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| Dossiers sur les Mutineries de 1917 | |
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| Sujet: Les poilus, héros ou victimes ? Ven Aoû 22 2014, 20:28 | |
| 1 /Les poilus, héros ou victimes ?Quelques rectifications nécessaires à l’article de Jean-Dominique Merchet paru dans Marianne, 813, 17-23 novembre (p. 74-75) (voir ci-dessous l’article concerné)
L’article de Jean-Dominique Merchet,« Les poilus, héros ou victimes ? » comporte plusieurs erreurs d’analyse, qui me semblent devoir être redressées :
Sur la question de la ténacité des soldats de la Grande Guerre :- Avec Rémy Cazals, selon vous, j’estimerais que les soldats « agirent sous la contrainte de la discipline militaire, voire sous l’emprise de l’alcool ». C’est proprement faux, en particulier pour le second membre de l’explication. Je n’ai jamais écrit rien de semblable : parce qu’ainsi présenté c’est inexact. Les motivations des soldats sont complexes, multiples et changeantes. Voilà ce que je défends, avec d’autres. Elles ne peuvent cependant, en rien, se réduire à des croyances patriotiques. Ensuite sur les soldats exécutés en 14-18 :- La question ne peut se réduire à une lutte de la gauche qui aurait fait de la mémoire des « fusillés » un « marqueur identitaire » (les mutins de 1917 sont loin d’épuiser, comme vous le rappelez, la mémoire des exécutions en 14-18). Dès l’immédiat après-guerre, les critiques de la justice militaire s’expriment aussi dans les mouvements de droite ancien-combattant, comme l’Union Nationale des Combattants (UNC), qui se bat pour la réhabilitation de plusieurs fusillés, et même chez le très patriote ministre André Maginot qui dénonce une justice sommaire ; pour ne citer que cela. - Enfin absolument rien ne permet de déduire de mes travaux ou d’historiens proches, l’ouverture vers une « repentance collective », c’est-à-dire une action concrète de l’Etat en faveur des fusillés de 14-18. Je me suis toujours exprimé, au contraire en sens inverse, en expliquant qu’on ne peut rejuger l’histoire et que les enjeux de mémoire de cet ordre doivent rester, autant que possible, en dehors de la sphère du droit, et surtout que l’historien n’avait pas à donner son avis en surplomb. Nicolas Offenstadt, 8 décembre 2012Histoire : faut-il s’excuser ?
Les poilus, héros ou victimes ?
Jean-Dominique Merchet – Marianne Deux écoles s’affrontent sur les soldats de la Grande Guerre. Pour l’une, ils agirent sous la contrainte ; pour l’autre, par patriotisme. Pendant les quatre années de la Première Guerre mondiale, 915 soldats français sont morts chaque jour, et ce chiffre vertigineux ne représente que 15 % de l’ensemble des militaires de toute nationalité tués dans ce conflit. La faute à qui ?Alors que la France se prépare à célébrer le centenaire du début de la Grande Guerre, en 2014, la question se pose toujours, mais en des termes sans cesse renouvelés, comme s’il fallait désigner un coupable pour expliquer cette tragédie européenne. On est ainsi passé de la recherche de responsable unique (le bellicisme allemand, «l’impérialisme, stade suprême du capitalisme», l’échec des Etats-nations ?) à des questionnements sur le rôle des généraux et des politiques, vite transformés en bataille idéologique…Depuis une quinzaine d’années, les principales polémiques concernent les fusillés et les mutineries au sein de l’armée française, notamment en 1917. L’affaire éclate en 1998, lorsque le Premier ministre Lionel Jospin demande que les mutins soient «réintégrés pleinement dans notre mémoire nationale». La droite s’emporte alors, mais finit, quelques années plus tard, par lui donner raison avec Nicolas Sarkozy, qui déclara le 11 novembre 2011 dans une indifférence quasi générale que «tous furent des héros, [...] même ceux qui refusèrent un jour d’avancer parce qu’ils n’en pouvaient plus». Le 11 novembre 2012, le sous-lieutenant Chapelant, fusillé le 11 octobre 1914, non pour mutinerie mais pour rédition, s’est vu attribuer la mention «mort pour la France» par le ministre des Anciens Combattants, Kader Arif. Tenir dans l’enfer des tranchées Depuis les années 20, cette question avait été une sorte de «marqueur identitaire» pour la partie de la gauche qui gardait la nostalgie des mutins de la révolution russe de 1917 et en voyait les prodromes français dans ceux du Chemin des Dames. On entonnait la Chanson de Craonne, après le Temps des cerises et Gloire au 17e… Cette gauche en excluait une autre – celle qui, justement, gouverna la France pendant la Grande Guerre. Alors qu’en 1998 il lui proposait de célébrer Clemenceau, le secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants Jean-Pierre Masseret (PS) s’attira cette réplique sans appel de Lionel Jospin : «Je ne suis pas clémenciste, je suis jaurésien !»Ces polémiques d’hier ont finalement cédé le pas devant les progrès de la connaissance historique. Ainsi, sur la question des fusillés, le général André Bach, ancien chef du service historique de l’armée de terre, a établi «avec une marge d’erreur de 10 %» que 550 militaires avaient été exécutés pour désobeissance, la plupart d’entre eux au début de la guerre et non en 1917. Quant aux mutineries, le jeune historien André Loez (14-18 : les Refus de la guerre, Folio Histoire, 2010) en montre à la fois toute l’ampleur et les limites. Ainsi, elles ne sont pas déclenchées pendant l’hécatombe de l’offensive d’avril 1917, mais à la suite de l’échec de cette opération – la perspective de la victoire s’éloignant une nouvelle fois.Au plan académique, les querelles tournent aujourd’hui autour de la question de savoir pourquoi les poilus ont-ils tenu dans l’enfer des tranchées. Deux écoles s’affrontent, avec talent et violence. D’un côté, des historiens (Nicolas Offenstadt, Rémy Cazals…) jugent que les soldats agirent sous la contrainte de la discipline militaire, voire sous l’emprise de l’alcool. En face, d’autres chercheurs (Annette Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau…) privilégient le consentement, l’adhésion à la République et à la patrie. Selon la réponse, les poilus sont soit des victimes, soit des héros. Dans un cas, la porte est ouverte à la repentance collective, dans l’autre, à la célébration. On n’en finit pas… *Article publié dans le numéro 813 du magazine Marianne paru le 17 novembre 2012. http://www.marianne.net/Les-poilus-heros-ou-victimes%C2%A0_a224351.html
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| Sujet: 1917 et ses mutineries Ven Aoû 22 2014, 20:28 | |
| 2 /1917 et ses mutineries
Une nouvelle histoire des mutineries de 1917 vu par Romain Ducoulombier http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html
On a longtemps interprété les mutineries de 1917 comme l’expression du mécontement, réel mais passager, de soldats fatigués par la guerre. Dans une étude originale et minutieuse, André Loez les présente au contraire comme un véritable mouvement social, dont le pacifisme n’est que la forme la plus élaborée. Recensé : André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2010.
L’historiographie de la Grande Guerre est arrivée à l’heure des refus1 : la publication de l’ouvrage d’André Loez consacré aux mutineries françaises de 1917 confirme ce basculement. Depuis le livre pionnier de l’historien Guy Pedroncini en 1967, cet événement-symbole a souvent été considéré comme marginal, éphémère et inconséquent : s’il n’était pas le fruit d’un complot pacifiste, il s’agissait, selon Guy Pedroncini, non pas d’un « refus de se battre », mais d’un « refus d’une certaine manière de le faire »2. Par la suite, la mémoire collective a figé les mutins dans un consensus compassionnel, vivement mis en lumière par le discours de Lionel Jospin à Craonne en 1998..........................
