Paras, bérets bleus, verts et rouges, tous unis ! Forum pour Parachutistes et Sympathisants de par le Monde |
|
| La Belgique et la Grande Guerre | |
| | |
Auteur | Message |
---|
L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:00 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_20.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Les Derniers Débris d'Anvers' Recueillis par le Baron C. Buffin illustration allemande de la retraite des belges et anglais Les Derniers Débris d'Anvers par le capitaine d'artillerie M. C.La RetraiteOn approche de la frontière... Derrière ces arbres, à 500 mètres, c'est la Hollande, la fin de la Patrie; si l'on passe cette ligne, c'est la fin de la résistance... Que va-t-on faire de nous? Songerait-on...? Ah non! A cette pensée, une révolte monte en moi et me raidit contre la force des choses. Passer la frontière, jamais! Et de nouveau, se fige dans mon cœur cette idée qui m'emplit depuis le départ d'Anvers: « Rejoindre le Roi ou mourir ». C'est bien, je me sens prêt à tout. Autour de nous, c'est le désarroi. Tout s'enchevêtre dans un inextricable désordre. Dans les ruelles étroites du village frontière sont entassés, pêle-mêle, des hommes de toutes les armes et de toutes les unités que la retraite a fait affluer vers ce point. Des soldats cherchent leurs chefs, des gradés cherchent leurs troupes, et tandis que des officiers s'efforcent de ramener l'ordre dans ce chaos, des chariots de toute nature tentent de se frayer un chemin au travers de cette foule grouillante. Jamais je n'ai senti comme en ce moment l'horreur de la déroute et l'étrange impuissance dont elle frappe la troupe qu'elle atteint. Ces débris lamentables sont les restes de la garnison d'Anvers. Assaillis de toutes parts dans l'extrême réduit de la place, ils ont tenu tête à l'ennemi victorieux jusqu'au dernier moment. Les canons, traînés à bras sur des kilomètres, ont été retournés et pointés, face en arrière, vers la ville d'où débouchaient déjà les Allemands. Puis ça a été la retraite, l'interminable et épuisante retraite, pour échapper à l'enveloppement, marche sans trêve parmi la poussière, le soleil, et la faim qui tenaille et la soif qui consume, et les partis ennemis qui nous harcèlent en flanc et menacent de nous couper... Maintenant, nous voici acculés à la frontière, dans une impasse sans issue. La nuit tombe et nous sommes cernés. Nous sommes sans vivres depuis deux ou trois jours; les hommes sont tellement harassés qu'ils n'entendent plus les ordres. J'en avise un, qui erre de mon côté, et lui indique son unité; il me regarde avec des yeux hébétés. Je le saisis aux épaules et le pousse vers sa troupe sous l'impulsion de la force acquise, l'homme fait quelques pas, puis roule dans un fossé et y reste étendu, inerte. Cependant, de vagues rumeurs circulent, sinistres et déprimantes : des troupes ont- passé en Hollande; nous allons suivre, caria retraite est coupée et l'ennemi est très près... Des coups de feu déchirent les ténèbres, toute hâte, je prends mes dispositions pou parer à une attaque, car je me trouve arrière-garde. Tout à coup, dans le village, un bruit sou et prolongé... J'envoie une estafette et rends aux avant-postes. Le maréchal des logis Snytsers, un vieux, volontaire de guerre, m'accoste, l'air inquiet: - Lieutenant, dit-il, est-ce vrai qu'on passe en Hollande? - Mon cher, nous n'irons pas en Hollande si nous n'y voulons pas aller. Sommes-nous d'accord? - Ah! bien alors! Car moi, vous savez... Et il esquisse un geste nerveux et énergique. - Où sont les autres? Les autres, ce sont quelques braves sous-officiers qui, avec mon ami Snytsers, m'ont promis de me suivre, quoi qu'il advienne, à travers tout, à travers l'ennemi, à travers la mort. Ils sont là, dans un coin, à m'attendre. - Mes amis, leur dis-je, il me semble que cela va plutôt mal. Le moment va venir de montrer qu'on a du poil aux dents. Sommes-nous toujours décidés? - Lieutenant, dit le grand Van Bastelaer, tout, mais pas prisonniers! - C'est bon. Cependant, mon courrier ne revient pas. Au village, la rumeur s'éloigne et s'apaise. Je vais voir: dans les rues pleines de nuit, silence complet... plus un homme, plus une ombre. Que se passe-t-il? Sur la place déserte, j'aperçois une petite troupe et, à sa tête, je reconnais le major S... - C'est vous, L...? crie-t-il, puis, plus bas: Ils ont passé la frontière, nous restons seuls... Avez-vous encore des hommes? - Oui, mon major; j'occupe les avant-postes. - Rassemblez immédiatement votre personnel sur!a place. Le rassemblement fait, le major nous adresse, gravement, ces paroles: - Mes amis, nous sommes cernés par de grosses forces; il ne nous reste plus qu'à passer en Hollande. Ceux qui ne désirent pas me suivre sont libres. - Bien, mon major, je le ferai jusqu'à la frontière, pas au-delà. Le major a un mouvement de colère, puis se ressaisit. - Que comptez-vous faire? - Percer les lignes allemandes, ou me faire tuer. - Mais c'est de la folie! - Mon major, il ne me plaît pas de rendre mon sabre tant que je saurai m'en servir. Il réfléchit un instant, puis me tend la main. - C'est bien, dit-il, vous êtes libre. Adieu. Quatre hommes sont sortis des rangs: ce sont mes quatre amis, qui à la servitude, préfèrent une mort glorieuse. - Garde à vous! - Par le flanc droit - droite! - En avant, marche! Silencieuse et traînante, la troupe s'en va, s'éloigne et disparaît dans l'ombre... C'est fait: nous restons seuls, séparés de l'armée par les flots ennemis, au sein desquels il va falloir nous jeter, pour passer ou périr. Haut les cœurs! Enfin le moment est venu où nous pourrons témoigner de notre amour filial à la Patrie aimée! Nous ne sommes pas vaincus, nous autres. Et malgré le désastre qui plane autour de nous, en dépit de la mort qui nous attend là-bas, nous sentons qu'en ce moment nos cœurs sont pleins de joie et d'espoir, et d'orgueil... Dans les lignes allemandesAvant de partir, nous tenons conseil, quelques secondes: les Allemands se sont étendus aujourd'hui depuis Saint-Nicolas jusqu'à la frontière; dans un mouvement aussi rapide, ils auront probablement laissé des trous entre ces deux points, par lesquels nous tâcherons de passer. Je prends la direction, et en route. Un grand signe de croix, je recommande mon âme et celle de mes compagnons au Dieu de justice; puis, munis chacun d'un bon fusil et d'une baïonnette, les poches bourrées de cartouches, nous nous mettons en marche, à travers champs, dans les ténèbres ennemies. Au bout de 50 mètres, je suis forcé de m'arrêter; la tension nerveuse qui m'a soutenu tant que j'étais devant la troupe a soudain disparu, et, tout d'un coup, les fatigues des journées précédentes semblent refluer en moi et raidir mes membres;? en un vertige noir, la campagne tourne autour de moi, je tombe, le corps plein d'une immense lassitude... Et pourtant, il faut marcher. En avant donc, pour le Roi! Halte! - Un croisement de chemins: derrière la haie, quelque chose a bougé; un de nous rampe vers le point, puis fait signe; ce n'est rien, le vent aura remué quelque branche dans l'ombre. On avance, on avance toujours, droit devant soi, dans l'immense polder, sautant les fossés pleins d'eau, butant à tous les pas dans les champs de navets qui se succèdent sans fin. Tout en marchant, j'arrache une betterave et la dévore à belles dents. Au loin, un groupe de maisons se détache vaguement sur l'horizon: ce doit être la digue, qui donne passage sur la ligne d'eau. Si ce point est gardé - chose probable - il s'agira d'ouvrir l'œil. Nous approchons: les maisons sont éclairées; ce ne sont pas les paysans qui font de la lumière à cette heure: donc... Je m'approche à pas de loup d'une fenêtre et coule un regard avide par la fente du volet; une chambre pleine de Boches en manteaux gris, les uns ronflant, les autres discutant. Nous nous glissons vers l'entrée de la digue: au coude, immobile, une sentinelle. Je me gratte le menton... Voyons. En longeant l'eau par le talus en contrebas, il doit y avoir moyen de passer, s'il n'y a pas là une seconde sentinelle. Retenant nos souffles, le regard scrutant chaque buisson, nous rampons lentement... Ça va; voici le bout de la digue, et personne! Premier obstacle franchi sans encombre! Que Dieu protège le sommeil des Boches! Et de nouveau, dans le désert sans fond, butant dans les sillons,' mordant dans les navets, nous allons par les champs, le regard fixé vers un vague point de direction qui recule à mesure qu'on avance, l'esprit figé dans la vision lointaine de l'armée qui, là-bas, attend nos bras et fascine nos cœurs... Un hameau: pas de lumières. Si les Allemands n'y sont pas, peut-être y trouverons- nous un abri pour le jour. On y va: dans une cour, des fourbis et des armes; dans les hangars, des ronflements sonores... Passons, et en douceur. C'est plaisir de constater comme ces Prussiens se gardent mal. Si pourtant, ils savaient que cinq Belges bien armés sont occupés à se balader dans leurs cantonnements! Et nou-s allons toujours. Maintenant ce sont des prairies, avec des haies et des clôtures en fil de fer à passer. Par-ci, par-là, des maisons isolées...! Attention! En voici une dont la fenêtre est éclairée. Nous faisons un détour pour l'éviter. Tout à coup, le gros Jeanjean, qui marche en tête, s'écrie: - Par ici, lieutenant! Il y a un bon chemin! A peine a-t-il terminé que j'entends le bruit d'un formidable plongeon et d'un corps qui se débat dans l'eau: le malheureux a pris pour un chemin un de ces larges canaux cou- verts de mousse qui sillonnent la région, et s'y est lancé avec une conviction digne d'un meilleur sort. Aussitôt un coup de feu retentit. Jeanjean se dépêtre et sort du bain; mais les balles sifflent à nos oreilles: nous sommes découverts. Nous longeons en rampant le malencontreux fossé, nous en sautons un autre, nous nous faufilons le long des haies comme des renards traqués, toujours poursuivis par les balles. Devant nous, au bout d'un champ, se dresse une rangée de maisons: gare! A droite, le bâtiment éclairé que nous avons évité tantôt; à gauche, encore des maisons, au-dessus desquelles surgit un clocher. Diable! C'est un village: ce doit-être Saint- Gilles-Waes, et cela est plein d'Allemands! J'avise un massif de grands choux; nous y courons en rampant, et, le doigt sur la détente, nous nous tapissons dans les feuilles, attendant les événements. Cependant, la fusillade s'apaise: les Boches auront perdu nos traces; mais il s'agit de filer d'ici avant que le jour se lève, et il est grand temps. Doucement, nous sortons de notre cachette, et, à 50 mètres d'une sentinelle, qui semble nous tourner le dos, nous rasons le derrière des fermes ou grouille l'ennemi. En passant devant la maison éclairée, je vois une ombre qui se penche à la fenêtre, puis la lumière s'éteint. Derrière- nous, le village s'anime: la poursuite commence. Soudain, à 100 mètres devant nous, un groupe d'hommes débouche d'un chemin: une patrouille. A plat ventre, nous rampons le long d'un talus, puis, un à