La base aéroterrestre de Na-San Na San, prélude à Diên Biên PhùIntroduction De 1945 à la fin de l’année 1950, la reconquête de l’Indochine est plus que mouvementée. Les différents commandants en chef se cassent tous plus ou moins les dents sur les forces Vietminh qui montent en puissance. Les soutiens de l’étranger, avec en premier lieu les USA puis la toute puissance des pays du pacte de Varsovie (d’abord l’URSS puis la Chine) renforcent considérablement l’oncle Hô qui occupe un terrain ravagé par l’occupation japonaise et l’absence de gouvernement français. Ces mêmes gouvernements français qui, depuis l’hexagone, ne réussissent pas à coordonner efficacement les actions militaires et diplomatiques afin de régler la question indochinoise. Cette situation devient réellement intenable après le désastre de la RC4 (octobre 1950) qui démoralise une bonne partie du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient) et permet au Vietminh de s’ancrer plus solidement encore dans le nord du pays.
1951, l’année de Lattre Alors que l’armée française n’a plus de réelle solution opérationnelle et ne semble plus qu’attendre de se faire bouter en dehors du pays, une lueur d’espoir renaît avec l’arrivée du « Roi Jean ». Le général de Lattre de Tassigny arrive en tant que commandant en chef du CEFEO le 17 Décembre 1950. Giap décide de prendre l’avantage et attaque dès le 13 Janvier à Vinh Yen. De Lattre le renvoie dans la jungle après de féroces combats et contrecarre encore 3 fois les plans du général Viet ; à Mao Khe en Mars, sur le Day en Mai-Juin et à Nghia Lo en Septembre. En quelques mois le moral est revenu dans les rangs. Comprenant que le CEFEO seul ne peut vaincre et désireux d’impliquer les Vietnamien dans la lutte pour leur pays, de Lattre recompose et fait monter en puissance l’Armée Nationale Vietnamienne (ANV).
De plus, depuis la fin de 1950, les Américains ont retourné leur veste et soutiennent désormais financièrement et matériellement l’action de la France en Indochine. Cette période faste prend fin en Novembre 51 quand, miné par la mort de son fils à Ninh Binh en Mai et très malade de Lattre rentre en métropole où il meurt peu après. Juste avant de partir et afin de combattre certaines rumeurs, il lance une opération d’envergure sur Hoà Binh afin d’occuper le pays Muong et la rivière Day.
1952, Salan poursuitDe Lattre parti, la gestion de l’opération sur Hoà Binh revient au général Salan qui le remplace à la tête du CEFEO. Salan est un vétéran des 1ères et 2èmes guerres mondiales et a déjà plusieurs séjours en Indochine à son actif en tant que commandant mais aussi diplomate.
Bien que les combats soient très durs, le CEFEO remplit parfaitement son rôle et bloque la progression du Vietminh mais, comme à l’accoutumée, il n’a pas les moyens de finir le travail. Dès le 05 Février Salan demande au Général de Linarès d’évacuer dans le plus grand secret Hoà Binh pour la fin du mois. C’est le Colonel Ducournau et l’inévitable Colonel Gilles qui vont mener à bien cette délicate opération à partir du 22 Février. Pour un officier supérieur chargé de reprendre le flambeau derrière quelqu’un d’aussi charismatique que son prédécesseur Salan gère parfaitement une opération aussi complexe que l’attaque sur Hoà Binh. Il s’entoure d’un état-major efficace qui connait bien le pays et sait s’adapter au terrain. Après cela, Giap met quelques mois à se réorganiser avant de repasser à l’offensive en Octobre.
Le camp retranché En ce mois d’Octobre 1952 Giap décide se lancer à l’assaut du pays Thaï et de s’ouvrir une voie royale vers le sud du pays tout en évitant un « remake » de son opération sur Nghia Lo l’année précédente, où il s’était cassé les dents. Ses divisions 308, 312 et 316 franchissent le fleuve Rouge et s’attaquent le 14 à ce poste qui n’est que faiblement défendu par deux compagnies Thaï et un goum du 5ème Tabor.
