L’incroyable évasion du capitaine
Charles Lux Avant le début de la Grande Guerre, les états-majors français et allemands se préparaient à l’affrontement en élaborant différents plans. Pour cela, obtenir des renseignements sur les intentions de l’adversaire et son armement était capital. Mais mieux encore, il était aussi question de gêner la mobilisation de celui qui, du jour au lendemain, pouvait devenir un ennemi déclaré.
Telle était l’idée, du moins, de l’état-major français. Et cela dès les années 1880, sous l’impulsion du colonel Honoré Vincent, qui était alors le chef du service de renseignements de l’état-major général du ministère de la Guerre. Encourager une insurrection en Alsace-Lorraine, régions françaises perdues en 1870 ou encore saboter l’économie allemande : tels étaient quelques projets de cet officier.
Juste avant la déclaration de guerre, le lieutenant-colonel Charles Dupont, ancien chef de la section de renseignements (SR) avant de prendre les rênes du 2e bureau de l’état-major de l’armée, finalise un plan visant à faire sauter les voies de chemin de fer allemandes afin de perturber la mobilisation des troupes de l’autre côté du Rhin. Ce projet n’est pas nouveau : il est dans les cartons depuis quelques années déjà.
Parmi les officiers appelés à jouer un rôle dans cette affaire figure le capitaine Charles Eugène Lux. Issu de l’arme du génie, il est, en 1910, chef du service de renseignements du gouvernement militaire de Belfort en tant que « technicien des chemins de fer ». Ayant une connaissance parfaite de la langue de Goethe, il multiplie les voyages en Allemagne, où il s’intéresse aussi aux dirigeables Zeppelin.
Seulement, à force, le capitaine Lux attire l’attention de la police allemande. Et le 3 décembre 1910, alors qu’il venait de quitter la Suisse où il avait laissé ses bagages, il est arrêté avant même de pouvoir aller « flâner » du côté des hangars Zeppelin de Friedrischshafen comme il en avait l’intention. Semble-t-il, il avait auparavant incité un de ses contacts à faire sauter le site au moyen d’un engin ayant « la forme d’une boîte à sardines, inoffensif dans sa manipulation ».
Maintenu au secret pendant plus de 6 mois, le capitaine Lux est finalement condamné par le tribunal militaire de Leipzig à 6 ans de détention dans une forteresse, en l’occurrence celle de Glatz, située en Silésie, d’où il semblait impossible de s’en évader. En fait, un seul prisonnier avait réussi cet exploit : le baron de Trenck, qui soudoya ses géôliers.
Comment l’officier français pourrait-il en faire autant? Pour commencer, le capitaine Lux demanda, pour chacun de ses repas, une ou deux rondelles de citron. Ce qui lui fut accordé. Ce détail n’est pas sans importance : le jus de cet agrume est une encre sympathique. Invisible sur le papier, elle se révèle à la chaleur… Et il va s’en servir pour les lettres que le commandement de la prison l’autorise à envoyer à sa famille.
Ainsi, entre les lignes, le capitaine Lux donne des instructions à ses frères, tous les deux également officiers. Il leur demande de récupérer ses bagages restées en Suisse, dans lesquels se trouvent d’importants renseignement… Message reçu : ils lui envoient la trousse de toilette qui se trouvait précisément dans les valises qu’il avait laissées.
À partir de là, l’officier de renseignement, qui s’est, dans le même temps, fabriqué un passe-partout avec un crochet en fer, utilisera ce canal pour demander à ses proches – qui, on s’en doute, doivent transmettre au 2e Bureau – tout ce dont il a besoin pour s’évader… sans éveiller l’attention des Allemands.
Serviettes de toilette si solide qui, nouées entre elles, font une corde, fils de fer contenus dans un exerciseur, ficelles entourant les colis, bandes de toiles cachées sous les bandes recouvrant les paquets de journaux. Quant à la scie, indispensable pour se défaire des barreaux, elle lui est fournie par le docteur Grelley, bricoleur à ses heures perdues. Le capitaine Lux raconte :
« Il me confectionna une petite scie qui était une merveille; elle avait la forme d’une scie à tenons; une lame était tendue au moyen de deux bras constitués par deux plaques d’acier jumelées qui pinçaient entre-elles l’extrémité de la lame; des trous percés aux points de jonction permettaient l’assemblage au moyen d’un fil de fer; les bras étaient maintenus écartés par une traverse en bois faite d’un fragment de règle d’écolier; un clou formait un garrot avec de la ficelle reliant les extrémités des deux bras »… Un Mc Gyver avant l’heure… Pour faire parvenir tous les éléments de cette scie au prisonnier, le moyen le plus simple était de les cacher dans la reliure de livres. Et c’est ainsi qu’il recevra également une carte de la Silésie ainsi qu’un faux-passeport.
Le 27 décembre 1911, le capitaine Lux est d’autant plus prêt qu’il veut passer le nouvel an en famille… Grâce à son passe-partout, et après avoir laissé 100 marks sur son lit à l’intention du commandant de la forteresse, il ouvre la porte de sa cellule et passe à l’étage inférieure. Là, dans une chambre inoccupée, il s’attaque aux barreaux de la fenêtre, ce qui lui prend 3 heures. Ensuite, grâce aux serviettes de toilette transformées en corde à noeuds, il arrive sur le chemin de ronde, puis franchit une grille à la force des bras. Il ne lui reste alors plus qu’un mur à franchir, devant lequel une sentinelle fait les cent pas. Seulement, il n’y a pas d’autres issues… Il attend alors le moment de la relève de la garde, à 5 heures du matin.. Et il passe!
Ayant revêtu un long mateau et mis un chapeau, le capitaine Lux n’est pas encore sorti d’affaire : il ne s’agit pas de connaître le même sort que le baron de Trenck, qui s’était fait reprendre après avoir réussi à sortir de la forteresse. Grâce à sa connaissance parfaite de la langue allemande, l’officier français obtient un billet sans difficulté à la gare. Direction : la frontière autrichienne! Dans le comportement qu’il occupe seul, il change son apparence, en coupant sa moustache, en portant des lunettes et en se donnant une silhouette bossue grâce un pièce de tissu roulée en boule.
Arrivé à Vienne, le capitaine Lux se montre encore très prudent : l’Autriche et l’Allemagne sont alors liés par un accord prévoyant l’arrestation réciproque de tous les évadés militaires. Mais il n’est pas inquiété… alors que son évasion fait grand bruit outre-Rhin. Et il continue son périple en passant par l’Italie et la Suisse, jusqu’au 31 décembre, où il retrouve sa famille à Paris, avant de faire les gros titres de la presse française.
Que devint le capitaine Lux par la suite?
L’on sait qu’il écrit ses mémoires au début des années 1930.
Puis, sa trace se perd…...........................