Qu’est-il arrivé au journaliste saoudien Jamal Khashoggi, un collaborateur du Washington Post qui n’a plus donné de signe de vie depuis qu’il s’est rendu au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, le 2 octobre? D’après des avancées par les autorités turques et la presse, tout laisse à penser qu’il est tombé dans un guet-apens des services saoudiens.
Cette hypothèse se fonde sur l’arrivée à l’aéroport Atatürk d’Istanbul, le jour de la disparition du journaliste, de 15 hommes venus d’Arabie Saoudite et repartis quelques heures plus tard. Ont-ils enlevé, voire tué Jamal Khashoggi? Un tel scénario ne serait guère surprenant, étant donné que plusieurs personnalités critiques de la monarchie saoudite (ou en conflit avec cette dernière) ont mystérieusement disparu. Tel est le cas de Nawaf Talal Al-Rashid, arrêté au Koweït et dont plus personne n’a de nouvelles depuis. Ou celui de l’historien Nasser Saïd, partisan d’instaurer une république en Arabie Saoudite. Sa trace se perd depuis qu’il fut fut enlevé à Beyrouth [Liban], en 1979.
Le président Trump, a réclamé des explications à Riyad au sujet de la disparition du collaborateur du Washington Post. « Nous allons étudier cela très, très sérieusement. Je n’aime pas cela du tout. […] C’est un précédent terrible, terrible », a-t-il affirmé, le 12 octobre, tandis que Heather Nauert, la porte-parole du département d’État, a fait part de « l’extrême préoccupation » aux « plus hauts niveaux » de l’administration américaine, tout en appelant à se méfier des « rumeurs » et des « spéculations ».
En attendant, quoi qu’il ait pu se passer, le chef de la Maison Blanche n’a nullement l’intention de remettre en cause les contrats d’armements conclus avec l’Arabie Saoudite. Les Saoudiens « dépensent 110 milliards de dollars en équipements militaires et sur des choses qui créent des emplois […] dans ce pays. Je n’aime pas l’idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars aux États-Unis » qu’ils risqueraient de « dépenser en Russie ou en Chine », a-t-il expliqué. « Si cela s’avère finalement aussi mauvais que cela semble en avoir l’air, il y a certainement d’autres moyens de gérer la situation », a-t-il ajouté.
Lors d’un entretien donné à RFI et à France 24 depuis Erevan, où il était en visite officielle, le président Macron a qualifié de « très grave » l’affaire Khashoggi et dit attendre « que vérité et la clarté soient établies. » Puis, il a ensuite tenu des propos étonnants, alors qu’il était interrogé sur les équipements militaires français vendus à l’Arabie Saoudite et pouvent potentiellement être utilisés au Yémen.
« La France a une politique extrêmement rigoureuse en la matière avec une commission interministérielle de contrôle des armements, qui est présidée par le Premier ministre. […] Nous ne faisons pas partie des fournisseurs sur ces matières-là, de l’Arabie saoudite sur justement sur ce conflit », a déclaré M. Macron.
« Maintenant, il faut être clair, nous avons avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis un partenariat de confiance dans la région qui est important, qui n’est pas commercial, qui est stratégique. Et je le dirais qu’il est plus encore avec les Émirats arabes unis. Nous avons comme vous le savez une présence militaire importante. Ce n’est pas des intérêts commerciaux, c’est l’État français en tant qu’Etat souverain parce que nous partageons des intérêts communs dans la région parce que la stabilité de la région nous importe, parce que la lutte contre le terrorisme se fait aussi avec ces États », a-t-il ajouté.
Auparavant, le président français s’était défendu d’avoir « installé la diplomatie en fonction de critères commerciaux. » Et de poursuivre : « Pour moi, il y a une chose extrêmement simple dans la grammaire de la diplomatie française, c’est que le politique prime sur l’économique. Donc jamais des intérêts de telle ou telle entreprise n’ont primé sur la voix de la France et ce qui était nos intérêts stratégiques. »
En outre, a insisté M. Macron, « il est faux de dire que l’Arabie saoudite est un grand client aujourd’hui de la France dans quelque domaine que ce soit. Ça n’est pas le cas. »
Or, selon le dernier rapport remis en juillet 2018 sur les exportations d’armement, les prises de commandes saoudiennes auprès de l’industrie française de défense ont atteint 11,13 milliards d’euros sur la période 2008-2017, soit 2 milliards de plus par rapport à celles passées par l’Inde. En clair, au cours de ces dix dernières années, l’Arabie Saoudite arrive en seconde position, devant le Qatar, l’Égypte et le Brésil.
À titre de comparaison, les prises de commandes constatées durant la même période n’atteignent pas les 6 milliards d’euros au niveau des pays de l’Union européenne.
En 2017, le Proche et le Moyen-Orient ont représenté 60% des commandes passées auprès des industriels français de l’armement. Le Koweït arrive en tête (1,1 milliard), suivi par le Qatar (1,08 milliards), les Émirats arabes unis (701 millions) et l’Arabie Saoudite (626 millions).
En avril, à l’occasion d’un déplacement du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Paris, des accords commerciaux et des lettres d’intention – dans le domaine civils cette fois – ont été signés pour un montant total de 18 milliards de dollars. S’agissant des contrats d’armement, il faudra attendre la fin de cette année, c’est à dire quand le président Macron se rendra à Riyad pour une visite officielle.
Quoi qu’il en soit, interrogé sur les équipements militaires français vendus à l’Arabie Saoudite et pouvent potentiellement être utilisés au Yémen, le président Macron a assuré que « la France a une politique extrêmement rigoureuse en la matière » et qu’elle ne faisait « pas partie des fournisseurs sur ces matières-là de l’Arabie saoudite sur ce conflit. »