La suite de l'article disponible sous document pdf (cliquez,téléchargez !) : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20100421_ducoulombier.pdf [2] Guy Pedroncini, Les Mutineries de 1917, Paris, PUF, 1967, p. 312-313. [3] Philippe Olivera, « Le mutin derrière le fusillé, ou le silence durable de l’acteur », in André Loez, Nicolas Mariot (dir.), Obéir/Désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, 2008, p. 416-432. [4] Denis Rolland, La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005. [5] Timothy Parsons, The 1964 Army Mutinies and the Making of Modern East Africa, Londres, Praeger, 2003. [6] 26 soldats sont condamnés pour des manifestations « collectives » de désobéissance, les autres à titre seulement « individuel ». On peut débattre par conséquent de l’appartenance des seconds au groupe des fusillés pour actes de mutinerie. [7] L’annexe de la thèse d’André Loez relative à cette sociologie des mutins est disponible dans : Les mutins de 1917 André LOPEZ voir post suivant (page créée à partir de http://www.crid1418.org/doc/mutins. )
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| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 20:29 | |
| 3 /Les mutins de 1917 de André LOPEZ L’annexe de la thèse d’André Loez relative à cette sociologie des mutins ETUDE COMPLETE REALISEE AUTOUR DU LIVRE de André LOEZ 14-18 Refus de la guerre Une histoire des mutins
documents et articles tirés de http://www.crid1418.org/doc/mutins. Ce livre étudie, pour la première fois, les mutins de 1917 eux-mêmes. En saisissant les pratiques et les discours protestataires au moment même où l’événement surgit, dans son intensité première, lorsque des mutins manifestent, chantent l’Internationale, envisagent de « marcher sur Paris », l’ouvrage replace les mutineries au cœur de la Grande Guerre, dont il permet de renouveler le récit. Ainsi, dans les débats sur la guerre et la ténacité des combattants, il entend apporter une pièce manquante, à travers l’unique événement qui constitue, en France, une rupture frontale de l’obéissance et du consensus. Mais l’étude des mutins, de leurs gestes et de leurs mots, ne conduit pas à réactiver l’opposition simpliste du « patriotisme » et du « pacifisme ». Le livre redonne ainsi toute leur place aux hésitations des soldats, partagés entre dégoût du conflit et impératif du devoir ; aux incertitudes des officiers, entre désarroi et sévérité ; et à la force de l’institution militaire brièvement défiée. Il permet de repenser le refus de guerre, en retrouvant la difficulté de l’action collective dans le cadre improbable d’une armée en campagne. Cette étude des mutins est aussi l’histoire d’un échec, qui éclaire les logiques et les limites des mouvements sociaux les plus contemporains. C’est enfin l’histoire d’une répression, qui permet de comprendre l’arrière-plan des débats actuels sur la réhabilitation de ceux qui furent fusillés. Retrouver les mutins, c’est comprendre la guerre en miroir, à travers les mots et les actes de ceux qui la refusèrent. thèmes ci-dessous extraits et publiés à partir de : http://www.crid1418.org/doc/mutins.Annexe à télécharger au format .pdf (tableaux, sources, bibliographie, documents). http://www.crid1418.org/espace_scientifique/ouvrages/Loez_mutins_anx.pdf Cette annexe comporte quatre parties : I. Tableaux (p. 2) A. La connaissance des mutineries de 1917 B. Les témoins des mutineries C. La sociologie des mutins D. Les manifestations des mutins E. Les écrits des mutins F. La mesure de l’indiscipline et sa répression II. Sources (p. 18) Analyse des sources Liste des sources consultées (dont les témoignages) III. Bibliographie (p. 41) 1. Instruments de travail et cadres d’analyse 2. Histoire générale 3. Histoire et sociologie des mouvements sociaux 4. Première Guerre mondiale 5. Année 1917 et mutineries françaises IV. Documents et témoignages (p. 66) A.. Rapports militaires sur les mutineries B. Textes et documents des mutins de 1917. C. Récits des mutineries Entretien de l’auteur avec la Lettre du Chemin des Dames (.pdf) en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous : http://www.crid1418.org/doc/actu/Loez_mutins_entretien.pdf « J’ai cherché à largement donner la parole à ces soldats »…./….
-Entretien de l’auteur avec La Raison (pdf) en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous : http://www.crid1418.org/doc/actu/entretien%20la%20raison.pdf Recension dans Le Mouvement social (par Antoine Prost) http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1642 André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, 2010 Revenir sur l’histoire des mutins après Guy Pédroncini, Len Smith et Denis Rolland ne manque pas d’ambition1. André Loez en a les moyens et il nous livre un ouvrage de première importance. Passons sur la clarté du plan et la fluidité de l’écriture. Passons sur l’ampleur de la documentation qu’attestent 94 pages de notes : outre les archives du commandement, des conseils de guerre, de la justice militaire, du contrôle postal, l’auteur a labouré celles des acteurs et les témoignages publiés2. L’important est sa problématique, qui renouvelle l’historiographie de la Grande Guerre. Alors que les motivations des soldats étaient au centre du débat, André Loez tourne le dos à cette approche psychologique. Il est assez vain « de chercher dans les consciences des ‘raisons’ de tenir et de combattre, dans la mesure où aucun autre choix n’est disponible » (37). Il y a la guerre, un événement qui s’impose à tous, une évidence collective à laquelle les individus s’adaptent. Ils n’ont pas le choix. Ce « fait national » est « de part en part un fait social, irréductible à la psychologie et à la culture ou au patriotisme des seuls individus » (43). On semble ici congédier l’histoire culturelle, au profit d’une histoire sociale renouvelée. Du coup, la question se déplace. Avant de chercher des raisons aux mutins, il faut comprendre pourquoi le choix d’une révolte est devenu possible au printemps de 1917. L’échec du Chemin des Dames n’est pas une explication suffisante : 22 unités seulement sur les 85 touchées par les mutineries avaient été engagées le 17 avril, tandis que 19 étaient au repos complet et 8 dans un secteur calme. La 5e DI, où la mutinerie fut spectaculaire, était en réserve. La dénonciation des attaques inutiles et la lassitude de la guerre apparaissent beaucoup plus tôt. La désobéissance des soldats ne relève donc pas d’une démotivation passagère et vite surmontée, mais elle révèle que « d’autres choix et d’autres conduites sont devenues possibles et pensables, en raison d’une inflexion des cadres sociaux et symboliques de l’obéissance » (56). De nombreux événements construisent en effet une représentation de l’avenir où il devient envisageable que la guerre puisse prendre fin : avec la révolution russe, l’entrée en guerre des États-Unis, le recul allemand sur la ligne Hindenburg, l’espoir suscité par les préparatifs du Chemin des Dames, l’impression de flottement au sommet de la hiérarchie lors de la nomination de Pétain, la perspective d’une paix n’est plus absurde. Elle prend plus de consistance avec les grèves de mai et surtout le congrès socialiste de Stockholm auquel le parti français décide le 28 mai de se rendre, avant que le gouvernement ne refuse des passeports à ses délégués le 4 juin. L’exemple vite connu des premiers refus d’obéissance donne des idées. Nous sommes alors à l’apogée des mutineries. A. Loez étudie attentivement celles sur lesquelles nous sommes le mieux renseignés. C’est tout un continuum de désobéissance, qui va de l’altercation avec un officier au projet de marche sur Paris. Le mouvement lui semble sous-estimé, car il a découvert, grâce notamment aux JMO, 27 mutineries jusque là ignorées, et deux de plus encore entre la rédaction de son livre et celle de son annexe. D’autre part, les sources françaises ne mentionnent pas 8 mutineries signalées par le commandement allemand qui, contrairement à ce qu’on croit souvent, les a connues. Il analyse la chronologie et la géographie du mouvement, comme la sociologie des mutins. Les employés de commerce ou de banque, les instituteurs, les représentants de commerce sont sur-représentés, tandis que les professions socialement dominées sont sous-représentées. Les mutins sont plus jeunes, moins souvent mariés et plus souvent parisiens que les non-mutins. Il étudie la façon dont les mutins s’organisent, ce qu’il appelle l’improvisation de la désobéissance. La conscience d’une transgression absolue et périlleuse de l’ordre militaire les incite à rendre