il lui signale seulement qu'il va peut-être demander la parole.
Par la suite le président a du regretter cette extrême affabilité !
La Salle Clemenceau est pleine, l'ambiance est feutrée, Beucler est à l'affût, le cœur battant.
Après deux exposés intéressants, au moment où leur cible s'apprête à prendre la parole, Beucler se précipite sur un micro et déclare à l'assistance un peu surprise :
"J'ai une communication importante à vous faire, ou plutôt une mission à remplir, je demeurerai calme par respect pour le Sénat, permettez-moi de me présenter :
Je m'appelle Jean Jacques Beucler, j'ai été député pendant 13 ans, Secrétaire d'Etat à la Défense en 1977 et 1978, mais surtout j'ai subi les camps prisonniers de guerre du Vietnam pendant 4 années de 1950 à 1954, c'est une expérience que je ne souhaite à personne....Il est utile de rappeler que le taux de mortalité y fut tel qu'à peine un captif sur trois est rentré..."
Il relate ensuite la découverte de Mitjaville et s'adresse au conférencier :
"Son tortionnaire s'appelait comme vous Georges Boudarel, alors je vous pose 3 questions :
-Etiez-vous en Indochine entre 1950 et 1954 ?
-Avez-vous déserté pour rejoindre le Vietminh ?
-Sévissiez-vous au Camps 122 ?
Un silence de mort règne sur l'assistance, chacun retient son souffle.
L'interpellé a pris un teint cadavérique, avant de se ressaisir :
"Je n'ai jamais été au Camps 122, j'étais au Camp 113."
Il se lance ensuite dans un long récit sur la situation des prisonniers de guerre, il en ressort qu'il s'agit bien du même homme.
" Vous êtes donc un individu qui a trahi son pays pour se mettre volontairement, au service de l'ennemi et qui a spécialement maltraité ses compatriotes sur le plan matériel et sur le plan moral.
Puisque vous bénéficiez sans doute d'une amnistie collective, nous ne pouvons pas vous poursuivre en justice' mais nous tenons à vous dire publiquement, en mémoire des Morts pour la France en Indochine, que nous éprouvons à votre égard, le plus profond mépris, il faut que l'assistance sache à quel ignoble bonhomme elle a affaire, vous êtes un criminel de guerre.
Vous avez du sang sur les mains, votre présence à la tribune du Sénat est indécente. "
Puis Beucler sort dignement suivi de la vingtaine de rescapés des camps qui l'avaient accompagné, ils se retrouvent dans les vestiaires, heureux d'avoir rempli leur mission.
Lorsqu’ensuite Boudarel commence son exposé, quelqu'un lui pose la question :
"Est-ce vrai ce qu'a dit Mr Beucler ? Vous serviez comme commissaire politique dans un camp de prisonnier du Vietminh ?
"Je n'étais pas commissaire-politique, mais commissaire-politique-adjoint" répond Boudarel.
"Eh bien Monsieur nous ne sommes pas venu écouter un commissaire-politique, même adjoint, veuillez donc quitter la salle."
Et Boudarel de sortir sous les huées...
Plus tard l'un de ses collègues de Paris VII fit irruption pour manifester son indignation, il fut sorti manu militari par la Garde du Sénat, Général en tête.
Dans cette affaire Boudarel sera soutenu par de nombreuses personnalités de gauche, au nombre desquelles le fameux Pierre Vidal Naquet, qui, sans pour autant l ‘exonérer, « refuse de cautionner, même par un simple silence, la chasse à l’homme qui est en train de se dérouler » (Le Monde, 23 mars 1991).
En 1991 Georges Boudarel fait l'objet d'une plainte pour crimes contre l'humanité déposée par d'anciens prisonniers français du camp 113. Cette plainte a donnera lieu à un rejet de la Cour de cassation motivé par la loi d'amnistie de 1966.
En1992, Boudarel sans aucune pudeur dépose une plainte en diffamation qui se terminera par une ordonnance de non-lieu en 1996.