un, nous nous coulons dans un petit fossé que des coudriers couvrent de leurs branches. La patrouille passe et disparaît. Mais le temps presse: déjà l'aurore pointe; mon pauvre Jeanjean grelotte de tous ses membres. Nous ne pouvons songer à passer la journée ici. J'avise une habitation, isolée du village, qui paraît bien tranquille. Peut-être n'est-elle pas occupée... Allons voir. A l'abri des fossés et des haies, nous arrivons derrière la maison. Dans la cour gisent des fusils et des sacs. Cela sent mauvais! Mais cet enragé de Van Bastelaer a déjà franchi la clôture. - Lieutenant, dit-il, ce sont des havresacs belges: On hésite un instant, on entre, et nous voilà tous les cinq dans la cour, les uns en train de fouiller les sacs, d'autres commençant à explorer la maison. Quant à moi, je vais jeter un coup d'œil dans la ruelle qui accède à la route. A l'autre bout, à 10 mètres de moi, se trouve un auto, et à côté ... un officier allemand! Or, comme je regarde de son côté, lui tourne la tête du mien : nos regards se croisent. Je reviens vers mes hommes,.mais le Boche m'a suivi. Nous sommes à trois pas, les yeux dans les yeux; d'un geste fébrile, il saisit son pistolet et me met en joue; moi je dégaine mon sabre et lui en mets la pointe sous le nez... Jamais je n'oublierai ce que je vis alors: l'officier prussien pâlit soudain affreusement; je vis, l'espace d'un éclair, une indicible épouvante passer sur son visage; puis, brusquement, avant que je n'eusse le temps de le frapper, cet homme, qui avait tenu ma vie entre ses mains, tourna les talons et disparut dans la ruelle. Mais, en même temps, branle-bas général dans les granges à côté; des têtes sortent de partout: cette fois cela va chauffer... Sans demander notre reste, nous sautons la palis- sade; le premier s'accroche et dégringole, le second tombe sur lui, si bien que tous les cinq nous roulons l'un sur l'autre dans le fossé, riant à faire enrager tous les Boches de la ferme. Devant nous s'étend un immense espace découvert, plat comme un glacis; rien à faire, il faut passer par là: et au pas gymnastique, nous nous précipitons à travers les labourés. Nous n'en pouvons plus. - Ce coup-ci, dit Snytsers haletant, je crois que nous sommes f... - Oui, répond Jeanjean, qui souffle comme un phoque. - Ça t' fera du bien pour ton rhume, lui lance le petit Gilissen, qui fait arrière-garde. Et tous les cinq, toujours détalant, nous rions aux éclats. Une route: Jeanjean s'y précipite, puis s'arrête et grogne: - Attention, lieutenant! Je regarde: à cinq mètres, près d'un petit bâtiment, une sentinelle allemande stationne, appuyée sur son arme... Ce n'est pas le moment de manœuvrer: je me tourne vers mes gars, et, tout en courant, je crie tout haut: - Es geht wohl! Kommen sie hierduch! Nous traversons la route à son nez et nous élançons dans un petit bois qui borde l'autre côté: l'Allemand n'a pas bougé, trompé sans doute par le petit jour, par mes paroles, et aussi, peut-être, par l'audace même de la manœuvre. O bonheur! A l'autre bout du bosquet, une ligne sombre apparaît, qui s'étend devant nous: c'est le labyrinthe, fouillis de sapinières, de hauts genêts et de taillis, qui borde le nord du pays. Nous traversons une clairière, puis un bois clairsemé, nous coupons le chemin de fer, où le poste ennemi n'a pas le temps de nous arrêter, puis de nouveau un bois; enfin, nous voici dans le fourré; derrière nous le bruit tombe, les coups de feu s'espacent et s'éloignent... Toujours courant, nous décrivons une série de zigzags et de courbes savantes, laissant derrière nous fossés, taillis, clairières... Enfin, au milieu d'un carré de jeunes sapins, je me laisse tomber; pour rien au monde je ne saurais me relever. Les quatre autres s'étalent près de moi, et nous restons étendus comme des morts dans les herbes mouillées. Le jour s'est levé; une pluie fine tombe avec persistance et nous trempe jusqu'aux os. Nous grelottons de tous nos membres; Jeanjean tousse, ronfle et rêve tout haut; mes deux Flamands rigolent, sacrent et s'injurient, se traitant mutuellement de couards. Seul, Gilissen, le petit « rossai » de Liège, ne dit rien, mais tâche consciencieusement de dormir d'un œil tout en fouillant les abords de l'autre. Je lui rappelle le temps, où, en obser-Vation pour le fort de Barchon, il était resté quarante-huit heures perché sur son clocher, entouré par les Allemands, pour rejoindre ensuite le fort avec tout le matériel du poste. Jeanjean, qui décidément, ne sait pas dormir, se met en devoir de dresser le menu: anchois, truites saumonées, poularde farcie, choux à la crème. Que sais-je encore? Je retrouve dans ma poche un demi navet, Gilissen possède trois bonbons, près de nous le sol est jonché de glands: cela va bien, on peut soutenir un siège en règle! Je consulte ma carte - une vague carte du Touring-Club, qui seule me reste encore. - Horreur! Les péripéties de la nuit et nos trop multiples crochets nous ont fait décrire un immense demi-cercle, et pour l'instant nous sommes de nouveau à moins d'un kilomètre de la frontière, entouré d'Allemands de toutes parts! Dans le bois, la fusillade reprend, s'éloigne, s'approche: c'est une battue en règle. Bien- tôt la poursuite se dessine, inquiétante; autour de nous, les balles cassent les rameaux; on nous déloge de-notre abri; nous longeons un fossé profond, au bout duquel nous débouchons... sur une troupe de Prussiens - à dix mètres; on se jette dans un fourré, et la chasse recommence. Nouveau répit. Soudain, à quelque distance vers le sud, une vive fusillade éclate. Qu'est-ce? On dirait un engagement: y aurait-il encore par là quelque troupe belge qui, comme nous, tenterait de se dégager? Si extraordinaire que semble l'hypothèse, c'est la seule qui paraisse probable. Dans ce cas nous devons à tout prix la joindre et travailler de concert; peut-être notre intervention inattendue, si minime soit-elle, décidera-t-elle de l'issue du combat. Nous avançons: à peine avons-nous fait deux cents mètres, qu'un groupe de paysans débouche dans une clairière. Ils ont l'air terrifiés. On les interroge: ce sont les Boches qui sont en train de tirer dans les maisons du village, sous prétexte que les habitants ont caché des soldats belges! Oh! les brutes! Instinctivement, je me porte en avant. Mais bientôt de nouveau, les balles passent à nos oreilles, presque à bout portant. Cette fois il en vient de toutes parts: à droite, à gauche, les Allemands sont partout; c'est une fourmilière. De taillis ei taillis, de fossé en fossé, nous nous débattons sous l'étreinte, mais hélas! on recule, et derrière nous, c'est la frontière... C'est tait: voici la ligne; cette éclàircie, à cent mètres de nous, c'est la Hollande, et c'est le seul côté où ne fauche pas la mort! Snytsers blasphème comme un démon. Nous tenons conseil, à voix basse: trois parties s'offrent à nous: ou bien nous rendre aux Allemands; de cela, il n'en est pas question; - ou bien nous faire tuer ici, sur le dernier coin de la Patrie: c'est un geste tentant... mais ce n'est qu'un geste, et bien sûr qu'après cela nous ne rejoindrons plus l'armée de campagne; - ou bien... si l'on essayait, en longeant la frontière, d'échapper à la fois à la poursuite allemande et aux postes hollandais? Ce parti semble le plus sage: les cent mètres sont bientôt franchis. Une borne de fer au coin d'un bois. Allons! Un pas: nous sommes en Hollande. PrisonniersL'ennemi, ce sont maintenant les postes de surveillance, qu'il faut éviter pour passer. Nous nous engageons dans un chemin de sable qui coupe une sapinière épaisse. Nous n'avons pas fait cent mètres, que nous nous trouvons inopinément devant un grand ser- gent hollandais qui nous arrête du geste. Je jette autour de moi le coup d'œil circulaire du gibier dépisté: dans l'éclaircie d'où sort le sous-officier, une multitude de soldats à galons orange se promènent sur une route, mêlés à des civils! Diable! Nous sommes en pays neutre, il faut bien se montrer convenables: j'entre en négociations avec le Hollandais; j'essaie de lui faire entendre qu'il arrive à tout le monde de se tromper de chemin; je fais mine de m'éloigner en m'excusant, annonçant que nous repassons la frontière par le plus court chemin. Mais il ne s'agit pas de cela: le grand escogriffe, répond à mes discours par un sourire amène, et, très calme, nous invite à le suivre. Force nous est de nous exécuter, car déjà les soldats nous entourent, et ils ont tous l'air sérieux en diable! Je cache mon sabre sous un buisson, j'enlève mes insignes d'officier pour les dérober à la honte et pour être moins remarqué. Au poste, nous jetons nos bons fusils sur un monceau de butin, et on nous emmène... Désarmés! Prisonniers! Ah! nous ne rions plus maintenant! Mes quatre loups, trans- formés malgré eux en agneaux, se rongent les poings, furieux; quant à moi, je me sens dégradé, et je voudrais pleurer de honte et de rage! Il me semble lire, dans les yeux de ces gens qui nous regardent passer un sourire de pitié et de mépris, et je sèche de douleur d'avoir exposé à un tel déshonneur le noble uniforme que nous traînons ici. Ah! combien je regrette maintenant d'avoir passé la ligne fatale! Est-ce assez bête de s'être laissé prendre ainsi! Aucun de nous ne dit mot; nous ne répondons pas aux questions qu'on nous pose; mais nous semblons des félins pris au piège, qui cherchent, l'œil en dessous, l'issue où s'échapper. C'est notre idée fixe: demain nous devons être en Belgique - nous y serons! On nous joint à un convoi de prisonniers. Comment décrire la douloureuse étape de ce lamentable troupeau? Oh! l'humiliant cortège que celui de tous ces soldats sans armes! » - A un tournant de route, nous filons: on nous ramène aussitôt. A Terneuzen, deuxième évasion; avec un nouveau camarade qui s'est joint à nous, nous cherchons des vêtements civils; peine perdue! tous les magasins de confections sont fermés, personne ne veut nous fournir d'effets. Alors je mets mes hommes sur deux rangs, je reprends mes insignes d'officier, et, au pas, nous nous dirigeons vers la porte de la ville. Un poste nous arrête: - Où allez-vous? - Au Sas-de-Gand. - Quoi faire? - Prendre des attelages pour les voitures d'ambulance. - Qui vous envoie? L'officier qui est au pont. Le gradé n'a pas l'air trop convaincu... - En avant, marche! Et nous passons. A la poterne d'enceinte, nouvel interrogatoire. Comme nous avons l'air très assurés et très bourrus, le stratagème prend encore. Nous voici sur la grand'route de Selzaete: dans deux heures nous foulerons le sol belge, si tout continue -à aller bien; nos pieds ont des ailes... Hélas! à mi-chemin, un poste nous attend, prévenu téléphoniquement de notre escapade. Il a beau jeu, dans ce pays de canaux et de digues! Nous sommes arrêtés et ramesnés à Terneuzen entre deux rangs de soldats, baïonnette au canon. Une nouvelle tentative achève de nous mettre en mauvaise posture: nous sommes notés comme individus dangereux, jetés sur un ponton et étroitement surveillés. Puis une péniche, bourrée