leur action présentable. La violence envers les officiers est limitée à une douzaine de cas sur 80 pris en compte. Reste évidemment la question du sens des mutineries. A. Loez refuse ici « la posture du chercheur omniscient qui sait lire et narrer le grand texte de l’histoire » (364). Qu’est-ce qui permet à l’historien de décider que telles paroles plutôt que telles autres livrent le sens véritable de l’événement ? De quel droit arbitrerait-il entre ces deux mutins d’un même régiment dont l’un explique : « On ne nous donne pas les permissions qui nous sont dues ni le repos qu’on nous a promis » tandis que l’autre affirme : « Il faut faire la paix à tout prix ; se battre comme ça, c’est idiot » (366). Les versions unifiées des mutineries, qui les présentent comme une grève pour des revendications matérielles, ou au contraire comme un mouvement pacifiste, reposent sur une généralisation abusive à partir de citations choisies pour les conclusions qu’elles autorisent. L’indispensable critique des témoignages doit tenir toujours compte des contextes d’énonciation, et ne pas détacher les discours des pratiques. Il y a là, sans qu’A. Loez la systématise, une réflexion épistémologique sur les limites des citations dans l’administration de la preuve en histoire. Nous ne pouvons pas savoir ce que pensaient, ce que ressentaient des centaines de mutins dont seuls quelques uns ont parlé et dont, de surcroît, la parole a été construite en fonction de la situation et des interlocuteurs : camarades présents, officiers ou juges du Conseil de guerre. L’attribution d’une pensée ou d’un discours, d’un sens unifié, aux soldats constitués en entité collective est arbitraire. Au demeurant, de quel droit postuler que tous les participants d’une action collective partagent les mêmes motivations ? Refusant donc de privilégier le sens porté par certaines paroles plutôt que par d’autres, A. Loez les prend toutes en compte, avec une attention fine aux termes utilisés. La palette en est étendue, de ceux qui minimisent les mutineries : chahut, tapage, chambard, grabuge, rouspétance, à ceux qui en soulignent la gravité : révolte, grève, ou révolution, en un sens spécifique : « nous sommes en révolution ». En s’attachant simultanément à la diversité des pratiques, il définit ainsi quatre types de mutins : les tapageurs, pour qui la mutinerie est une sorte d’exutoire passager ; les grévistes, de bons soldats injustement traités ; les citoyens qui réclament leurs droits ; les militants, qui se mobilisent pour la fin de la guerre. Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans l’alternative patriotes ou pacifistes : la réalité est beaucoup plus complexe et mouvante. Mais une constante demeure : la nécessité, pour les mutins, de construire la légitimité de leur action, ce qui les conduit à se situer à l’intérieur de l’espace politique de la République et à développer un égalitarisme intense. La remise en ordre suit. A. Loez révise le rôle de Pétain. Celui-ci n’a pas été nommé pour mettre fin aux mutineries : sa nomination intervient le 15 mai, alors que le gouvernement ne connaît pas encore la crise qui débute à peine et dont il est saisi à la fin du mois. Pas davantage Pétain ne donne l’ordre de cesser les offensives : le 19 mai, il prescrit des attaques à objectifs limités, déchaînées brusquement, certes économes en infanterie, mais visant à poursuivre l’usure adverse. C’est bien plutôt la crise d’obéissance et la nécessité de rétablir d’abord l’ordre militaire qui l’obligent à renoncer aux attaques. D’autre part, il n’hésite pas à faire fusiller des mutins ; il obtient même (directive du 12 juin) la suspension des transmissions à l’autorité civile pour recours en grâce. Certes, quelques jours plus tard, il atténue cette sévérité en demandant de ne pas oublier qu’il s’agit de « nos soldats » qui se battent depuis trois ans, mais il reprend en mains les unités en mariant améliorations concrètes, exhortations, et rappel de la légitimité de la règle militaire. Les permissions satisfont les droits légitimes des poilus tout en dispersant provisoirement les éventuels mutins, ce qui facilite doublement le retour à l’ordre. Simultanément, le contexte se modifie, la perspective d’une fin possible de la guerre a court terme se dissipe, et les soldats rentrent dans le rang parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Le titre de l’ouvrage : « les refus de la guerre » résume bien la thèse d’A. Loez. Il montre comment, dans une situation qui s’impose à la collectivité toute entière, l’institution politique, sociale et militaire fait faire la guerre à des hommes qui la refusent. De nombreux témoignages attestent la précocité et la réalité de ce refus, mais la généralisation d’A. Loez me semble excessive : le refus n’épuise pas la réalité qui est plus complexe, et parfois contradictoire. A. Loez n’aborde pas le comportement des troupes de première ligne, bien qu’il y signale une mutinerie. Faut-il en conclure que ces troupes ne refusaient pas la guerre ? Rien ne le permet, et pourtant elles continuent à la faire. C’est donc que le refus coexiste avec d’autres sentiments, car le refus de la guerre est bien, lui aussi, un sentiment qui inspire des actes et des paroles, ou si l’on préfère, une attitude. Un an plus tard, les ouvriers étudiés par J.-L. Robert cessent leurs grèves quand Ludendorff perce le front : ils ne veulent pas être ceux par qui le malheur arrive.3 N’y a-t-il pas, chez les soldats, la même conscience d’une responsabilité devant la collectivité, les proches, les amis ? Imposée certes par le contexte : c’est la guerre, on n’y peut rien, mais elle n’en crée pas moins des obligations. Y a-t-il le même refus, en août et septembre 1914 ? A. Loez ne le soutient pas, même s’il juge vain d’explorer les sentiments quand la situation commande. Mais la situation ne façonne-t-elle pas aussi des émotions, des sentiments ? Et que serait une histoire sans émotions et sans sentiments ? A. Loez le sait parfaitement, et il leur fait en réalité leur place, après avoir mis en garde contre le risque d’y voir des causes alors que ce sont pour lui plutôt des effets. En quoi son livre est bien une histoire totale de la guerre : sociale, politique, militaire, mais aussi culturelle. Antoine Prost 1 Guy Pedroncini, 1917, Les mutineries de l’armée française, Paris, Julliard, 1968 ; Léonard V. Smith, Between Mutiny and Obedience. The Case ot the French Fith Infantry Division during World War I, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Denis Rolland, La grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005. 2 Les sources et la bibliographie figurent, avec la liste des mutineries retenues, dans une annexe de 86 pages consultable sur internet. 3 Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution. Paris 1914-1919, Les annales littéraires de l’Université de Besançon, n° 592, Série historique n° 11, 1995. Recension sur Nonfiction.fr (par Pierre Chancerel) http://www.nonfiction.fr/article-3563-une_relecture_des_mutineries_de_1917.htm Une relecture des mutineries de 1917 L’histoire des mutineries de 1917 a engendré une importante littérature historique. Rupture évidente de la cohésion nationale, l’événement, même s’il est limité dans le temps, symbolise à lui seul la fin de l’Union sacrée. On pourrait croire que tout a été dit sur le sujet et pourtant André Loez apporte un éclairage nouveau sur ces événements. L’ouvrage est intéressant à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il renouvelle le questionnement sur les mutineries. Ensuite, plus généralement, son travail est l’occasion d’une réflexion plus générale sur les sources historiques, leur silence et leur sincérité, et sur le travail de l’historien en général. Au fil de la lecture, on est frappé par la grande rigueur de l’auteur, qui lui a permis de prendre en compte toutes les dimensions de ces mutineries et l’a conduit à s’intéresser à l’ensemble des mutins, et pas seulement aux plus cultivés d’entre eux. L’ouvrage est étayé par une solide documentation. Il inaugure sans doute une nouvelle époque, dans laquelle l’exemplaire papier est complété par des ressources en ligne. Ainsi, des annexes au livre sont disponibles sur Internet, sur le site du Crid 14-18 (Collectif international de Recherches et de débat sur la guerre de 1914-1918). Ces documents sont constitués de tableaux qui recensent les différentes mutineries et les sources dont on dispose. Ils établissent également des données statistiques sur l’identité des mutins et de la répression qu’ils ont subie. Plus