Au risque de mécontenter les États-Unis, l’Inde a signé, ce 5 octobre, un contrat de 5,2 milliards de dollars pour acquérir le système de défense aérienne russe S-400. L’annonce de cette commande, pourtant attendue, a été fort discrète dans la mesure où ni le Premier ministre indien, Narendra Modi, ni le président russe, Vladimir Poutine, actuellement en visite officielle à New Delhi, l’ont évoquée lors de leur conférence de presse conjointe. Il en a été question uniquement dans la déclaration commune publiée à l’issue de la rencontre des deux dirigeants.
Cet achat de systèmes S-400 par New Delhi met Washington dans l’embarras étant donné que l’administration américaine mise sur l’Inde pour contrer l’influence chinoise dans la région Indo-Pacifique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le marché indien de la Défense fait l’objet d’une attention toute particulière outre-Atlantique, au point d’avoir signé, en septembre, un accord sur le partage d’informations tactiques. Ces dernières années, le ministère indien de la Défense a commandé des avions P-8I Poseidon, C-17 Globemaster III et C-130 Hercules ainsi que des hélicoptères d’attaque AH-64 Apache.
En vertu de la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], qui vise à empêcher tout commerce avec des entreprises russes du secteur de l’armement, l’Inde pourrait théoriquement s’exposer à des sanctions américaines, même si la loi de financement du Pentagone [National Defense Authorization Act – NDAA] pour 2019 prévoit des exemptions, conformément au souhait de James Mattis, le chef du Pentagone, qui voulait justement éviter des complications diplomatiques avec un pays clé comme l’Inde.
Pour autant, les responsables américains risquent de ne pas être au bout de leur peine. Le 1er octobre, le chef d’état-major des forces terrestres indiennes, le général Bipin Rawat, a entamé une visite bilatérale de six jours en Russie, avec, au programme, des entretiens avec de hauts responsables militaires russes.
« Cette visite est une nouvelle étape dans la relance du partenariat stratégique indo-russe et dans le renforcement de la coopération entre militaires », a expliqué le ministère indien de la Défense, au sujet de ce voyage du général Rawat en Russie.
Or, selon des sources indiennes, l’un des sujets abordés par le général Rawat en Russie sera l’éventuelle acquisition du nouveau char russe T-14 Armata ainsi que du véhicule de combat d’infanterie T-15 Armata, destiné à remplacer le BMP-2 et le MT-L au sein des forces russes.
Les besoins indiens en la matière sont énormes dans la mesure où il s’agit de remplacer jusqu’à 1.770 véhicules de combat blindés dans les années 2020 ainsi que les chars T-72 MBT. Un tel contrat pourrait atteindre les 10 milliards de dollars, avec l’obligation de fabriquer les engins en Inde.
Pour rappel, l’industrie indienne développe, depuis 1974, le char Arjun, dont le prix unitaire avait été estimé à 5,6 millions de dollars en 2006. Mais les 124 exemplaires en service ont été immobilisés pendant plus d’un an en raison d’un manque de pièces détachées.
Pour les responsables russes, le marché indien serait une bouée de sauvetage pour le T-14 Armata, commandé à seulement une centaine d’exemplaires, faute de crédits suffisants. Pour le moment, l’état-major russe se contente de chars T-72 et T-90 modernisés
Le T-14 Armata « est encore en phase de test alors que la situation géopolitique actuelle exige une réponse rapide à la ‘menace’ de l’Otan. Or, l’achat de T-72 modernisés résout ce problème », expliqua Igor Korotchenko, le directeur du Centre d’analyse du commerce mondial des armes basé à Moscou, selon l’agence Bloomberg.
Dévoilé officiellement en 2015, le T-14 Armata dispose d’une tourelle automatisée et du système de protection active Afganit. Mis en oeuvre par un équipage de seulement trois hommes, placés dans une capsule blindée, il affiche une masse de 57 tonnes en configuration de combat. Il est armé d’un canon de 125 mm, de missiles anti-char Sokol-1 et d’une mitrailleuse de 12,7 mm (en option).