ADJUDANT-CHEF JACQUES PERROTIN
PRISONNIER DU VIÊT-MINH
du 6 novembre 1948 au 18 janvier 1953
Après la dissolution du C.L.I., de Savanakhet je rejoignis Saïgon et embarquais sur le Sontay à destination de la France, que j'avais quittée 7 ans plus tôt, comme la plupart de mes camarades.
Je pensais bien rejoindre en Métropole les unités aéroportées alors en formation à cette époque, mais en raison de ma spécialisation, je fus retenu pour être initié aux techniques que l'on appelées, plus tard, contre - mesures électroniques, liées au renseignement, qui depuis sont devenues primordiales. L'année 1947 fut consacrée à cette formation. Je repartis pour Saïgon début 1948 et affecté au groupement des contrôles radio, rattaché au Haut Commissariat.
Notre mission était d'écouter les émissions radio Viêt-minh (personnel civil) et de rechercher sur le terrain les émetteurs. (personnel militaire).
A cet effet nous avions équipé un petit avion Morane 500 dont l'équipage était composé, d'un pilote, de moi-même, chargé d'identifier les stations et d'effectuer les mesures tendant à les localiser, et d'un navigateur qui reportait les mesures sur les cartes. Jusqu'en Novembre 1948, nous avons effectué un grand nombre de missions en Cochinchine, sans incident notable. Ce travail était plaisant et utile.
On pensait bien parfois "et si on se faisait descendre", mais le danger ne nous apparaissait pas réel.
De Tourane à Bong Son sur la côte d'Annam, s'étendait une zone jamais pénétrée depuis 1945, hormis quelques incursions aériennes. Véritable sanctuaire, les Viets y régnaient sans partage. Nous savions qu'ils disposaient là d'une station de radiodiffusion de propagande. Nous reçûmes mission en novembre 1948 de trouver cette station en opérant à partir de Pleiku ou d'Ankhe. La saison de mousson commençant il s'avéra impossible de franchir la chaîne annamitique, encombrée de nuages, avec notre coucou. Nous décidâmes d'aller opérer à partir de Tourane que nous rejoignimes un jour d'accalmie.
Nous nous présentâmes au chef de secteur qui nous dit textuellement :
- Je ne sais pas qui vous envoie, mais il n'est sûrement pas au courant de la situation dans le secteur, nos avions ne peuvent pénétrer à plus de 20 km dans cette zone sans se faire allumer
Et comme nous sourions, forts de notre impunité dans le Sud et le trouvant timoré, il ajoute :
- Enfin je suis bien content de voir des héros "
Nous partîmes le lendemain pour effectuer la mission. J'identifiais la station et comme je commençais à faire mes mesures, une grêle de balles claqua autour de l'avion, pendant un long moment, perçant le fuselage. Personne n'était touché sauf le moteur qui se mit à crachoter " Attention les gars il faut se poser " dit le pilote. Il avisa une grève au bord d'une rivière et nous y posa adroitement en plané. Le train cassa et l'avion se mit en pylône.
Pas trop de mal, seul le navigateur était blessé. nous sortimes de l'avion, le pilote arracha la jauge d' essence sous l'aile et y mit le feu.
Mais déjà les gongs d'alerte d'un village voisin se mirent à résonner et nous vîmes arriver des groupes de Viets à travers le rideau de bambous. Ils s'en prirent d'abord au navigateur, resté un peu en arrière à cause de sa blessure, en lui lançant des grenades. Je fis feu de ma Sten pour le dégager . Plusieurs tombèrent, les autres marquèrent un temps d’arrêt. Cependant un autre groupe m'arriva dans le dos pour me couper la route. Je reçus une volée de grenades. je fonçais sur eux en mitraillant . Ils payèrent le prix et je pus me dégager. J'avais perdu de vue le pilote et le navigateur. Non loin de là, je me jetais dans une rivière et la traversais à la nage. Sur l'autre rive tout redevint calme. Je marchais en me camouflant, en direction de Tourane que j'espérais bien atteindre ou au moins une zone sous notre contrôle. Combien de temps ai je pu marcher? je n'ai jamais pu l'évaluer. Malgré mes précautions je fus repéré, les gongs résonnèrent à nouveau et la chasse à l'homme recommença. Quant un groupe de poursuivants arriva à bonne portée j’appuyais sur la détente. Les coups ne partirent pas. Ils se précipitèrent sur moi et je fus assommé. Quand je retrouvais mes esprits, j'étais ligoté, le visage ensanglanté et calmement certain que ma vie s’arrêtait là. . .
Un Bo-doï vint me prendre en charge et mitraillette dans le dos, me poussa à travers rizières et marais où mes petites chaussures disparurent aspirées par la boue. On m'amène devant un commissaire politique, lequel m'abreuve d'injures, me reproche les victimes de ma réaction et ne me cache pas que le cas était grave.
Le lendemain je vis des Spitfire tournoyer au dessus de l'épave de l'avion, à notre recherche. Trop tard...
