PARIS LIBÉRÉ…
« Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. Eh bien ! Puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue… C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris à coups de canon… Nous autres, qui aurons vécu les plus grandes heures de notre histoire, nous n’avons pas à vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la France. Vive la France ! »
(Charles de Gaulle ; extrait du discours du 25 août 1944).
C’est à partir de ce discours, prononcé au balcon de l’Hôtel de Ville, qu’est née la légende autour de Paris « libéré par lui-même » et par la seule armée française.
Ce mythe est devenu quasiment immuable et il est entretenu par une abondante littérature et par quelques films (« Paris brûle-t-il ? » etc…). Mais qu’en est-il exactement ?
A partir du débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, les forces alliées progressent vers l’Est. Rappelons, juste pour mémoire, que ni Winston Churchill ni Eisenhower n’avaient cru bon de prévenir de Gaulle des projets de débarquement en Normandie, et que la glorieuse 2ème DB de Leclerc, n’a débarqué en France que le 1er août soit presque deux mois après l’offensive du 6 juin. Le 6 juin, seul le commando Kieffer – 177 hommes – a participé au débarquement (1).
Les généraux américains – Eisenhower et Bradley – engagés dans les combats de Falaise, prévoyaient de contourner Paris pour ne pas être ralentis dans leur progression : au niveau logistique, la libération des quatre millions d’habitants parisiens nécessitait 4 000 tonnes de vivres par jour. Le général Bradley écrit dans ses mémoires à propos de la capitale :
« La ville n’avait plus aucune signification tactique. En dépit de sa gloire historique, Paris ne représentait qu’une tache d’encre sur nos cartes ; il fallait l’éviter dans notre marche vers le Rhin ».
Les prévisions d’«Overlord » avaient pour cible principale le bassin de la Ruhr où se concentrait l’industrie lourde allemande ; la libération de Paris était prévue pour fin octobre.
Concernant Paris, les ordres d’Hitler étaient précis : destruction des ponts, répression de toute résistance, combattre dans Paris jusqu’au dernier homme pour créer un « Stalingrad » sur le front Ouest. Mais le général von Choltitz n’exécutera pas ces ordres.
La garnison allemande – 16 000 hommes mal équipés, aux unités disparates de faible valeur combative – 80 chars dont certains datent des prises de guerre de l’été 1940 (comme des chars Renault d’un « autre âge ») et autant de pièces d’artillerie désuètes.
La Résistance parisienne est commandée par le « colonel » Rol-Tanguy, responsable des FFI pour l’Île-de-France depuis son poste de commandement de la rue de Meaux, et par le colonel Lizé (de son vrai nom, Jean de Marguerittes), chef des FFI de la Seine.
Craignant une insurrection, une division SS est mise en mouvement vers Paris pour renforcer les unités en place. Il est à prévoir qu’elle obéira, sans états d’âme, aux ordres de destruction d’Hitler.
Pour donner le change, von Choltitz a fait venir un bataillon de pionniers de la Luftwaffe pour miner les points importants de la ville.
Les grèves du mois d’août
Avec l’annonce de l’avance rapide des Alliés sur Paris, après la victoire de la poche de Falaise, les cheminots parisiens se mettent en grève le 10 août, suivis par le métro et la gendarmerie le 13 août. La police se met en grève le 15 août, suivie des postiers le lendemain. Ils sont rejoints par d’autres corps de métiers et la grève générale éclate le 18 août. Le jour même, dans l’après-midi, Rol-Tanguy fait apposer les affiches d’appel à la mobilisation des Parisiens : c’est le déclenchement de l’insurrection. Le 19 août, dès 7 h du matin, 2000 « policiers résistants » s’emparent de la Préfecture de Police et hissent le drapeau tricolore sur la Préfecture et sur Notre-Dame.
Rol-Tanguy, « volant au secours de la victoire », vient prendre leur commandement dans la matinée et les enrôle dans les FFI. Le lendemain, sous l’impulsion de Léo Hamon, ils prendront l’Hôtel de Ville. Des barricades sont dressées, entravant les mouvements des véhicules allemands.
