Le Général GOURAUD 1867-1946http://www.lyceefr.org/aaegd/gouraud1.htm
photo prise au Maroc
Henri Gouraud est né à Paris, rue de Grenelle, le 17 novembre 1867. Il est le fils du Docteur Xavier Gouraud, médecin des Hôpitaux et de Marie Portal. Les Gouraud sont originaires de Vendée. Ils quittent le Pays à la Révolution pour Angers, puis Paris. Ils sont médecins de père en fils. Quant aux Portal ils sont de Rouen.
Le docteur et madame Gouraud ont six enfants. Après Henri viennent Françoise qui sera religieuse, Joseph prêtre, Pierre officier, Marie-Thérèse catéchiste et Xavier médecin.
Henri reçoit dans sa famille et au collège Stanislas, où il fait ses études, une solide éducation marquée par une foi profonde, le sens du devoir et de la discipline.
On parlait peu de l’Armée alors chez les Gouraud. La vocation militaire d’Henri est toute personnelle. Elle s’éveille avec l’occupation qui suit la défaite de 1870. Henri a quatre ans; Il écrira bien plus tard : « Je me vois encore, assis par terre dans la rue, avec au dessus de moi un immense cheval blanc monté par un Uhlan . Sa vocation coloniale remonte à la découverte qu’il fait un jour, à l’abandon dans le bûcher familial, des armes ramenées d’Afrique par son grand oncle, officier, mort des fièvres à Constantine en 1848. Plus tard le général Gouraud mettra ces armes à l’honneur parmi ses propres trophées.
Mais c’est surtout par la lecture de l’histoire que sa vocation se développe. A l’âge de douze ans, Henri fait devant sa famille étonnée, le plan de la bataille de Marengo. Plus tard il obtient le premier prix d’Histoire et de Géographie au Concours Général qui réunissait à cette époque, établissements publics et privés. Il prépare Saint Cyr à la « Corniche » de Stanislas, qui, par la suite, portera son nom. Il est reçu au Concours de 1888 avec la promotion du « Grand Triomphe ». Nom prédestiné puisqu’elle comprendra par la suite soixante officiers généraux.
A sa sortie de l’école, Gouraud espérait partir outremer; mais son père s’y oppose, craignant la mauvaise influence de l’infanterie de marine sur son fils. Gouraud respecte la volonté paternelle. Il est affecté au 21e Bataillon de Chasseur à pied à Montbéliard. C’est un heureux choix; à la tête du bataillon se trouve le Commandant Billet, admirable officier qui sait compléter sur le terrain la formation reçue à l’école.
I – L’AFRIQUEAu bout de trois ans, le lieutenant Gouraud étouffe dans une garnison de métropole; sa vocation est toujours aussi forte; il l’a entretenue en lisant les récits des campagnes qui ont lieu en Asie et en Afrique.
En 1894, la conquête des territoires qui formeront plus tard l’Afrique Occidentale Française, est entrée dans une phase active. Gouraud demande à y partir. Il est affecté au Soudan, l’actuel Mali.
Très vite l’accord se fait entre le jeune officier et le pays. Sa santé robuste s’accommode d’un climat qui en éprouve bien d’autres. Il sympathise avec les habitants dont il apprécie la gaieté, le courage et la loyauté. Dans ses « Souvenirs d’un Africain », écrits beaucoup plus tard, il fera souvent leur éloge.
De 1894 à 1911, à l’exception de courts séjours en métropole, Gouraud est en permanence en Afrique. Il y acquiert l’expérience du combat; il s’y révèle comme un chef de guerre efficace et heureux; il s’y forme comme un administrateur et organisateur; il y connaît la gloire. Un avancement rapide et des décorations sanctionnent ses états de service. Parti comme jeune lieutenant en 1894, dix-sept ans plus tard lorsqu’il est affecté au Maroc, il a déjà quatre ans de grade de colonel et il est commandeur de la légion d’honneur.
Le premier séjour de Gouraud au Soudan (1894-1896) se déroule dans les différents postes de la ligne de communications qui unit le Sénégal au Niger.
De 1894 à 1899 Gouraud est affecté au sud du Niger, dans la région qui constitue maintenant la Guinée, la Haute-Volta, la côte d’Ivoire, le Ghana et le Bénin.
De 1900 à 1902 il est au Niger, appelé alors le territoire de Zinder.
