15 décembre 1.957 :
Le premier document que nous ayons retrouvé concernant les enlèvements date du 15 décembre 1957.
Il émane de l'Etat-major mixte du Ministère de l'Algérie et sera remis par le colonel Magny à B6 (sic!) le 24 décembre "de la main à la main" est-il précisé.
Cette "Note au sujet des personnes enlevées par les rebelles algériens" indique clairement que la population musulmane est la plus durement affectée par ces enlèvements, soit près de 3 500 personnes en plus des 246 militaires musulmans et des 454 membres des GMPR et des harkas.
Les mobiles des enlèvements sont variés mais leur but général est d'affermir par la terreur l'emprise du FLN. Que sont devenus ces disparus? "Certains ont, est-il écrit, été embrigadés dans les bandes du FLN mais les plus nombreux ont été purement et simplement liquidés".
Pour les civils européens, la note précise que 85 d'entre eux sur les 170 enlevés depuis le 1er novembre 1954 et jusqu'à cette date de décembre 1957 n'ont jamais été retrouvés.
Les autres, à de très rares exceptions près, ont été retrouvés assassinés après avoir été torturés.
Parmi les forces de l'ordre, 130 militaires de tous grades ont disparu et leur sort est à ce jour inconnu.
Cependant, reconnaît le rapport, même si les corps ne sont pas retrouvés, les autorités pensent que "les militaires peuvent être encore vivants entre les mains des rebelles mais que la plupart des civils ont été assassinés".
Ainsi, le 3 mai 1956, les jeunes Jean-Paul Morio (15 ans), Jean Almeras (14 ans) et Gilbert Bouquet (15 ans) sont enlevés alors qu'ils font du vélo. Leurs cadavres seront retrouvés quelques jours plus tard dans un puits.
L'enquête permet cependant d'arrêter le responsable de ces crimes, Lakhdar Fizi, responsable FLN du douar Oulmen.
Il reste toutefois que quelques rares enquêtes permettent de suivre un disparu: ainsi, le 2 août 1956, Jacques Pierre, représentant de la Maison Suchard est enlevé sur la route de Jemmapes à El Arrouch (Constantinois).
Or, il est vu vivant, 8 jours après, au sein d'une bande de la région qui l'a enlevé pour le livrer au chef de secteur FLN Ali Mendjeli. La suite de l'enquête ne donnera plus aucun élément d'information sur cette personne. En 1962, Jacques Pierre est toujours un disparu.
Pour l'ensemble de notre période (ler novembre 1954 - 18 mars 1962), c'est l'année 1957 qui reste celle où les enlèvements sont les plus importants et où les disparus le sont également (79 personnes à ce jour dont nous ignorons le sort).
Les années qui suivent montrent un réel affaiblissement du nombre des enlèvements-disparitions d'Européens, 54 en 1958, 35 en 1959, 18 en 1960 et 39 en 1961, alors que celui des Musulmans est en constante progression selon les sources militaires.
Cela tient essentiellement à l'affaiblissement de l'ALN minée par les actions de l'armée française et au repli des Européens vers les villes plus sûres. De fait, si les enlèvements se font plus rares, ils sont davantage suivis par les autorités militaires qui mettent tout en oeuvre pour retrouver les personnes enlevées.
Les renseignements trouvés dans les archives du Service historique de la Défense sont alors plus explicites y compris lorsqu'il s'agit de personnes disparues. Le 3 septembre 1958, Etienne Nartey, ingénieur des ponts et chaussées est enlevé par une bande de l'ALN.
L'enquête menée par l'armée permet l'arrestation du commissaire politique de la Wilaya 6 et la saisie de plusieurs documents. Dans l'un d'entre eux, il est indiqué que Nartey Etienne a été exécuté le 7 septembre pour avoir refusé de marcher et que son corps a été jeté dans le lit d'un oued.
L'armée dépêche une escouade sur les lieux de l'exécution mais le corps d'Etienne Nartey ne sera pas retrouvé. De la même manière, Danielle Baussac, de nationalité belge, est enlevée le 13 mars 1960 dans les gorges de la Chiffa par des éléments de la zone II de la Wilaya 4.
D'après des renseignements privés recueillis par le Consul général de Belgique en mai 1960, son cadavre reposerait dans le lit desséché de l'oued Bou Abbou oued voisin de la Chiffa.
Le commandant du secteur de Médéa fait alors procéder à de nombreuses recherches en juillet 1960 sur un périmètre de 4 km mais les militaires ne trouvent pas le corps.
Enfin, un document rebelle récupéré le 27 mars 1961 par le secteur de Tizi Ouzou fait état de l'enlèvement de Jacques Huet et de Georges Colbrand sur la RN 30 le 19 novembre 1960. Ils sont aperçus le 10 décembre à Taila (à 27 km au sud ouest de Tizi-Ouzou) prisonniers du groupe de Si Ouakli qui se dirige vers Yakouren.
Apparemment, ils sont bien traités. Le groupe venait du massif du Kouriet où il a séjourné pendant plusieurs jours. Ce même document cependant précise que ces deux personnes ont été abattues dans la première quinzaine de janvier 1961.
La recherche de leur corps, plus de deux mois après leur exécution, ne donne aucun résultat.
Il y a cependant quelques libérations de prisonniers: ainsi, le 15 mai 1959, M. Bourgue, sujet suisse, est relâché à proximité du poste de Yakouren et le 18 mai, 15 Français civils et militaires sont à leur tour libérés.
Très logiquement, ces personnes étaient entendues par les services de la Sécurité du territoire et par la Sécurité militaire. Il ressort que les prisonniers changeaient souvent de lieux de détention et que les déplacements étaient quasi quotidiens. Ils doivent enfin leur libération à la pression du GPRA sur le FLN et l'ALN