de prisonniers, nous emmène vers une destination inconnue. Il fait nuit. Étendu sur le pont, par un froid glacial, je regarde les étoiles, tandis qu'à nos côtés les quais fuient derrière nous. Pendant un temps, nous sommes en mer: nous passons sans doute devant Flessingue; puis de nouveau des canaux, qui se succèdent et s'enchevêtrent à n'en plus finir... Où allons-nous? Toute la nuit nous marchons de la sorte. Au matin, on fait halte. Attention! Sur le quai, la foule accourue lance des pains et des fruits: bousculades, cris, cohue; c'est le moment. Nous enjambons le bastingage, sau- tons sur le quai et courons nous cacher dans d'énormes caisses à fumier entassées tout près .de là. Oi ne nous a pas vus: tout va bien. Déjà le remorqueur siffle pour le départ. Malheureusement, nous sommes trop connus: on remarque notre absence; recherchés, découverts, nous sommes, de force, ramenés à bord. Et de nouveau, pendant des heures, on navigue dans d'immenses bras de mer, sans s'arrêter nulle part. De l'eau, toujours de l'eau! Comment parviendrons-nous à nous tirer de là? En tout cas, la première chose à faire, c'est de trouver des vêtements civils. Sur le bateau, certains prisonniers sont déjà en bourgeois. Nous parlementons dans les coins, troquons nos uniformes contre leurs hardes, et bientôt nous nous retrouvons dans les plus belles tenues de débardeurs qu'il soit possible d'imaginer. Nous ne pouvons nous tenir de rire, à voir notre mine sinistrement canaille sous ces nouveaux dehors: Snytsers est un véritable apache, Jeanjean exibe un tennis tout râpé, qui moule avantageusement son gros ventre, Gilissen a l'air d'un charbonnier, moi j'ai l'aspect chétif d'un mendiant miséreux; c'est encore Rolent, notre nouvelle recrue, qui, avec son chapeau mou, conserve l'extérieur le plus décent. Seul, cet entêté de Van Bastelaer n'a pas prétendu quitter son uniforme. Mal lui en pris: désormais il ne pourra plus nous suivre. Enfin voici Dordrecht: on débarque le convoi pour faire manger les prisonniers à la caserne: après quoi, on nous dirigera sur Groeninghe, en Frise, pour y être internés. Groeninghe! Miséricorde! Il faut absolument nous échapper d'ici: c'est la dernière bonne carte qu'il nous reste à jouer. On nous forme par quatre, et, entre deux haies de soldats, la troupe se met en marche. Les rues sont pleines de curieux qui demandent des boutons et des cartouches en souvenir. C'est ce-qu'il nous faut: l'un de nous, à un tournant de rues, se met à en distribuer tant et si bien qu'il se produit un rassemblement, du désordre, une rupture dans le cordon de troupes. C'est cela: sans avoir l'air de rien, nous faisons un quart de tour à droite, et, le plus simplement du monde, nous regardons défiler le cortège comme de braves spectateurs... 0 liberté! Il faut t'avoir perdue pour goûter ta douceur recouvrée! Avec quelle joie nous enfilons les rues étroites où nul ne nous connaît! Avec combien d'entrain nous discutons maintenant notre plan de retour vers la « Libre » Belgique! Le RetourNous eûmes la bonne fortune de trouver à Dordrecht un brave batelier belge qui nous hébergea à son bord et nous fournit le moyen de regagner Flessingue. Là, confondus avec le flot des réfugiés, nous n'eûmes pas de peine à passer inaperçus. Maintenant, en route pour la Belgique: bateau, train, voitures, auto, charrettes, tous les moyens de transport furent successivement mis à contribution pour hâter le retour: notre air rébarbatif avait raison de toutes les résistances. Enfin, voici la frontière: nos pieds foulent la terre belge! 0 bonheur! Aucun mot ne saurait peindre l'indicible sentiment qui nous prit en ce moment. C'est alors que je com- pris, dans sa plénitude, ce qu'est l'amour de la patrie: l'air nous semblait meilleur, la terre avait un autre aspect et nous reconnaissions ses senteurs et les herbes qui croissaient aux fossés de la route; les arbres nous faisaient accueil et les rameaux nous redisaient de vieilles choses connues avec des gestes familiers qui éveillaient tout au fond de nos cœurs d'adorables et mystérieux souvenirs. Oh! cette vie profonde éparse dans les choses, comme elle buvait, comme elle absorbait la vie de nos âmes! et avec quel bonheur celles-ci s'y épandaient pour s'unir de nouveau à elle! L'âme de la patrie s'ouvrait autour de nous en murmurant sa captivante chanson, et, avec son sourire tout ensemble joyeux et triste, elle semblait à la fois nous prendre sous ses ailes et implorer notre aide. Pauvre Belgique, mère de mon sang et de ma vie, j'aurais voulu baiser ton sol martyr. Mais ce qu'un brûlant baiser n'a pu te dire alors, mon sang, qui est à toi, te le diras un jour, en t'arrosant, joyeux, pour féconder en toi le germe de ta liberté! Et nous marchions, heureux et pleins de fièvre, hâtant la course de toutes nos forces, pour prévenir le flot envahisseur qui allait atteindre la côte et pouvait nous couper une seconde fois. Enfin, à Ostende, nous trouvâmes l'extrême queue de nos colonnes serrées de près par les Allemands; avec elles, nous arrivâmes à Furnes où se trouvait le Roi. On hésita à nous reconnaître, tant nous avions l'air misérable. Nous étions, tous les cinq, à bout de forces; certains ne savaient plus marcher, d'autres étaient malades. Mais nous avions puisé dans la lutte, avec la joie du devoir fait, une force infiniment plus grande et plus précieuse que les forces du corps: celle du cœur qui aime, et qui veut puissamment, et qui fera ce qu'il veut parce qu'il aime! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_20.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:00 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_21.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 151, 6 septembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'A Tournai' Recueillis par le Baron C. Buffin
A Tournai Par le général FrantsA notre arrivée à Tournai, vers la fin de septembre 1914, nous y fûmes accueillis en sauveurs. On croyait que notre venue annonçait la reprise de toute la province du Hainaut. Et ce qui contribuait à faire entrer cette illusion dans le cerveau des braves habitants déjà éprouvés par une première invasion, c'est qu'en même temps que mon état-major, mes troupes et moi, étaient survenus des Français. Oh! si peu! Un bataillon de territoriaux qui n'avaient jamais vu le feu; un escadron de chasseurs à cheval, également territoriaux, commandé par un vieux capitaine âgé de 50 ans, deux escadrons de goumiers algériens de tout âge, de toutes tribus, à la mine superbe, des cavaliers à visage brun et à burnous blanc, le long fusil mince en bandoulière, dont les cheiks, qui avaient déjà combattu pour la France, étalaient fièrement sur leur poitrine la Croix de la Légion d'honneur. Ces troupes ne semblaient pas en nombre suffisant pour défendre la ville, et le baron Stiénon du Pré, bourgmestre de Tournai, demanda, lors de son entrée, au commandant des troupes françaises « si c'était un soutien sérieux ou bien si c'était une apparition de troupes sans renforts, qui allait, à la première attaque, abandonner Tournai et ses habitants à leur triste sort... » II faut savoir que lors de la première arrivée des Allemands à Tournai, la ville avait été frappée d'une contribution de 3 millions et que en attendant la réunion de cette somme pour laquelle il fallut quêter de porte en porte, le bourgmestre et d'autres notables furent amenés à pied comme otages à Ath d'abord, à Bruxelles ensuite, et emprisonnés pendant neuf jours quoique la somme requise eût été remise aux mains de l'ennemi. Cette demande du baron Stiénon avait été interprétée par le commandant français comme un accueil peu sympathique, et, dès mon arrivée à Tournai, je demandai des explications au bourgmestre qui, devant moi, vint se confondre en excuses et protesta en son nom comme au nom de ses échevins d'un loyalisme ardent. Cet incident fut donc clos et les Français n'eurent pas à se plaindre de, la réception des habitants de Tournai. Néanmoins, le souvenir de leurs souffrances morales était trop récent pour que les notables n'en craignissent pas le renouvellement. Et l'on remarquait parmi les Tournaisiens une crainte, une appréhension provenant des mauvais jours vécus sous la botte prussienne. Ainsi tout le temps ces braves gens nous demandaient « si cette fois c'était pour de bon, si les Allemands étaient définitivemenf refoulés, etc.. » Et mes renseignements sur l'ennemi ne me permettaient malheureusement pas de leur donner plein espoir. Pendant plusieurs jours nous vécûmes à Tournai sous la menace de l'invasion. Dès mon entrée en fonctions, j'eus soin de réarmer les chasseurs éclaireurs de la garde civique. Mais leurs fusils étaient dispersés en France et en Belgique et mes chasseurs éclaireurs, au lieu de recevoir leurs Mausers, furent munis de fusils Gras. Ceci n'était pas pour leur inspirer confiance. Toutefois, à part leur manque absolu d'initiation à la guerre, je n'eus pas à me plaindre de leur bonne volonté. Comme forces principales belges, j'avais une centaine de gendarmes de la province du Hainaut, sous les ordres du lieutenant-colonel Bloem, de la gendarmerie. D'emblée, je nantis mes hommes et plus tard mes volontaires de cinquante-sept bicyclettes neuves, que les Allemands, dans leur retraite précipitée, avaient abandonnées à l'Hôtel de ville. Grâce à ces engins éminemment pratiques, j'envoyai des patrouilles au loin, qui réussirent à rapporter des renseignements et à faire beaucoup de tort à l'ennemi en tuant ou en faisant des uhlans prisonniers. En même temps je donnai à l'ennemi la conviction que de nombreuses troupes étaient établies à Tournai et aux environs, prêtes à lui barrer le passage, et cette illusion retarda considérablement sa marche. Sur ce point, le fameux service d'espionnage allemand avait été en défaut, et nos ennemis furent si mal renseignés sur l'effectif des trouves qui s'avançaient vers Tournai, qu'en se retirant, ils ne crurent pas avoir le temps d'emporter leurs blessés et qu'ils en abandonnèrent un certain nombre dans les hôpitaux. Je me hâtai de les expédier comme prisonniers à Bruges. J'arrive à la veille de notre retraite de Tournai, c'est-à-dire au 30 septembre 1914. Ce jour-là, d'après mes renseignements, des troupes de toutes armes, évaluées à 10 ou 15,000 hommes, avaient atteint Ath et avaient poussé dans l'après-midi leurs avant- postes à Ligne, presque à moitié chemin de Leuze. Nous devions par conséquent nous attendre à être attaqués le lendemain. J'adressai un appel de secours au lieutenant- général Clooten, qui m'envoya une centaine de volontaires d'Eecloo, dont l'instruction était assez rudimentaire, mais qui étaient animés d'un excellent esprit. Comme nous n'avions pas d'artillerie, j'en demandai d'urgence au commandant de la division française de Douai, qui me put me venir en aide, menacé lui-même de trois côtés à la fois. Nous étions donc réduits aux gendarmes, aux chasseurs éclaireurs et aux volontaires d'Eecloo, augmentés d'un corps de cyclistes du lieutenant