Les combats, sporadiques et désordonnés, seront dispersés dès le 19 août au soir, mais ils s’intensifieront le 22, à la Préfecture de Police, au Sénat, au Grand Palais, et autour de l’Hôtel de Ville. Sans grand succès, les FFI tenteront d’encercler les îlots de défense allemands.
Les allemands ont bien compris que, pour eux, la guerre est finie, aussi, dès le 19 août, ils concluent une trêve qui leur permet d’évacuer la capitale.
La Résistance, elle, en profite pour conforter ses positions. La trêve est la bienvenue : faute de munitions, les insurgés n’auraient pas pu tenir longtemps.
La Résistance envoie le commandant Cocteau (« Gallois »), chef d’état-major de Rol-Tanguy, auprès du général Patton pour signaler aux Américains que la moitié de la ville est libérée mais que la situation des résistants est critique.
Ayant obtenu l’aval de de Gaulle, le général Leclerc donne l’ordre de marche sur Paris aux éléments de reconnaissance de sa 2ème DB. Eisenhower, mis devant le fait accompli, envoie la 4ème Division d’Infanterie du général Barton en renfort.
Reprenons la chronologie des évènements :
Eisenhower donne l’ordre dans la soirée du 22 août au général Leclerc et sa 2ème DB de marcher sur Paris. Or le jour même en début d’après-midi, ce dernier a pris l’initiative de diriger sur Versailles un détachement de sa Division, le groupement Guillebon.
Il y a bien insubordination, puisqu’il a désobéi à son supérieur hiérarchique, le général Gerow.
À partir d’Argentan, l’avancée de Leclerc et sa Division se fait, sans soutien aérien, sur 200 km, en contournant par le sud les positions allemandes placées à l’ouest de Paris.
Enfonçant des portes ouvertes, au milieu d’un enthousiasme populaire indescriptible qui gêne les combattants, la Division Leclerc avance vers la capitale. Soudain, derrière l’ennemi qui reflue en désordre dans la banlieue, les Parisiens voient les trois couleurs sur les tourelles des chars Sherman. À la surprise initiale succède une indicible fierté et des explosions de joie, la foule envahit les rues, on monte sur les chars, les drapeaux fleurissent, la rumeur se propage jusqu’à Paris :
« Les Français, ce sont des Français de Leclerc ! »
La résistance allemande est culbutée, et les hommes du capitaine Dronne entrent dans Paris, par la porte d’Italie et la porte d’Orléans, le 24 août 1944 : la 9ème compagnie du Régiment de Marche du Tchad (surnommée « la Nueve ») est forte de 15 véhicules blindés (dont 11 half-tracks). Elle va se poster en renfort des FFI devant l’Hôtel de Ville, le 24 août à 21h20, pendant que les policiers parisiens actionnent le bourdon de Notre-Dame.
Pourquoi « la Nueve » ? Parce que la compagnie du capitaine Dronne est constituée de républicains espagnols. Les premiers « Français Libres » à entrer dans Paris étaient… des « rouges » espagnols, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite et à leur courage (2).
Le soldat républicain espagnol Amado Granell est le premier « libérateur » à être reçu dans l’Hôtel de Ville par Georges Bidault, président du Conseil National de la Résistance. La 4ème Division d’Infanterie américaine entre par la porte d’Italie le 25 août 1944.
Celle-là, les historiens semblent l’avoir totalement oubliée !
La « section motorisée du 16ème arrondissement », commandée par Jean-Gérard Verdier, guide les blindés dans la capitale. Les alliés atteignent la rue de Rivoli malgré des escarmouches en pleine ville. Après la blessure du capitaine Branet, qui commandait le détachement qui remontait la rue de Rivoli, l’état-major allemand est fait prisonnier par les hommes du lieutenant Henri Karcher.
Il se rend sans combattre pour éviter un bain de sang. Le cessez-le-feu est signé par Leclerc et von Choltitz à la Préfecture de Police. La signature de la capitulation a lieu, à la gare Montparnasse, le 25 août. Et Yvon Morandat prend possession de l’hôtel Matignon au nom du gouvernement provisoire. Le même jour, de Gaulle arrive au ministère de la guerre, puis fait à l’Hôtel de Ville son célèbre discours : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! ».
Georges Bidault lui demande de proclamer la République. De Gaulle refuse et déclare :
« La République n’a jamais cessé d’être ! Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu… ».