De 1904 à 1906 il commande le territoire du Tchad et de 1907 à 1910 la Mauritanie.Retracer les étapes de la carrière de Gouraud tout au long de ces années d’Afrique dépasserait le cadre de cette biographie. Le général Gouraud l’a fait lui-même dans ses « Souvenirs d’un Africain ». Mais il faut mentionner ici la prise de Samory qui l’a rendu célèbre et la campagne de la Mauritanie, dont il disait lui-même qu’elle avait été la plus dure de toutes ses campagnes.
Samory
Samory était le fils d’un marchand. Par bravoure, sa vigueur physique et morale, par ses qualités d’intelligence et de ruse, il était parvenu à conquérir, au sud Niger, un empire comme la moitié de la France..
En 1898 malgré plusieurs engagements victorieux avec ses lieutenants, l’Almamy Samory reste insaisissable. Il dispose de forces nombreuses, estimées à 4000 « sofas » armés de fusils à tir rapide. Pour échapper aux forces françaises qui le traquent, il se réfugie dans la forêt vierge où il est poursuivi. Le 21 septembre 1898 un premier accrochage l’affaiblit. Le commandant de Lartigue qui dirige les opérations, concentre ses forces disponibles à Nzo, petit village situé à l’extrémité sud-est de la Guinée; mais un gros détachement ne peut subsister longtemps dans la forêt : Le commandant de Lartigue envoie, sous les ordres du capitaine Gouraud, une reconnaissance forte de 200 combattants, avec une mission de poursuivre Samory et de le rejeter de préférence vers le sud ou l’ouest où l’attend le reste des forces.
Sous une pluie continuelle, Gouraud s’enfonce dans la forêt vierge. Il retrouve la trace de Samory; Gouraud décide de remonter cette piste qui le mènera à son adversaire. Le 28 septembre il parvient en vue du campement de Samory; il semble bien que celui-ci ignore la présence des français; il n’imagine pas qu’on puisse le poursuivre par ce chemin.
« Peu à peu s’est formée dans mon esprit l’idée que l’occasion s’offre de porter à Samory un coup suprême et ma résolution est prise … L’étoile de l’Almamy semble pâlir, mais son prestige ne peut finir que par sa mort ou sa capture. S’il est tué au fond de la forêt vierge, personne ne le croira et un beau jour un autre Samory surgira… Il faut donc le ramener vivant… Il ne faut donc pas de combat, ce qu’il faut c’est la surprise totale. »
Gouraud donne ses ordres. Le 29 septembre 1898, à 7 heures du matin, sans un coup de feu, ses tirailleurs capturent Samory et neutralisent son armée, forte de 600 fusils à tir rapide et de 1000 fusils à pierre, sans compter les 50 000 personnes qui l’accompagnent.
Ce fait d’arme, qui met fin à seize années des luttes cruelles, a un grand retentissement en France où le capitaine Gouraud reçoit un accueil enthousiaste lorsqu’il rentre en 1899.
Campagne de l’AdrarEn novembre 1907, promu Colonel, Gouraud est nommé Commissaire du Gouvernement Général en Mauritanie, avec résidence à Saint-Louis du Sénégal.
Entre le Sénégal et le Maroc, la Mauritanie constitue une vaste zone aride peuplée d’éleveurs, de commerçants et de guerriers qui lancent des « razzia ». Dans la seule année 1908, trois officiers, cinq sous-officiers et cent trente-quatre tirailleurs sont tués par les guerriers dans la partie sud de la Mauritanie. La clé de la situation est au nord dans l’Adrar, où ces guerriers se réfugient entre deux raids; longtemps le Gouvernement français se refuse de les y poursuivre: il s’y décide enfin en septembre 1908.
Depuis un an qu’il est là, Gouraud a longuement réfléchit à cette campagne; il a parcouru le sud de la Mauritanie; il s’est familiarisé avec les conditions très dures du combat dans ces régions. Sa mission est difficile et périlleuse; le pays est immense et inconnu; les points d’eau y sont rares et le climat hostile. Les guerriers mauritaniens sont nombreux et très mobiles; ils disposent de fusils à tir rapide.
La colonne est lourde et lente: 800 fantassins et seulement 200 hommes montés; elle est tributaire, pour ses ravitaillements, de bases situées à plus de quatre cent kilomètres avec lesquelles les communications ne se font que par coureurs.
