Le projet de Loi de programmation militaire 2019-2025 se distingue des précédents par le fait qu’il porte l’ambition de moderniser les forces françaises en leur octroyant 295 milliards d’euros sur la période considérée tout en rompant avec les déflations d’effectifs, en promettant la création de 6.000 nouveaux postes, et les années de sous-investissements.
En outre, ce texte l’accent sur l’innovation, la condition des militaires et la régénération d’un potentiel usé par des années d’interventions extérieures. Enfin, il prévoit d’accélérer le renouvellement de certains matériels, voire d’augmenter le niveau des commandes (comme pour les blindés médians de l’armée de Terre ou encore les avions ravitailleurs A330 MRTT de l’armée de l’Air).
Aussi, au Sénat, qui examine actuellement ce texte, la commission des Affaires étrangères et des Forces armées a salué les intentions du gouvernement tout en mettant toutefois des bémols. En effet, cette dernière, comme d’ailleurs pour celle des Finances, ce projet de LPM présente quelques fragilités, voire des lacunes.
Tout d’abord, la première fragilité identifiée par les sénateurs est, sans surprise, la trajectoire financière de ce projet de LPM, dans la mesure où l’essentiel de l’effort budgétaire pour atteindre des dépenses militaires équivalentes à 2% du PIB se fera après 2022, avec des « marches » à 3 milliards d’euros.
Or, comme une « clause de revoyure » est prévue en 2021, la commission des Affaires étrangères et des Forces armées [.pdf] y voit le « risque d’une révision à la baisse de la deuxième partie de la programmation (de loin la plus ambitieuse) si la situation économique ne s’est pas améliorée. »
Aussi, la « commission émet de sérieux doutes sur la soutenabilité de cette hausse brutale en fin de période », étant donné qu’elle « avait au contraire dans son rapport ‘2% du PIB pour la défense’ [publié en mai 2017, ndlr] recommandé d’étaler l’effort de façon continue sur la durée de la programmation. »
Sur ce point, la commission sénatoriale des Finances ajoute [.pdf] que, « comme dans le cadre de la précédente programmation, la trajectoire d’évolution des crédits de la mission ‘Défense’ est construite en euros courants, présentant un risque en cas d’évolution défavorable des indices économiques. » Qui plus est, son équilibre « repose sur des hypothèses d’export concernant le Rafale (livraison d’au moins 16 avions entre 2024 et 2025), l’A400M (livraison de 11 avions entre 2022 et 2023) et le NH 90 (livraison de 9 hélicoptères entre 2022 et 2023). »
Les deux commissions du Sénat estiment par ailleurs que les contrats opérationnels des armées auraient dû être « réhaussés », en raison de « l’état des menaces et le surengagement actuel des armées ». Faute de quoi, cela « continue à faire peser un risque de suractivité sur les armées. »
Celle des Finances va plus loin. « Cette situation présente deux risques : d’une part, le maintien du niveau d’engagement actuel ne sera pas soutenable dans le temps, d’autre part, de manière liée, elle ne laisse pratiquement aucune marge de manoeuvre pour l’ouverture d’un nouveau théâtre », écrit son rapport pour le projet de LPM, Dominique de Legge.
Autre fragilité identifiée par les sénateurs : le flou des engagements de la LPM en matière d’équipements. La commission des Affaires étrangères et des Forces armées dénonce en effet « l’absence de calendrier détaillé par année du programme d’équipement, seuls des objectifs lointains (2025 et 2030) étant précisés » et « regrette « l’absence de trajectoire financière pour les infrastructures ou d’indicateurs annuels pour la remontée des taux d’entrainement ou de disponibilité des matériels. » Aussi, estime-t-elle, « cette information lacunaire résulte d’une volonté du Gouvernement de masquer la persistance, jusqu’en 2022 au moins, d’une situation préoccupante. »
S’agissant des équipements, la même commission souligne que la LPM « laissera subsister pendant plusieurs années des lacunes capacitaires, dont certaines ne seront même pas résorbées en fin de
programmation » et que « l’accélération annoncé ne peut être mesurée précisément d’ici à 2022 faute pour le projet de loi de préciser le détail année par année, ce qui amène à penser qu’elle sera très modeste. »
Ainsi, avance-t-elle, en 2025, « 58 % des antiques VAB seront encore en service, 80 hélicoptères Gazelle seront prolongés pour atteindre en moyenne, 40 ans de service […], le drone de la marine sera tout juste commandé » et « seuls 50 % des chars Leclerc auront été rénovés » avec un « parc réduit de 17 » unités. Même chose pour l’aviation de transport, dont elle juge la trajectoire pour son renouvellement « peu crédible », avec « la livraison « d’1,8 appareil par an en moyenne et de 6 avions par an à partir de 2026 pour atteindre ‘Ambition 2030′ ».
Quant à l’effort sur les petits équipements, il se traduira par une petite progression de 0,3% en 2019, puis par une baisse de 1,2% en 2020, la hausse ne devant se concrétiser qu’à partir de 2021.
Par ailleurs, la commission souligne aussi la « fragilité » du volet « hauteur d’homme » du projet de LPM, à cause de « l’insuffisance des crédits d’infrastructure » car « il manque 1,5 milliard d’euros et, en 2025, 60 % des infrastructures de la défense seront ‘dégradées' » et du « rythme trop lent des recrutements » (450 alors qu’il en faudrait, selon elle, 2.500 par an). Enfin, elle déplore également « l’absence de consolidation de services de soutien pourtant éreintés, tels le service de santé des armées (SSA). »
Une dernière fragilité avancée par la commission concerne les coopérations capacitaires européennes, qui relèvent du pari. « Le Royaume-Uni est affaibli par le Brexit et le partenariat avec l’Allemagne repose aujourd’hui plus sur une affirmation politique volontariste que sur une réalité industrielle ou opérationnelle », note-t-elle, avant d’insister sur le fait que « la coopération franco-allemande autour du futur avion de combat devra préserver les intérêts industriels français. »
Malgré ces fragilités, la commission des Affaires étrangères et des Forces armées a adopté le projet de LPM, mais en le modifiant avec plusieurs amendements, ces derniers visant à sécuriser les ressources de la mission Défense, à faire en sorte que, dans le domaine de l’immobilier, la décote « Duflot », ne serait « applicable aux ventes des immeubles des armées que si 100 % des logements sociaux étaient réservés aux militaires », et à rendre « plus agiles » les processus d’acquisition des équipements pour mieux intégrer l’innovation.
Photo : VBMR « Griffon » du programme SCORPION (c) armée de Terre / NEXTER