traditionnels, une bibliographie et un guide des sources figurent dans l’annexe en ligne, ce qui permet d’alléger le livre. Toutes les composantes des mutineries ont été réexaminées. Pour commencer, les mutineries sont insérées dans le temps long. André Loez revisite l’historiographie récente de la Première Guerre mondiale. Il en vient à rejeter les explications traditionnelles du conflit. Pour lui, les soldats ne se sont pas battus par consentement, ou par patriotisme, pas plus qu’à cause du poids de la contrainte que l’autorité militaire ferait peser sur eux en cas de révolte. Il dépasse cette opposition et propose, au contraire, une nouvelle clé, une « hypothèse sociologique » , selon laquelle on ne fait la guerre tout simplement parce qu’on n’a pas le choix, aucune autre alternative valable n’existe pour les combattants. Dans une société qui exalte la virilité et le courage, déserter ou refuser la guerre est tout simplement impossible. André Loez montre que les soldats s’adaptent peu à peu au conflit et à sa durée. S’instaure un « rapport ordinaire à la guerre » , selon lequel être soldat devient un métier et génère de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques. Dans ces conditions, on espère la fin de la guerre, sans pouvoir la penser formellement. Chaque événement extérieur n’est espéré que dans la mesure où il peut abréger le conflit et mettre un terme aux terribles conditions de vie des combattants. Les refus d’obéissance sont toujours isolés et ne sauraient remettre en cause la guerre dans son ensemble. Pierre CHANCERELChamps de bataille où les Australiens combattirent. fleche-boule8-Réponse aux critiques de Leonard Smith dans le Journal of Military History (vol 75-1, janvier 2011, format pdf) Texte paru dans le volume 75, n°1, du Journal of Military History, janvier 2011, p. 350-351, en réponse au compterendu écrit par Leonard V. Smith dans le n°74-4 d’octobre 2010, p. 1301-1303…. en savoir plus en téléchargeant le pdf ci-dessous : http://www.crid1418.org/doc/textes/loez_smith_jmh.pdfsources http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html http://www.crid1418.org/doc/mutins http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1642 http://www.nonfiction.fr/article-3563-une_relecture_des_mutineries_de_1917.htm
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| Sujet: Pour en finir avec le moral des combattants Ven Aoû 22 2014, 20:29 | |
| 4 /Article de André LOEZ : Pour en finir avec le moral des combattants
Pour en finir avec le moral des combattants (André LOEZ)
article extrait du document pdf -> http://www.crid1418.org/doc/textes/Loez_moral.pdf En avril 1935, le maréchal Pétain prononçait devant l’Académie des Sciences morales et politiques une conférence intitulée « La crise morale et militaire de 1917 »1. Il y évoquait les mutineries de l’armée française (une « maladie du moral »2) à travers le vocabulaire habituellement utilisé par l’armée, dont une des préoccupations majeures durant le premier conflit mondial fut bien de surveiller et de soutenir le « moral » des combattants. Ce même vocabulaire est encore utilisé par des historiens, qui cherchent à décrire la nature, les hauts ou les bas du « moral » durant la Grande Guerre. Comme toute notion englobante que l’on fait parler au singulier – l’opinion, la nation, le peuple – le terme de « moral » est pourtant justiciable de sérieuses critiques. Comment définir, approcher, mesurer ce « moral », derrière l’apparente évidence du terme ? Peut-on vraiment reprendre sans distance une catégorie de la pensée militaire, et l’intégrer à des discussions scientifiques ? Ne peut-on utiliser des outils d’analyse plus pertinents, au vu de la complexité croissante des débats sur la ténacité combattante ? Pour répondre à ces questions, on procèdera en trois temps, d’abord par une analyse des manières dont on évoque le « moral » durant la Grande Guerre, puis par un tour d’horizon des usages du terme dans l’histoire militaire, enfin par une critique des mésusages de la notion appliquée aux combattants français de 1914-1918. Comme le titre de cette contribution le suggère, on espère montrer qu’elle est artificielle et dispensable. LE « MORAL », UNE PRÉOCCUPATION ESSENTIELLE DES MILITAIRES Si le mot préexiste évidemment à la Grande Guerre, il devient un élément habituel du langage des combattants aux tranchées. Tout comme le « cafard » peut désigner n’importe quelle affection psychologique, la dépression, l’angoisse ou l’ennui, le « moral » est alors un terme passe-partout qui sert à qualifier l’état d’esprit de la troupe. Un « bon moral » est alors comme l’envers du « cafard ». Au 96e RI, l’adjudant Bellet constate ainsi en 1915 que le départ en permission « produit un merveilleux effet sur le moral des soldats »3. Plus largement, le « moral des soldats » et celui de la nation sont des préoccupations essentielles pour ceux qui conduisent la guerre. D’abord, de façon très générale, pour les commentateurs du conflit qui n’ont de cesse d’exalter le « bon moral » des Français et d’annoncer la « démoralisation » de l’adversaire, dans leurs discours qu’ils espèrent performatifs : « Notre artillerie a des effets démoralisants foudroyants » écrit Albert de Mun dans L’Écho de Paris, le 18 août 1914. Il ajoute, un mois plus tard : les Allemands sont abattus, les Français sont joyeux. Les blessures des Allemands sont presque toutes graves, quelques-unes terribles ; celles des Français, pour la plupart sont légères. Différence profonde, dans l’état moral et dans les effets de l’armement4. Toute la guerre durant, les idéologues et les chefs politiques et militaires s’attachent ainsi à scruter et soutenir l’état moral de la troupe et de la nation. Une circulaire du général Joffre se veut vigilante sur la « bonne tenue morale du pays » en octobre 1916 5. Le député Abel Ferry écrit de même en septembre 1917 : « Le succès de Verdun raffermit le moral de la nation et de l’armée » 6. Si le moral doit être raffermi à cette date, c’est que tous pensent avoir traversé une « crise morale » en mai-juin 1917. C’est alors que la préoccupation du « moral » est à son comble, et d’abord pour les militaires. En effet, dans le langage de l’encadrement, le « moral » est une chose à surveiller, à mesurer, à quantifier. Dans la foulée des mutineries, l’État-major de la IIe armée prescrit aux officiers de « suivre et surveiller d’une façon incessante les fluctuations de l’état moral de leur troupe comme ils surveillent son état matériel, son alimentation etc. »7 Dès lors les archives regorgent de dossiers sur la « situation morale de l’armée »8, « l’état moral de la troupe »9, de « comptes-rendus sur le moral »10. Dès 1916, a été créé un service (puis Bureau) du « moral »11 chargé, entre autres, de contrôler le courrier des soldats, et perfectionnant progressivement ses instruments de saisie du « moral ». Cette étude du moral par l’armée ne relève pas, bien sûr, de la recherche improvisée en psychologie : c’est de contrôle social qu’il s’agit. Pour les militaires, connaître le « moral », c’est prévenir les désobéissances, et savoir si l’on dispose de troupes capables de combattre (« bon moral ») ou dont l’efficacité militaire sera plus douteuse (« mauvais moral »), quelles qu’en soient les raisons. On note au passage que cette catégorie de pensée gomme la dimension politique de certaines dispositions d’esprit : vouloir que la guerre se termine n’est pas une opinion légitime, mais un signe ou un symptôme de « mauvais moral ». Un mouvement politique et social comme les mutineries de 1917 est ainsi renvoyé du côté de la psychologie ou de la pathologie 12. En dépit de ces efforts pour observer le « moral » en 1914-1918, le terme ne fait pas l’objet d’une réflexion rigoureuse. D’un usage courant et même évident pour les contemporains, il a toujours une dimension de généralité, lorsque les observateurs entendent le décrire pour tout un régiment ou pour le pays entier. Il relève au fond des approximations psychologisantes alors en vigueur, sur le tempérament des peuples et l’excitabilité des foules. Un général écrit au lendemain des mutineries : Il est à remarquer que l’effervescence qui s’est produite a été très rapide. Avec la mobilité des imaginations françaises, elle peut n’être que passagère, et l’état moral peut redevenir pleinement satisfaisant 13. Le moral, ici, n’est pas vraiment conçu comme la résultante de multiples états psychologiques eux-mêmes complexes, mais comme l’humeur fluctuante d’un organisme unique. On retrouve tout au long de la guerre de telles réductions du « moral » à un qualificatif unique (« bon », « mauvais », « haut », « bas ») pour des collectifs nombreux (armées, divisions, régiments…). Ainsi, dès la période du conflit, on remarque l’imprécision et le caractère d’insatisfaisante généralité du terme, qui est davantage lié aux soucis pratiques et politiques de l’armée – disposer de troupes à même de combattre et non affectées par des idées subversives – qu’à une saisie fine du social et des psychologies en guerre. On doit ajouter à ces incertitudes sémantiques les modes d’appropriation complexes du mot par les combattants. Leurs façons de concevoir le « moral » ne correspondent pas parfaitement à celles de leurs chefs. Lors des mutineries, observatoire privilégié permettant de saisir de nombreux discours sur ce terme, deux soldats révoltés l’emploient ainsi dans un sens opposé. Le premier souscrit encore à la conception militaire qui associe l’indiscipline à un « mauvais moral » : « Comme moral ça va très mal nous ne voulons plus rien savoir et ça braille il faut voir ça ça fait du vilain des émeutes dans toutes les rues enfin on ne demande qu’une seule chose la fin de cette guerre « 14. Mais dans un autre extrait de courrier contrôlé, le terme est employé à fronts renversés, un combattant se félicitant de la désobéissance et y associant, à l’inverse de ce qu’écrivent alors tous les officiers, un « bon moral » : « Je t’assure que le moral est bon on ne veut plus remonter aux tranchées;dimanche le colonel a pleuré de voir qu’il n’était plus le maître et ça va de plus en plus fort je t’assure que les officiers ne nous embêtent plus « 15. Pour ce soldat, au moins, les mutineries ne sont en rien une « crise du moral » : plutôt un moment où on savoure le renversement des hiérarchies. Le rétablissement de la discipline rétablit, pour finir, l’acception courante du terme, lorsqu’il faut réparer ou soutenir ce « moral » qui a semblé faillir : Nous avons eu des conférences par le Capitaine, le lieutenant, le Chef de Bataillon. Ils veulent remonter le moral très bas et surtout nous faire entrevoir les funestes conséquences qui pourraient résulter 16. Au total, il apparaît bien que le « moral » en 1914-1918 est une notion extrêmement imprécise, qui relève de plusieurs registres : l’évidence d’un vocabulaire combattant qui oppose le « moral » au cafard ; l’emphase d’un discours patriotique qui exalte le « moral » français par opposition à la démoralisation adverse ; l’inquiétude des chefs militaires pour qui maintenir un « bon moral » correspond à un souci d’efficacité militaire et de lutte contre la subversion. L’ensemble dessine un schéma social simplificateur faisant alterner les « ébranlements » et les « redressements » du moral17. Les usages historiens de cette notion sont-ils plus rigoureux ? Il existe de fortes continuités professionnelles entre les militaires et les historiens militaires 18. C’est pourquoi ces derniers sont très nombreux à reprendre, dans leurs analyses, le vocabulaire de l’armée et de la hiérarchie sans plus de recul ou de réflexion. Le Dictionnaire d’art et d’histoire militaire comporte ainsi un article « moral », lequel ne définit jamais le terme, mais entend en suivre les incarnations à travers les âges, des armées de César aux poilus de 1914, s’attachant à la lutte « curative et préventive » contre les « crises du moral » 19. On reste, au vrai, dans le domaine de la pathologie. Un dictionnaire anglo-saxon a le mérite de reconnaître, au début de sa notice : « Morale, an imprecise term »20. Il définit du moins la notion en indiquant qu’il s’agit d’un « état d’esprit » assurant l’efficacité militaire. Un dernier ouvrage de référence le souligne également : Le moral, défini de façon générale, est un état d’esprit qui encourage ou empêche l’action. Les plus grands chefs militaires ont toujours compris que le moral reflète l’état mental, moral et physique de leurs troupes. […] Des troupes au bon moral peuvent opérer et même réussir contre toute attente, dans toutes sortes de conditions. Un mauvais moral peut entraîner l’échec, même lorsque la victoire semble probable 21. On retrouve ici deux des éléments clés préalablement mis en évidence : la saisie du « moral » vient des chefs militaires eux-mêmes, et ce « moral » est un facteur d’efficacité militaire. Il faut remarquer l’absence, une fois encore, d’éléments clairs de saisie et de définition. On ne fait que réactualiser, ici, un constat déjà dressé par un sociologue en 1944, alors que la préoccupation du « moral » était également à son comble, mais que sa définition était tout aussi peu rigoureuse : [Il y a] peu d’accord sur la nature du moral, mais tous les auteurs semblent s’accorder sur le fait que c’est une bonne chose, à acquérir, à consolider, à promouvoir 22. Un grand nombre de travaux consacrés à la Grande Guerre adoptent un tel mode de fonctionnement, en se donnant pour objet le « moral », entendu comme une évidence et dans l’optique du commandement, sans jamais réfléchir à la pertinence du terme en tant qu’instrument de saisie du social. Le cas est très fréquent dans l’historiographie anglophone où le « morale » fait partie des catégories bien ancrées et assez peu discutées de l’histoire militaire23. Une thèse récente sur les régiments irlandais de la Grande Guerre qui porte le « morale » dans son titre ne prend pas la peine de définir le terme ni de justifier son emploi, et utilise en lecture directe les chiffres de condamnation de la Justice militaire pour savoir si le moral est « bon » ou « mauvais ». On ne pourrait reproduire plus fidèlement les représentations des contemporains, et surtout des militaires 24. En France, il existe une même continuité entre la préoccupation du « moral » durant la guerre, son évocation dans l’après-guerre par les mémorialistes et les commentateurs (tels Pétain en 1935), et les premiers travaux des historiens s’intéressant aux combattants. Jean-Noël Jeanneney étudiait, en 1967, « l’opinion » et le « moral » des soldats d’après les rapports du contrôle postal25. La juxtaposition de ces deux termes, sur laquelle on reviendra, se retrouve dans le titre de deux thèses de doctorat soutenues en 1986 et 2009, consacrées, l’une au « moral » d’une année (1916), et l’autre au « moral » d’une armée (la IVe)26. Ces travaux s’inscrivent pour partie dans le cadre d’une inlassable interrogation qui parcourt l’historiographie française : « Comment ont-ils tenu ? » Il n’est pas certain que la question soit bien posée27. Il est, en revanche, flagrant que l’étude du « moral » ne peut prétendre y répondre. LE « MORAL », UN INSAISISSABLE ARTEFACT Examinée de près, la manière dont les chercheurs entendent approcher le « moral » des soldats de la Grande Guerre présente en effet d’insurmontables faiblesses méthodologiques et conceptuelles. Le premier problème concerne les instruments de saisie de ce « moral » supposé. C’est le contrôle postal, institution de surveillance des courriers progressivement mise en place, qui est la source fondamentale des travaux sur le « moral »28. Ils s’appuient à la fois sur les extraits de lettres cités dans les rapports, et sur les conclusions de ceux-ci, qui donneraient accès à « l’opinion » et au « moral » des soldats français, pour la période (1916-1918) où ce contrôle est établi. Ils soutiennent que cette source, en raison de la quantité des lettres lues (entre 1/40 et 1/80 du total des courriers des unités, contrôlées environ une fois par mois chacune) peut être considérée comme « représentative », dans des comparaisons explicites avec le modèle des sondages d’opinion 29. Mais ce que masquent ces analogies30, c’est la différence de nature radicale entre des sondages, consistant en des réponses à des questions explicitement posées, et un contrôle, c’est-à-dire une surveillance, opérant par sélection d’un petit nombre d’extraits dans des écrits privés (les lettres des soldats). La visée de l’instrument n’est nullement la saisie représentative des opinions, mais le contrôle social. L’institution fournit ainsi aux contrôleurs chargés de lire le courrier des grilles de lecture très détaillées, visant à repérer les sujets de mécontentement, à déceler les signes d’antimilitarisme ou au contraire de « confiance en la victoire », et à scruter les prises de position politiques. L’ensemble doit conduire à dire si le moral d’un régiment est « Très bon, bon, neutre, médiocre ou mauvais » 31. On mesure tout l’écart entre ce dispositif, lié à la surveillance des militaires et à la volonté de disposer de troupes fiables pour les opérations, et celui des sondages