Pâtés de clercs
Vers la fin du XVIe siècle, le quartier connut une sombre histoire de trafic de chair humaine. A l' angle de la rue des Deux Ermites et de la rue des marmousets, s'élevait côte à côte la maison d' un barbier et celle d' un "chaircuitier " (origine du nom charcutier), fort renommé pour l' excellence de ses pâtés.
Les chanoines voisins du chapitre de Notre-Dame avaient l'habitude de loger des étudiants étrangers. Quand, d'aventure, l'un d'entre eux disparaissait, on le croyait victime des truands et ribauds qui pullulaient par ces temps misérables.
Or, en 1387, le chien danois d' un étudiant allemand disparu, attira l'attention des condisciples de son maître, en aboyant à la mort devant la boutique du barbier. Pressé de questions, celui-ci fini par avouer que depuis quelques années, il égorgeait des jeunes gens dont il revendait les corps à son voisin et compère.
Du Breuil, qui conte l' histoire dans ses chroniques, précise :
" Et de la chair d 'iceluy faisait des pastez qui se trouvaient meilleurs que les aultres, d' autant que la chair d' homme est plus délicate du fait de sa nourriture, que celle des aultres animaux ".
Les deux complices furent brûlés vifs, chacun dans une cage de fer, leur maison furent rasées et une pierre pyramidale tronquée commémorative s' éleva sur le lieux de leurs forfaits.
Cet emplacement de la rue des Marmousets décrété " lieu maudit " le restera longtemps, curieusement toutes les tentatives de construction d' habitation à cet endroit, seront vouées à l' échec, incendies, écroulements, et autres complications qui feront que ce lieu ne sera jamais habité, et il ne l' est pas encore à ce jour, car cet emplacement est actuellement occupé par le garage des Gardiens de la Paix motocyclistes de la Préfecture de Police de Paris.
Cette histoire macabre ne s' arrête pas la, au contraire, elle se prolonge jusqu' à nos jours, en 1980, par une série d' enchaînements forts curieux. En effet, tous les ecclésiastiques, qui ont été friands de ces célèbres pâtés du Maistre pâtissier ont consommé de la chair humaine. A leur insu certes, mais le fait est là, et selon la coutume ils doivent être frappés d' excommunication. Un grand conseil s' est tenu sous l'autorité de plusieurs évêques, et décide d' expédier une délégation de ces "anthropophages malgré eux" auprès du pape Clément VI, en Avignon.
Ce voyage à pied, avec des cierges, renforcé par des chants de cantiques, avait pour but d' espérer de trouver le pardon, mais . . . .
Mais les routes ne sont pas sûres au Moyen Age, et semées de tentations bien trop fortes pour des moines punis de gourmandise. Nos moines ont à peine quittés les limites de Paris, qu' ils font halte dans une auberge accueillante, près du Pont aux Tripes, curieux hasard. Ce petit pont sur la Bièvre, est l' actuel carrefour des Gobelins - Port Royal à Paris. Et nos moines se trouvent fort bien de l' accueil de l' aubergiste. . .
Ils s' en trouvent si bien que, disposant de l' argent destiné au voyage, ils décident tout bonnement de s'installer là. Jamais Clément VI ne les recevra dans son palais d' Avignon. Plus de cierges, plus de pénitence, au diable l' excommunication.
Mais le temps des veaux gras n' est pas éternel, et arrive bientôt le jour où les moines n' ont plus d' argent. C' est alors qu' en examinant de près leur situation, ils s' avisent que leur auberge - refuge se trouve tout près de la grande route qui mène au midi.
Demander l' aumône aux voyageurs est une idée, et les secouer un peu s' ils la refusent en est encore une meilleure. Après tout, charité bien ordonnée commence par soi - même, et cette forme de charité devient bientôt système, et un an plus tard la délégation de ces religieux, devient une véritable bande organisée, et est connue sous le nom de " coquillards ". Ils prétendent en effet revenir de Saint Jacques de Compostelle, et l' on sait que les pèlerins arboraient comme emblème une coquille Saint - Jacques sur la poitrine. Les Coquillards sont désormais l' une des innombrables bande de brigands qui hantent à l' époque les environs de Paris.
Or, deux ans plus tard, en 1352, monseigneur Jean de Meulan, évêque de Paris, regagne de nuit ( l' imprudent ), sa propriété de campagne, et son escorte est attaquée par une bande de malfaiteurs sans foi ni loi ni nom de guerre. Sans l' arrivée inopinée des coquillards, le malheureux évêque aurait été sans nul doute tué pour être détroussé. Mais les " Coquillards " sont là, reconnaissent les armes de leur évêque et se précipitent sur les malandrins pour les mettre en fuite.
Doit on reconnaître dans cette intervention, la main de Dieu repoussant celle du diable ? Quoi qu' il en soit, l' évêque reconnaissant accepte d' entendre en confession les moines coquillards, ceci en son église du bourg Saint Médard, et les absout.
Voilà nos moines redevenus saints hommes, lavés de leurs pêchés et levés d' excommunication ; Reconnaissance suprême l' évêque leur donne le moyen de vivre honnêtement ou presque. Dorénavant, les moines seront autorisés à vendre sur ses terres, " toutes marchandises ou objet dont on n' aura pas à chercher l' origine " . . . Ce qui permet un commerce facile, et il y a quelques années encore cette tolérance du marché Saint Médard existait encore.
Donc, manger de la chair humaine est toujours un crime devant Dieu, mais l' église peut l' absoudre, et seule l' église Saint Médard a ce privilège. En souvenir de ces moines, mangeurs de pâtés, on y pardonne le pêché de cannibalisme.
Passants qui croisez au large de Saint Médard, ou y entrez, promeneurs qui fréquentez la rue Chanoinesse ( ex rue des Marmousets ), pensez - y . . . .
Un peu d' horreur passée, c' est aussi notre patrimoine.