Extrait de la conférence de José CASTANO :
« Les Seigneurs de la Guerre »
12 Novembre 1960
Une nouvelle consternante parvient dans les unités parachutistes.
Dans les Aurès, les fells ont surpris un groupe de combat du 1er REP à sa descente d’hélicoptères, faisant 11 morts et 6 blessés graves.
15 Novembre 1960
Dans la chapelle de l’hôpital Maillot à Alger, eut lieu la cérémonie militaire et religieuse en l’honneur des légionnaires tombés le 12.
Ils allaient maintenant reposer comme tant d’autres dans cette terre d’Algérie qu’ils avaient défendue jusqu’à l’ultime sacrifice et qui était la leur désormais.
Au cimetière de Zéralda –qui gardera à jamais, dans son « carré légionnaire » les dépouilles mortelles de ces soldats morts pour la France-
l’aumônier de la 10ème Division Parachutiste, le Père Delarue,
bien qu’habitué à conduire des légionnaires à leur dernière demeure,
se sentait, devant tous ces cercueils, bouleversé.
Ce qui le mettait en rage, lui, prêtre, c’était l’absurdité de cette mort si elle ne correspondait plus à un sacrifice exigé par la Nation.
Onze cadavres inutiles et scandaleux…
Onze cadavres de plus dans cette longue liste…
Et sa détresse, sa lassitude étaient immenses,
de cette guerre où des hommes valeureux payaient de ce qu’ils avaient de plus cher pour racheter l’incompétence, la veulerie,
les fautes et les palinodies de leurs gouvernants.
Tous écoutaient, muets et bouleversés, les dernières prières douloureuses de l’aumônier.
Des paroles simples lui venaient aux lèvres. Il disait :
« Vous étiez venus de tous les pays d’Europe
où l’on aime encore la liberté pour donner la liberté à ce pays…
La mort vous a frappés en pleine poitrine,
en pleine face, comme des hommes,
au moment où vous vous réjouissiez d’avoir
enfin découvert un ennemi insaisissable jusque-là… »
Et, d’une voix forte, il ponctua en criant presque :
« Vous êtes tombés au moment où, s’il faut en croire les discours, nous ne savons plus, ici, pourquoi nous mourons ! »
Puis le clairon, gonflant ses joues et les veines de son cou, lança vers les airs cette courte sonnerie saccadée : la sonnerie aux morts.
« Notre Père, qui êtes aux Cieux… » commença le prêtre,
de sa voix qui tremblait et qui n’avait pas son impassibilité habituelle.
Et tandis que se continuait le Pater,
chez ces grands enfants qui écoutaient,
recueillis, se reflétait un immense chagrin au souvenir de leurs
camarades de combat.
Chez certains, les yeux devenaient troubles comme sous un voile et, à la gorge, quelque chose s’étranglait.
Sur toutes ces têtes alignées, flottait pour la dernière fois,
l’ombre de ceux qui étaient morts, parce que la France,
une dernière fois, le leur avait demandé.
Et quand le prêtre, après un arrêt, et la voix plus grave encore,
prononça les derniers mots de l’Ave Maria,
d’une simplicité sublime
: « Sainte Marie mère de Dieu… priez pour nous, pauvres pécheurs… maintenant… et à l’heure de notre mort »,
tout à coup, sur les joues de ces hommes rudes
que l’on qualifiait « d’inhumains », de brusques larmes coulèrent, qui jaillissaient rapides et pressées comme une pluie…
[i] L’émotion avait atteint un degré douloureux.
[/i]
[i]La foule pleurait en silence communiant dans la douleur avec « ses soldats »,[/i]
« ses légionnaires ».
Puis le nouveau chef du 1er REP, le Colonel Dufour,
s’avança à son tour pour dire adieu à ses hommes.
Il énuméra les noms de ceux qui ne feraient plus le chemin,
tant rêvé, du retour dans leur foyer.
Ces noms qui, bientôt ne vivraient plus que dans le cœur des mères,
émurent le silence, cognèrent aux poitrines,
bâillonnèrent les gorges et mouillèrent de nouveau les yeux.
Puis il termina par ces mots :
« Il n’est pas possible que votre sacrifice demeure vain. Il n’est pas possible que nos compatriotes de la Métropole n’entendent pas nos cris d’angoisse ».
Il salua ; les clairons sonnèrent : « Au drapeau ». Les détachements présentèrent les armes et défilèrent,
les yeux tournés vers les tombes.
Les visages graves, bronzés et maigres, recelaient toutes les tristesses cachées, toutes les tares et tous les deuils qui les avaient amenés là.
« Nous ne savons plus ici pourquoi nous mourrons… » Ces paroles du père Delarue allaient avoir un écho immédiat : il allait, sur le champ, être banni d’Algérie et exclu des unités parachutistes.
« Si quelqu’un veut savoir pourquoi nous sommes morts, dites-leur
: « Parce que nos pères ont menti ! » s’était écrié Rudyard KIPLING,
après que son fils fut tué à la bataille de LOOS en 1915.
Trois semaines plus tard, le Colonel Dufour
fut relevé de son commandement
pour avoir exprimé en public ses sentiments « Algérie française »
et fut prié de quitter le sol algérien avant le 9 décembre 1960,
date d’arrivée de de Gaulle à Oran.
Ecarté de la Légion, affecté en Métropole,
le Colonel Dufour choisit la clandestinité et rejoindra cinq mois plus tard,
en Algérie, les rangs de l’OAS