Cela aurait pu être un bel anniversaire. Celui d’un État d’Israël célébrant ses soixante-dix ans d’existence, le temps d’une vie, après des siècles de souffrance, de persécutions et d’errance. Pour cela, il eut fallu un geste de paix. Un minimum de modestie devant l’Histoire, pour faire mémoire. Pour mesurer que la naissance de l’État israélien allait de pair, en 1948, avec la naissance d’un État palestinien qui, lui, n’a toujours pas vu le jour.
De ce 14 mai 2018 on retiendra le profond malaise suscité par les images qui nous parvenaient hier. Pendant que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, sourire aux lèvres, brandissait Jérusalem comme on brandit un trophée lors de l’inauguration de la nouvelle ambassade américaine, on mourait à Gaza. Sous les balles de l’armée israélienne, plus de cinquante Palestiniens étaient tués, et plus de deux mille autres blessés.
L’heure n’était donc pas à l’humilité comme l’exigerait le caractère sacré de la ville trois fois sainte, mais à la répétition de l’Histoire. Avec son flot de paroles guerrières. « Nous sommes à Jérusalem et nous y resterons », a lancé le chef du gouvernement israélien, jubilant de plaisir. On continue donc de mourir pour Jérusalem, surtout dans un camp, et c’est aux antipodes de l’esprit de 1948. De celui des pionniers de l’État israélien, de la génération qui l’a construit sans renoncer à son éthique. Ce n’est pas un anniversaire que célébrait hier M. Netanyahu, mais la victoire d’un guerrier.
Cette victoire, il la doit à Donald Trump. La décision américaine de transférer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem, sans aucune contrepartie à ce jour connue, n’est pas seulement contraire à l’esprit de sept décennies de diplomatie. C’est un geste incendiaire dans une région qui ne manque déjà pas de braises. Un geste qui éloigne toute médiation possible côté palestinien. Trump « a écrit l’Histoire » s’enflammait hier M. Netanyahu. Oui, c’est vrai, mais dans le sang.
« Sans partenaires, pas de paix »
Car si depuis quelques mois circulent des hypothèses sur un plan de paix américain reconnaissant un État palestinien, la teneur des indiscrétions ne laisse guère de place à l’optimisme. Ce plan ne trancherait pas sur le principe ou non des deux États, il ne limiterait qu’à la marge les colonies d’implantation israéliennes tout en demandant aux Palestiniens de renoncer définitivement au droit au retour.
« Sans partenaires pour la paix, il ne peut y avoir de paix », déclarait l’ancien Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, un soir de novembre 1995. Le soir de son assassinat. Depuis, ils font cruellement défaut. Un mur sépare désormais les deux peuples. Ils n’ont même plus en partage la quotidienneté des petits riens pour ressentir, dans toute son évidence, l’absurdité de la guerre et de la haine de l’autre.
Certains prônent une reconnaissance unilatérale de la Palestine de la part des Européens. Avec Trump au pouvoir, il faut songer à tout effectivement. Mais où sont les partenaires pour la paix aujourd’hui ? Dans l’extrême droite israélienne qui domine le pays ? Au sein du Hamas et de leurs soutiens iraniens qui n’ont jamais cessé de prôner la destruction d’Israël ? Dans les pays arabes, déliquescents ou incroyablement indifférents à la cause palestinienne ? Dans une Amérique aveugle et arrogante qui ne fait même plus semblant de jouer les intermédiaires ?
M. Netanyahu, il n’y avait vraiment pas de quoi sourire hier à Jérusalem.