Au front, à l'arrière : l'appel des colonies !
Recueil de lettres de Réunionnais adressées à leurs proches durant le conflit (extraites du livre de Prosper Eve, La Première Guerre Mondiale vue par les poilus réunionnais, documents réunis et
présentés par Prosper Eve, Saint-Denis, Cahiers de notre histoire, 1992, 213 p)A VOIR EN LIGNE : http://fr.calameo.com/read/0021527563c1a614b49af Lettre d'Herbert Mondon, séminariste, 30 septembre 1914.« La vie religieuse semble avoir reçu des événements un regain
d'intensité : l'assistance aux offices devient plus régulière et plus
nombreuse. Les obsèques des soldats morts dans les hôpiteaux des
suites de leurs blessures, donnent lieu à de touchantes
manifestations religieuses. Les officiers ne craignent pas d'exhiber
leurs galons dans les églises. [...] Prières et cantiques se sont
succédés sans cesse pour obtenir du ciel la victoire complète.
Puisse-t-elle ne pas trop tarder ! Mais tout laisse à prévoir que ce
sera long et dur ! L'armée allemande est formidablement puissante
et malfaisante. Cependant, comment perdre confiance puisque, dès
le début, la Providence a manifesté son action et visiblement
travaillé pour la victoire et la renaissance française. »
Lettre d'Albert d'Emmerez, originaire de Champ-Borne, parue dans Le Progrès, 20 décembre 1914.
« Chère maman,[...] Les événements se sont précipités, et la guerre a été déclarée entre la plupart des nations
européennes. Pour notre part, nous marchons contre l'Allemagne, notre ennemie la plus acharnée, celle
contre laquelle nous avons accumulé tant de rancunes depuis l'Année fatale où ces Allemands nous ont
vaincus et ont pénétré sur notre pauvre pays où ils ont commis les pires atrocités.
Le jour de la revanche est enfin venu ; ce jour si longtemps et impatiemment attendu par nous tous,
Français de coeur ! C'est te dire avec quel plaisir nous avons endossé nos sacs, et avec quel courage nous
supportons les fatigues du métier ! Il m'est impossible de te donner plus de détails sur les opérations
auxquelles nous participons à l'heure actuelle, pour des raisons que tu comprendras facilement : la
moindre chose est mise à profit par nos ennemis dont les espions sillonnent le territoire ; aussi, nos chefs
ne tiennent nullement à ce qu'ils sachent par nous, au cas où nos lettres leur tomberaient entre les mains,
des détails concernant nos opérations militaires. Qu'il te suffise de savoir que je fais bravement mon métier
de soldat et j'espère aller jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la victoire complète et définitive de nos
vaillantes armées qui ont montré, dès le début de cette guerre, un courage indomptable et une valeur sans
pareille – le véritable furia française – quoi ! [...] Sois sans inquiétude à mon sujet, car notre vie à tous est
est entre les mains de Dieu qui en fait ce que bon lui semble. Montre-toi brave mère, comme toutes les
Françaises, et ne pleure pas de me voir exposé aux coups d'un ennemi que nous allons vaincre, et que nous
vaincrons sûrement, ces jours-ci. C'est si beau de servir son pays et de mourir pour lui que je me demande
bien souvent, si je ne dois pas souhaiter qu'une balle ennemie vienne me frapper durant cette guerre ! Mais
tu seras si malheureuse que je me repents de formuler voeu pareil. [...] »
lettre de Marcel Gillet qui décrit une attaque des 20 et 21 décembre 1914, Le Nouveau
Journal de l'île de la Réunion.« [...] Le 20 décembre nous reçûmes l'ordre d'attaquer deux tranchées allemandes, qui se trouvaient à
trente mètres de nous. Dès cinq heures du matin notre artillerie ouvrait un feu fourni sur les tranchées
ennemies. Vu le peu de distance qui nous séparait, nous recevions des éclats de notre 75. Après une
cannonade d'une heure le ... colonial attaqua le premier en allant à l'assaut. Ensuite mon régiment et un
autre renforcèrent. Nous avons réussi à prendre leur tranchées avec un peu de pertes. Le soir, ils ont fait
une contre attaque, sans résultat avec des pertes considérables, ayant pour principe de se porter en masses compactes. C'était un plaisir de tirer dans le tas. Pendant deux jours de ce combat, je n'ai rien eu.
