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La semaine passée, malgré les réticences du Sénat américain, Lockheed-Martin a officiellement remis à la force aérienne turque son premier avion F-35A, lors d’une cérémonie organisée à Fort Worth [Texas]. Cet appareil doit être transféré à la base aérienne de Luke [Arizona] où les pilotes turcs doivent entamer leur « transformation ». Ce qui pourrait prendre un à deux ans, selon le Pentagone.
Seulement, rien ne dit que les F-35A pourront quitter le territoire américain. En effet, et c’est d’ailleurs la raison qui explique les réticences des sénateurs américains, le rapprochement de la Turquie, membre de l’Otan, et de la Russie pose un problème dans la mesure où Ankara a commandé auprès de Moscou quatre systèmes de défense aérienne S-400 « Triumph ».
Or, avec ce contrat, la Russie pourrait avoir accès à des informations confidentielles sur les caractéristiques du F-35A. Et cela rendrait l’avion de Lockheed-Martin plus vulnérable, d’autant plus que la tendance actuelle est marquée par le déploiement de capacités A2/AD (Anti-Access/Area-Denial) que l’appareil américain est censé contrer.
« C’est une affaire très sérieuse », a lancé Wess Mitchell, chargé des relations avec l’Europe et l’Otan au département d’Etat américain, lors d’une audition parlementaire, le 26 juin. « Nous avons clairement dit à plusieurs reprises au plus haut niveau du gouvernement turc qu’il y aura des conséquences » si la Turquie confirme son projet d’acquérir des systèmes russes S-400, a-t-il ajouté.
Pour dissuader la Turquie de se procurer de tels systèmes auprès de la Russie, M. Mitchell a évoqué des sanctions qui s’appliqueraient à Ankara en vertu d’une loi américaine [CAATSA, pour Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act, ndlr] qui interdit tout contrat avec de entreprises du secteur russe de l’armement. Et, a-t-il prévenu, une « acquisition de S-400 aurait inévitablement des conséquences sur l’avenir de la coopération militaro-industrielle turque avec les Etats-Unis, y compris concernant les F-35. »
« Nous avons été on ne peut plus clairs, en privé comme en public: une décision sur les S-400 changera les relations américano-turques de manière difficilement remédiable », a insisté M. Mitchell. Et cela peut avoir des conséquences pour les forces armées turques, notamment au niveau de la maintenance de leurs F-16, construits par Lockheed-Martin.
« Les États-Unis restent en possession de l’avion jusqu’à son transfert qui intervient normalement après un long processus de formation », a rappelé le responsable de la diplomatie américaine. Aussi, a-t-il continué, Washington peut encore très bien, au niveau juridique, annuler la commande de 100 F-35A faite par la Turquie en invoquant des « préoccupations de sécurité nationale. »
La formation, à Luke AFP, des futurs pilotes turcs de F-35A « joue à notre avantage, car cela nous donne plus de temps pour continuer à faire pression » sur la Turquie « avant de prendre une décision définitive », a estimé M. Mitchell.
Le souci est que la Turquie est un partenaire de troisième niveau du programme F-35, avec l’implication d’une dizaine d’industriels, dont Turkish Aerospace Industries, Kale Group, ALP Aviation et Ayesas. La participation de ces derniers à la production du F-35 devrait générer plus de 12 milliards de dollars. Un point que n’a pas manqué de rappeler Mevlut Cavusoglu, le ministure turc des Affaires étrangères. « Nous sommes signataires avec les autres partenaires. Nous sommes impliqués dans ce projet. Personne ne peut donc remettre en cause unilatéralement un accord de coopération internationale », a-t-il fait valoir, à l’antenne de CNN Turk, le 21 juin.