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Dans un document intitulé « Vision stratégique pour une singularité positive« , rendu public le 21 septembre, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a fixé sept objectifs pour que la France puisse disposer, conformément à la volonté présidentielle, des « armées puissantes, disposant de capacités de combat les plus modernes, aptes à jouer un rôle moteur en Europe, agiles dans leur mode de pensée et leur fonctionnement et connectées aux mondes extérieurs. »
Mais avant cela, le général Lecointre a fait un état des lieux. Comme il l’avait affirmé en juillet, à l’occasion d’une audition à l’Assemblée nationale, il décrit un « modèle d’armée éprouvé [dans le sens où il a fait ses preuves, ndlr] mais fragile. »
Un constat par ailleurs partagé par la ministre des Armées, Florence Parly, dans un entretien donné au quotidien « Le Parisien », le 20 septembre. « S’il s’agit de dire que nos forces ont été utilisées de façon très intense alors que les moyens étaient en décroissance, personne n’est en désaccord sur ce point », a-t-elle en effet affirmé.
« La masse des forces et de leurs soutiens demeure à un niveau historiquement bas, tant en termes d’effectifs que de matériels. Les
marges de manœuvre et les capacités de redéploiement sont strictement limitées. Si la capacité à répéter les efforts est révélatrice d’une force morale collective indéniable, elle ne permet pas de compenser l’usure prononcée des hommes et des équipements majeurs », a ainsi constaté le CEMA.
Et ce dernier d’insister : « l’insuffisance de la masse critique disponible, malgré la montée en puissance de la réserve, limite la capacité de réaction et la liberté d’action militaire en cas de crise cumulative ou d’attaques multiples visant nos intérêts et le territoire national. »
Un autre constat, qu’il avait déjà précédemment fait lors de ses dernières auditions au Parlement, serait plutôt une critique des réformes appliquées aux Armées à partir de 2007/2008, avec une « réorganisation » qui a, en quelque sorte, « désorganisé » les soutiens dans la mesure où elle a remis en cause des principes qui avaient fait leurs preuves jusqu’alors. Mais, à l’époque, il fallait « rationaliser » pour faire des économies et trouver plus de 50.000 postes à supprimer. Et le « management » avait supplanté le « commandement ».
« L’organisation générale du ministère a été repensée en profondeur dans une logique de déflation des effectifs, entre 2007 et 2015. L’approche fonctionnelle, adoptée alors et conservée depuis, diverge de la logique hiérarchique et organique caractérisée par l’adage : « un chef, une mission, des moyens », a déploré le CEMA.
« Dans certains domaines, notamment celui du soutien, elle a complexifié les procédures, ralenti la prise de décision, déresponsabilisé les chefs militaires et affaibli leur légitimité à l’égard de leurs subordonnés », a-t-il continué.
Et « l’atomisation des responsabilités a engendré certains déséquilibres et induit des fragilités structurelles en termes de résilience et de résistance qu’il convient de corriger tout en s’assurant de la préservation des acquis liés aux travaux de rationalisation », a encore fait valoir le général Lecointre.
En outre, le CEMA s’en est aussi pris à la « surabondance des normes civiles, nationales, européennes et internationales », dont la « transposition indiscriminée présente un risque pour la singularité militaire et in fine pour l’efficacité opérationnelle des armées. »
Ce constat fait, le général Lecointre a donc défini sept objectifs pour que les armées soient en mesure de relever les défis qui se posent à elles, dans un contexte marqué par des menaces « permanentes, simultanées et intégrales », dans un monde caractérisé par toujours plus d’imprévisibilité.