Le 21 décembre, au moment où ma compagnie allait être relevée, j'ai été atteint à la tête par une grosse
bombe à la face droite et les mains. Ces projectiles ont eu une telle force que la tranchée s'est ecroulée, je
suis resté sous terre. Un copain est venu me dégager. [...] Je vous assure que c'est grâce aux bons soins
reçus que j'ai été sauvé, quoique pas tout à fait guéri mes plaies sont en bonne voie.
Je n'ai pas pu vous écrire ayant eu les mains dans un appareil pour fractures. Mais nous sommes si biens
soignés. Nos infirmières sont les dames de la haute Société de C... Ayant eu la machoire à moitié fracassée,
elles me font manger comme on donne la patée à un enfant. J'ai eu mon compte cette fois-ci. Mais j'en ai
peut-être encore pour deux mois... peut-être moins, et après, je retourne au front. Vive la France ! »
Lettre de R. Dupuis qui évoque son départ de Bretagne pour le front les 21 et 22 mai 1915.« [...] Tout le village de Guer est en fête pour nous voir passer. Les jeunes filles nous jettent des fleurs, les
gosses nous accompagnent crânement ; ce n'était que le commencement de la grande manifestation qui
devait nous accompagner pendant toute notre voyage. A la gare, foule très dense sur les quais ; les
compagnies se logent dans les voitures qui leur sont réservées. Tout est prêt, on n'attend plus que l'heure
du départ, c'est pour midi chuchote-t-on. Clairons et tambours rougis devant nous attendent aussi. La
grosse machine qui doit nous emmener vers cette destination encore inconnue, vient de s'atteler lentement
au train spécial. Les portières fleuries se ferment ; un coup de sifflet déchire l'air un peu brumeux, et un
premier coup de piston, le tambour major abat sa canne, et d'un ton d'abord lent, puis accéléré comme
suivant la machine du piston la clique joue la charge ; le train s'ébranle, les mouchoirs s'agitent, un cri de
Vive la France part de toutes les poitrines, on roule à toute vitesse, tandis que dans le lointain, à travers
une petite pluie fine, les dernières notes de la charge ne nous parviennent plus que faiblement et
s'éteignent doucement. »
Lettre du soldat Léopold Glénac, 25 juin 1915.« [...] Dans votre lettre vous m'avez dit que René et Camille sont beaucoup découragés, et que René devrait
repasser au conseil. S'ils sont bons dites leur qu'il ne faut pas se décourager ; il est vrai qu'il est dur de
laisser sa famille, mais que voulez-vous s'il le faut ; au contraire, il faut prendre courage car je vois moi
même : ici il y a des hommes qui ne sont pas malades mais ils hâlent trop le coeur, ils dépérissent de jour
en jour ; des hommes qui étaient bien portants et maintenant il ne leur reste que la peau et les os. A la
moindre petite maladie qu'ils vont prendre, ils vont peut-être y passer. [...] De tous les créoles qui sont
venus ici il reste même plus ¼ ; presque tous sont blessés et morts. Biens chers parents, depuis longtemps
j'entendais parlé de guerre mais aujourd'hui je la vois de mes deux yeux et jeconnais ce que c'est. Ah !
C'est affreux ! »
Lettre du Dr Ozoux, 19 août 1915.« [...] Ici il y a beaucoup de journées grises souvent de le pluie, et le matin et le soir, il fait froid : qu'en
sera-t-il en hiver ? Car on se prépare à une campagne d'hiver et sans rechigner, je vous assure chacun
accepte le devoir avec courage et bonne humeur en pensant à la Victoire. Au revoir, Cher Monsieur P. Si les
Boches ne m'endommagent pas trop, je reviendrai vous voir très probablement. Je pense à vous bien
souvent car à table on nous sert du rhum ignoble que les Européens trouvent très bon, que diraient ils s'ils
goûtaient votre vieux litchi ou le jamrosa. »
Lettre du soldat Gonthier, 6 octobre 1915.
