Le projet de Loi de programmation militaire 2019-2025, actuellement examiné par le Sénat, prévoit de porter la provision des surcoûts liés aux opérations extérieures, inscrite au budget des Armées, de 450 millions à 1,1 milliard d’euros d’ici 2021. Ce montant se rapproche de celui qui a régulièrement été constaté au cours de ces dernières années. Tout dépassement éventuel sera pris en charge par un financement interministériel.
Cependant, cette approche tranche avec celle qui avait été défendue par Jean-Yves Le Drian, quand il était ministre de la Défense. Pour ce dernier, sous-évaluer les surcoûts « OPEX » devait permettre la prise en charge de leur dépassement par un financement interministériel.
« Certains, en effet, voudraient qu’on évalue avec suffisamment de précision les OPEX afin que le chiffre de leur financement soit le plus cohérent possible ; ce chiffre, dès lors, ne correspondrait plus aux 450 millions d’euros inscrits dans le budget, mais, pour ce qui est de l’année 2016, serait de 1,2 milliard d’euros », s’était expliqué M. Le Drian, à l’Assemblée nationale, lors d’une audition devant une commission élargie, en novembre 2016.
« Reste que cette orientation n’est pas favorable pour l’heure au ministère parce que tout dépassement d’une provision pour OPEX par rapport au socle prévu par la loi de programmation militaire […] ne serait plus partagé et seul le ministère de la Défense devrait l’assumer sur ses différents chapitres et vraisemblablement au détriment de ses acquisitions et de sa trajectoire capacitaire. Bref, je ne crois pas qu’il s’agisse de la bonne méthode », avait-il ajouté.
Aussi, fit valoir l’ex-ministre de la Défense, celle prônée par la seconde école [c’est à dire la sienne, ndlr] me paraît meilleure, sous réserve bien sûr, que les surcoûts soient entièrement identifiés et que leur couverture interministérielle soit totalement assurée. Cela a été jusqu’à présent le cas : l’ensemble des surcoûts liés aux OPEX a été pris en compte par un financement interministériel depuis 2012. »
Seulement, cette approche a au moins deux inconvénients. Le premier est qu’elle suppose de geler (voir de sur-geler) des crédits à un niveau relativement important en début d’exercice, ce qui peut donner lieu à des tensions sur la trésorerie, comme la Direction générale de l’armement a pu récemment en connaître. Le second est que le ministère des Armées n’est pas dispensé de participer au financement interministériel de fin d’année pour prendre en charge les surcoûts OPEX et d’autres dépenses de l’État qui n’avaient pas été financés initialement. Et sa contribution est d’environ soit 20%.
D’où l’amendement COM-30 adopté par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, lequel indique que la « la participation de la mission ‘Défense’ à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu’elle représente dans le budget général de l’Etat. »
« Le gouvernement reconnaît que le financement du surcoût des OPEX et Missint [mission intérieure, ndlr] au-delà de la provision doit être assuré par un financement interministériel, car ces opérations résultent directement des décisions politiques du président de la République. Mais évitons la pratique fréquente auparavant d’appel des crédits de la mission ‘Défense’, et singulièrement ceux du programme 146 [équipement des forces, ndlr], bien plus que proportionnellement, dans cette solidarité interministérielle. Le ministère des armées doit participer à la solidarité interministérielle, mais à proportion de son poids », a justifié le sénateur Cédric Perrin.
« La Cour des comptes a plusieurs fois souligné à quel point le rabotage des programmes d’investissements pour cause de régulation budgétaire, s’il dégage à court terme des crédits, se révèle coûteux sur moyen et long terme », a-t-il également fait rappelé.
Justement, s’agissant des surcoûts « OPEX », la Cour des comptes a déploré, dans un rapport publié en octobre 2016 [.pdf], que ces derniers, compliqués à calculer, n’étaient pas correctement évalués. Notamment pour ce qui concerne l’usure des matériels. Pour rappel, entre 2014 et 2017, pas moins de 86 véhicules militaires français ont été soit endommagés, soit détruits en opération.
« Sauf exception, la consommation du potentiel des matériels et leur remplacement en cas de perte ne sont pas pris en compte au sein des surcoûts OPEX, s’agissant de coûts visant la fourniture – au sens large – de matériels utilisés en OPEX », estimèrent les magistrats de la rue Cambon . Et d’ajouter : « Cependant, compte tenu du nombre (excédant celui prévu par les scénarios de référence des contrats opérationnels) et des conditions des engagements, ils occasionnent des dépenses de régénération ou d’acquisition dont l’ampleur et l’écart par rapport à la norme doivent être appréhendés, afin d’ajuster la programmation budgétaire d’une part et d’approcher les coûts complets attribuables aux OPEX d’autre part. »
Un constat identique avait été fait par le sénateur Dominique de Legge, dans un rapport publié au même momet et intitulé « Le financement des opérations extérieures : préserver durablement la capacité opérationnelle de nos armées. » Dans ce document, le parlementaire déplorait le fait que « l’usure prématurée des matériels, liée aux phénomènes de surintensité et de suractivité, est imparfaitement comptabilisée. » Ce que d’autres, avant lui, avaient aussi souligné. Comme les députés Louis Giscard d’Estaing et Françoise Olivier-Coupeau, dans un rapport sorti en 2009.
Aussi, cela fait un moment qu’il est demandé que l’usure des matériels usés en opération soit prise en compte dans le calcul des surcoûts « OPEX ». Et cela est d’autant plus important que les engagements actuels des forces françaises mettent les équipements à rude épreuve, en particulier au Sahel.
Lors de l’examen du projet de LPM, la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées a adopté l’amendement COM-28, qui vise justement à prendre en compte cette demande.
Ce dernier, a expliqué la sénatrice Hélène Conway-Mouray, « inclut, dans le calcul des surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (Missint), l’impact indirect des dépenses d’investissement rendues nécessaires par l’usure accélérée des matériels en opération. » Et d’insister : « Nous souhaitons disposer d’un budget sincère, reposant sur des coûts réels et sans factures cachées qui poseraient problème pour l’évaluation du matériel et des effectifs. »