Dans le domaine militaire, la France et l’Allemagne ont entamé une coopération depuis maintenant longtemps. Coopération qui se traduit, par exemple, par la Brigade franco-allemande [BFA]. Et il est question d’aller encore plus loin, notamment au niveau industriel, avec le développement conjoint d’un Système de combat aérien futur [SCAF] et un nouveau char de combat, appelé à remplacer les Leclerc et les Leopard 2.
Mais cela ne va pas sans susciter quelques problèmes. Si, sur le plan opérationnel, les relations entre militaires français et allemands sont bonnes, les différences au niveau des règles d’engagement qui s’appliquent aux uns et aux autres ainsi que celles concernant leurs doctrines respectives compliquent grandement cette coopération.
Ce point avait d’ailleurs été soulevé en 2015 par Patricia Adam, alors présidente de la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, à l’issue d’une visite à la BFA.
« Les règles juridiques étant distinctes, il demeure impossible d’emmener des unités mixtes au combat et la BFA semble donc pour l’instant condamnée à juxtaposer ses unités », avait en effet expliqué Mme Adam. « La vraie solution n’est pas militaire, mais bel et bien politique : les militaires s’entendent bien et travaillent ensemble ; à nous de donner à cette initiative nouvelle une chance d’aboutir à quelque chose de constructif », avait ensuite souligné Francis Hillmeyer, alors député du Haut-Rhin.
Trois ans plus tard, et alors que, sous l’impulsion du président Macron, a été lancée l’Initiative européenne d’intervention [IEI] afin de faire émerger une culture stratégique européenne avec les pays volontaires, le constat fait par le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], est identique à celui dressé par les députés.
« Dans les relations internationales, le poids historique est majeur. Nous sommes dans une année de commémoration de la Première Guerre mondiale, mais cet anniversaire n’a pas exactement la même signification en France et en Allemagne. Ainsi, il vaut mieux aborder la relation franco-allemande sous l’angle des alliés réconciliés que de reparler en permanence des deux guerres mondiales. Leur sensibilité est très forte sur ce sujet », a commencé par dire le CEMAT, en réponse à une question qui venait de lui être posée sur ce sujet par un sénateur de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées.
Ce « poids de l’histoire » ne porte pas seulement sur la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918. Il se retrouve également, a expliqué le général Bosser, dans « la reconstruction de l’armée de terre allemande, qui reste marquée par deux facteurs : d’une part le poids de l’Otan, y compris en matière d’organisation et d’interopérabilité de l’armée allemande ; d’autre part la volonté d’être prioritairement tournée vers l’Est. »
Or, côté français, le « tropisme » otanien est moins marqué (parce que la France a été absente du commandement militaire intégré de l’Otan entre 1966 et 2009). Et, a rappelé le CEMAT, « traditionnellement, nous avons mené des actions militaires plutôt sur la façade Sud. »
Aussi, a-t-il poursuivi, « au travers des différents travaux, que ce soit l’IEI, la volonté du président de la République d’aller vers plus d’autonomie stratégique européenne, ou la construction d’un char en commun, ces différences se croisent. Il faut alors trouver la bonne intersection dans l’espace et dans le temps. » Et, a estimé le général Bosser, « cela ne va pas être forcément simple ».
Le projet de char franco-allemand sera, à cet égard, un révélateur, d’autant plus que, par la passé, il y a déjà eu trois tentatives dans ce domaine… Et aucune n’a abouti. « Toutefois, il ne faut pas être pessimiste pour l’avenir, car plus on s’éloigne de cette période et plus les choses s’arrangent. Mais il ne faut pas minimiser les difficultés que nous allons rencontrer sur ce projet », a souligné le général Bosser.
Pour rappel, l’Allemagne aura la responsabilité de conduire le programme MGCS [Main Ground Combat System] tandis que la France aura celle du projet SCAF.
« Le char de bataille est un élément structurant de l’armée de terre allemande, et les Allemands sont sensibles aux questions de l’armement principal de cet engin, de sa motorisation et de sa protection », a rappelé le général Bosser. Aussi, faut-il que les états-majors français et allemands parviennent à trouver un terrain d’entente. « Mon objectif initial est que nous nous mettions d’accord sur le besoin militaire dans un premier temps », a-t-il ainsi affirmé.
« Avec mon homologue, j’ai donc l’intention de produire une lettre commune pour afficher ce besoin. L’échéance est fixée à décembre. Globalement, il y a une vision commune sur le besoin militaire », a ensuite poursuivi le CEMAT. Seulement, a-t-il prévenu, les « échanges seront sans doute plus compliqués » pour la « partie industrielle », étant donné que, même si Nexter et Krauss Maffei Wegmann se sont rapprochés, « l’architecture industrielle allemande est très puissante face à des industriels français historiquement moins unis. »
« Enfin, conclu le général Bosser, le seul acheteur de notre char Leclerc ont été les Émirats arabes unis. Les Allemands ont exporté leur char Léopard dans 17 pays, dont une majorité de pays européens (le Luxembourg, la Norvège, le Portugal…). Il y aura, en arrière-pensée, la gestion de l’export de ce nouveau char. »