Gérard. Cet officier avait été chargé de détruire la pont de Thulin, sur le canal de Mons à Condé; malheureusement, les Belges, trahis par une femme des environs, étaient tombés dans une embuscade et avaient perdu 40 hommes sur les 120 dont se composaient leur détachement. Les autres s'étaient retirés vers Tournai. C'étaient tous des jeunes gens hardis, pleins de feu, prêts à remplir dans les lignes allemandes les missions les plus'dangereuses. Je me rappelle, entre autres, un soldat du 12e de ligne qui avait fait des lieues en transportant un camarade blessé dans une brouette. C'est la veille de la retraite de Tournai que, vers 10 heures du soir, le lieutenant Gérard vint se mettre à ma disposition: je le mis au courant de la situation et, la nuit même, il alla faire sauter plusieurs ouvrages d'art sur la ligne du chemin de fer entre Ath et Leuze. A minuit, le lieutenant Gérard vint m'an-noncer qu'il avait poussé au-delà de Ligne et avait réussi son coup de main hardi. Grâce à cette audacieuse expédition, les premières patrouilles de uhlans ne se présentèrent à Tournai que vers la fin de la matinée du lendemain. Comme nous étions menacés en même temps par le sud-est et par le sud, je dus répartir mes faibles forces de façon à barrer le passage à l'ennemi dans ces diverses directions et même vers le nord-est, route de Tournai-Frasnes. Dans les plaines, mes patrouilles de gendarmes et de volontaires battaient le terrain. J'avais pour principe de former de fortes patrouilles de 20 hommes, moitié gendarmes, moitié volontaires, et je leur donnais pour instruction d'attendre les patrouilles de cavalerie ennemies jusqu'à 100 mètres afin de tirer à coup sûr et que ni un cavalier ni un cheval n'échappe. C'est ainsi qu'à la lisière nord d'un petit bois, à 2 kilomètres à l'ouest de Ramecroix, au sud de la route Tournai-Leuze, une patrouille de 20 hommes, sous les ordres du capitaine de gendarmerie Motry, laissa approcher une patrouille ennemie (composée de 7 hommes commandés par un officier) jusqu'à 100 mètres, et abattit d'une seule salve chevaux et cavaliers. Nos soldats prirent les mors des chevaux et les capotes des tués afin de me montrer le résultat de leur prise, et déguerpirent sans délai, car ils étaient tournés par le sud du bois, où une autre patrouille ennemie arrivait au secours de la première. Mal lui en prit du reste, car bon nombre de uhlans de cette nouvelle troupe mordirent aussi la poussière. Néanmoins, nous ne pouvions résister à la poussée de hordes vingt fois, cinquante fois supérieures en nombre. Vers midi, les Français battirent en retraite et ce au milieu de l'exode des malheureux habitants. A hauteur d'Orcq, je montrai au major commandant un magnifique champ d'où il pouvait balayer tout le terrain jusqu'à la sortie de Tournai; il y prit position, mais peu après il reçut l'ordre de continuer son mouvement de retraite vers l'ouest, c'est-à-dire vers Lille. J'oublie de signaler qu'en se retirant les Français avaient laissé en arrière, à la caserne Saint-Jean, tous leurs impedimenta: blessés, malades, chevaux, bagages, etc. Avant de quitter Tournai, j'eus l'idée d'aller m'enquérir de ce convoi. Bien m'en prit: ces gens ne se doutaient pas de l'imminence du danger qui les menaçait, je n'eus que le temps de donner l'ordre au plus ancien maréchal des logis de rassembler tout, hommes, chevaux et bagages et de se diriger vers la route de Tournai-Lille où il retrouverait les troupes françaises. En même temps, j'ordonnai à mes patrouilles de garder toutes les issues, afin de permettre à ces goumiers et chasseurs à cheval de garder leur ligne de retraite vers le poste de Lille. Ils furent sauvés! Me voici installé avec mon état-major au couvent de Froyennes (route de Tournai-Courtrai), où un téléphone me permet de me mettre en communication avec les divers postes de gendarmerie, etc. Les Frères de la Doctrine chrétienne, presque tous Français, nous accueillent à bras ouverts et malgré nous, pendant que nous recevons des renseignements et que je donne des ordres, ils nous préparent une collation et nous comblent de prévenances. Leur couvent est converti en hôpital. Hélas! ce devait être pour les blessés boches qu'ils s'étaient mis en frais! Car je reçus l'ordre formel - si les Français quittaient Tournai - de battre en retraite vers Courtrai et d'organiser la défense du canal de l'Espierres. Je partis donc et j'arrivai sur l'Espierres le jeudi 1er octobre; d'emblée je constate que tous les ponts-levis du canal se lèvent du côté sud, c'est-à-dire du côté de l'ennemi, et qu'il est impossible de déplacer le contrepoids et de faire en 'sorte que les ponts se manœuvrent de notre côté, c'est-à-dire du côté nord. C'est là une circonstance fort désanvantageuse et qui montre une fois de plus combien peu nous songions à la guerre! J'installe mon état-major à Dottignies et je me mets en mesure de garder les nombreux points de passage sur le canal entre le village d'Espierres (Escaut) et le chemin de fer Herseaux-Tournai. Ceci malheureusement m'oblige à m'étendre et à répartir mes faibles forces; car il existe là de nombreux ponts et passerelles. Pendant trois jours, nous sommes en contact avec l'ennemi; nous refoulons ses patrouilles et nous faisons des prisonniers. Mes jeunes volontaires voyaient le feu pour la première fois, mais ils sont tellement valeu. reux et avides de se battre, que le deuxième jour, je nomme caporaux sept soldats qui se sont bien conduits devant l'ennemi. Cela leur donne de l'ardeur: tous voudraient se signaler. Le samedi 3 octobre, à la tombée du jour, l'ennemi, refoulé plusieurs fois, est revenu en force et repousse deux de mes postes à l'extrême droite, tandis que, d'autre part, il s'avance par Herseaux et Estampuis; je suis tourné sur ma droite et en même temps enfonce" à Espierres. Je n'ai que le temps de constituer une forte flanc-garde de gendarmes et de volontaires cyclistes pour m'opposer au mouvement enveloppant et de battre en retraite vers Courtrai. Nous étions toujours poursuivis et notre marche était entravée par l'obscurité. J'arrête un tramway vicinal venant de Courtrai et j'y fais monter les gardes civiques de Tournai, lesquels, soit dit entre nous, n'avaient pas la moindre notion d'un combat en retraite. A mi-chemin de Courtrai, je rencontre les gendarmes de la Flandre orientale qui viennent à notre secours et, sous leur protection, nous atteignîmes Courtrai. En faisant l'appel de mes soldats, je constatai qu'il manquait trois de mes volontaires. Je les crus tués, blessés ou prisonniers. Nullement, voici ce qu'avaient fait ces braves petits soldats: le dimanche matin, 4 octobre, deux de mes hommes manquants arrivent à Courtrai chargés chacun d'une selle de uhlan complètement paquetée. Ils ont porté ce poids (environ 40 kilogrammes) depuis l'Espierres, à travers les lignes ennemies, et ce, sur une distance de 20 kilomètres. Interrogés, ils déclarent qu' « ils ont bien appris qu'on battait en retraite vers Courtrai, mais qu'il leur fallait à chacun leur Prussien avant de rallier ». Poursuivis par des cavaliers, le long de la berge du canal, ils franchissent sur une planche le ruisseau boueux d'Espierres (qui, comme on le sait, coule parallèlement au canal; les cavaliers veulent en faire autant, s'embourbent et sont achevés par nos deux soldats qui dépêtrent les chevaux et s'emparent des selles afin de bien montrer qu'ils avaient atteint leur but. Un troisième soldat (le troisième manquant) ramène à Courtrai un chevai tout équipé dont il avait tué le cavalier. Il revient aussi tout seul avec son butin. N'est-ce pas superbe, et cela à travers une région envahie! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_21.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:01 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_23.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 158, 20 octobre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Huit Jours à Dixmude' Recueillis par le Baron C. Buffin carte postale belge - les combats à Dixmude, octobre 1914 Huit Jours à Dixmude
Extraits du carnet d'un observateur d'artillerie par le lieutenant d'artillerie F. de Wilde, de la brigade B ancienne 12e brigade mixte19 octobre 1914. - Depuis trois jours, nous sommes à Nieuwcapelle. La guerre devient pittoresque: des burnous bleus ou rouges défilent sur la route; les chevaux sont petits, les cavaliers perchés sur leurs selles à la manière des singes. Toute la tribu a dû se mettre en branle, plusieurs générations voisinent, des adolescents côtoient des vieillards au visage parcheminé. A 8 heures, ordre de rassemblement à Oudecapelle. Nous y retrouvons la horde des goumiers, piquant d'une pointe d'orientalisme le paysage morne des Flandres. Nos hommes fraternisent: des détails sur la vie arabe abondent immédiatement. Ces bédouins ont 3 francs de solde et droit de pillage en pays ennemi, aussi demandent-ils à tout bout de champ s'ils ne sont pas encore en Allemagne. Armés de grands couteaux, ils font continuellement le simulacre de couper des têtes, en découvrant leurs dents blanches. Ils ont aussi les oreilles en particulière estime. Parmi eux, un grand nègre, en très mauvais français, répète à qui veut l'entendre: « Francise, Belgise, Anglise, tous camarades. » Et il exhibe une main énorme en faisant le geste d'enfiler des gants, manière expressive d'en demander. Le pays est mauvais pour eux, coupés de fossés larges et vaseux, où les .chevaux s'embourbent jusqu'au poitrail. Dans le lointain, la flotte anglaise canonne la côte et les colonnes allemandes venant d'Ostende. Les fusiliers marins, suivis de la 5e division, se dirigent vers Beerst. Un violent combat s'engage. Beerst pris, perdu, est repris par les fusiliers. Des renforts allemands, arrivés de Roules, obligent tout le dispositif à battre en retraite. Décision est prise de défendre la tête de pont de Dixmude; notre brigade et les fusiliers marins en sont chargés. Nous passons sous le commandement de l'amiial Ronarc'h. Maigre chère au quartier général de l'amiral. Nous trouvons finalement un biscuit et une boîte de viande conservée. Nous trouvons mieux: un sommier. 