Parce qu’il était tenu pour responsable d’une nouvelle attaque chimique commise une semaine plus tôt dans un quartier de la Goutha orientale, les forces françaises, américaines et britanniques frappèrent le programme chimique syrien au cours de la nuit du 13 au 14 avril 2018, dans le cadre de l’opération « Hamilton ».
Cette dernière mobilisa, côté français, 3 FREMM, 5 Rafale, 2 E-3F AWACS, 6 avions ravitailleurs C-135FR et 4 Mirage 2000-5 ainsi que des navires de soutien. Au total, 12 missiles de croisières furent tirés, dont 3 MdCN par la FREMM Languedoc [une première pour ce type de munition, ndlr] et 9 Scalp par les Rafale.
Si les cibles désignées furent atteintes, l’opération Hamilton connut cependant quelques ratés. En effet, les FREMM Aquitaine et Auvergne ne purent lancer leurs missiles et ce fut donc celle qui se tenait en réserve qui tira les siens. Beaucoup de choses furent avancées (présence de navires russes dans la zone, défaillance(s) technique(s), etc) par la suite pour expliquer cet enchaînement de circonstances. En juin, la ministre des Armées, Florence Parly, condamna toute spéculation à ce sujet.
« Je ne crois pas nécessaire d’en tirer la conclusion qu’il faut aller baver dans la presse et se tirer une balle dans le pied en jouant contre les intérêts de notre pays », avait affirmé la ministre, avant de qualifier les « fuites » sur l’opération Hamilton de « malveillantes » parce qu’elles « nuisent à nos armées et à nos industries ».
« Après toute opération, il faut tirer des leçons. Les militaires ont un processus bien établi pour cela : les RETEX, ou retours d’expérience, dont nous sommes en train d’exploiter les analyses », avait par ailleurs souligné Mme Parly.
Dans son rapport pour avis relatif aux crédits de la Marine nationale, le député Jacques Marilossian a levé une partie du voile sur ces RETEX concernant l’opération Hamilton.
Ainsi, il ne manque pas de souligner la complexité de cette dernière, que ce soit au niveau stratégique (« il n’est jamais aisé de trouver un accord entre alliés sur le diagnostic de la crise et la réponse à y apporter »), opératif (« le choix des objectifs est par nature plus compliqué à arrêter à trois puissances que dans le cadre d’une opération nationale » et tactique (« il fallait concentrer l’action pour limiter dans le temps l’impact sur les cibles, alors que les plateformes de tir étaient réparties dans de nombreux endroits éloignés les uns des autres », le tout en sachant que les « missiles ont des trajectoires complexes »).
Quoi qu’il en soit, avance le député, la Marine nationale a retenu « quatre séries de leçons » qui éclairent la nature des problèmes rencontrés lors de cette opération.
La première est d’ordre « technique ». En effet, précise M. Marilossian, « les dispositifs matériels de mise en œuvre des MDCN peuvent être améliorés. » Cela étant, rassure-t-il, « les travaux requis ont d’ores et déjà été menés ou sont en cours. »
La second enseignement tiré souligne, plus que jamais, l’importance et les enjeux de la préparation opérationnelle. « Deux des trois FREMM engagées dans l’opération Hamilton étaient déployées dans les zones d’exercice françaises au large de Toulon » lorsqu’elles ont été mobilisées. Pour l’amiral Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], cela montre que « le temps est fini où l’on avait quinze jours pour monter en puissance » en vue d’une opération navale majeure.
En outre, cette préparation opérationnelle doit mettre l’accent sur « l’entraînement au tir. » Sur ce point, M. Marilossian avance que la « Marine a besoin de retrouver un niveau d’entraînement beaucoup plus intensif au tir, notamment au tir de munitions complexes. »
Enfin, le RETEX de ces frappes en Syrie évoque aussi des « enjeux doctrinaux », lesquels concernent la capacité à opérer dans des zones dotées de moyens d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD]. Faut-il comprendre que les forces russes, qui ont déployé de tels moyens dans le cadre de leur engagement sur le territoire syrien, ont gêné la manoeuvre des navires français?
« Hamilton a opéré en zone A2AD ennemie, et les possesseurs de ces moyens de défense avaient pour certains annoncé qu’ils les emploieraient », rappelle le député. « C’est là une rupture avec l’ère de supériorité absolue sur mer et dans les airs », qui pour conséquence que « l’emploi tactique de nos armes doit en être repensé », a expliqué l’amiral Prazuck. Une dimension que prend en compte le « Plan Mercator », lancé durant l’été par ce dernier.
« Nos unités doivent réapprendre à opérer en environnement non permissif, c’est-à-dire miné, brouillé, ‘hacké’, NRBC, tout en se préparant à faire face à de nouvelles menaces qui vont de l’embarcation autonome piégée aux missiles les plus complexes », souligne en effet ce plan.