La Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris est « en péril », prévient la Cour des comptes
PAR LAURENT LAGNEAU · 22 NOVEMBRE 2019
Lors d’une audition parlementaire, fin 2018, le commandant de la Brigade de sapeurs-pompiers [BSPP] de Paris, le général Jean-Claude Gallet, avait prévenu : cette unité de l’armée de Terre [elle relève de l’arme du Génie, ndlr] était alors sur le point de franchir le seuil des 520.000 interventions, soit 70.000 de plus par rapport à ses capacités.
En effet, avec ses 8.500 militaires et ses 76 casernes implantées en région Île-de-France, la BSPP est « taillée » pour assurer, au plus, 450.000 interventions par an et veiller sur une population de 7,5 millions d’habitants et… 35 millions de touristes. Pour sa mission, elle est dotée d’une enveloppe budgétaire de 580 millions d’euros [pensions comprises].
Par ailleurs, un autre chiffre avait été livré, à la même époque, par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales [ONDRP]. Ainsi, il avait constaté une hausse quasi exponentielle [+144%] des agressions commises contre les militaires de la BSPP et leurs camarades du Bataillon de marins-pompiers de Marseille [BMPM, qui relève de la Marine nationale, ndlr] entre 2015 et 2017.
Un an plus tard, la situation n’a guère évolué dans le bon sens… Bien au contraire. Et cela inquiète la Cour des comptes qui, dans un référé publié le 21 novembre [.pdf], a prévenu le gouvernement de « menaces susceptibles de mettre en péril le modèle de fonctionnement de la BSPP », lesquelles ont, jusqu’à présent, été « insuffisamment prises en compte par les autorités de tutelle. » Et d’évoquer le risque d’une « crise majeure qui ne pourrait qu’alarmer l’opinion publique, très attachée à la brigade et aux services qu’elle rend. »
À l’appui, la Cour des comptes a livré quelques indicateurs qui parlent d’eux-mêmes. Ainsi, en 2017, la BSPP a réalisé 11% des interventions dans la France entière alors que ses effectifs de représentent que 3,2% des sapeurs-pompiers.
L’activité de la BSPP « culmine à plus de 10 heures de sortie par engin et par jour pour 40 % des véhicules de SAV » [secours à victimes, ndlr] » et près des « deux-tiers des effectifs de pompiers sont quotidiennement engagés entre 11 heures et 20 heures, rendant aléatoires les réponses qui peuvent être données en cas de survenance d’un évènement majeur ou de mise en œuvre simultanée de plusieurs plans de crise », indiquent les magistrats de la rue Cambon.
Pour ces derniers, cette surchauffe est due aux interventions de secours à victimes [SAV], qui représentent 80,8% de l’activité de la BSPP. Et la Cour des comptes relève que, parmi ces interventions, 20.000 étaient liées à « l’alcoolisme festif » en 2018…
Dans le même temps, et alors que c’est son coeur de métier, la BSPP a réalisé 14.480 interventions, soit seulement 2,9% de son activité.
« L’accroissement structurel du secours à victimes et des besoins en transport vers les hôpitaux relève de facteurs démographiques et sociaux auxquels s’ajoutent le développement des soins ambulatoires et la dégradation de la présence médicale de proximité, notamment en Seine-Saint-Denis. Il en découle une évolution de fait du métier de sapeur-pompier vers un rôle de quasi-intervenant social, ce qui crée des problèmes d’attractivité et de fidélisation pour les jeunes recrues, qui se sont engagées pour exercer des fonctions plus classiques dans un métier qu’ils imaginaient tout autre », explique la Cour des comptes, pour la hausse des agressions commises contre les militaires de la BSPP est évidemment un facteur aggravant.
Ainsi, les chiffres relatifs au recrutement et à la fidélisation s’en ressentent. Si la BSPP « n’est pas encore confrontée à une pénurie de candidatures », il n’en reste pas moins que le ration des recrutés par rapport aux candidats est en chute libre, passant de 1 pour 7,5 à 1 pour 1,9 en deux ans.
« Le risque de pénurie est d’autant plus réel que la brigade recrute à peine un quart des nouveaux personnels en Île-de-France. La grande majorité des militaires du rang sont originaires des petites villes et des zones rurales des régions de l’ouest, du nord et de l’est du pays où ils résident et où ils exercent souvent des missions de sapeurs-pompiers volontaires, tout en multipliant les allers-retours avec la région capitale », prévient la Cour des comptes.
Quant à la fidélisation, elle est mise à mal par les départs massifs des jeunes recrues, lesquelles ont « quitté la brigade, pour près d’un tiers, un an à peine après leur arrivée. » Et la Cour de s’inquiéter également « de sorties massives des effectifs des pompiers chevronnés ayant accompli un temps plus long au sein de l’unité », ce qui « fragilise la BSPP, même si la formation initiale est une de ses forces. »
« La dureté du métier, l’amplitude des horaires et le statut contractuel poussent de nombreux jeunes à rechercher des perspectives plus stables : en 2018, 1.500 sapeurs-pompiers de Paris se sont présentés aux concours des SDIS », relèvent les magistrats.
« Ces difficultés cumulatives et préoccupantes, sont aujourd’hui une menace sur la pérennité du modèle opérationnel de la BSPP. La mise en œuvre d’une véritable gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, centrée sur un meilleur arrimage local des recrutements est devenue nécessaire, notamment afin de recourir plus fortement au vivier de la jeunesse francilienne », estime la Cour des comptes, qui a donc formulé 7 recommandations pour redresser la situation, à moins de cinq ans des Jeux Olympiques de Paris…
Parmi les recommandations avancées, il est proposé de « mettre en place une contribution aux frais d’intervention, dans les cas où les interventions ne se rattachent pas directement aux missions de service public de la BSPP fixées par le code de la défense. » Ce qui serait de nature à faire baisser le nombre des interventions jugées superflues. Dans le même ordre idée, la Cour préconise de « mettre en place les conditions d’une coopération et d’une mutualisation entre la BSPP et les SAMU de Paris et de la petite couronne » pour le transport vers les hôpitaux. Enfin, il est aussi question de « revoir l’organisation du travail afin de se rapprocher des dispositions prévues par la directive européenne du temps de travail [DETT]. »