La colonne quitte la basse Mauritanie en décembre 1908; elle doit livrer trois combats sérieux avant de pénétrer dans Atar, la capitale de l’Adrar, qui fait sa soumission le 9 janvier 1909. Le printemps et l’été sont occupés à pacifier la région par une combinaison d’actions politiques et d’actions militaires souvent meurtrières. Mais, vers le nord, les guerriers continuent à menacer. En septembre 1909, Gouraud les poursuit jusqu’à la Koudiat d’Idjil, l’actuel site de la Miferma et les dispersent dans le désert.
Au MarocAprès avoir suivi les cours du centre des Hautes Etudes Militaires, le colonel Gouraud part en 1911 au Maroc où il débarque le 2 mai. Fez est alors bloquée par des tribus révoltées contre le Sultan. Chargé de conduire à la colonne Moinier ses convois de ravitaillement, le colonel Gouraud doit livrer trois combats avant de le rejoindre.
En 1912, il accompagne à Fez le général Lyautey, nommé Résident Général au Maroc; il reçoit le commandement de la ville après l’attaque de nuit du 25 mai au cours de laquelle les rebelles ont pénétré jusqu’au coeur de la cité. Le 1er juin, il sauve à nouveau Fez investie par les tribus au combat d’Hadjera et Kohila qui lui vaut quelques jours après les étoiles de général de brigade. Il est alors chargé du commandement de la région de Fez.
Nommé en mai 1914 au commandement des troupes du Maroc occidental, le général Gouraud doit livrer plusieurs combats pour assurer la liberté des communications avec l’Algérie par la trouée de Taza.
II – LA GUERRE
L’ArgonneMais la guerre éclate en Europe. Gouraud ne peut rester au Maroc; s’il est militaire c’est pour effacer la défaite de 1870. Il rentre en France à la tête de la 4e brigade marocaine envoyée en renfort sur le front français. Il est nommé général de division et reçoit le 15 septembre le commandement de la 10e D.I.
C’est une tâche difficile. Au contact de l’ennemi dans la région de Vauquois, cette division a subi de violentes attaques. Ses pertes sont importantes; son moral est ébranlé; son chef a été tué le 6 septembre. Par son activité incessante, Gouraud redonne une âme à cette troupe désemparée. Par la suite le 10e D.I. est engagé 10 Km plus à l’ouest au « Four de Paris » ; elle est violemment attaquée le 7 janvier 1915. Gouraud a l’épaule traversée par une balle en allant visiter des unités en ligne; il refuse de se faire évacuer.
Le 23 janvier 1915, le général Gouraud est nommé au commandement du Corps d’Armée Colonial, en secteur dans la région de Beauséjour-Massiges. Il participe avec cette grande unité aux nombreux combats de cette première bataille de Champagne.
Aux DardanellesAu début de 1915, les gouvernements de l’Entente ouvrent un nouveau front en orient. Les troupes françaises et britanniques débarquent à l’extrémité de la presqu’île de Gallipoli mais se trouvent bloquées dans un triangle de 5 km de côté.
Au printemps, à la demande des Anglais, la France envoie de nouveaux renforts. Le 15 mai 1915, le général Gouraud est nommé au commandement du Corps Expéditionnaire Français aux Dardanelles. Les troupes alliées livrent à l’armée turque des combats les 4, 21 et 30 juin sur un terrain très difficile. Au soir du combat du 30 juin, en allant visiter à l’ambulance les blessés de la journée, Gouraud est à son tour grièvement blessé par un obus de gros calibre qui tombe à ses pieds. Le souffle le projette en l’air; par chance il retombe sur un figuier; on le ramasse inanimé; un bras broyé, les jambes et le bassin brisés.
Sur le navire hôpital qui le ramène en France, la gangrène se déclare; il faut l’amputer du bras droit. Il ne le dira à sa mère , venue l’accueillir à la gare de Lyon, qu’au moment où, allongé sur son brancard, il l’embrassera en la serrant très fort avec le seul bras qui lui reste. Monsieur Poincaré, président de la République, le décore de la Médaille Militaire sur son lit d’hôpital.
Grâce à sa robuste constitution Gouraud se rétablit rapidement. A peine sur pied, il se rend en Italie remettre la Grand Croix de la légion d’honneur au Général Cadorna, commandant en chef de l’armée italienne. Le 11 décembre 1915, il est nommé au commandement de la IVe Armée en Champagne.