Voici l'extrait des procès-verbaux
Citation :
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME TROISIÈME SECTION
DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête no 56165/00 présentée par Wladyslaw SOBANSKI contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 20 mars 2003
en une chambre composée de
MM. G. Ress, président, J.-P. Costa, L. Caflisch, P. Kūris, J. Hedigan, Mmes M. Tsatsa-Nikolovska, H.S. Greve, juges, et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 25 février 2000, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Wladyslaw Sobanski, est un ressortissant français, né en 1928 et résidant à Vidauban. Il est représenté devant la Cour par Me P. de Fontbressin, avocat à Paris.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant, ancien sergent du 2e bataillon de chasseurs Thaï, fut détenu durant la guerre d’Indochine du 20 novembre 1952 au 3 janvier 1954, au camp no 113, à Lang-Kieu, dans le nord du Vietnam. De très nombreux témoignages et documents historiques font état de la répétition d’actes de torture ou inhumains, infligés pour des motifs politiques et d’hégémonie idéologique aux prisonniers du camp 113. Le requérant fait état de nombreux sévices, tant physiques que psychologiques, subis durant sa captivité.
Le 13 février 1991, M. Jean-Jacques Beucler, ancien ministre, président du Comité d’entente des anciens d’Indochine, ancien prisonnier du camp 1 en Indochine, reconnut publiquement le commissaire politique adjoint du camp 113, autrement dit le dirigeant « de fait » de ce camp, en la personne de M. Georges Boudarel, ressortissant français.
Peu de temps après, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, des chefs de persécutions et traitements inhumains systématiques et dégradants, constitutifs de crimes contre l’humanité. Ultérieurement, l’association nationale des anciens prisonniers internés d’Indochine (ANAPI), représentée par son président, le général de Sesmaisons, décida d’intervenir également en qualité de partie civile.
Le ministère public prit des réquisitions de refus d’informer en se fondant sur l’article 30 de la loi du 18 juin 1966 portant amnistie des crimes commis en liaison avec l’insurrection vietnamienne.
Par une ordonnance du 13 septembre 1991, la juge d’instruction chargée de l’affaire considéra que les actes en cause étaient constitutifs de crimes contre l’humanité, selon
L’article 6-c du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945, et donc imprescriptibles. Selon elle, la liste des actes relevant de l’amnistie ne pouvait être étendue à une autre catégorie d’infractions légalement prévues par la loi du 26 décembre 1964, à savoir les crimes contre l’humanité, imprescriptibles par nature.
Par un arrêt du 20 décembre 1991, sur appel du ministère public, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, tout en retenant la bonne foi des parties civiles, infirma l’ordonnance entreprise, dans les termes suivants :
« Considérant que les infractions reprochées à Boudarel, étant en liaison avec les événements consécutifs à l’insurrection vietnamienne et ayant été commises antérieurement au 1er octobre 1957, sont visées par la loi d’amnistie du 18 juin 1996 qui n’exclut aucun crime de son champ d’application ;
Considérant, il est vrai, que les crimes contre l’humanité inclus dans le droit interne français depuis la loi du 26 décembre 1964 sont imprescriptibles par leur nature ; Mais considérant que la prescription et l’amnistie reposent sur des fondements différents, la première dressant un obstacle à d’éventuelles poursuites en raison du temps écoulé et la seconde procédant de l’idée d’oubli avec pour effet d’enlever après coup à un fait délictueux son caractère d’infraction ;
Considérant, par ailleurs, que les crimes contre l’humanité étant des crimes de droit commun, commis dans certaines circonstances et pour certains motifs, mais cependant
régis par les règles de procédure pénale ordinaire, il s’ensuit que bien qu’imprescriptibles, ils ne peuvent être poursuivis que dans la mesure où une loi d’amnistie n’a pas privé les infractions qu’elle vise de l’élément légal qui les rend punissables ;
Considérant, enfin, que le principe d’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité qui constitue une dérogation exceptionnelle aux règles de procédure pénale ordinaire, doit être restrictivement interprété ; qu’il ne peut donc être valablement soutenu, en l’absence de disposition expresse sur ce point, tant en droit international qu’en droit interne, qu’un principe d’exclusion de l’amnistie des crimes contre l’humanité prendrait sa source dans la philosophie générale de l’Accord interallié de Londres du 8 août 1945 et du Statut du Tribunal militaire international ;
Considérant en conséquence que l’amnistie doit s’appliquer également aux crimes contre l’humanité et donc aux faits susceptibles d’être reprochés à M. Boudarel sous cette
Qualification ; qu’il y a lieu dès lors d’infirmer l’ordonnance entreprise, l’action publique étant éteinte par l’effet de l’amnistie. »
Par un arrêt du 1er avril 1993, sur pourvoi du requérant et de l’ANAPI, la chambre criminelle de la Cour de cassation, rejeta le pourvoi aux motifs suivants :
« (...) Les dispositions de la loi du 26 décembre 1964, et du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945, ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe ; que, par ailleurs, la Charte du Tribunal militaire international de Tokyo, qui n’a été ni ratifiée, ni publiée en France et qui n’est pas entrée dans les prévisions de la loi du 26 décembre 1964, ou de la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, ne vise, en son article 5, que les exactions commises par les criminels de guerre japonais ou leurs complices ; qu’ainsi, les faits dénoncés par les parties civiles, postérieurs à la seconde guerre mondiale, n’étaient pas susceptibles de recevoir la qualification de crimes contre l’humanité au sens des textes précités ; Attendu, cependant, qu’en dépit de l’erreur de droit commise, la décision attaquée n’encourt pas la censure, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que les faits reprochés à Georges Boudarel, quelles que soient les qualifications de droit commun qu’ils pourraient revêtir, entraient nécessairement dans le champ d’application
de l’article 30 de la loi du 18 juin 1966 portant amnistie de tous les crimes commis en liaison avec les événements consécutifs à l’insurrection vietnamienne ; D’où il suit que l’action publique a été à bon droit déclarée éteinte (...) »
*****
Le 15 janvier 1992, M. Boudarel déposa une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction de Paris du chef de dénonciation calomnieuse.