Le 17 au soir le poste haut tombe après de durs combats tandis que le poste bas continue de résister jusqu’au matin. Dès le 16 Salan fait parachuter le 6ème BPC de Bigeard sur Tu Lê au Nord-Ouest afin de sécuriser la ville.
Le rapport de force est de 664 parachutistes contre environ 10 000 Bo Doï des divisions 308 et 312. Bigeard décide malgré les ordres d’attendre le repli des troupes de Gia Hoï et d’éventuels survivants de Nghia Lo et organise un périmètre défensif. Il finit par se replier en abandonnant tout son matériel lourd et atteind Na-San le 24 après une marche épuisante, en permanence talonné par l’ennemi.
Entretemps, le 17, Salan décide de la création d’un camp retranché à Na-San et crée à cette occasion le GOMRN (Groupement Opérationnel de la Moyenne Rivière Noire) avec à sa tête le Colonel Gilles. Le site de Na-San possède plusieurs avantages non négligeables qui seront utilisés au mieux par ses défenseurs. La piste « Dakotable » longue de 1100m se trouve au fond d’une vallée mesurant 5km Est-Ouest et 2km Nord-Sud. Le tout est entouré de petites hauteurs qui seront aménagées en autant de points d’appuis fortifiés. Le site est situé sur la RP41 et coupe une voie d’approvisionnement importante pour le Vietminh. De plus il ne faut que 45mn aux Dakota pour venir de Hanoï et ainsi ravitailler la base et assurer sa couverture par la chasse. Le camp retranché est constitué d’une trentaine de PA de tailles et formes diverses en fonction du terrain et qui protègent de manière circulaire la piste d’atterrissage.
Ce type de retranchement est appelé hérisson. Dès le début de l’occupation il est livré 500 tonnes de barbelés afin de constituer un barrage digne de ce nom. Puis arrivent quotidiennement 20 tonnes supplémentaires. Il faut imaginer jusqu’à 80 dakota par jour pour apporter le matériel et le ravitaillement nécessaire au camp (bulldozer, munitions, armes, vivres, mulets). Chaque demande du Colonel Gilles est quasiment exaucée et ce dans un temps très court vu que l’ennemi arrive à grande vitesse. Le pont aérien se prolonge du 16 Octobre au 30 Novembre et acheminera en tout 15 000 hommes (11 bataillons), 4 batteries d’artillerie de 105 M2, 1 de 105 long, 1 batterie de mortiers de 120, 2500 tonnes de fret et 125 véhicules. Salan dénombre 818 missions civiles et 655 missions militaires, le tout 6h par jour soit un avion tout les 10 minutes.
La bataille Même si la bataille proprement dite ne commence qu’à la fin du mois de Novembre, Salan décide de bousculer la préparation de l’ennemi.
Il apprend que le Vietminh a d’importants dépôts d’armes et de munitions à Phu Doan, au Nord-Est de Na-San, sur la rivière Rouge.
Il met alors sur pieds l’opération Lorraine et en confie le commandement au Général de Linarès. Elle implique trois groupes mobiles (GM1: Col. Boisredon, GM3 : Col. Moneglia et GM4 : Col. Kergaravat) et un groupe aéroporté (GPA1 : Col. Ducournau) composé des 1er et 2ème BEP et du 3ème BPC. Le 28 Octobre les troupes au sol s élancent de la « Ligne de Lattre » (ligne fortifiée autour du delta tonkinois) aux environs de Vinh Yen, remontent le long de la RC2 et rejoignent le 9 Novembre le GPA qui est largué directement sur Phu Doan. Elles continuent plus au nord jusqu’au 14 Novembre avant de se replier jusque à la ligne de Lattre en étant attaquées par 2 régiments Vietminh. Cette opération, qui à mobilisé 30 000 combattants, est un succès puisque plus de 250 tonnes de munitions, 1500 armes de tous calibres et 4 Molotova sont pris, sans compter ce qui est détruit. De plus une partie des forces destinées à l’attaque sur Na-San à du être déroutée.
