La force aérienne allemande [Luftwaffe] pourrait connaître des problèmes supplémentaires avec ses 93 chasseurs-bombardiers Panavia Tornado qu’elle utilise actuellement. En effet, comme la Royal Air Force et l’Aeronautica Militare vont remplacer les leurs par des F-35, cela est susceptible d’entraîner des « risques techniques, logistiques et financiers significatifs », a récemment mis en garde un rapport du ministère allemand de la Défense.
D’où, d’ailleurs, l’intérêt de remplacer ces appareils, dont il est prévu de retirer du service le dernier exemplaire en 2035. Pour cela, le minsitère allemand de la Défense a sollicité le consortium Eurofighter (via Airbus) pour une version améliorée du Typhoon, Lockheed-Martin pour le F-35A et Boeing pour le F/A-18 Super Hornet et le F-15 SE. Pourquoi le Rafale de Dassault Aviation n’est-il pas dans cette liste? Mystère…
Quoi qu’il en soit, la Luftwaffe n’a pas caché sa préférence pour le F-35A. « Pour remplacer les Tornado, les forces allemandes ont besoin d’un avion de cinquième génération, difficile à détecter par les radars ennemis et capable de frapper des cibles à grande distance », avait en effet plaidé le général Karl Müllner, en novembre dernier. Mais, depuis, il a été prié de la « mettre en veilleuse » et de faire valoir ses droits à la retraite.
Reste que, ce 24 avril, alors que le salon aéronautique ILA [Innovation and Leadership in Aerospace ]de Berlin vient d’ouvrir ses portes, le gouvernement allemand a reçu les offres d’Airbus pour l’Eurofighter Typhoon et celles du gouvernement américain, qui défend les intérêts de Lockheed-Martin. Ce qui lui permet désormais d’avoir tous les éléments nécessaires pour prendre une « décision définitive » sur le remplacement des Tornado de la Luftwaffe.
Cela étant, la pression va être fort, chacun ayant des arguments à faire valoir. Ainsi, l’US Air Force n’a pas mégoté sur les moyens en envoyant deux F-35A de la base de Luke [Arizona] à Berlin pour le salon ILA. Les appareils, qui ont volé 11 heures, ne feront cependant pas de démonstration aérienne.
« Le salon aéronautique de Berlin représente une opportunité unique pour les États-Unis de montrer leur leadership dans les technologies aérospatiales tout en soutenant diverses appels d’offres qui se déroulent dans toute l’Europe », a expliqué l’US EUCOM, le commandement militaire américain pour l’Europe.
Pour faire pencher la balance en faveur du F-35A, la partie américaine invoquera la participation de l’Allemagne aux plans nucléaires de l’Otan, ce qui suppose la capacité de disposer d’un avion de combat pouvant emporter la bombe nucléaire tactique (ANT) B-61, dont plusieurs unités sont stockées sur la base aérienne Büchel, située en Rhénanie-Palatinat.
« Concevoir, tester et certifier une variante de l’Eurofighter à capacité nucléaire prendrait des années à développer et ajouterait des centaines de millions de dollars au coût déjà élevé de cet avion », avait récemment résumé Dan Gouré, vice-président du Lexington Institute et spécialiste des questions de défense et de sécurité. Et cet argument vaut pour l’Allemagne comme pour la Belgique…
Un autre élément avancé est le fait que plusieurs pays européens, membres de l’Otan, ont fait le choix du F-35 (Pays-Bas, Danemark, Norvège, Royaume-Uni, Italie) et que d’autres s’interrogent. Là, se pose une question soulevée par Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation : celle de la remise en cause des normes établies en matière d’interopérabilité au profit d’une « intégration » avec l’avion de Lockheed-Martin.
« Le modèle américain du F-35 casse ces codes et vous dit : ‘il n’y a plus d’interopérabilité, il y a intégration avec le F-35’. C’est à dire que vous êtes Américains ou vous n’êtes pas. C’est proprement scandaleux que l’Otan accepte ça. Normalement, c’est l’interopérabilité et on est train de passer à l’uniformisation et à l’intégration dans les armées américaines », s’était emporté M. Trappier, lors d’une audition à l’Assemblée nationale. Qu’en dira Berlin?
Pour le moment, le gouvernement allemand a fait savoir qu’il préférerait commander plus d’Eurofighter Typhoon, même si le taux de disponibilité des appareils déjà en service au sein de la Luftwaffe affiche des taux de disponibilité très bas (30%) et que le coût de possession de ces avions a été vertement critiqué par la Cour des comptes allemandes. Car ce dossier est intimement lié au projet d’avion de combat franco-allemand [SCAF, Système de combat aérien futur, ndlr], au sujet duquel une annonce sera d’ailleurs faite lors du salon ILA.
Or, comme l’a encore rappelé Dirk Hoke lors d’un entretien donné journal Die Welt am Sonntag (ainsi qu’à Air&Cosmos), une décision en faveur du F-35 porterait un rude coup à l’industrie européenne. « Toute coopération avec la France sur les questions d’avions de combat sera morte », a-t-il prévenu.
« Nos interlocuteurs ne semblent pas prêts à acheter des F-35. Nous leur avons clairement dit que, s’ils le faisaient, ce serait un très mauvais signal. Nous avons donc engagé des discussions et la nouvelle administration allemande donne plutôt des signes positifs sur le sujet, ce qui ne veut pas dire que la suite de la coopération va être facile, s’agissant d’un domaine aussi complexe », a également affirmé le général André Lanata, le chef d’état-major de l’armée de l’Air, quand il a évoqué ce projet franco-allemand lors d’une audition au Sénat.