20 octobre. - Une attaque de la tête de pont est imminente. Nous recevons ordre de prendre position avec nos trois batteries, 40e, 41e, 42e à Kapelhoek. Dès le matin, la canonnade sévit violente, ininterrompue. Les shrapnells masqués de nuages blanc, les obus-mines s'entourant de bruit de ferraille et de fumée noire tombent sur Dixmude et y éclatent avec un bruit assourdissant. Nous campons dans une ferme abandonnée. Les chiens ont perdu la voix, le bétail erre à l'abandon. A 11 heures, la 40e batterie (commandant Aerts) est expédiée au nord de Dixmude, près du moulin de Keiserhoek, et la 41e (commandant Huet) vers Eessen. A midi, au moment où mijotait sur le feu un quartier de porc atrocement salé, on nous envoie avec la 42e batterie (commandant Schouten) prendre position à Keiserhoek, auprès de la 40e, afin de soutenir le 12e de ligne. Nous partons en avant, le major Hellebout, commandant l'artillerie de la brigade B, l'élève à l'Ecole militaire Hazard, un trompette-brigadier et moi. Nous trottons bon train sur les pavés, traversant sans mot dire le pont et les rues qui mènent à la grand'place. Quelques compagnies d'infanterie, rangées contre les maisons, nous regardent passer avec ahurissement. Arrivés rue d'Ouest, halte et pied à terre, à hauteur de la maison du notaire Baet, en ce moment abandonnée. Nous y laissons nos chevaux avec le trompette et nous continuons à pied la traversée de Dixmude vers Keiserhoek. L'aspect de la ville est terrifiant: les rues, absolument désertes, sont remplies de débris de toute nature et de trous d'obus, les maisons sont défoncées, les murs lézardées, les tuiles en morceaux, les carreaux brisés. Dans la rue qui mène à Keyem, d'énormes flaques de sang et des éclaboussures de matière cérébrale sur les murs frappent partout nos regards. Inutile de chercher le côté de la rue le mieux abrité, nous marchons dans l'axe même du tir. Tout à coup, sur un appui de fenêtre, nous apercevons, tremblant d'épouvanté, Max, jeune chien de berger malinois, adopté par nos soldats à Boom et qui, sur l'un ou l'autre caisson, nous a suivis partout. Nous l'emportons et continuons à avancer. Un caisson revient avec la moitié de ses attelages. Toute la route est balayée par les shrapnells; pas moyen de passer. Nous prenons à droite par le canal de Handzaem et nous nous mettons à la recherche du lieutenant- colonel van Rolleghem, commandant du 12e de ligne. Grâce aux arbres de la rive, nous arrivons aux tranchées. Personne! « Voyez de l'autre côté du canal, » nous dit-on. Une barque s'offre, nous traversons sous le sifflement aigu des shrapnells et nous découvrons finalement le colonel à l'extrémité de la ligne tortueuse des tranchées de Blood Putteken. Impossible d'employer ici la 42e batterie. Déjà la 40e, qui n'est parvenue qu'à mettre deux de ses canons en batterie dans un verger, à notre droite, n'a pu rester à Keiserhoek;.elle a des chevaux tués et aurait perdu une pièce sans le dévouement du maréchal des logis Vivier. Les tranchées encaissent. Une erreur d'appréciation fait concentrer le tir allemand sur une I ligne de saules, dont la silhouette imprécise apparaît dans les projections de terre, à cent mètres des retranchements. Ordre nous est donné de retournera Kapelhoek. Nous repassons donc l'enfer de Dixmude. Au moment ou nous nous engageons sur la grand'place, un gros obus de 21 centimètres tombe à vingt mètres, au coin de la rue d'Ouest, emplissant celle-ci d'une fumée grise opaque que nous traversons en courant, au milieu d'un amas de pierres, de briques et de poutres. Un autre projectile entre par le soupirail d'une maison et anéantit la musique du 12e de ligne, réfugiée dans la cave. Sur ces entrefaites, la 41e batterie, revenant d'Eessen, nous rejoint et les trois batteries franchissent le pont sur l'Yser, arrivent au trot sur les emplacements de Kapelhoek, et ouvrent un feu violent sur le terrain au sud du cimetière, d'où elles obligent les Boches à déguerpir. Dans la soirée, nous pénétrons dans une ferme et trouvons cinq défaits qui témoignent d'une fuite précipité; nous nous y jetons tout habillés. Au fracas alourdissant de l'artillerie se mêle le bruit sec de la fusillade; intermittente d'abord, elle devient de plus en plus nourrie et finit par être continue. Les mitrailleuses crépitent sans relâche; un soldat effaré vient nous annoncer l'attaque de la ville. Dans la nuit, c'est le tumulte du combat, le grondement du canon, le sifflement des balles, les clameurs sauvages. 21 octobre. Avec le jour, la fusillade diminue. Les Allemands se replient. Nos troupes ont été superbes: Trois assauts ont été repoussés. Une bande de prisonniers passe; presque tous sont jeunes et viennent de Bruxelles sans avoir combattu précédemment. A les entendre, beaucoup de leurs officiers auraient été tués hier; ils seraient mal encadrés et leurs gradés, inconnus pour eux, auraient été prélevés sur l'armée centrale. On a arrêté un officier allemand porteur de balles dum-dum.Interrogéàce sujet, il déclare que ces baHes ne lui appartiennent pas. Comme il devient arrogant, on l'oblige à tourner le dos. Il profite du premier moment d'inattention pour essayer de s'enfuir. On l'abat à 150 mètres. Son revolver est encore chargé des mêmes balles d,um-dum, et son cadavre est enterré sur-le-champ. Nous tirons sur Vladsloo et Eessen, La riposte ne se fait pas attendre et nous avons quelques blessés. La matinée est relativement calme. Vers une heure, la bataille reprend aussi âpre que la veille. C'est à nos chemins de retraite qu'ils en veulent cette fois. Le tir allemand est plus précis. Sur la route d'Oudecapelle, une masse de voitures stationnent. Aux pre- miers obus, elles partent au trot pour se garer. Trois caissons sont atteints, les attelages s'effondrent. Et la grande fête recommence. Le bombardement de Dixmude reprend avec vigueur. Un obus a mis le feu à la collégiale; la tour n'est qu'un brasier. Dans le caprice des flammes, on perçoit un instant une ogive et le campanile sombre dans une apothéose. Le soir tombe. A l'horizon, cinq incendies rougeoient. Dixmude s'emflamme par places. Un toit s'allume et jette une lueur vive et brève sur les pignons dentelés. Les Allemands tirent sans discontinuer, et l'éclatement de leurs projectiles soulève des nuées d'étincelles. C'est lugubre et grandiose. La fusillade ne s'arrête pas. Dans un moment d'accalmie, étrange dans ce bruit infernal, nous entendons sonner la charge, suivie d'une clameur immense et féroce, à laquelle répond aussitôt une fusillade très vive. Brusquement, tout se tait. Ce silence dans la nuit est plus impressionnant que tout. Ont-ils réussi? Sont-ils repoussés? Silence. Le feu reprend plus intense et au même endroit. On respire, la ligne n'est pas forcée. L'angoisse qui nous étreint cesse. Angoisse atroce de gens entendant sans rien voir, sans rien connaître de précis, sachant uniquement que leur vie et celle de tant d'autres se joue là dans la nuit mystérieuse. Nous gardons toutes nos positions. Depuis trois jours, c'est un combat incessant. Nos infanteries sont à quelques cents mètres l'une de l'autre, et sur l'Yser, au nord de Dixmude, elles tiennent chacune -une des rives du fleuve. Nous nous couchons tout habillés depuis quatre nuits, on n'a plus aucune notion du temps, on mange quand on peut, quelquefois bien, souvent mal. 22 octobre. - L'aube fait ralentir le feu. Les Allemands se retirent. Nous ouvrant un feu violent sur leurs directions de retraite. Puis le silence. Auraient-ils changé de points d'attaque? Vers 10 heures, une canonnade ardente éciate vers la droite. Nos divisions de cavalerie sont de ce côté et les Anglais poussent vigoureusement dans la même direction. A 11 heures, la bataille reprend. Le gros calibre abonde du côté des Allemands, qui nous arrosent de 15 et de 21 dans toutes les directions; rien n'est épargné. La terre se laboure avec fracas, et les champs s'étoilent d'entonnoirs énormes. Jusque maintenant, il y a plus de bruit que de mal. Dans l'après-midi et la soirée, les Boches esquissent encore quelques attaques, toutes échouent. Nous tirons avec rapidité, nos rafales leur font grand dommage et arrêtent net leurs tentatives. Des prisonniers racontent que nous avons anéanti un bataillon et un parti de cavalerie réfugiés dans le château, au sud de Dixmude. L'armée française nous avait demandé de tenir deux jours sur l'Yser, voilà huit jours que nos troupes résistent, voilà six jours qu'elles sont attaquées avec une opiniâtreté sans égale. 23, 24, 25 octobre. Les attaques d'infanterie s'est pacant. Par contre, l'artillerie ne chôme pas. Les Allemands ont une proportion effrayante d'artillerie de tous calibres et c'est leur canon qui fait la forte besogne. La lutte continue comme hier, comme avant-hier. C'est la bataille de l'Aisne qui se prolonge. Les adversaires se retranchent. Devant Woumen, surtout, les Boches amoncellent les terrassements. En observation chaque jour sur les bords de l'Yser, je vois leurs tranchées sortir de terre comme par enchantement, s'allonger, s'enchevêtrer à vue d'œil. Ils ont une faculté de travail et une activité remarquables. Là où il n'y avait rien la veille, on trouve le lendemain tout un réseau serré de tranchées, toute une série de nœuds et de boyaux de communication. On tire à outrance, on bouleverse leurs taupinières; quelques minutes après, on perçoit le mouvement rapide de terres remuées, ou le bruit de fers de pelle qui remettent en état les endroits endommagés. Dans le lointain, quelques patrouilles circulent; une batterie défile au trot dans un chemin creux. Dans les champs de betteraves, au sud de Dixmude, de longs corps gris gisent en avant des retranchements allemands. Zone neutre où personne ne peut pénétrer, rançon des combats de la veille, cadavres que l'on ne peut ramasser. Le 23 au soir, dans les herbes, dans les champs, des râles, des cris en mauvais français s'élèvent. C'est la seule fois que j'ai entendu crier des. blessés. Quelques voix jaillissent: « A moi, à moi, Français... blessés! » Quel est ce nouveau piège? C'en est un, ruse cousue de fil blanc. Personne ne bouge et la tranquillité renaît. Mais l'artillerie ne se tait pas. Le nombre des munitions consommées est considérable. Les Allemands bombardent avec une énergie sans égale. Le petit calibre a disparu en grande partie, seules les grosses pièces jouent leur rôle. Les obus-mines éclatent avec un bruit de tonnerre. C'est de la rage. Les Boches doivent tirer sans beaucoup d'observation, car après avoir encadré les batteries, au lieu de tirera démolir, ils changent de but, allongent, raccourcissent, arrosent absolument tout le pays, sans grand dommage d'ailleurs. Ils ont beaucoup de suite dans les idées et lorsqu'ils se sont mis en tête de battre un point, ils tirent au même endroit avec un entêtement admirable..., n'y eût-il rien' au point yisé. Un obus vient d'éclater au pied de nos fenêtres, brisant les vitres et tachant de boue les papiers de l'adjudant-tnajor. Notre toit n'est plus qu'une écumoire. Un de nous est en permanence au téléphone. Les lignes sont brisées à chaque instant par les obus. Les téléphonistes courent le long des fils et la communication est rétablie; de jour et de nuit, la sonnerie stridente retentit. Un renseignement parvient, un ordre arrive, un des officiers se lève, court à sa batterie... un coup de téléphone commande de suspendre le feu. Quand le renseignement est important, tout le monde part. La voix sèche et rauque de notre 75 se mêle, précipitée, aux grondements sourds des coups de départ lointains, à l'explosion formidable des coups d'arrivée. Puis tout le monde se recouche, les privilégiés dans les lits disponibles, les autres sur la paille que l'on étend chaque soir dans la cuisine. Voilà toute une semaine que nous sommes installés dans cette ferme. Nous avons trouvé quelques légumes pour notre cuisine, mais la viande se fait rare. Le premier jour, nous avons mangé des poules.Il n'y a plus de poules. Nous avons fait tuer un cochon. Aujourd'hui, nous . avons de la viande conservée, demain, je ne sais. La plus grande privation réside dans le manque de cigarettes; nous en sommes réduits à rouler d'informes cigarettes avec du mauvais tabac de pipe. On ne trouve plus rien. L'eau est salée, nous ne buvons que du café. Heureusement le lait ne fait pas ' encore défaut, les hommes vont traire de grand matin les vaches errantes, qui s'en donnent à cœur joie dans les betteraves. Pas un chien n'aboie. Ils rampent le long des bâtiments, la queu entre les jambes, et se précipitent éperdument, dans le premier trou venu, au moindre sifflement d'obus. Les projectiles ont fait de tous côtés une hécatombe de bétail. Toutes ces fameuses prairies de Dixmude et du Veume-Ambacht sont jonchées de vaches mortes, les pattes en l'air. Le gibier est affolé. La canonnade perdure; la fusillade, intermittente le jour, est continuée la nuit, et dans les accalmies qui parfois se produisent, le roulement prolongé du canon d'Ypres s'assourdit dans le lointain. Tout ce bruit crispe nos nerfs, atrocement tendus. 