Collecter massivement toutes sortes d’informations ne sert à rien si l’on n’est pas en mesure de les exploiter, c’est à dire de les analyser afin d’en tirer des conclusions. En 2016, et ne trouvant pas de systèmes français ou européens, la Direction générale de la sécurité intérieure [DGSI], le service de renseignement intérieur français, a attribué à l’entreprise américaine Palentir Technologies un contrat de 10 millions d’euros pour se doter des outils nécessaires au traitement de données. Ce qui a suscité une polémique.
En effet, attribuer un marché à Palantir Technologies dans le domaine du renseignement, c’est, pour ses détracteurs, faire entrer le loup dans la bergerie étant donné que cette entreprise a, en 2004, bénéficié de fonds de la CIA au moment de sa création par Peter Thiel, Alex Karp et Nathan Gettings. Et si les banques et les assurances font partie de ses clients, elle cultive aussi une certaine proximité avec le renseignement, les forces armées et les services de police d’outre-Atlantique.
Proche du président Trump, son co-fondateur, Pieter Thiel, a décrit le fonctionnement de Palantir [dont le nom vient des « pierres de vision elfiques » du Le Seigneur des Anneaux, de J.R.R Tolkien] dans son livre « De zéro à un, comment construire le futur« .
« En plus d’aider à repérer des terroristes, les analystes utilisant le logiciel de Palantir ont été en mesure de prédire là où des insurgés installent des engins explosifs improvisés en Afghanistan, de permettre d’instruire des dossiers de délits d’initiés de grande ampleur, de démanteler des réseaux de pornographie infantile partout dans le monde, de soutenir les centres américains de contrôle et de prévention des maladies dans la lutte contre les épidémies d’origine alimentaire et de faire économiser des centaines de millions de dollars par an aux banques et au gouvernement [américain] grâce à un dispositif de détection avancée de la fraude », a ainsi écrit celui qui a aussi créé Paypal avec Elon Musk [le fondateur de Tesla et de SpaceX].
Prédire les crimes et les délits à venir… L’écrivain de science fiction Philip K. Dick l’avait imaginé dans son livre « Minority Report « … Palantir Technologies l’a en quelque sorte réalisé.
Récemment, le nom de Palantir Technologies a été mêlé à celui de Cambridge Analytica, cette entreprise ayant collecté et exploité, à leur insu, les données de millions d’abonnés au réseau social Facebook, lors de la campagne présidentielle américaine de 2016.
Aussi, à plusieurs reprises, Guillaume Poupart, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informations [ANSSI], a fait part de ses réticences à l’égard des logiciels de Palantir Technologies.
« On peut certes s’interroger sur certains logiciels comme ceux de Palantir […] Il va de soi qu’il faut par exemple déconnecter les logiciels Palantir, qui permettent d’effectuer des recherches dans les données, car il est hors de question que l’éditeur de Palantir ait accès aux données opérationnelles traitées par le logiciel. Or, c’est de plus en plus compliqué : de nombreux éditeurs logiciels, en effet, dégagent leur plus-value en fournissant non plus un simple CD-ROM comme autrefois mais un système à distance, en cloud, qui, pour fonctionner, ne doit plus se trouver chez le client mais chez l’éditeur, ce qui soulève de nombreuses questions », avait ainsi expliqué M. Poupard aux députés de la commission de la Défense.
Plus récemment, au Sénat, il s’est fait plus pressant. « Pour ce qui est de l’exploitation de données massives non structurées, j’avoue ne pas comprendre pourquoi l’on n’est pas capable de faire un Palantir européen. Cela ne me paraît pas hors de portée. Ceux qui dirigeront le monde demain sont ceux qui seront capables de posséder les données et de savoir comment les traiter. Renoncer au traitement des données nous condamne à être des vassaux. Le temps presse. »
Finalement, cette alternative aux logiciels Palantir que le directeur de l’ANSSI appelait de ses voeux existe désormais. Et elle est française.
Ce 16 octobre, le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres [GICAT] a en effet annoncé que le « Cluster Data Intelligence« , une structure réunissant 22 entreprises spécialisés créée en décembre 2016, est en mesure de proposer une offre « cohérente, souveraine, modulaire, compétitive, répondant concrètement aux besoins, avec un coût de possession transparent, à disposition des services de renseignement et entreprises ayant des problématiques liées au Big Data. »
Et d’ajouter : « Cette offre souveraine peut répondre aux besoins et contraintes de l’administration et entreprises françaises, mais elle peut également bénéficier à d’autres pays à la recherche de solutions ‘indépendantes’, représentant ainsi une véritable opportunité à l’export pour les industriels français. »
Cela étant, la Direction générale de l’armement [DGA] conduit un autre programme visant à permettre le traitement massif de données. Appelé « Artemis », il a été confié en novembre 2017 aux sociétés Capgemini et Athos-Bull, ainsi qu’au groupement Thales/Sopra-Steria.
« Dès mi-2019, le cloud Artemis permettra d’inviter des partenaires innovants pour tester l’intégration de leurs modules de traitement et applications. À partir du second semestre 2019, des versions Lab’ équiperont les sites du ministère des Armées pour effectuer des évaluations des nouveaux algorithmes sur des données réelles dont le contrôle sera assuré en toute sécurité. Une première version du système sera fournie fin 2019 et des déploiements pilotes suivront en 2020 à Brest, Rennes et en région parisienne puis sur l’ensemble des réseaux du ministère des Armées », a récemment expliqué la DGA, après un forum dédié à ce sujet.
« À terme, l’écosystème Artemis a vocation à faire émerger des applications utilisant l’intelligence artificielle pour le traitement massif de données qui permettront au combattant de se concentrer sur les informations importantes afin de pouvoir prendre des décisions rapides et efficaces », a-t-elle ensuite indiqué.