L'embuscade de Bedo11 Octobre 1970 - la 6°CPIMa à l'embuscade de Bedo
Témoignage du sergent Jacques Napoléon PARISOT dit "Napo"
Face aux Toubous
" ... Soudain, des geysers de sable entourent le camion, suivis du bruit des détonations et du claquement
des impacts sur les tôles. C'est ahurissant ce bruit !
Les réflexes me font réagir, je crie "stop" au chauffeur et je hurle:
"débarquez !!!..."
Mon chauffeur, dont c'est la première sortie, essaie de dégager son arme du porte-fusil mais n'y arrive pas.
Je lui dis alors de se cacher au fond de l'habitacle sur les pédales et qu'avec la roue de secours comme bouclier,
il ne risque rien. Il m'a obéi et s'en est tiré indemne...
... Des falaises sur ma droite à 25 mètres surplombent ma position.
Je m'y précipite et arrivé presque au sommet, à quelques mètres,
un rebelle sort de sa cachette l'arme à la main.
Je ne pourrai jamais dire ce que c'était tant on se regardait dans les yeux... ça paraissait long, mais ce fut très bref.
Qu'est-ce qu'on a pu lire dans nos regards ? Un mélange de sentiments divers sur fond de mitraille, où l'on ne sentait pas de haine.
Je fais demi-tour en pensant qu'il va me tirer dans le dos, mais rien.
Il m'a semblé le voir se remettre à l'abri.
En bas, au camion, des survivants se protègent derrière chaque roue.
Dans la caisse, il y a déjà un tué, Arrondeau, ainsi qu'un blessé avec le fémur cassé.
Malgré le bruit, j'entends ses gémissements...
Je me rends compte qu'on me tire dessus par derrière, ils sont de chaque côté !
Ils ne montent même pas une embuscade réglementaire !..
... Puis c'est le choc, une balle de 303 expansive m'arrive dans la jambe droite qui s'envole presque devant moi sous le choc terrible,
comme si on m'avait fracassé le tibia avec une barre de fer...
Je remonte mon pantalon, dans le mollet un trou affreux, on pourrait y mettre une boîte de bière en fer.
Affolé mais rassuré: l'artère n'est pas touchée,
ça brûle, mon pied gauche a pris aussi.
Je suis coincé. Il me reste une grenade au phosphore récupérée chez les légionnaires du REP.
Seuls les cadres en possèdent car elles sont trop dangereuses avec leur retard de 2,5 secondes.
Je la sors du porte-grenades, lorsque je reçois un choc de cow-boy dans les côtes à gauche ! Je ressens un gargouillis à l'intérieur...
Je me dis que c'est la fin et je me mets à hurler, à vider tout ce que j'ai...
Je vois mon camion plus bas, les blessés, les morts, les vivants...
Il y en a un crie "Ca y est, ils ont eu le sergent !"... C'est celui-là qui viendra récupérer mon poignard !
Il paraît qu'avant de mourir, on voit tout le film de sa vie, mais comme je vois toujours la même chose, j'en conclus que ce n'est pas pour tout de suite...
J'arrête de hurler et je tiens ma grenade sous le sable; quelquefois ils viennent achever les blessés...
Ca tire toujours, sauf sur moi, car je fais le mort, mais j'ai un poumon soufflant, ça fait du bruit et ça fait mal quand je respire...
Le cap de la peur est dépassé: dans ma tête je suis d'accord pour tirer la goupille s'ils viennent. Mais ce sont les copains qui arrivent...
... Quelques jours plus tard, à Fort-Lamy, le médecin-capitaine Marini me dira qu'en principe avec ce que j'avais, intestins déchirés, et rate éclatée en plus du reste, sans soins on meurt au bout de 4 heures...
Mais comme le moral c'est 80 % de la guérison, je m'en suis sorti...
Pour cela, j'ai eu la médaille militaire et la croix de la valeur militaire avec palme...
Triste bilan dans mon groupe: 3 tués, le caporal-chef Thomas du bureau-comptable,
le parachutiste Arrondeau le cuistot,
venu pour une fois en brousse, et le parachutiste Raygasse qui blessé, est sorti en rampant de l'abri précaire du 6x6 malgré les conseils des autres...
Les rebelles l'ont achevé, il a appelé sa mère très fort avant de mourir...
A la fin du combat, le pourvoyeur FM de Barbara, le parachutiste Mizera est venu me voir. Il a décroché mon poignard US en me promettant de me le ramener...
***
En 1974, il se pointe à mon domicile, et me le rend: "je vous avais promis de vous le rendre, la lame est un
peu usée car je l'ai souvent affûtée, mais je vous ai vengé."
Il n'était pas nécessaire de lui demander des détails...
Jacques Napoléon Parisot, dit "Napo" Extrait du tome 3 ( 1961-78 ), du coffret "50 ans au 8°RPIMa"