Le premier de ces objectifs concerne la résilience des armées, laquelle « concourt très directement à celle de l’Etat, repose sur la redondance des systèmes et des hommes, sur la disposition en interne des compétences qui permettent de continuer à fonctionner en situation de chaos et sur l’aptitude des forces à opérer en mode alternatif au tout technologique. »
Pour le général Lecointre, « le mix ‘hypertechnologie, low-technologie, rusticité’ doit éclairer notre manière d’envisager nos procédures et notre organisation. »
Le second objectif vise à « responsabiliser » car il est, estime le CEMA, « indispensable de consacrer la subsidiarité comme principe de l’organisation militaire afin de libérer les initiatives, faciliter la saisie d’opportunité et valoriser l’action de tous les échelons dans le respect des prérogatives de commandement. »
« Unifier » est la troisième priorité du CEMA. « La logique opérationnelle de commandement doit prévaloir sur la seule logique de management », insiste-t-il. Car, « en instaurant une distance entre les forces, d’une part, et l’administration et le soutien, d’autre part, les réformes successives ont généré des rigidités de fonctionnement, incompatibles avec les nouveaux impératifs de disponibilité et d’autonomie opérationnelle, notamment sur le territoire national », fait-il valoir.
Aussi, il s’agira donc de « ré-harmoniser les modes de fonctionnement sur un référentiel opérationnel, en rapprochant le soutien et les forces, sans s’interdire d’externaliser le soutien courant des entités non opérationnelles. »
« Penser autrement » pour innover en permanence, tel est le quatrième objectif du CEMA. « Tout en conservant leur capacité unique à planifier sur le temps long, en lien étroit avec la Direction générale pour l’armement, les armées doivent développer leur aptitude à s’inscrire dans des processus d’innovation de temps court », détaille-t-il.
« Il est nécessaire de promouvoir, en parallèle, une dynamique exploratoire pour investir, en partenariat avec des acteurs externes, les ‘terrae incognitae’, souterraines ou émergentes, hors de notre référentiel classique mais que l’ennemi ne manquerait pas d’exploiter comme une opportunité de contrebalancer notre supériorité conventionnelle », assure le général Lecointre.
Le cinquième objectif de cette « Vision stratagique » est « intégrer les acteurs civils ou militaires, institutionnels ou non, français ou étrangers » afin de compenser le « dimensionnement au plus juste de notre modèle d’armée » et remédier à « l’incertitude qui pèse sur la pérennité de nos alliances et les stratégies totales de nos adversaires. »
« La combinaison des effets et des moyens, conventionnels et non conventionnels, est à rechercher dans les trois milieux traditionnels, dans le cyber et l’espace et à anticiper dans les champs émergents. Cette dynamique s’accompagne nécessairement d’une meilleure intégration du volet médiatique et informationnel », explique le CEMA.
Autre objectif : l’attractivité et la fidélisation, lesquelles « reposent sur « la combinaison d’une identité militaire assumée et la garantie d’une vie professionnelle et personnelle rendue décente par la prise en compte des contraintes attachées à l’état militaire et aux spécificités de milieu. »
Pour le général Lecointre, la politique des ressources humaines doit « attirer les talents, donner l’envie de rester, faciliter le départ, rendre possible le retour ». Et à cette occasion, il a une nouvelle fois prévenu que la « réforme à venir des rémunérations comme celle des retraites doit explicitement reconnaître l’exceptionnalité du fait militaire par des mesures positives, qui ne sauraient souffrir d’un décrochage avec les forces de sécurité intérieure, et qui seront nécessairement distinctes du reste de la fonction publique. »
Enfin, le dernier objectif défini par le CEMA vise à faire en sorte que les armées, tout en n’ayant aucune crainte à affirmer leurs valeurs (courage, rigueur, discipline, esprit de corps, abnégation, cohésion fraternelle, etc) « doivent répondre au double impératif de préserver les vertus militaires qui fondent leur aptitude à faire la guerre et de rester en phase avec la société civile. »
« Les valeurs de la République inspirent la manière dont les armées combattent et pensent la guerre. Celles-ci en tirent une exigence : la mise en œuvre de la force maîtrisée », rappelle le général Lecointre. Par ailleurs, les armées « doivent également être sensibles aux évolutions normatives et sociétales, tout
en évitant tout de phénomène de banalisation. »