reposant sur la libre réponse (anonyme, explicite, volontaire et en temps de paix) à des questions. Au-delà, de nombreux travaux ont montré qu’il existait des biais au contrôle postal, en raison de stratégies d’écriture des combattants32. L’autocensure, répandue mais impossible à quantifier, conduit déjà à douter de sa valeur pour saisir « l’opinion ». Surtout, la structure même des échanges épistolaires influe sur leur contenu : tout comme il est évident que des soldats ne raconteront pas leurs infidélités à leurs épouses (rendant difficile d’accès l’étude de la sexualité des combattants), ils ne livrent pas nécessairement leur « opinion » sur la guerre en raison des liens sociaux et affectifs qui conduisent à se conformer publiquement, qui plus est dans des lettres susceptibles d’être lues par l’armée, à des modèles de comportement valorisant le « devoir ». Les lettres des soldats ne sont pas des réponses à nos questions, mais des matériaux à analyser et dont il faut, à chaque fois, reconstruire le contexte33. Mais il existe un biais plus profond de la source. Son jugement sur le « moral » repose en fait sur l’interprétation que les contrôleurs font d’un petit nombre de lettres dont la tonalité porte explicitement sur les questions politiques et sur la guerre elle-même. Ce sont ces courriers qui sont en partie reproduits dans les rapports sous forme d’extraits généralement brefs. Lorsqu’ils sont virulents ou nombreux à critiquer la guerre, le moral est dit « mauvais » ; inversement, lorsque les contrôleurs trouvent assez de lettres utilisant le vocabulaire du patriotisme, le moral est « bon » ou « très bon ». Cette construction du « moral » par les contrôleurs, et, à leur suite, par les historiens, laisse toutefois de côté un élément fondamental : la plupart des correspondances ne disent rien du « moral ». En écrivant, en effet, les soldats n’ont pas pour but de nous livrer des matériaux sur leurs opinions et leur rapport à la guerre, ou encore les raisons pour lesquelles ils ont « tenu ». Leurs lettres sont, et c’est facilement compréhensible, souvent dénuées de réflexions et de constructions discursives abouties. De nombreux rapports des contrôleurs du courrier eux-mêmes le mentionnent et permettent de le comprendre, comme au 4e régiment d’artillerie en mai 1917, période pourtant bien agitée : Il est impossible de donner une impression sur le moral de ces batteries, la correspondance est complètement dénuée d’intérêt, les hommes qui semblent être dans un secteur particulièrement tranquille sont silencieux sur tout ce qui concerne la guerre et se bornent à donner des nouvelles à leurs familles34. S’agit-il d’un cas isolé ? Citons un autre contrôleur du courrier, dans l’infanterie cette fois, en octobre 1916 : Les neuf dixièmes des lettres ne disent rien du tout et représentent la masse docile, dévouée, patiente et silencieuse. On se préoccupe toujours vivement des travaux agricoles, des vendanges, etc. [...] Dans quelle mesure de pareils textes [pacifistes] représentent-ils un état étendu des esprits, c’est ce qu’il est difficile de décider. Pour le contrôleur qui les recueille épars ça et là, entre cent ou deux cents lettres insignifiantes, ils demeurent à l’état d’exception35. On retrouve ce problème au moment des mutineries de 1917, au 109e RI qui a connu un « incident » mais ne laisse pas pour autant saisir son « moral » : 800 lettres sur mille ne disent rien, sur 200 qui relatent l’incident une trentaine à peine donnent une appréciation, les autres s’abstiennent par crainte de la censure. Il est donc difficile de donner une idée générale exacte ; le moral peut être en réalité plus mauvais que la correspondance le laisse supposer36. Le « moral » peut en effet être « plus bon » ou « plus mauvais » : au-delà de la minorité de courriers exploitables (suivant les grilles de lecture déjà très orientées de l’armée), on n’en sait rien et on ne peut rien en savoir. D’une incroyable richesse apparente par la profusion d’extraits qu’il comporte sur d’innombrables rapports accumulés en denses piles sur papier pelure, le contrôle postal ne dit pourtant rien, et ne saurait rien dire, d’une « opinion » générale. Et ce d’abord parce que tout le monde n’a pas d’« opinion » au sens politisé et réfléchi que ce terme implique37 ; ensuite parce que la fonction primordiale du courrier, en particulier pour la plus grande partie des combattants issus des milieux sociaux les plus dominés, n’est pas du tout de formuler et de livrer des « opinions » mais de maintenir des liens, sociaux, matériels, affectifs. En lisant les témoignages et les extraits de lettres du contrôle postal pour y trouver des « opinions » au fondement d’un « moral », les historiens plaquent sur les hommes des tranchées un modèle, socialement situé et sociologiquement peu répandu, de l’individu libre de délibérer, de commenter et de se déterminer sur les événements qu’il traverse. Se pose ensuite la question de la montée en généralité. Il faudrait interroger de façon détaillée les opérations par lesquelles on passe du « moral » de quelques soldats à celui d’un régiment, d’une division, d’un corps d’armée, d’une armée, puis de l’ensemble des combattants. Le singulier toujours adopté pour décrire ce « moral » ne laisse pas d’intriguer, au vu des ambiguïtés des modes de saisie qu’on a exposées. Plus étonnant encore, le moral devient une chose qu’on commente, qu’on qualifie et qu’on dissèque à l’infini, faisant exister dans une même phrase des appréciations contradictoires et ésotériques : « bon moral et moral affaibli » ; « bon moral et moral indéterminé » ; « bon moral entre vigueur apparente et fragilité sous-jacente » ; « bon moral dont la trame s’effiloche » ; « bon moral anémique » ; « poussée du moral indéterminé ». Dans un frappant mimétisme avec le langage des officiers de 1914-1918, le « moral » est évalué comme une chose à la fois multiple et unique, évoqué au singulier mais toujours pour désigner un collectif – plusieurs centaines de milliers d’hommes, au sein de la IVe armée, dans les exemples qui précèdent. Par ces montées en généralité, on postule en fait, implicitement, qu’il existerait un moral « moyen » fait d’une somme puis d’une division des « opinions » et du « moral » de milliers d’individus. Plutôt que d’opérations de recherche et de conceptualisation, ces qualifications relèvent de procédés rhétoriques, faisant alterner, parfois immédiatement, « hésitations puis affirmation du moral » 39. On le voit nettement dans le passage qu’Annick Cochet consacre à « l’attitude générale d’acceptation des sacrifices » : après avoir cité de nombreux extraits de lettres déplorant la « boucherie » de la guerre, elle en cite d’autres qui manifestent leur compréhension ou leur acceptation des pertes en vue de la victoire40. Mais juxtaposer ces deux types d’extraits (précisément ceux, défavorables et favorables, que la grille de lecture des contrôleurs du courrier vise à produire) ne dit rien d’une opinion « moyenne » ou intermédiaire qui finirait par « accepter » les pertes. En effet, ce ne sont pas les mêmes soldats qui passent d’une attitude à une autre, mais bien deux manières de voir cet aspect de la guerre, différentes et irréconciliables, et qu’il est de plus impossible de quantifier. Ces façons de faire, consistant à produire un « moral » moyen donnant une cohérence apparente aux discordances et aux nuances du réel, prennent en fait leur origine dans les travaux consacrés à « l’opinion publique », cette autre entité collective qu’on fait parler au singulier41. Ainsi s’explique le lien, dans les titres des travaux cités, entre le « moral » et l’opinion » : leurs méthodes sont calquées sur celles qui servent à dire quelle était « l’opinion » des Français sous Vichy ou en 191442. Or, ces travaux, à l’image des descriptions artificielles de « l’opinion » produites par les commentateurs politiques au moment des élections, ont reçu de fortes critiques, lesquelles n’ont pas été assez entendues ni discutées par les historiens43. Il serait ainsi nécessaire de se pencher de nouveau sur les méthodes très discutables par lesquelles une enquête unanimement jugée exemplaire, celle que Jean-Jacques Becker a consacrée à l’entrée en guerre de 1914, entend reconstruire « l’opinion »44. Les notes des instituteurs décrivant la mobilisation, sur lesquelles repose le coeur de l’étude, sont écrites, au plus tôt, plus d’un mois et demi après les événements qu’elles relatent après la peur de l’invasion et le soulagement, début septembre, de la bataille de la Marne45. Loin d’une