26 octobre. - Dixmude, Kapellehoek. A 6 heures du matin, nous sommes brusquement réveillés par une fusillade tirée presque à nos oreilles. Les balles s'écrasent contre nos murs. Alerte! Qu'est-ce? Un commandant rentre en criant: « Les Allemands sont à 400 mètres. » Surpris, nous nous levons précipitamment. Désarroi. Le nez dehors, nous sommes accuefllis par une grêlede balles. Elle semble venir de tous les côtés à la fois. Sommes-nous entourés? On se conserte rapidement. « Aux pièces et tir à schrapnells réglé court. » Impossible d'arriver aux batteries. Le brouillard du matin plane encore, on voit s'agiter des ombres confuses. La fusillade s'apaise un moment. Tout le monde court aux pièces. Le zèle d'un tireur est heureusement arrêté au moment où il tenait une de nos patrouilles au bout de la lunette, On interroge anxieusement: « Qu'est-ce? Où sont-ils? » Une cinquantaine d'Allemands ont passé l'Yser et l'on est à leur recherche. Je cours au quartier général prévenir, ramener des secours. Je rencontre une patrouille de dragons, une autre de fusiliers, une troisième de carabiniers. L'éveil a été donné. Au quartier général de l'amiral, tout le monde est debout, commentant l'incident. Un détachement ennemi a passé la rivière, jeté la panique par son feu, mais, à l'aube, les troupes se sont ressaisies, les positions'sont réoccupées, la chasse se fait. Je me dirige vers Dixmude. Dans un fossé, deux Allemands gisent le nez dans la boue. De l'autre côté, deux marins, la vareuse ouverte, perdent du sang abondamment. Une jeune fille, affolée, soutenant une vieille femme en larmes, se précipite sur moi: « Quelque chose pour transporter ma mère, monsieur; elle va mourir! » Je ne puis que leur indiquer d'un geste impuissant le quartier général. Une civière passe, portée par quatre fusiliers. C'est le cadavre du commandant Jeanniot. La figure est couverte d'un mouchoir, mais le bras pend déchiqueté et la cuisse porte une blessure affreuse, chairs en bouillie dans des morceaux d'étoffes et des esquilles d'os. Sur le pont même de Dixmude, des cadavres s'amoncellent. L'un d'aux est accroché encore au garde-fou, qu'il étreint dans un spasme suprême.Tous ont des blessures multiples: poitrine trouée, cervelle jaillie, yeux vitreux agrandis dans uue vision d'épou- vante. Au-delà du pont des cadavres en tas forment une bouillie innommable, un enchevêtrement de membres crispés, de fronts courbés vers Je pavé où s'est coagulé un sang noirâtre. Plus loin, des cadavres encore. Quelques Belges aussi dorment, sur le trottoir, de leur dernier sommeil. Des patrouilles circulent, fouillant les maisons, l'arme au poing, les yeux aux aguets. J'avance dans Dixmude: monceaux de décombres, murs calcinés, tronçons noircis, vitres brisées. Dans une maison, la façade s'est écroulée, laissant subsister tous les plafonds, comme un décor de vaudeville. Phénomène curieux, une maison intacte. La grande place est défoncée complètement, les entonnoirs s'y alignent dans une bordure de pavés. L'hôtel de ville érige le squelette de son clocheton et ses meneaux pleurent leurs vitraux. De la collégiale, la tour décapitée et les quatre murs seuls sont débout. En revenant, deux civières ramènent un viel officier allemand blessé mortellement et un autre, gaillard immense, large de carrure, aux lunettes énormes, cerclées de corne, que l'on porte avec peine. Rentré à la batterie, j'apprends que deux prisonniers ont été faits. Je visite le théâtre du dernier combat. Boueux, sanglants, une quinzaine de corps s'allongent dans un champ, quatre d'entre eux vivent encore. Le major qui les commandait gît sur le dos, la bouche ouverte, le crâne bleui, percé de part en part. Un lieutenant est tombé sur le côté, le bras déplié. Jeune, des traits fins, tenue très soignée, son linge est d'une finesse'extrême. Un marin s'approche, le retourne avec dextérité, plonge ses deux mains dans les poches: - « Ah! mince! on lui a déjà barboté les poches! » C'est tout l'oraison funèbre. Les autres sont couverts de plates, la baïonnette est une arme terrible. Un des blessés, par un trou de dimension, laisse s'écouler sa cervelle; malgré cela, il vit et agite d'un mouvement convulsif un doigt crispé devant son œil. Plus loin sont étendus les marins si lâchement assassinés. Leurs blessures sont épouvantables. Le menton et la lèvre inférieure de l'un d'eux sont complètement arrachés par un coup de feu. Après cette alerte, la matinée est presque tranquille. Dans l'après-midi seulement, l'artillerie reprend son tir énervant. 27 octobre. - Dixmude-Kapelhoek. Après leur insuccès d'hier, les Allemands semblent vouloir changer leur point d'attaque. Ils remontent vers le nord. Treize passerelles ont été jetées sur l'Yser vers Tervaete et une partie de leurs troupes a pris pied sur notre rive. Une division française, de renfort, a permis une vigoureuse contre-offensive sans regagner tout le terrain perdu. La lutte d'artillerie reprend plus acharnée que jamais. Les pièces lourdes tirent presque uniquement. Leurs projectiles déchirent l'atmosphère, l'explosion est terrible, projette en l'air des masses de terre énormes et la fragmentation des obus est telle qu'à 800 mètres des morceaux arrivent en tourbillonnant avec un bruit sinistre d'abeille. Nous ramassons un éclat de 45 centimètres, de long, sur 12 de large et 6 d'épaisseur. Des taubes nous survolent. Autour de Dixmude, le réseau des tranchées se complique; il se rétrécit peu à peu; l'encerclement commence. Nous restons à Dixmude jusqu'au 6 novembre, jour où des batteries françaises viennent nous relever, jour où nous n'avons plus qu'un seul canon sur douze, les onze autres ayant été mis hors de service. Nous voyons petit à petit l'étau se resserrer, la canonnade se fait plus violente, la fusillade plus intense, les assauts sont répétés. Quand la nécessité nous forcera à partir, nous aurons du moins vu l'inanité des attaques furieuses de l'adversaire et son recul devant l'eau montante et sournoise, devant l'inondation venue si à propos; nous aurons enfin, nous aurons surtout gardé intact le dernier lambeau de notre chère Belgique. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_23.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:01 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_26.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 158, 20 octobre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Charge de Tervaete' Recueillis par le Baron C. Buffin La Charge de Tervaete
Par le capitaine d'artillerie M... C...Accrochée à l'Yser, l'armée belge, haletante, lutte à corps perdu, disputant à l'ennemi le dernier lambeau de la Patrie. On lui a demandé de soutenir pendant quarante-huit heures ce combat gigantesque et par trop inégal; et voici cinq jours que la bataille dure: elle a décidé de mourir en ce point. Mais cette lutte opiniâtre a tellement énervé la force de l'héroïque armée qu'elle ressemble à un lutteur pressé, à bout de souffle, et que seules soutiennent encore l'extrême tension des nerfs et la puissance de l'idée fixe. A court de munitions et de réserves, ce n'est plus qu'un mince cordon d'hommes éreintés, fourbus, exténués; et il est à craindre que, sous la formidable poussée des Allemands, un point ne vienne à céder, entraînant la débâcle de cette ligne trop tendue. Or, à force de lancer sans relâche sur nos troupes harassées un flux sans cesse renouvelé de mitraille et d'assauts, les Allemands ont enfin réussi à percer à Tervaete. La brèche une fois ouverte, le flot a passé, en torrent déchaîné, sur la rive gauche du fleuve, refoulant en désordre nos bataillons désemparés. Avec d'affreux remous, tout cède sous l'effort de la masse. Une contre-attaque furieuse, muette, désespérée, s'est brisée et perdue dans ce gouffre de mort, écrasée sous l'étreinte, couchée comme une moisson par le fauchage mortel de deux cents mitrailleuses. Il y a, sur toute la ligne, un moment de terrible angoisse. Nos troupes, pliant sans céder, se sont arc-boutées des deux ailes sur l'Yser, aux extrémités de la grande courbe où les Allemands ont rompu la défense. Mais ce nouveau front semble un frêle rempart de terre, construit en hâte devant un flot puissant, et qui se désagrège sous la montée des eaux, à mesure qu'on l'élève. Plus d'unité organisée: chacun luttant pour soi, ce n'est plus qu'un amalgame d'hommes horribles, couverts de boue et de sang, le visage noirci parla fumée des explosions, n'ayant plus d'apparence humaine, qui se battent, avec des gestes las et des yeux hagards, parmi les éclairs blêmes d'une vision d'enfer. Que va-t-il advenir? Est-ce la fin de tout? Devant, l'attaque gronde, en vagues successives et toujours grossissantes, battant de toutes parts cette muraille croulante avec des chocs furieux; à ces assauts multiples, l'armée résistera-t-elle? A ce moment arrive l'ordre à ce spectre de troupe de prendre l'offensive, et, par une contre-attaque générale, de rejeter coûte que coûte l'ennemi au delà du fleuve. Les instructions portent ces simples mots: « Que votre charge soit une ruée sauvage. » Comme un courant, l'ordre se propage dans les rangs disloqués. Un frisson de gloire parcourt toute la ligne, redressant les fronts noirs, faisant blêmir les faces sous les masques sanglants et passer dans les yeux des éclairs d'au-delà. Alors, on voit une chose splendide, inouïe et grandiose. Tous ces débris flottants se reforment en bloc; dans le rang renaissant chacun prend une place, au hasard de l'endroit où il s'est trouvé;les blessés se relèvent, s'incrustant dans la masse pour augmenter son poids; des secteurs les plus proches, des troupes accourent et se fondent aux autres. Puis tout s'ébranle, d'abord péniblement, d'un formidable effort, dans l'ouragan de fer; puis, d'un sursaut farouche, un élan les jette dans les lignes prussiennes: fantassins, cavaliers, pionniers, artilleurs, soldats et officiers, valides et éclopés, tous se ruent pêle-mêle sur l'énorme adversaire, fonçant droit devant eux dans les brèches ouvertes au bout des baïonnettes. Par. endroits, dans le chaos informe des troupes entremêlées, une ligne plus nette marque les points que les troupes voisines sont venues renforcer: là sous l'impulsion d'une énergie plus fraîche, se dessinent des saillants qui poussent en avant en entraînant le reste. Et de toite cette mêlée, couvrant les fracas grondants de la bataille, un cri monte, vainqueur, poussé par une seule voix dans trois mille poitrines, croissant, s'enflant sans cesse de son propre délire, courant sur toute la plaine comme une rumeur d'orage: « Vive le Roi! Vive la Belgique!... » La première ligne ennemie est enfoncée d'un coup. Derrière elle, la seconde fléchit sous la poussée, puis, chaque vague refoulée refoulant la suivante, le désordre se met dans les troupes allemandes. C'est un carnage sans nom. Il n'est plus question de nombre ou de tactique: seule s'affirme maintenant, obscure et toute-puissante, dominant la matière, la force d'une volonté supérieure à la mort. L'Allemand, déconcerté, se sent pris de panique; d'un choc, irrésistible, nos soldats haletants, vrais fantômes de mort, écrasent sous leurs pas toutes les résistances. D'un élan, sans arrêt, ils poussent jusqu'à l'Yser les masses ennemies, les pressent contre la berge, les culbutent dans le fleuve, et, mourant de l'effort surhumain accompli, réoccupent la digue: le dernier lambeau de la Belgique est sauf. Une Reconnaissance