« Mon bien cher père,
Après 45 jours de tranchées et 4 jours de combats, me voilà sur un lit d'hôpital à St-Gaudens avec le bras
gauche brisé par une balle boche. Tu es veuf d'une jambe, je serai veuf d'un bras...C'était écrit, j'ai été
blessé le 29 septembre au soir. Tu as dû entendre parler de la grande offensive en Champagne. Ça a été
terrible, ce fut une véritable boucherie... Oh ! Mon bien cher père, la guerre est abominable, la guerre est
impie. Ce qui me fait, plus de peine c'est que je n'ai pas un sou et je pleure, quand je me vois priver de
certaines petites douceurs, je souffre quand je vois mes camarades avec de l'argent et moi rien...Suis-je
donc abandonné de ma femme et de mon père ? »
Lettre du soldat Junquet, 16 octobre 1915.« Mon cher Nativel,
Je profite de la bonne aubaine que m'offre un bureau pour réparer tant soit peu la négligence dont je me
sens coupable envers les amis restés là-bas au pays ; comme aux autres, je te prie donc de m'excuser et de
croire qu'en maintes circonstances ma pensée s'en allant vers mon Bourbon aimé, me faisait revivre des
heures, lointaines, hélas ! Mais présentes à ma mémoire. Les unes ont gardé l'empreinte de la joie et les
autres celle de la lutte nécessaire au triomphe de notre politique mais toutes sont regrettées. La
mobilisation a dû faire un vide immense dans la Colonie. Nos compatriotes rendus en France se dispersent
et sont difficiles à retrouver, les 24ème et 44ème en reçoivent une grande partie. A mon régiment nous
sommes très peu, ce sont : Blay, Arzal, Veyrières et moi. Il y en avait un autre, Infante, mais son tour a été
prématuré, depuis le 16 octobre. Il est suspendu aux fils de fer boches de L.... malgré le dévouement des
camarades ce fut impossible d'aller le chercher. Depuis nous avons quitté ce secteur. [...] Voilà ce qui
s'appelle abuser d'un copain. On prend la plume puis on lui narre toutes les horreurs dont on a été témoin
au lieu de lui rappeler les souvenirs du Pays. J'oubliais de te dire que mon pauvre frère René, porté disparu
depuis le 27 août 1914 a été au dire du soldat du 24ème Colonial témoin du carnage, blessé et achevé par
les Boches, au bois de Sernay, près de Verdun. Il a été vengé, mais le sera entièrement à mon avis quand je
pourrai tenir un Boche entre quatre yeux et l'étrangler de mes mains. Cela sera. Ce sera pour la prochaîne
fois, mon cher Nativel, au revoir, je te serre, fortement la main. Amitiès à tous les camarades. »
Lettre du sergent P. M., 12 janvier 1916.« Mes chers parents,
L'hiver étant arrivé encore une fois, et avec lui les glaces, les neiges, le Ministre, sur proposition de M.
Boussenot1, a fait retirer tous les créoles de la ligne de feu, parce que beaucoup avaient eu la bronchite et
les pieds gelés. Mais n'empêche qu'à Zeitenlick où nous sommes campés sous la tente, à quelques
kilomètres au nord de Salonique, il fait encore froid. Mais la France est encore riche et forte, nous avons de
bons et solides vêtements chauds, et pour tenir, nous allons tenir, puisqu'il le faut. »
Lettre d'un caporal qui a suivi son instruction à Madagascar, 12 janvier 1916.« [...] On m'a mis d'office avec une vingtaine de mes compatriotes, après nous avoir fait subir un examen
dans un peloton comme élève caporal. Les exercices sont extrêmement durs, on a fait de nous en un mois
ce qu'on fait de nous en trois mois en temps ordinaire pour les autres conscrits, aussi beaucoup tombent de
fatigue. La semaine dernière nous avons conduit à sa dernière demeure un compatriote arrivé à Diégo en
même temps que moi, c'est triste de mourir comme cela loin des siens. Heureusement que je me porte bien
jusqu'à présent. Un peu de fièvre au début, maintenant ça va bien. [...] On nous donne l'espoir en partant
de toucher à La Réunion... Quel bonheur, si c'était ainsi, passer avant d'aller au combat quelques heures
parmi les siens ! [...] »
TRAVAIL exécuté par Maxime Vinot – Lycée français J. Kessel – Djibouti – http://www.histoire-geographie-education-civique-maxime-vinot.com/