On me logea dans les habitations d'un village où l'on me réserva une pièce avec un bat-flanc, surveillé nuit et jour par des supplétifs assis, la nuit, au pied du bat-flanc où j'essayais de dormir.
Vint Noël et une offensive de charme.
On me propose de changer de camp, le mien n'ayant aucune chance de l'emporter dans cette guerre. On me présente une jeune fille qui voudrait bien m'épouser, un repas copieux m'est servi. Toutefois le repas était assorti d'un questionnaire sur l'état et l'implantation des Français.
L'appétit coupé, je refusai sur tous les points.
Cette situation dura un certain temps. Nous nous déplacions souvent, toujours de nuit, au gré sans doute des déplacements de l'autorité qui m'a en charge. Je m'efforçais toujours de situer ma position approximative en me basant sur les astres et les temps de marche.
Apparaissent alors les premiers signes de la méthode qui allait m’être appliquée, dont le premier volet est l'humiliation. On m'enferma dans une case dont les fenêtres étaient munis de barreaux et l'on fit défiler les enfants et la population comme au Zoo. Sous entendu : "Voyez nous pouvons maîtriser les colonialistes".
On me réveilla une nuit, deux Bo-doï, baïonnette au canon m'encadrèrent et nous marchâmes en direction du sud, toute la nuit. A l'arrivée on me fit entrer par une ouverture étroite, à mi - hauteur du mur, dans une cellule étroite et sombre. On me fit coucher sur un bat-flanc de lattes de bambou auquel on m'attacha avec des menottes. Je vécus dans cette cellule près de trois mois, un bol de riz deux fois par jour, libre de mes mouvements le jour, attaché la nuit.
Parfois un Viet apparaissait à l'ouverture :
- Eh toi, viens ici !
Je m'approchais et recevais un coup de bâton qui me renvoyait au grabat.
Une nuit en homme en noir me fit sortir et déclara tout en marchant :
- Nous allons voir Chef, attention lui c'est très méchant, vous dire tout ce que vous savez, si vous parler, vous avoir tout ce que vous voulez.
Il m'introduisit dans une case où se trouvait un bureau, sur lequel était mis en évidence, un crâne de grand singe flanqué de deux bougies. L'homme en noir dit :
- Au revoir Monsieur, puis se ravisa, me regarda dans les yeux et reprit :
- Adieu Monsieur.
Toute cette mise en scène me fit sourire intérieurement car je pensais à tort d'ailleurs, que ne m'ayant pas éliminé jusqu'à présent, ils ne le feraient plus maintenant.
Un homme entra, universitaire distingué apparemment, me posa des questions personnelles pour me situer, et argumenta.- Combien notre action était odieuse, que la France avait construit en Indochine plus de prisons que d’écoles etc... - et m'offrit du café. Il me proposa ensuite d'entrer dans leur camp. Je serai ainsi du bon, côté. Je lui répliquai que c'était hors de question et retournai croupir dans ma cellule. On me sortit enfin de ce tombeau et je ressentis vivement le soleil, la douceur de l'air, et les odeurs de la terre qui me faisaient revivre...
Le soir même je fus intégré à un groupe de prisonniers.
Depuis six mois je n'avais pas parlé librement. Je parlai, parlai sans fin. La sentinelle s'en inquiéta et me rappela à l'ordre.
J'appris que nous étions à la prison de Phu Chau.
C'était la prison du secteur 5 (Lien Khu V) composée d'un quadrilatère de paillotes dortoir et d'un bâtiment central en bambous tressés recouvert de torchis, percé d'alvéoles, où l'occupant ne pouvait se tenir que couché ou accroupi, réservées aux Vietnamiens qui généralement n'en sortait que pour être exécutés. Cette prison regroupait les prisonniers politiques et accessoirement les prisonniers de guerre considérés aussi comme politiques.
On nous sépara des Vietnamiens pour être conduits à cinq ou six kilomètres dans une ancienne pagode qui venait d’être mitraillée par les Spitfire et notre premier travail fut de la remettre en état. Cet endroit devint, alternativement avec la prison, notre camp pendant toute la durée de l'internement, suivant les circonstances. La pagode était considérée comme régime allégé, la prison comme régime aggravé.
Nous n'étions guère qu'une trentaine de prisonniers encadrés par une garde de cinq à six hommes et un Kapo qui faisait office d'interprète. Ce dernier ancien de la marine française effectuait là sans doute sa reconversion. Comme j'étais alors adjudant chef il me surnomme "patron" et je ne fus bientôt connu que sous ce patronyme, qui me suivit jusqu'à la libération, cocasse sous ce régime.
La plupart des prisonniers étaient des légionnaires de diverses nationalités, d'autres vinrent nous rejoindre au fur et à mesure des prises, par petits paquets : Français ramenés du Laos ou des Hauts Plateaux, Marocains, Tunisiens et un Sénégalais.