transcription directe de l’événement, n’est-on pas déjà dans une reconstruction ? De plus, leurs auteurs ne sont pas des enregistreurs neutres et passifs de la réalité mais des fonctionnaires solidaires de l’effort de guerre, acteurs directs de la mobilisation. On ne peut pas plus prendre leurs mots comme des indications de la réalité d’une « opinion » qu’on ne peut prendre les appréciations des officiers comme des évocations plausibles du « moral ». Au-delà de ces problèmes de méthode, c’est la pertinence même d’une étude du « moral » et de l’« opinion » qu’on doit discuter. De façon assez prosaïque, d’abord, en relativisant l’importance dans la Grande Guerre de ce « moral » que chacun s’attache à découvrir. S’il suffisait d’un « bon » moral pour l’emporter, la France aurait peut-être gagné la bataille des frontières, faisant se terminer la guerre fin août 1914, et la Belgique n’aurait pas subi d’invasion. Inversement, si le « mauvais moral » était facteur de défaite, l’Italie, dont les soldats brutalisés par leurs supérieurs affichent un état d’esprit désastreux, n’aurait pas été parmi les vainqueurs ; et la Russie serait sortie de la guerre bien avant 191846. On a montré ailleurs que si les mutineries de 1917 ne débouchaient pas sur une sortie de guerre des soldats français, ce n’était pas parce que leur « moral » s’était repris ni parce qu’ils avaient voulu « tenir », mais parce que leur mouvement privé de relais s’était délité sous l’effet des stratégies de coercition et de temporisation de l’armée47. Plus largement, de très nombreux exemples, dont les plus célèbres sont Louis Barthas ou Etienne Tanty, montrent qu’on peut faire la guerre quatre années durant sans jamais avoir un « bon moral » : en étant antimilitariste et pacifiste, pour le premier ; désespéré et dégoûté pour le second48. Il importe assez peu que ces individus soient ou non « représentatifs » : pas plus que les autres soldats, ils n’ont le choix. Leur « mauvais moral » ne se traduit pas par une moindre ténacité ni une participation plus faible à la guerre – à l’inverse d’autres combattants affichant un « moral » à toute épreuve jusqu’au moment où ils saisissent une occasion de « s’embusquer ». Ces observations ont été formalisées et systématisées, d’abord par une immense littérature de sociologie militaire qui montre sans équivoque que les soldats combattent moins en fonction d’opinions et de représentations que de liens sociaux avec leurs camarades49 ; ensuite par des études précises sur la Première Guerre mondiale qui ont éclairé la ténacité combattante et insisté sur les structures sociales encadrant les hommes du front, assurant leur obéissance, quel que soit leur « moral » 50. En définitive, s’il faut abandonner la notion de « moral », ce n’est pas seulement parce qu’elle est la reprise directe des catégories militaires relevant du contrôle social et de la surveillance des soldats, mais surtout parce qu’elle conduit inévitablement à une régression psychologique. Rapporter la ténacité des combattants à un « moral », c’est faire comme si la participation à la guerre était affaire d’humeur ou d’opinion. C’est faire fi de l’évidence et de l’inertie du conflit, auquel, en France du moins, nul n’a le choix de participer ou non. C’est faire fi des rapports sociaux qui relient les combattants à l’arrière et à leurs camarades, et qui assurent, qu’ils aient « bon » ou « mauvais » moral, leur ténacité. C’est faire fi de l’institution militaire qui encadre ces hommes et s’inquiète de leur « moral » avant tout pour traquer la subversion et gérer des stocks de troupes plus ou moins performantes au combat. Si l’on veut faire l’histoire des combattants de la Grande Guerre, et non reproduire les croyances de leurs chefs, il est temps de dire que le « moral » des soldats n’existe pas.
Dernière édition par milguerres le Ven Aoû 22 2014, 21:23, édité 1 fois | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 21:21 | |
| Je te laisse bosser , petite sœur
Sujet super intéressant
Nous mettrons nos commentaires a la fin de tes articles . |
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Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 21:31 | |
| Ces images ont été empruntées au très beau livre consacré à Gérard Lattier "Le voyage en Peinture" aux Éditions du Chassel source : http://lesbeauxdimanches.hautetfort.com/apps/search?s=LATTIER "Histoires des mutineries de 1917 que m'a raconté mon voisin de la rue Sully" . | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 21:38 | |
| Hayet , signales nous la Fin de ton Article
Merci |
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Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: L’année 1917 et ses mutineries Ven Aoû 22 2014, 21:49 | |
| L’année 1917 et ses mutineries
1- Les causes
1917, imaginez ces soldats, dans la boue, le froid, sous les bombardements des obus ! La même routine incessante et horrible, en quatre ans les terrains d’affrontements ont changés, les équipements également mais pas leurs conditions de vie. De plus, les permissions sont suspendues : le soldat n’a plus aucun lien avec l’arrière, mêmes les lettres sont ouvertes et censurées. Les soldats se trouvent livrés à eux mêmes avec un commandement défectueux qui ne contribue pas a remonter le moral des troupes, un sentiment d’oubli vis-à-vis de l’arrière naît. Par-dessus cela s’ajoute l’échec désastreux de l’attaque du chemin des dames, la troupe n’y voit plus que massacre et attaques inutiles : les soldats n’ont plus aucune perspective de voir la guerre s’arrêter. Tous ces facteurs s’additionnaient, provoquant une montée de la grogne parmi les hommes au front. - 2- Les différentes formes de mutineries La principale forme de mutinerie observée est le refus par la troupe de monter au front malgré les ordres émanant de l’état major. Les soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient obstinément de participer à de nouvelles attaques vouées à l’échec ou ne permettant pas de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l’adversaire. Nous trouvons également des contestations notamment sous formes de chansons : les soldats se manifestèrent à plusieurs reprises en chantant l’internationale ou en brandissant des drapeaux rouges. D’autres désertent ou se mutilent dans l’espoir d’échapper au front. Le premier de ces actes d’indiscipline collectifs éclata dans un régiment engagé devant les monts de Champagne, le 17 Avril 1917. Puis, douze jours plus tard, sur le même front, un nouvel incident toucha une autre unité. Cependant, l’incident le plus grave se déroula dans la 41eme division, où, les 1er et 2 juin 1917, 2000 hommes insultèrent le général qui tenait de les calmer et lui arrachèrent ses étoiles aux cris de « Assassin ! Buveur de sang ! A mort ! Vive la révolution» ! Exemple de désertion rencontré dans le journal de marche de la 88e Brigade d’infanterie :Extrait du Journal de Marche Officiel de la 88e Brigade d’infanterie : « Le Bataillon DENOYER relève en 2e ligne un bataillon du 42e RI ; 111 Hommes du bataillon SERGENT manquent au rassemblement du bataillon. Dans la nuit, violent bombardement des boyaux d’accès et des premières lignes. Pertes : 1 officier tué, (Ss lieutenant Tajasque) 11 tués, 26 blessés, 3 disparus » 3- Les moyens de répression Dès la fin de l’offensive du chemin des dames, Nivelle est remplacé par Pétain. Ce dernier parvient à calmer en partie ces contestations : Il améliore le sort des soldats en rétablissant les permissions et adopte une stratégie défensive ce qui limite les pertes en Hommes. Pétain ordonne l’arrêt des coûteuses attaques de consolidation qui avaient suivi l’offensive nivelle. Dans le même temps il s’appliquait à améliorer la vie quotidienne du soldat. Cependant afin de réprimer ces mutineries, de nombreux poilus furent sanctionnés : 3,500 condamnations dont 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont une cinquantaine furent effectives. Pétain usa de pragmatisme afin de calmer ces mouvements revendicatifs : il se rendit lui-même au sein des régiments afin de parler aux Hommes et de leur redonner courage comme en atteste cet extrait du Journal de Marche officiel de la 18eme division d’Infanterie : « 2 Juillet. Le général Pétain voit à Fismes les officiers de la DI. Le mouvement de relève commence. La 18e DI devient relever » Des émissaires furent envoyés dans les différents régiments afin de s’assurer du bon déroulement des opérations de guerre et de la discipline des Hommes. Comme en atteste ce document : Extrait du Journal de Marche Officiel du 3e corps d’armée : «Le 3 Juin 1917. Un peloton de gendarmes a cheval sous les ordres du commandant PAIRETTE se rend à Berzy-le-sec (Aisne) où il passa la nuit ; il est chargé de prendre le contact des mutins des 370e régiments d’infanterie près de Missy au bois, et de limiter le mouvement pacifiste » http://laguerre14-18.webnode.fr/les-dossiers/les-mutineries-de-1917/ sources : http://www.laviedesidees.fr/Une-nouvelle-histoire-des.html http://laguerre14-18.webnode.fr/les-dossiers/les-mutineries-de-1917/ | |