Au cours de l’information, le juge d’instruction recueillit vingt-trois volumes de dépositions de témoins. Le 12 janvier 1996, il rendit une ordonnance de non-lieu, aux motifs notamment que le délit n’était pas constitué, les faits reprochés étant couverts par la loi d’amnistie du 18 juin 1966, et que l’article 23 de la loi du 18 juin 1966 laissait intact le droit d’exercer une action devant le juge civil. En outre, le juge releva que le plaignant s’était désisté de sa plainte.
Eu égard à l’ordonnance de non-lieu intervenue, le requérant et l’ANAPI firent citer M. Boudarel directement devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour dénonciation calomnieuse. La citation directe visait essentiellement l’allégation selon laquelle M. Boudarel avait prétendu, pour porter plainte en dénonciation calomnieuse,
« que l’autorité compétente pour statuer sur la plainte du chef de crimes contre l’humanité avait estimé que les accusations étaient infondées ».
Selon le requérant, la simple lecture de l’arrêt de la chambre d’accusation de Paris du 20 décembre 1991 permettait de constater que les accusations portées par lui n’avaient jamais été qualifiées d’« infondées ».
Par un jugement du 9 mai 1997, la 17e chambre rejeta les plaintes du requérant et de l’ANAPI au regard de la loi d’amnistie du 18 juin 1966.
Le 9 septembre 1998, la cour d’appel de Paris releva que les faits à l’origine de la procédure ne pouvaient plus recevoir de qualification pénale en raison de la loi d’amnistie, jugeant notamment :
« Il est du caractère particulier de l’amnistie d’ôter aux faits tout caractère sanctionnable si bien que le litige qui oppose les parties, et qu’elles ressentent comme moralement essentiel, ne peut retrouver, même par l’application d’une autre procédure, une dimension pénale. »
En outre, elle précisa que le litige ne pouvait davantage permettre une action pour les intérêts civils, une telle action devant avoir été introduite devant la juridiction compétente avant la promulgation de la loi d’amnistie.
GRIEFS
1. Invoquant les articles 3, 6, 7 et 14 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’une loi d’amnistie ait pu faire obstacle à l’invocation, devant les juridictions pénales, de faits qualifiables de crimes contre l’humanité.
2. Le requérant allègue également une violation de son droit à la libre expression de la vérité historique au regard de l’article 10 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se prétend victime d’une violation des articles 3, 6 § 1, 7 et 14 de la Convention, qui disposent :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 7
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour relève que la procédure interne relative aux griefs du requérant a débuté par la plainte avec constitution de partie civile déposée en 1991 et s’est terminée par un arrêt de la Cour de cassation du 1er avril 1993. Ce dernier arrêt ne pouvait en aucun cas être remis en cause dans le cadre des procédures ultérieures qui portaient sur d’autres litiges, à savoir les accusations successives du chef de dénonciation calomnieuse.
Or la Cour rappelle qu’elle ne peut être saisie que dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Tel n’est pas le cas en l’espèce, la requête ayant été introduite le 25 février 2000, alors que la décision interne définitive est, de l’avis de la Cour, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er avril 1993.
Il s’ensuit que ces griefs sont tardifs et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint également d’une violation de l’article 10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation du droit à la liberté d’expression.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Georg RESS Greffier Président
DÉCISION SOBANSKI c. FRANCE
Boudarel cessera d’exercer à Jussieu en 1992, date de son départ à la retraite.