du carnet de campagne du P. Henusse, S. J. aumônier de la 84e batterie28 novembre 1914. - Ce matin, à peine avait-il commencé la lecture des ordres journaliers, que notre petit capitaine s'écriait: « C'est agaçant, à la fin. Cette passerelle tourne à la balançoire. On ne se moque pas ainsi de son public, voyons! » Et rejetant le papier sur la table, il sortit, nerveux. Je pris la feuille et je lus que, contrairement aux renseignements fournis par les reconnaissances aériennes des jours précédents, il existait bien une p asserelle sur l'Yser, entre la borne 15 et la borne 16, à hauteur des cuves à pétrole, en face de la « Nacelle ». C'était bien la dixième fois que cette passerelle était affirmée, après avoir été autant de fois niée alternativement et tantôt on nous demandait de détruire la dite passerelle à obus brisants et tantôt on nous priait de suspendre le tir, l'objectif étant illusoire. Ce petit jeu avait le don de mettre le capitaine hors de ses gonds. Ce matin-là, il me parut plus dégondé que jamais et quand il entra peu de temps après, je lui vis sa mine des grandes décisions, une petite mine fermée, concentrée, silencieuse, et je me dis: « Ou le capitaine va fulminer une « note » ou il va aller reconnaître la passerelle lui-même. » J'avais deviné juste. Il se chaussait, se guêtrait, se collait le browning en arrière de la hanche et, les jumelles au sternum, attrapant son képi, filait sans même dire son fameux: « Au revoir, mes enfants. » Il était 10 heures du matin, un vrai matin de novembre, gris, froid, humide, mais, à vrai dire, nous ne nous en apercevions pas. Toute la journée se passe à l'intérieur de cette infâme petite ferme que nous avons surnommée la ferme Tabou, parce qu'au milieu d'une plaine ravagée par les obus, seule elle est demeurée intacte. Deux ou trois marmites tombées dans la cour ont fait sauter toutes les vitres,maisc'est tout. Alors, on remplace les vitres par des planches et des paillassons et l'on vit dans la petite salle caverneuse, autour d'un poêle tout crevé, tout percé, où l'on ne brûle que du bois. Quant à mettre le nez dehors, merci! D'abord il y a la boue poldérienne, grasse, pro- fonde, tenace, vous mettant, au bout de dix pas, deux énormes gâteaux de vingt livres à chaque pied. Et puis il y a les cuves à pétrole, les deux énormes cuves, là-bas, au fond de l'Yser, dominant toute la région dénudée par l'automne, comme deux sentinelles de mort. Depuis lin mois, on les crible, le pétrole flambe. (Oh! la belle flambée, éclairant d'une gloire de feu la victoire de Dixmude!) Les cuves sont trouées comme des écumoires, l'une des deux s'est affaisée sur elle-même, mais l'autre reste debout, admirable poste d'observation pour l'artillerie ennemie, et nous ne nous soucions guère d'attirer sur la ferme Tabou les terribles marmites. A midi, le commandant n'était pas là. Nous attendîmes jusqu'à une heure avant de déjeuner et puis l'on décida de ne plus attendre davantage. L'inévitable soupe aux poix conservés et le sinistre bifteck de pneu me goûtèrent un peu moins encore que d'habitude. J'étais positivement inquiet de ce retard. Deux ou trois fois déjà, j'avais fait voir à la batterie si le commandant n'y était pas et l'on rapportait toujours la même réponse: « Nous ne l'avons pas vu depuis ce matin, ou il est venu remettre le commandement de la batterie au lieutenant. » Enfin, vers 3 heures, la porte s'ouvrit avec fracas, et il entra! L'air vanné, les yeux brillants de fièvre, tout constellé de boue, moitié radieux, moitié fourbu, drôle enfin, il se laissait tomber sur une chaise et s'écriant: «Eh bien! je l'avais toujours dit: il n'y a pas de passerelle! Seulement, mes enfants, encore un peu, il n'y avait plus de capitaine...! » - Quoi qu'est-ce! Dites! Racontez - nous l'entourions, le pressions. - D'abord, un bifteck, n'est-ce pas? Je crève de faim. Et du café, là! une soif!... Et se déchaussant, envoyant une bottine à gauche, l'autre à droite, ses guêtres au diable, il commençait son récit: - Donc, j'en viens! J'en avais assez, à la fin, de cette plaisanterie-là. Alors, nous avons filé avec le lieutenant De Zaeytydt et le le brigadier Marteau, en nous disant: II ne s'agit pas de tout ça, ici; on ira voir jusque-là s'il le faut, mais on en aura le cœur net! Jusqu'aux bords de l'Yser, vers la borne 16, ça va assez bien. Là, sont les dernières tranchées occupées par les territoriaux français, mais on n'y voit rien d'utile. En fouillant la vue, vers le nord, à hauteur des cuves, nous découvrons bien quelque chose qui ressemble à une passerelle sur l'Yser, mais ce n'est pas assez net et nous décidons d'avancer le long de la rivière. A ce moment, les obusiers français ouvrent le feu sur les cuves; tous les coups étaient trop longs de 80 à 100 mètres, puis tout à coup, c'est notre brave petite 84e qui a commencé de cracher. Vous ne sauriez croire le plaisir que ça fait de l'entendre ainsi tout près du but. Elle battait une maison en ruines et chaque coup était dedans. C'est le fameux cabaret où on nous disait qu'il y avait une batterie. Bonne blague! Pas plus de batterieque sur ma main. Mais,toutde même, on tirait bien... Nous quittons donc les territoriaux et nous voilà, moitié rampants, qui progressons le long et au pied du chemin de halage. A 100 mètres en avant, deux sentinelles françaises, qui nous souhaitent bonne chance, puis deux sentinelles belges du 2e chasseurs, dont on ne voit que la tête émergeant d'un trou, puis plus rien. A gauche, la nappe d'inondation, à droite l'Yser, et au-delà des ruines désertes apparemment. Nous allons toujours, quand nous nous butons à un gros arbre renversé et barrant le chemin de halage; nous quittons donc ce chemin et, pour contourner l'obstacle, nous passons d'abord derrière les ruines d'une petite maison, sise au bord de la route. Nous nous avançons ainsi vers l'inondation. Terrible! Des ruines crèvent de-ci de-là la surface du lac, ou encore des cadavres de chevaux, de vaches. Tout à coup, un cadavre d'homme, un pauvre petit chasseur belge. Il doit être là depuis la bataille de Dixmude, un petit blond, enfoncé dans la boue, son fusil sous le bras, la tête renversée en arrière, la barbe en pointe vers le ciel, un lorgnon aux yeux... Nous regagnons le chemin de halage et avançons encore un peu, vers la fameuse passerelle. La voilà à 100 mètres d'ici. Nous nous arrêtons et nous comprenons! Comprenez bien. Regardons la carte! Il y a donc l'Yser: sur la rive gauche, les deux cuves à pétrole, contre le chemin de halage où nous sommes, sur la rive droite, la Nacelle, indiqués sur la carte, mais à cet endroit, à 150 mètres, en amont des cuves, l'Yser fait un coude et par conséquent ce qui est au bord de l'eau sur la rive gauche se voit, d'où nous sommes en projection sur la rive droite. Or, il y a à gauche, partant des cuves et surplombant la rivière, deux grands tuyaux par où les péniches viennent embarquer le pétrole et ces deux tuyaux, vus en projection sur la rive droite, voilà la passerelle sur laquelle nous tirons comme des imbéciles. Plus loin, il y a une passerelle, là, en face du chemin de terre qui traverse sur la carte le dernier « e » de Oud-Stuyvekenskerke. Au moment où nous enre-gistrons cette observation, bzim! bzim! bzim! toute une collection de balles, qui viennent crever des mottes de terre autour de nous. A plat ventre d'abord, puis nous nous concertons. D'où viennent-elles? Pas moyen d'orienter ça! Mais indistinctivement, nous soupçonnons les cuves à pétrole et la terrible maison crénelée, à gauche des cuves, et la cuve bétonnée entre la maison et les cuves, où l'on voit la gueule noire des meurtrières, et nous décidons de traverser au galop le chemin de halage et de nous enfouir dans les tranchées abandonnées qui garnissent le talus dégringolant vers la rivière. Comme trois zèbres, nous filons. Bzim! Bzim! Bzim! et nous sommes dans nos trous, car ce ne sont pas des tranchées proprement dites, mais des trous pour tireurs individuels, séparés par des pleins. De Zaeydydt est dans un trou, Marteau dans un autre, moi dans un troisième, et nous sommes distants d'un mètre à un mètre cinquante. Un petit moment pour laisser calmer l'haleine et, de nouveau, conciliabule sans se voir. On décide alors la manœuvre suivante: comme il peut y avoir une vingtaine de trous chacun va bondir du sien, pivoter rapidement sur le ventre de manière à projeter les deux jambes dans le trou suivant et s'y glisser tout entier. Et en avant, au commandement: houp! Les Boches ont dû avoir un joli spectacle. Trois diables sortant de leur boîte, pirouettant sur l'abdomen et disparaissant dans la boîte suivante. Chaque fois du reste, c'était la salve: bzim! bzim! bzim! Lapins, mes frères, je connais maintenant vos états d'âme aux jours d'ouverture! A ce moment, je songe: « Et dire que je n'ai rien dit à l'aumônier, au brave petit père! » J'en ai un regret pénible, sans trop me rendre compte de ce que j'aurais pu lui dire. Nous arrivons ainsi aux derniers abris, le lieutenant me rejoint dans le mien et nous nous regardons: il rit comme un fou, moi je ne ris pas. J'appelle « Marteau!... Brigadier Marteau! » Pas de réponse. « Non d'un chien! Est-ce qu'il aurait été touché au dernier saut? Marteau!... » Une voix lointaine, souterraine répond: « Capitaine! » - « Tu es entier, mon garçon? » - « Oui, mon capitaine. » - « Bien joué! » Maintenant voici ce qu'on va faire. L'arbre en travers de la route est à cinquante mètres. Nous allons courrir jusque-là à toute vitesse, on le franchira, puis on se couchera derrière pour reprendre son souffle... Le lieutenant va partir. Aussitôt dit, De Zaeydydt file le premier. Les balles sifflent et claquent. Il arrive à l'arbre, s'empêtre dans les branches et roule par terre. Je le crois touché et je frémis. Il se relève, franchit l'arbre et disparaît. Je me dis: « Mon petit, tu es trop petit pour cette esalade. Dégringole plutôt de l'autre côté et contourne de nouveau l'arbre et la maison. - Marteau, je file, suis-moi.» Et je m'élance, Marteau me suit. Les balles pleuvent. Mais, zut! On n'était pas encore marqué pour cette fois-ci. - Bientôt nous étions aux tranchées françaises où les poilus nous accueillaient chaudement. « Ils n'avaient pas cru nous revoir jamais! » Savez-vous combien de temps avait duré le retour depuis la première balle jusqu'à la dernière? Une heure et vingt minutes... Ah! j'oublie encore de vous dire. Nous avons repéré sur la carte, au deuxième «e» de Kaesteelhoek, les lueurs d'une batterie boche. Elle aura son compte demain, celle-là! Le bifteck et le café s'amenaient; le petit capitaine se jeta dessus comme un loup qui aurait langui quinze jours dans la neige. Maintenant, il dort et j'écris ce joli souvenir de guerre, au coin du feu qui fume, car il pleut... il pleut... 6 décembre 1914. - Grande joie à la batterie. Le capitaine est décoré de l'ordre de Léopold « pour sa belle reconnaissance du 28 novembre 1914 sur l'Yser». l'Ironie du Destin