En Champagne1916, c’est l’année où se concentrent à Verdun les efforts des deux adversaires. Ailleurs c’est le calme; mais il faut maintenir en condition les unités pour des opérations qui peuvent reprendre d’un jour à l’autre.
Le général Gouraud se consacre entièrement à cette tâche. Il impose à son état-major de satisfaire en priorité les demandes de toute nature des unités combattantes, notamment celles des unités de réserve générale qui changent fréquemment d’Armée et dont on s’occupe peu ailleurs. Il crée sur les arrières de son armée des écoles où sont étudiées les armes nouvelles, corrigées les mauvaises habitudes et perfectionnées les méthodes de combats. Par une série de coups de main soigneusement préparés, il maintient l’intégrité du front et entretient l’agressivité des combattants. Par des visites incessantes dans les tranchées et dans les camps d’instructions, il est en prise directe avec le soldat et l’officier et leur communique sa foi.
Ainsi pendant cette année 1916 « Gouraud va créer un outil de premier ordre et acquérir la confiance du soldat » .
Hélas! l’épreuve n’épargne pas sa famille. Le 14 octobre 1916, pendant la bataille de la Somme, son jeune frère, le commandant Pierre Gouraud , cavalier passé dans l’infanterie pour prendre une part plus active au combat, tombe glorieusement au Champ d’Honneur dans les rangs du 67e régiment d’infanterie.
Intérim au MarocCe n’est pas sans regret que Gouraud quitte la Champagne pour partir au Maroc. Pressenti pour le Ministère de la Guerre, Lyautey subordonne son acceptation au fait qu’il sera remplacé à Rabat par son « cher Gouraud ». Celui-ci ne peut que s’incliner. Mais Lyautey ne peut s’habituer aux « parlotes » de la vie politique. Il revient au Maroc. Gouraud reprend avec joie en juin 1917 le commandement de la IVe Armée et continue à préparer celle-ci aux futurs combats.
Bataille du 15 juillet 1918
La Révolution russe d’Octobre 1917 donne aux Allemands une chance de terminer la guerre en 1918 avant l’arrivée massive en Europe des troupes américaines. Ils ont mis au point une tactique nouvelle : écraser la première ligne adverse sous des feux massifs d’artillerie, puis accompagner les troupes d’assaut par un barrage roulant se déplaçant selon un horaire fixe.
Cette tactique se révèle efficace au cours des offensives de printemps. La parade, conçue par le général Pétain, comporterait l’abandon temporaire de la première ligne en cas de sérieuse menace d’attaque. Ainsi le bombardement initial tomberait dans le vide. Mais cette manoeuvre se heurte à la mentalité de l’époque d’après laquelle la défense de chaque pouce de terrain est un dogme sacré.
Seul de tous les commandants d’Armée, Gouraud, convaincu par le colonel Prételat, son chef d’état-major, met en oeuvre l’idée du Général Pétain. Cette manoeuvre qui paraît simple aujourd’hui, est en réalité délicate et complexe. Si les indices d’attaque sont sérieux, la grande masse des combattants doit, à la tombée de la nuit, se replier de 3 à 5 km sans alerter l’ennemi pour remonter en ligne avant le jour si rien ne s’est produit.
Alors que son état-major en met au point l’exécution, Gouraud parcourt inlassablement les unités, explique la manoeuvre et communique à tous la confiance qu’il a dans son succès. Au début de juillet, la IVe Armée accueille dans ses rangs la 42e Rainbow Division, l’une des premières grandes unités Américaines arrivées en France, dont le chef d’état major est le Général Mac Arthur.
Les indices d’attaque se multiplient; par deux fois les premières lignes se replient sans que l’attaque ait lieu. Certains commencent à douter de son imminence tant le front est calme. Gouraud doit dissiper les doutes et ranimer les courages. Il le fait si bien que lorsque l’attaque Allemande se déclenche enfin, les soldats l’attendent avec une mentalité de vainqueurs.
Le 15 juillet 1918 à 4 heures 15 du matin, l’infanterie allemande sort de ses tranchées. Alertées par des prisonniers pris la veille, les troupes ont pris leurs dispositions de combat sur la position arrière prévue. Les vagues d’assaut rencontrent d’abord l’énergique résistance de groupe de combat isolés, laissés sur place en enfants perdus. Le barrage roulant allemand n’en continue pas moins son avance et décolle peu à peu son infanterie. Celle-ci est obligée de descendre dans le dédale des boyaux sous la violence des feux. Lorsqu’elle parvient au contact du gros des forces, l’attaque allemande est déjà désunie est n’est plus précédée par le masque protecteur de son barrage. Elle vient de briser contre le mur de nos troupes; les réserves allemandes n’en continuent pas moins à progresser et viennent buter contre les premières vagues. Le désordre s’installe chez l’ennemi.