Durant plusieurs jours, la population parisienne est partagée entre peur et enthousiasme.
À Paris même, des tireurs isolés, allemands ou miliciens, sont signalés à plusieurs reprises. Cette légende des « tireurs des toits » va perdurer longtemps. Elle permet à des résistants tardifs de défourailler en direction des balcons, au risque de tuer des innocents.
Le 26 août, un défilé de la victoire est organisé sur les Champs-Élysées. La foule joyeuse salue les troupes de Leclerc. La messe d’action de grâce à Notre-Dame est perturbée par une fusillade, car des résistants à la détente facile croient avoir aperçu des tireurs sur les toits (3).
Dans la nuit du 26 août, peu avant minuit, la Luftwaffe lance un ultime raid en guise de représailles, qui touche le Nord et l’Est de Paris. Les bombes incendiaires font 189 morts.
La commune de Bagneux est également touchée, ainsi que Sceaux, qui compte deux tués.
Bilan des combats pour la libération de Paris
On estime le nombre de tués à 130 hommes de la 2ème DB, 532 résistants et… 2 800 civils pris entre deux feux. Parmi les résistants tués on compte 177 policiers (dont 15 fusillés). Les pertes allemandes ne sont pas connues avec précision mais on connait le nombre de prisonniers : 12 800.
Au Sud de Paris, les troupes alliées ont assuré la couverture du flanc droit de la 2ème DB. Sur ordre d’Eisenhower, les hommes de la 4ème Division d’Infanterie américaine, entrés dans Paris le 25 août, ont laissé aux Français le privilège de pénétrer les premiers dans la capitale. Ainsi est née, dans l’inconscient collectif des Français, l’impression (le mythe ?) d’une libération 100% française.
Un mythe qui arrangeait bien de Gaulle car, pour lui, c’était un symbole fort qui rangeait la France dans le camp des vainqueurs du conflit.
A-t-on le droit de minimiser le rôle de la résistance et de la 2ème DB de Leclerc dans la libération de Paris ? Assurément non, mais est-ce une raison pour oublier nos alliés ? Pour affabuler ou enjoliver les faits, voir réécrire carrément l’histoire comme l’ont fait certains auteurs ?
Remettons les choses à leur juste place et admettons que, si l’on avait suivi les plans initiaux du général Bradley, Paris (sans doute vidé, entre temps, d’une partie de ses occupants) aurait été libéré en octobre, sans faire autant de victimes innocentes.
Certes, « Avec des « si », dit-on, on mettrait Paris en bouteille ». On ne peut pas réécrire l’histoire, mais si, pour Henri IV, Paris valait bien une messe, pour les gaullistes et les communistes, elle valait bien quelques centaines de morts… pour rien, sinon pour créer un mythe.
Après la guerre, les communistes se présentaient bien comme le « parti des 75 000 fusillés » alors que le nombre de fusillés a été d’environ 20 000 (4), et tous n’étaient pas communistes, tant s’en faut ! Mais c’est bien connu, quand on aime on ne compte pas ! Au diable l’avarice !
Et puis, il fallait faire oublier les 120 000 victimes d’une sombre période appelée l’Épuration.
J’ai tenté de démystifier tout cela dans un de mes livres (5).
Éric de Verdelhan
Le 27 Août 2022
1)- : n’oublions pas les parachutistes de la France Libre, parachutés en France quelques jours avant le débarquement
2)–: Texte du général Roquejoffre, publiée dans « Le Nouvel Observateur », 19-26 août 2004 : « La 9e compagnie est surnommée la Nueve car elle est essentiellement composée de volontaires espagnols ».
3)-: Il est possible que certains des tirs attribués à des miliciens embusqués aient été l’œuvre de résistants qui, dans la confusion générale, se tiraient les uns sur les autres. de Gaulle qualifiait la rumeur sur les « tireurs des toits » de « tartarinade », exploitée par les communistes.
4)- : Ce chiffre a été donné par François Mitterrand, alors ministre des anciens combattants, le 16 juin 1946. C’est, je crois, ce que le procès de Nuremberg a retenu.
5)- « Mythes et Légendes du Maquis » publié aux Editions Muller.