Les forces françaises dénombrent cependant environ 1200 tués, blessés et disparus.
Les premiers accrochages dans le camp retranché ont lieu le 23 Novembre au soir quand le bataillon 322 du TD 88 tente de s’emparer du PA n°8 qui domine la piste d’aviation au nord du dispositif. Deux assauts de nuit sont repoussés par la 11ème compagnie du III/5ème REI en charge de la défense initiale et la 5ème Cie du 3ème BPC en renfort. Le Général a les moyens humains et les ordres d’engager ses bataillons de réserve dès qu’un PA est attaqué ou pris comme ce sera le cas. Le 29, toutes les patrouilles envoyées à l’extérieur du périmètre ont des contacts rugueux avec les Bo Doïs qui commencent à s’approcher des différents PA pour en trouver le point faible.
Dans la nuit ils sont repérés par l’aviation qui les bombarde toute la journée. Les défenseurs en profitent pour recompléter les munitions, dégager les champs de tir, mettre encore du barbelé et surtout des mines. A ce moment, Salan envoie 2 bataillons para en renfort ainsi qu’une batterie de 105 long et une batterie de mortiers de 120.
Ce sont les PA 22bis et 24 qui sont attaqués dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre par 9 bataillons ennemis. Le BT2 sur le 22bis ne résiste pas très longtemps au bataillon 115 du TD 165 tandis que sur le 24 une Cie du BT3 et une section du II/6ème RTM tiennent bon 3h face au TD 102. Gilles répond par une préparation d’artillerie intense ainsi que par l’envoi des unités de réserve (3ème BPC) qui reprennent possession des lieux dans l’après-midi après au moins 7h de combats.
La dernière tentative Vietminh a lieu dans la nuit du 1er au 2.
Les attaques se succèdentde 21h à 7h à plus de 15 contre 1.
La 10ème Cie du 5ème REI résiste à cinq assauts du TD 209 sur le PA 21bis pendant que le III/3ème REI qui repousse 4 assauts du TD 174 sur le PA 26.
Toute la nuit l’artillerie du camp balaye les axes de progression des Bo Doïs. Les combats se font presque comme en plein jour, les Dakotas lançant des centaines de fusées éclairantes (lucioles) et les Privateers de la Marine passant juste derrière.
Devant l’échec des ses troupes à prendre d’assaut le camp retranché de Na-San, Giap admet sa défaite et abandonne la position à partir du 4 Décembre ce qui libère la pression sur les régions alentours. Au niveau du bilan humain, le GOMNR à une trentaine de tués et de blessés alors que du côté vietminh il faut compter plusieurs milliers de victimes. Le Colonel Gilles est nommé Général et plusieurs unités se voient décorer par le Général Salan de la croix de guerre.
Le 5ème REI à NA-San Le rôle de Na-San par la suite Ne pouvant investir la place et empêcher son rôle aéroterrestre Giap repositionne trois régiments en surveillance au Sud-est et au Nord-ouest (88-102-174 + 2 bataillons du 176) afin de connaître les desseins du CEFEO et d’empêcher toute action terrestre au départ de la base. Pendant ce temps les régiments 98 et 141 réalisent un raid sur Sam-Neua à l’extrême Nord-est du Laos.
Fin décembre un GAP (2ème BEP, 3ème et 5ème BPC) effectue un raid vers Son La puis vers Co-Noï ou ils sont rejoints par le 6ème BPC et le 1er Bawouan (surnom des bataillons de parachutistes vietnamiens). Ils installent un périmètre fortifié sans piste d’atterrissage mais relié directement par la RP41 à Na-San distant d’une vingtaine de kilomètres. Co Noï et Na-San ne forment désormais plus qu’une seule entité d’où partiront des missions de reconnaissance et de nettoyage au Laos afin de contrecarrer les plans de Giap.