Sur son observatoire du Blanc Mont (là où se trouve à l’heure actuelle le monument Américain) Guillaume II, l’empereur d’Allemagne, venu spécialement assister au déferlement victorieux du « friedensturm » (l’assaut de la paix), se morfond et s’impatiente. Dès 4 heures du soir, l’offensive allemande est définitivement brisée avec de lourdes pertes. Le soir même Gouraud écrit à sa soeur : « Dans les regards des soldats j’ai senti vibrer l’âme de l’Armée ».
Cette bataille est le tournant de la guerre. Trois jours plus tard, le 18 juillet, les armées alliées prennent l’offensive et la conservent jusqu’à la victoire.
L’offensive du 26 septembre 1918Le 26 septembre 1918, la IVe Armée prend à son tour à l’offensive générale. Le Général Gouraud dira par la suite avec quelle inquiétude il lançait ses soldats, installés depuis quatre ans dans la boue de Champagne, à l’assaut des positions allemandes fortifiées sur une profondeur de 17 km.
La bataille est très dure jusqu’au 10 octobre. Les 2e et 36e divisions américaines s’illustrent dans la conquête du blanc Mont : Les Allemands décrochent pour se rétablir sur l’Aisne, dont la vallée est inondée. Nous en forçons les passages. L’armistice du 11 novembre 1918 arrête la IVe Armée à Sedan.
Celle-ci est alors désignée pour s’installer dans la partie nord de l’Alsace libérée; le général Gouraud a l’honneur d’entrer à Strasbourg le 22 novembre 1918 : la population fait un accueil délirant au premier général français qu’elle voit depuis près de cinquante ans.
Au milieu de la joie générale. Gouraud garde pour lui sa tristesse. Le jour même de son entrée à Strasbourg sa mère s’éteint à Meudon. Il avait avec elle une grande intimité; c’est à elle que, d’Afrique, il envoyait fidèlement de longues lettres. Il dispose sur son cercueil les fleurs de son triomphe.
En décembre 1918 le général Pétain remet au général Gouraud la Grand Croix de la légion d’Honneur sur la place Kléber, à Strasbourg.
Gouraud reste en Alsace jusqu’en octobre 1919.
III – AU MOYEN ORIENTLe général Gouraud est alors envoyé par Monsieur Clemenceau, Président du Conseil, comme Haut Commissaire de la République en Syrie et en Cilicie et Commandant en Chef de l’Armée du Levant.
En acceptant de la société des Nations le Mandat pour la Syrie, la France assumait une mission éloignée de sa politique traditionnelle de protection des Chrétiens des Echelles du Levant. C’était en outre une mission difficile; conduire à l’indépendance une population très divisée du point de vue ethnique et religieux, impatiente de secouer le joug de plusieurs siècles de servitude. En outre cette région était l’enjeu de convoitises multiples que soulevait le démantèlement de l’Empire Ottoman.
Action militaire et politiqueLe général Gouraud débarque à Beyrouth le 21 novembre 1919; il y reçoit un accueil chaleureux. Mais la situation politique est confuse. En Turquie, Mustapha Kemal s’empare peu à peu d’un pouvoir que le Sultan laisse échapper; un sursaut de patriotisme réveille l’armée turque, que l’armistice de Moudros n’a pas désarmée.
Face aux agressions venant de part et d’autres, une puissante action militaire s’imposerait; mais au début nos forces sont très insuffisantes. Gouraud aborde ces problèmes avec méthode et détermination.
Après avoir longtemps cherché à s’entendre avec Fayçal, Gouraud le met hors de cause le 21 juillet 1920, au combat de Khan Meisseloun.
Il est possible d’amorcer l’organisation politique de la plus grande partie des territoires sous mandat français. L’Etat du bilan est créé le 1er septembre 1920. Quelques semaines plus tard, les Etats de Damas et d’Alep et le territoire des Alaouites sont crées à leur tour.
