L’affaire occupe la presse finlandaise depuis maintenant trois semaines et elle aurait même été abondamment commentée lors de la dernière conférence de Riga sur la sécurité. Pour en comprendre l’importance, il faut remonter deux ans en arrière.
En novembre 2016, la Suojelupoliisi [Police de protection, Supo], chargée notamment de prévenir les menaces pouvant affecter la sécurité de la Finlande, publia un rapport dans lequel elle attirait l’attention sur l’acquisition, par des individus ayant la double nationalité (finlandaise et russe), de terrains ne présentant pas une intérêt économique évident mais situé près d’endroits stratégiques.
« Les propriétaires fonciers travaillant pour le compte d’une puissance étrangère peuvent construire des structures sur leurs propriétés qui peuvent être utilisées, par exemple, pour fermer des voies de transport ou accueillir des troupes non identifiées dans le cas d’une crise », expliquait alors la Supo.
En clair, ces terrains ainsi acquis seraient susceptibles d’abriter des activités d’espionnage ou bien de servir de base à des forces spéciales en vue d’actions futures, en particulier contre les noeuds de communication. Le tout dans un contexte marqué par des tensions avec Moscou.
Seulement, à partir du moment où les transactions sont légales, rien n’empêche un propriétaire d’aménager un terrain qu’il vient d’acquérir comme il l’entend. D’où la difficulté pour les services finlandais de contrer ce phénomène. Cependant, une société, appelée « Airiston Helmi », décrite comme ayant de « nombreuses connexions avec la Russie », a suscité l’attention de ces derniers.
Appartenant à un homme d’affaires russe âgé de 64 ans, associé avec un ressortissant estonien, cette société a multiplié les acquisitions de terrains dans l’archipel de Türku, lui-même situé près de celui d’Äland, stratégique pour le contrôle de la Baltique, au même titre que l’île suédois de Götland.
D’où l’opération lancée par la police finlandaise, le 23 septembre, sur les terrains acquis par Airiston Helmi dans l’archipel de Turku, sur la base de soupçons de fraude(s) fiscale(s) et de blanchiment d’argent.
À en croire le quotidien Kauppalehti, le profil de cette société avait de quoi nourrir les soupçons. « Déficitaire depuis son existence, elle cumule 10 millions d’euros de dette. Au début de l’année, elle n’avait que 6.100 euros en banque. Airiston Helmi a déclaré être une société de tourisme avec également une activité immobilière. L’acquisition de bâtiments militaires achetés lors de ventes aux enchèrs a également soulevé des questions », a-t-il écrit.
De son côté, Helsingin Sanomat, le plus grand quotidien finlandais, a relevé que les terrains acquis par l’homme d’affaires russes et son associé se trouvaient « sur les routes maritimes de la région de Turku ». Et, citant un officier ayant souhaité garder l’anonymat, Lännen Media a précisé que ces terrains « convenaient parfaitement pour la surveillance des routes maritimes et servir de points de chute en temps de crise. »
Lors des perquisitions menées par les policiers finlandais, d’importantes sommes en liquide ont été saisies et ce qui semble être un « centre de communication » a été découvert. En outre, une masse de documents (100 et 200 téraoctets), pour la plupart rédigés en langue étrangère (qui n’a pas été précisé) est toujours en cours d’analyse.
Lors d’une visite en Finlande, le 26 septembre, le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev n’a pas manqué d’être interrogé sur cette affaire, suivie par ailleurs de près par la presse de son pays. Et il ne pouvait pas dire autre chose que Moscou n’avait rien à y voir.
« Penser que l’on puisse utiliser par exemple, la piste pour hélicoptère de Airiston Helmi dans l’archipel à des fins militaires relève de la paranoïa », a ainsi répondu M. Medvedev. « Le blanchiment d’argent est également un crime en Russie, et nous vous aiderons bien sûr si une demande officielle parvient par les voies appropriées. Parce que c’est un citoyen russe qui est accusé, nous souhaitons naturellement qu’il reçoive une assistance consulaire », a-t-il ajouté.
Cela étant, les experts militaires ne sont pas d’accord sur les raisons qui auraient poussé Airiston Helmi à acquérir des terrains situés près d’endroits stratégiques.
Spécialiste de la Russie et des affaires de sécurité à l’Institut des relations internationales de Prague, Mark Galeotti a estimé que « les propriétés et la géographie de la région leur [aux Russes, ndlr) permettent une relative liberté de mouvement ». Et d’ajouter, lors d’un entretien donné à l’Yle, la radio-télévision publique nationale de Finlande : « Il semble qu’il y ait maintenant une place dans votre archipel où la Russie peut envoyer ses forces spéciales. »
A contrario, Arto Pulkki, officier de réserve et expert des questions de défense à l’Université d’Helsinki, ne croit pas du tout à cette thèse, qu’il qualifie même de farfelue. En acquérant des terrains, « je suppose qu’ils [les Russes] pourraient observer et évaluer le trafic local. Mais la Finlande a si peu d’équipements navals qu’il serait trivial de le suivre. Ils pourraient tout aussi facilement le faire depuis le pont d’un yacht. » Mais reste à voir s’il ne s’agit que de surveiller les passages de navires dans le coin…
Quoi qu’il en soit, l’affaire de Turku a été « remarquée tout particulièrement dans les pays Baltes ». Et le journal Turun sanomat de noter, après la conférence de Riga sur la sécurité, que les perquisitions menées à cette occasion ont été « largement, mais pour la plupart officieusement, complimentées par les experts en politique de sécurité » et que « les mesures prises par la Finlande étaient considérées comme un acte renforçant la sécurité en mer Baltique par lequel les Finlandais ont clairement démontré qu’ils sont maîtres chez eux. »