Devant la multiplication des actions menées par le Viet-Minh,l’efficacité de Na-San va peu à peu décroître. Malgré les atermoiements des Politiques qui cherchent une solution négociée pour sortir de la guerre Henri Navarre, le nouveau généchef, voit beaucoup plus grand et décide de l’évacuation de la base aéroterrestre au cours du mois d’Août 53 en intoxiquant les unités VM des alentours. Le général Gilles envoie pour cela de faux messages en clair demandant des renforts et de nombreuses actions de diversions sont exécutées par les GCMA (Groupements de Commandos Mixtes Aéroportés). Le 12 Août, le dernier Dakota décolle, les pitons et les installations sautent les uns après les autres et les GCMA évacuent dans la nuit.
Piste d'atterrissage à Na-San Conclusion Le hérisson de Na-San a parfaitement joué son rôle de point de fixation et a attiré le Viet Minh dans un piège qui lui a coûté cher.
Si l’issue de la bataille à été aussi favorable au CEFEO, ce n’est pas un hasard :
Il faut tout d’abord mettre en avant la qualité des officiers qui ont dirigé la bataille en elle-même mais également la diversion que fut l’Opération Lorraine et le rôle d’appât joué par le 6ème BPC lors des combats de Tû-Lé. Le Renseignement à été également à la hauteur puisque les troupes VM étaient parfaitement identifiées que ce soit en nombre, en matériel ou au niveau des axes de progression.
Comme Salan l’admettra après la bataille, sans le rôle crucial joué par l’aviation l’issue n’aurait pas du tout été la même. Le site était assez près de Hanoï pour permettre un ravitaillement en continu et, vu la configuration du terrain, l’ennemi n’a jamais pu entraver la fonction aéroterrestre de la base et donc l’intervention totale de la chasse qui y était basée.
Le périmètre assez restreint du camp et le dimensionnement de l’artillerie a également permis de rapides interventions de soutien et de contre-attaque au profit des unités en défenses sur les pitons. Notons cependant que le VM ne possédait pas à cette époque d’artillerie digne de ce nom.
Le 5ème REI à NA-San Organigrammes Forces françaises GOMRN Colonel Gilles
Groupement Laimay puis Lansade II/1er RTA
III/3e REI, commandant Favreau
II/6e RTM
Groupement mobile vietnamien BM/BT 1
BT 2
BT 3, commandant Vaudrey
55e BVN, capitaine Pham Van Dong
III/5e REI, chef de bataillon Dufour
Groupement parachutiste Lieutenant colonel Ducournau
1er BEP, chef de bataillon Brothier
2e BEP, chef de bataillon Bloch
3e BPC, capitaine Bonnigal
6e BPC, chef de bataillon Bigeard
Artillerie 5e GAVN (2 batteries de 105 HM 2)
IV/41e RAC (1 batterie de 105 HM 3)
CMLE (une section de 4 pièces de 120 mm et une section de 6 tubes de 81 mm)
Génie Commandant Casso
4 à 6 sections
Transmissions Capitaine Crousillac
2e compagnie du 822e bataillon des transmissions (2/822 BT)
Aviation Aéronavale 8e flottille (Privateer)
9e flottille (SB2C Helldiver)
12e flottille (Hellcat)
Armée de l’air Groupe de bombardement Gascogne (B 26)
Forces Việt Minh Régiment 148 de Lai Chau Division 308 Commandant : colonel Vuong Thua Tu
Régiment 36
Régiment 88
Régiment 102
Division 312 Commandant : colonel Le Trong Tan
Régiment 141
Régiment 165
Régiment 209
Division 316 Commandant : colonel Le Quang Ba
Régiment 98
Régiment 174
Régiment 176