« Le moine prêchait contre le vol quand il avait du boudin dans sa manche », dit un proverbe anglais. Ce qui donne une image de la politique allemande en matière de ventes d’armes.
En décembre 2013, alors nouveau ministre allemand de l’Économie, le social-démocrate Sigmar Gabriel, s’était élevé contre toute exportation de matériels militaires en direction de pays ne respectant pas les droits de l’Homme ou engagés dans un conflit. Il s’agissait de revenir à une ligne plus orthodoxe, après des débats sur l’opportunité de vendre ou non des chars Leopard 2 à l’Arabie Saoudite.
Quatre ans plus tard, et selon une enquête de la chaîne publique de télévision ARD, il apparut que le gouvernement auquel appartenait M. Gabriel avait accordé un nombre record de licences d’exportation vers des pays n’appartenant ni à l’Otan ni à l’Union européenne (+45% par rapport à la période 2010-13). Et parmi les plus grands clients figuraient l’Algérie (1,36 milliard), l’Égypte (708 millions, soit une hausse de 77% que l’ONG Amnesty International n’a pas visiblement pas remarquée), l’Arabie Saoudite (254 millions) et les Émirats arabes unis (213 millions, +25%).
Au début de cette année, quand les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU et les sociaux-démocrate du SPD trouvèrent un accord pour former à nouveau une grande coalition dirigée par la chancelière Angela Merkel, il n’était plus question de livrer des équipements militaires à l’Arabie Saoudite, en raison de l’implication de cette dernière au Yémen.
Seulement, en septembre, l’on apprenait que Berlin était sur le point d’accorder à nouveau des licences d’exportations de matériels militaires à l’Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, à la Jordanie et même au Pakistan. Mais après l’affaire Kashoggi [ce journaliste saoudien assassiné en Turquie, ndlr], le gouvernement allemand a de nouveau eu des remords, au point de demander aux pays de l’UE de suspendre leurs livraisons d’armes à destination de l’Arabie Saoudite.
« Nous avons dit qu’il faut éclaircir ce qui constituait les dessous de ce crime horrible et jusque-là, nous n’allons pas fournir d’armes à l’Arabie saoudite », a affirmé Mme Merkel, depuis Prague. « Nous allons naturellement parler au sein de l’UE pour savoir comment nous voyons nos démarches ultérieures », a-t-elle ajouté. Des propos qui ont visiblement agacé Emmanuel Macron.
« C’est pure démagogie que de dire d’arrêter les ventes d’armes » à Riyad, a rétorqué le président français. Ces exportations n’ont « rien à voir avec M. Khashoggi, il ne faut pas tout confondre », a-t-il lancé, lors d’une conférence de presse donnée à Bratislava.
« Je suis très admiratif envers ceux qui, avant de savoir, disent ‘on ne vendra plus d’armes’! Ils en vendent déjà parfois plus que la France à travers les joint ventures (coentreprises) qu’ils ont! », a taclé M. Macron, en répondant à une question sur l’appel de Berlin et de Vienne à cesser de vendre des armes à l’Arabie Saoudite.
« Et quel est le rapport entre les ventes d’armes et M. Khashoggi? » a ensuite demandé M. Macron. « Je comprends le lien avec le Yémen mais il n’y en a aucun avec M. Khashoggi! Si on veut prendre des sanctions, il faut en prendre dans tous les domaines! Il faut dans ce cas arrêter de vendre des véhicules », a-t-il poursuivi, en disant attendre que « les faits soient établis clairement et surtout les responsables et les commanditaires, pour en tirer les conséquences et les sanctions », qui doivent être « claires, cohérentes » « dans tous les domaines et « avec une réponse européenne. »
S’agissant des exportations d’armes, la ministre des Armées, Florence Parly, a répété la politique française lors d’une récente audition au Sénat.
« Ces ventes d’armes font l’objet d’une analyse au millimètre près […] qui prend en compte des critères très nombreux parmi lesquels la nature des matériels exportés, le respect des droits de l’homme, la préservation de la paix et de la stabilité régionale », a-t-elle dit. « Elles concourent aussi à notre autonomie stratégique […] De plus en plus, notre base industrielle et de défense a besoin de ces exportations d’armements », a par ailleurs souligné Mme Parly. « On ne peut pas faire totalement abstraction de tout l’impact que tout ceci a sur nos industries de défense et nos emplois », a-t-elle insisté.
À l’Assemblée nationale, l’été dernier, la ministre avait évoqué la « protection de nos intérêts directs de sécurité » dans le golfe arabo-persique, où vivent 30.000 ressortissants français. D’où l’importance des accords de défense passés avec les pays de la région [Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Qatar et Koweït, ndlr].
« Il y a une coopération forte avec la plupart des pays occidentaux, avec des relations militaires qui sont claires, revendiquées, et totalement transparentes », a donc rappelé M. Macron. « L’Arabie saoudite est un pays stratégique dans la géopolitique mondiale, dans la fourniture de pétrole au reste de la planète. Beaucoup s’interrogent sur la montée du prix du pétrole. Qu’ils s’interrogent aussi sur les conséquences qu’il promeuvent compte tenu de la place de ce pays dans cette géopolitique. Nous n’en sommes pas dépendants mais nous avons des partenariats et des règles se sont mises en place », a-t-il fait valoir.
Reste que cette divergence (apparente) de vues entre Paris et Berlin pourrait avoir des conséquences sur le développement du Système de combat aérien futur [SCAF] et du futur char de combat, comme sur les exportations françaises d’équipements militaires intégrant des composants allemands.
« Les questions d’exportation sont un sujet important, mais politiquement très sensible en Allemagne. Nous entretenons un dialogue très nourri sur le sujet. Il faut que ces questions soient clarifiées le plus en amont possible. Ces grands projets ont besoin de pouvoir être définis de manière exportable dès l’origine. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté sur ces questions. Le dialogue se poursuit », a expliqué M. Parly lors de son dernier passage devant les sénateurs.
« Avec mon homologue allemande, nous nous sommes accordées sur le fait que le char de combat et le système de combat aérien du futur devraient être exportables. Les questions liées à l’exportation des matériels que nous avons déjà conçus ensemble ou qui incluent des composants provenant d’Allemagne est encore devant nous », a conclu la ministre.
Photo : Système de défense aérienne « Oerlikon 35 mm », dont est équipée la Royal Saudi Air Defense. Entreprise suisse Oerlikon Contraves est une filiale de l’allemand Rheinmetall depuis 1999