Mais l’opposition à la présence française au levant reste violente; le 23 juin 1921 la voiture du Haut Commissaire tombe dans une embuscade sur la route de Damas à Kenitra; le commandant Branet est tué à côté du chauffeur; le Gouverneur de Damas est blessé à côté du Général dont la manche vide est traversée par une balle; les agresseurs s’enfuient en Transjordanie.
Au nord, face à la Turquie, une guerre meurtrière se déroule depuis le début de 1920 en Cilicie et sur les « confins militaires ». Celle-ci est jalonnée par les noms douloureux et glorieux de Marache, Ourfa, Ain Tab… A Beyrouth le Haut Commissaire met en oeuvre la politique décidée à Paris. En octobre 1921, par l’accord d’Angora, la Turquie s’engage à respecter la frontière de la Syrie et récupère la Cilicie dont le statut politique n’avait pas encore été fixé.
Action administrative et culturelle
Le général Gouraud n’avait pas attendu la solution des problèmes militaires et politiques pour entreprendre la réorganisation du pays. Celle-ci progresse de façon continue pendant les trois années de sa présence au levant.
L’administration locale, guidée initialement par des conseillers français, se met en place. Les services judiciaires sont réformés; une cour de cassation est créée; l’ordre des avocats est constitué; le casier judiciaire est établi; la douane est réorganisée; le cadastre est créé…
Les oeuvres d’instruction et d’assistance sont développées; depuis le début de 1920 jusqu’à la fin 1921, le nombre des écoles passe de 300 à plus de 950; de nombreux dispensaires, orphelinats et ateliers sociaux sont créés. L’Hôtel Dieu de Beyrouth est construit.
Un service archéologique est créé; l’armée lui prête souvent son concours; les premières fouilles donnent des résultats intéressants. Un institut d’Archéologie et d’Art Musulman est installé à Damas, dans le palais Azem. Plus tard à Paris , l’Académie des inscriptions et belles lettres recevra le général Gouraud parmi ses membres.
L’infrastructure du pays est remise en état; de nombreuses routes sont refaites; d’autres sont ouvertes; 70 ponts et 200 aqueducs sont reconstruits; le port de Beyrouth est dégagé de ses épaves; celui de Tripoli reçoit un appontement; les travaux du port d’Alexandrette sont commencés. La vie économique prend un nouvel essor ce qui permet l’organisation à Beyrouth d’une foire exposition au printemps de 1921.
Mais la Syrie est loin de Paris où le Gouvernement est confronté à des problèmes vitaux : La reconstruction du pays au lendemain de la guerre; les réparations et les garanties à obtenir de l’Allemagne. Outre-mer, le Maroc, plus proche et mieux connu, intéresse plus l’opinion française que la Syrie. Chaque année le général Gouraud doit se rendre à Paris pour plaider la cause du Mandat; il le fait avec prestige; pendant la discussion du budget de 1922, assis au banc des Commissaires du Gouvernement, il est applaudi par les députés. Mais l’année suivante la politique d’austérité s’accentue; le général Gouraud estime alors que les moyens qui lui sont accordés, les moyens militaires notamment, ne lui permettent pas de remplir sa mission en face d’une armée Turque qui se concentre sur la frontière de la Syrie. Il demande à être remis à la disposition du ministre de la guerre.
Lorsqu’il rentre à Paris en octobre 1922, Il peut être fier de l’oeuvre accomplie pendant trois ans. Monsieur Poincaré, Président du conseil, salue en lui » le pacificateur et l’organisateur de la Syrie ».
IV – PARISLe général Gouraud est alors nommé membre du conseil Supérieur de la guerre. Au cours de l’été 1923, les anciens combattants de la Rainbow Division l’invitent à présider conjointement avec le général Pershing, leur congrès qui a lieu le 15 juillet, jour anniversaire de la bataille victorieuse à laquelle la Rainbow Division a pris part cinq ans plus tôt. Le général Gouraud visite à cette occasion une grande partie des Etats-Unis. Il apprend au cours de son voyage sa nomination au poste de gouvernement Militaire de Paris. Le président des Etats-Unis étant mort, il représente à ses obsèques le Gouvernement de la République en tant qu’Ambassadeur Extraordinaire.