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| Sujet: La lassitude des soldats Ven Aoû 22 2014, 21:50 | |
| La lassitude des soldatstiré de : http://www.bdic.fr/desobeir/les-mutineries-de-1917[/b] Un de la territoriale, 1920. Gaston Lavy. Tome 3, page 36. En avril 1917, l'offensive lancée par le général Nivelle au Chemin des Dames se solde par un échec meurtrier. Face à l'entêtement de l'état-major qui souhaite poursuivre cette offensive à outrance, des mutineries éclatent. Elles expriment avant tout un réflexe de survie, même si l'influence de la révolution russe et de la propagande pacifiste ont également joué un rôle. Dans une lettre du 29 mai 1917 adressée au ministre de la guerre, Pétain rend compte de la grogne des soldats et leurs revendications. http://www.bdic.fr/desobeir/les-mutineries-de-1917Lettre de Pétain au ministre de la guerre, 29 mai 1917. Fonds Bonnet rouge, F delta res 0080/05/04/001. Le refus de monter au frontDans une lettre du 29 mai 1917 adressée au ministre de la guerre, Pétain rend compte de la multiplications des actes d’indiscipline. Lettre de Pétain au ministre de la guerre, 29 mai 1917. Fonds Bonnet rouge, F delta res 0080/05/04/001. Dans sa déposition, le caporal Damiron relate les mutineries qui ont éclaté à Coeuvres le 2 juin 1917. Déposition du caporal Damiron, [1917]. Fonds Bonnet rouge, F delta res 0080/05/07/001. Le reflux des mutineriesDans sa déposition le caporal Pierre Damiron, témoin des mutineries de Coeuvres évoque les étapes du retour au calme et la répression menée par les autorités militaires. Déposition du caporal Damiron, [1917]. Fonds Bonnet rouge, F delta res 0080/05/07/002. consulter pour plus de détails : http://www.bdic.fr/desobeir/les-mutineries-de-1917
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| Sujet: « Vivre et laisser vivre » Ven Aoû 22 2014, 21:51 | |
| « Vivre et laisser vivre »
Le concept de « Vivre et laisser vivre » Le concept de « Live and let live system » (« Système du vivre et laisser vivre » ) est apparu dans le remarquable travail pionnier de Tony Ashworth (1980). Il désigne un système cohérent pratiqué sur le front ouest durant toute la durée de la guerre de position, dans lequel les combattants qui se font face parviennent fréquemment à réduire et à ritualiser la violence, à travers des avertissements et des habitudes partagées comme l’établissement d’horaires réguliers pour les tirs, qui rendent ceux-ci inoffensifs. Une communication minimale entre les tranchées ennemies est la condition de possibilité de ce système. Quand elle a lieu, le système se fonde sur une réciprocité des actes de bienveillance ou d’agression. Source CRID 14-18 Ententes et trêves tacitesGaston Lavy évoque dans son ouvrage Un de la territoriale une entente similaire au cours d’une corvée de nuit au printemps 1915 à Saint-Maurice (plaine de la Woëvre, Meuse) Un de la territoriale, 1920. Gaston Lavy. Tome 1, page 21. Des trêves conclues entre soldats permettent pour un temps de faire taire les armes jusqu'à ce que les interventions de la hiérarchie mettent un terme à ces arrangements Billet échangé entre français et allemands. Date et lieu inconnus. Fonds Première guerre mondiale. Propagande et fraternisations entre soldats ennemis. F delta res 926 Les fraternisations En décembre 1914, lors du premier Nöel passé sur le front, des scènes de fraternisation spontanées ont rapproché des soldats ennemis qui souffraient d'être éloignés de leur famille. Mais, le plus souvent, tout au long de la guerre, ces fraternisations ont été de petits faits: brèves rencontres, échanges de quelques mots, de tabac, de nourriture dont les soldats témoignent dans leur carnet. Le journal de tranchées Marmita du 10 janvier 1915 évoque de façon humoristique les échanges entre soldats français et allemands. consultez la page complète sur : http://www.bdic.fr/desobeir/vivre-et-laisser-vivre
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| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 21:52 | |
| La justice militaireLe maintien de l'obéissance et de la discipline au sein des troupes a constitué un enjeu majeur pour les autorités militaires tout au long de la guerre. Une justice d'exceptionDès le mois de septembre 1914, pour endiguer la vague d'insubordination et de désertion du début de la guerre, des conseils de guerre spéciaux composés de trois officiers sont créés. Ils jugent sans véritable preuve, rendent des jugements sans appel et prononcent de nombreuses condamnations à mort immédiatement exécutables. La justice militaire échappe donc à tout contrôle. Au cours des deux premières années de la guerre, les exécutions sont nombreuses, environ 200 en 1914 et 260 en 1915. En avril 1916, des conseils de guerre ordinaires remplacent les conseils de guerre spéciaux. Les accusés bénéficient à nouveau d'un minimum de garanties, ils sont défendus, ils peuvent déposer un recours en révision et un recours en grâce auprès du président de la République. Lors de la répression des mutineries de 1917, ces garanties minimales sont maintenues. Le parlement et le Ministre de la Guerre, Painlevé ont pu veiller à ce que le nombre de victimes soit limité. Une quarantaine de soldats sont fusillés, 3000 sont condamnés à des peines plus ou moins lourdes, travaux forcés, travaux publics, prisons. Des condamnations pour l'exempleLa justice militaire veut faire des exemples pour dissuader les soldats de basculer dans la désobéissance et l'indiscipline. Au cours de la guerre, 600 soldats français ont été fusillés « pour l'exemple » sans que leur culpabilité soit prouvée ou sans qu'ils soient plus coupables que leurs camarades. Ils ont été condamnés pour délit de « refus d'obéissance, mutilations volontaires, désertion, lâcheté ou mutinerie ». L'affaire des caporaux de Souain constitue l'un des exemples les plus flagrants de l'injustice militaire. La 16 mars 1915, Théophile Maupas, Louis Lefoulon, Louis Girard et Lucien Lechat, caporaux de la 21° compagnie du 336° régiment d'infanterie comparaissent devant le conseil de guerre avec 20 autres de leurs camarades pour « refus de bondir hors des tranchées ». Le refus d'obéissance est indéniable, mais les quatre caporaux sont désignés arbitrairement et fusillés le lendemain.Les réhabilitationsDes campagnes de réhabilitation ont été conduites par les familles des fusillés et soutenues par la Ligue des droits de l'Homme. La BDIC possède des recueils d'archives sur ces campagnes de réhabilitation. Dès la fin de la guerre, la veuve de Théophile Maupas, aidée par la Ligue des droits de l'Homme contactée à partir du mois d'avril 1915, entame un combat pour la réhabilitation de son mari et des autres caporaux fusillés. Elle accumule de nombreux témoignages et obtient que la Cour spéciale de justice réhabilite les quatre caporaux de Souain dans un arrêt rendu le 3 mars 1934. Témoignages datés de 1915 en faveur de Théophile Maupas : Fonds Fusillés de Souain F delta res 196-1-01-002 Fonds Fusillés de Souain F delta res 196-1-01-003 En revanche, la campagne menée pour la réhabilitation de Jean-Julien-Marius Chapelant fusillé « pour l'exemple » en octobre 1914 n'a pas abouti. Chapelant, blessé au combat, est capturé le 7 octobre 1914. Il parvient à s'échapper et rejoint les lignes françaises. Il est alors traduit devant un conseil de guerre spécial et condamné à mort pour « capitulation en rase campagne ». Il est exécuté le 10 octobre attaché à son brancard. Les démarches entreprises par son père ont été vaines. Cependant, son nom a été gravé sur le monument aux morts d'Ampuis, sa commune d'origine. Au total, très peu de soldats, une quarantaine sur les 600 fusillés pour l'exemple ont été rétablis dans leur honneur.consultez la page : http://www.bdic.fr/desobeir/la-justice-militaire | |
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| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 Ven Aoû 22 2014, 22:43 | |
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| Sujet: Re: Dossiers sur les Mutineries de 1917 | |
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