Gouvernement militaire de Paris
Le 3 septembre 1923, le général Gouraud prend possession du gouvernement militaire de Paris, poste qu’il conservera pendant quatorze ans.Dans ces hautes fonctions, il reste pénétré de la reconnaissance due aux simple soldats qui sont, avait-il écrit un jour, « les principaux ouvriers de la victoire ». Il n’est pas de la semaine où il n’assiste en plus des cérémonies officielles, à un grand nombre de manifestations d’Anciens Combattants. Lorsqu’il rencontre dans la rue, parfois dans le métro un médaillé militaire il va vers lui, lui serre la main et lui demande où il a gagné sa médaille. Il propose au Ministre une sonnerie aux Morts analogue à celles qui existent dans les armées américaines et britanniques; celle-ci sera adoptée. En 1922 étant encore en Syrie, il s’était préoccupé de matérialiser la reconnaissance de la nation envers ses Combattants de Champagne. Il recueille les fonds nécessaires pour faire élever le Monument de Navarin, dont il pose la première pierre le 4 novembre 1923, avec Monsieur Myron T.Herrick, Ambassadeur des Etats-Unis et qu’il inaugure le 28 septembre de l’année suivante. Par la suite il vient chaque année en pèlerinage en Champagne. Les anciens parmi nous se souviennent encore de la belle cérémonie nocturne du 15 juillet 1928, dixième anniversaire de la bataille. Pour assurer la pérennité de ces manifestations, il crée en 1928 l’Association du Souvenir aux Morts des Armées de Champagne et en 1933 la Fondation de Monument aux Morts des Armées de Champagne et Ossuaire de Navarin.
Le peuple de Paris lui témoigne une véritable vénération; il aime sa nature chevaleresque, la franchise et la simplicité de son attitude, l’intransigeance de son patriotisme. Au cours des défilés du 14 juillet et du 11 novembre, dès que le Général Gouraud apparaît, monté sur son cheval gris, malgré les anciennes blessures qui le font cruellement souffrir, il est acclamé avec enthousiasme. Dans les moments difficiles où s’affrontent les idéologies différentes, dans un Paris passionné où retentissent des manifestations contraires, son bon sens, son patriotisme, son loyalisme pèsent d’un grand poids pour le maintient de l’ordre.
Voyages
La notoriété du général Gouraud est telle que de nombreux pays souhaitent sa visite. Il n’est pas d’année où il ne fasse un ou plusieurs voyages à l’étranger.
En 1925, il représente l’Armée française aux premières grandes manoeuvres de l’Armée polonaise. En 1929, il visite les Indes et retourne aux Etats-Unis. En 1930, il se rend en Turquie où Mustapha Kemal, son ancien adversaire de 1920, lui réserve le meilleur accueil. Puis il va encore une fois aux Etats-Unis représenter le Gouvernement français à la convention de l’Américan Legion. Pendant l’hiver 1933-34, il parcourt l’Afrique Occidentale Française à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de la conquête; il rentre en voiture à travers le Sahara. L’année suivante il assiste à Dakar à la consécration de la cathédrale que la France a dédiée à ses Morts. Au retour, il ouvre la route automobile du Sénégal au Maroc par la Mauritanie et l’Adrar, revivant sur place sa campagne de 1909. Il passe une nuit au poste qu’il avait créé non loin de la Koudiat d’Idjil qui porta longtemps le nom de fort Gouraud.
Dernières années
Le 17 novembre 1937, âgé de soixante-dix ans, le général Gouraud quitte le Gouvernement militaire de Paris après avoir reçu de la garnison de Paris et des Anciens Combattants les marques d’affection les plus touchantes. Il s’installe rue de Varenne, à deux pas des invalides, dans un appartement qu’il transforme en musée par le grand nombre de trophées et de souvenirs qu’il y rassemble. Il se consacre à la rédaction de ses « Mémoires d’un Africain ».
L’invasion de la France en 1940 l’affecte profondément. Il quitte Paris pour Royat où il vit jusqu’à la libération dans la dignité et la tristesse. Il doit lutter contre les atteintes de l’âge et les séquelles de ses blessures.
Il rentre à Paris le 1er mai 1945. Il y meurt le 16 septembre 1946. Le Gouvernement lui rend un dernier hommage par des obsèques solennelles. Le peuple de Paris défile longuement devant son cercueil avec ce recueillement et cette émotion qu’il sait manifester à ceux qui ont conquis son estime par leur manière de servir la Patrie.
Conformément à ses dernières volontés, le général Gouraud est inhumé dans la crypte du Monument de Navarin « au milieu des soldats qu’il a tant aimés ».
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