Par M. Sadsawska, garde civique, motocyliste au 1e de ligneNous occupons te secteur de Dixmude; nos tranchées sont creusées dans la grande route qui longe l'Yser et le régiment se terre au centre d'une vaste boucle en fer à cheval, tracée au gré de la rivière parmi les herbes des prairies. Le paysage est d'une morne tristesse. Au-delà d'une rangée d'arbres séculaires, ou plutôt de pauvres troncs pleurant leurs membres meurtris qui semblent monter la garde autour de nos abris, se profilent les ruines d'un pont de chemin de fer à demi immergé dans le cours d'eau, puis, sur le talus, entouré de poteaux télégraphiques brisés, tordus, de guirlandes de fils et de câbles enchevêtrés, gît une puissante locomotive renversée, les roues en l'air. La mélancolie du site ne trouble nullement notre âme; nous sommes pleins d'espoir, prêts à marcher vers l'assemblage de toits effondrés, de maisons éventrées, de murs branlants aux formes étranges qui forment Dixmude, l'ancienne cité flamande. Dans la brume des crépuscules, il nous semble quelaville tend vers nous ses bras mutilés et que le murmure du vent dans les ruines nous hèle: « Bon courage, venez. » Hélas! les quelques cents mètres de verdure que nos pensées, nos désirs franchissent allègrement, cachent en leurs replis les retranchements de l'ennemi, ses redoutes. Chaque nuit, les plus braves d'entre nous partent en patrouille et tâchent de reconnaître le moindre réseau de fis de fer barbelés, les embûches, les pièges toujours possibles. Ainsi se distinguait par son audace et son sans-froid le sergeant Renson, esprit aventureux, dont l'âge mûr n'excluait point les qualités d'un bon soldat, et qui dès les premiers jours de la guerre s'enrôla volontairement sous les drapeaux. Désireux de vérifier les renseignements apportés par une expédition précédente, renseignements qui par ces nuits d'encre auraient pu être l'effet d'une hallucination, il exprima le désir, la ferme volonté d'entreprendre seul, en plein jour, une reconnaissance vers les lignes ennemies. « Peu importe la mort, dit-il à ses chefs, j'ai toujours vécu à ma guise, aujourd'hui je me sens dispos, particulièrement décidé; je veux un résultat. Ne suis-je, ma foi, point libre de risquer ma peau et sont-ce mes quarante-deux ans qui susciteront des regrets? » Son insistance lui donna gain de cause. Par un terrier long et étroit, il accède maintenant à la berge de l'Yser où quelques planches forment un radeau, transport fort précieux la nuit, mais inutilisable le jour, car l'ennemi veille. Renson ne sait point nager; qu'importe pourcebrave, il traverse le courant accroché à un câble. Pour ses membres aguerris, c'est un vrai jeu d'enfant; déjà il aborde, se glisse dans un grand sac couvert de gazon et de fleurs et sous ce manteau de verdure, il rampe avec souplesse. En nos tranchées, l'émotion est intense, des yeux chacun le suit, point de créneau qui ne soit occupé; sous le soleil qui darde, des herbes mouvantes circulent à travers la prairie, avancent, reculent, tournent, s'arrêtent, paraissent ou disparaissent selon les ondulations du sol; de plus en plus, notre héros gagne du terrain: narquoisement il observe, semblant narguer la mort. Rien ne l'effraie, rien ne l'impressionne; tout à son aise, il se promène devant la ligne ennemie. Nos cœurs battent à tout rompre; chaque fois que siffle une balle, nous nous sentons angoissés; leâ minutes semblent éternelles. Enfin Renson fait volte-face, lentement, méthodiquement, il revient; quelques mètres encore, il sera sauf; le voici à la crête de la berge, il se laisse choir, repasse l'eau, se glisse dans le terrier et foule à nouveau nos tranchées, content, heureux, muni de pré- cieux renseignements. Et maintenant cet homme qui s'est joué de la mort, nous distribue en riant quelques fleurs des tranchées allemandes, Puis il regagne son abri, prépare un rapport, trace en détail l'itinéraire audacieux; voilà que le commandant l'interroge, il précise un endroit et pour mieux s'expliquer, ils s'approchent tous deux du créneau d'un boyau de combat; du doigt le sergent désigne dans le pré le point d'où l'ennemi surveille; quelques secondes encore, il se retire... Malédiction! Un sifflement cruel! Renson n'est plus: le crâne percé, il s'affale et le mur de terre se teint de son sang généreux. A Alveringhem, dans un paisible cimetière de campagne, sous une tombe fleurie surmontée d'une grande croix, gît l'adjudant Renson, chevalier de l'ordre de Léopold II, mort pour la Patrie. Une Patrouille
Par le capitaine commandant M... C...Tout rit, ce matin, aux avant-postes: le grand soleil radieux qui sature l'azur fait miroiter gaiement la nappe d'eau qui court, avec de petites vagues pailletées d'argent, jusqu'aux lignes ennemies. Les restes des toits rouges et des beaux pignons blancs ont pris un air de fête et se mirent, jolis, dans le lac qui les baigne, étonnés de se voir entourés de ces prairies mouvantes au lieu des prairies vertes où ils dormaient jadis. L'horizon a des teintes de pervenche et de lilas et des nuances rêveuses qui paraissent sourire au bleu profond du ciel. Pourtant le fond des choses est moins réjouissant que ce cadre charmant: les grands arbres violets qui sont beaux, là-bas, cachent des batteries qui tantôt vont vomir la mort autour de nous. Les joyeux pignons blancs ont de petits créneaux où sont pointés, méehants, fusils et mitrailleuses. Et sous les vagues d'or du grand lac verdâtre se cachent les cadavres et les moissons détruites qui pourissent dans l'eau. Malheur à qui voudrait s'aventurer dans les prés inondés! Il serait pris dans la vase, profonde et collante, dans les fils de fer à pointes, dans les canaux sans nombre qui sillonnent la contrée et se cachent traîtreusement sous les touffes de roseaux. Bientôt balles et shrapnells siffleraient à ses oreilles comme un avertissement avant-couceur de la mort. Au bord de l'inondation, deux soldats discutent, en examinant la grosse ferme qui émerge à six cents mètres au nord du poste. - J'te dis qu'y a plus personne dedans: y a plus rien dans les créneaux. - On n'sait jamais, avec ces bougres! - Yaqu'à aller voir. - Le sergent dit que le major il voudrait bien savoir ce qu'y a dans la ferme... - Eh bien donc! On y va? - Allons. Ils viennent trouver le lieutenant. - Mon lieutenant, c'est-y qu'on peut aller faire une patrouille à la ferme N..., rapport, à voir s'y a des Boches dedans? - Une patrouille? En bateau, alors? - Ça, on tirera son plan, mon lieutenant. Le lieutenant réfléchit, car lui aussi, la ferme l'intrigue, mais il est soucieux de la vie de ses hommes: - C'est trop dangereux, fait-il; et il s'éloigne. Mes deux hommes se regardent: - Il a pas dit non. - Non, il a dit: c'est dangereux. Ça, on le sait bien. - On va voir, hein? - On y va. Hs avisent une grande cuve qui traîne dans une cour, la vident, la mettent à l'eau, et, munis chacun de leur fusil et d'une perche, embarquent. Le premier enjambe le bord et assure son équilibre. Pouf le second, c'est plus délicat: la cuve oscille dans tous les sens d'une façon inquiétante.,. Enfin, ça y est. Ou démarre; une perche pousse sur la berge, l'autre garde le fond; la cuve se met en marche, lour- dement, gauchement, s'incline brusquement sur sa droite, se renverse sur sa gauche, et... fait une pirouette autour d'un invisible axe de rotation. Voilà ma patrouille à l'eau, et cette sacrée cuve, toute fière de son exploit, qui danse sur les vagues avec un petit air satisfait. Mes deux lapins se débattent, le fusil au-dessus de l'eau, atterrissent et se regardent en riant. Décidément, pas moyen de se mettre à deux là dedans: faudra trouver autre chose. On découvre un pétrin: c'est l'affaire. Le pétrin est lancé à côté da la cuve, chacun prend place, avec des gestes d'équilibriste, dans son embarcation, et voilà l'escadre en marche. Les deux navires ont des mouvements effrayants: la cuve, non contente de pencher, avec des soubresauts de chèvre, vers tous les points cardinaux, prend un malin plaisir à tourner sur elle-même, avec une telle vitesse qu'elle ne semble plus devoir s'arrêter. Le malheureux marin pique au hasard sa gaule dans la vase: l'esquif revêche se calme, fait mine de stopper, réfléchit un instant, puis repart dans l'autre sens, plus vite encore qu'avant, en un horrible mouvement giratoire. La perche s'enfonce plus loin: la cuve s'arrête net, plonge dans un remous et disparaît dans l'eau!... Un cri part de chez nous. Ah! la voilà qui remonte: ce n'était qu'une feinte! Et elle se remet en route, tournoyant de plus belle, toujours plus rétive et plus incohérente. Quant au pétrin, c'est encore plus affreux; j'ai le vertige rien qu'à le regarder: la perche du pilote sert à la fois de gaule, de rame et de balancier. Comme elle est absolument incapable de cumuler tant de fonctions, le pétrin a beau jeu; aussi il s'en donne à cœur joie. Il se débat avec de tels ressauts de tangage que chaque fois il paraît se retourner sur lui-même et plonger sous les vagues; et le mouvement s'accélère, toujours plus capricieux et plus désordonné, si bien que la malheureuse perche frappe l'eau en tous sens, éclabousse et barbote, fiévreuse, éperdue, si vite qu'on dirait l'aiguille folle d'une boussole déréglée. Son pauvre capitaine - qui est bien dans le pétrin! - chavire à tout bout de champ et ne s'arrête de brandir sa vertigineuse perche que pour vider l'eau de sa périssoire à l'aide d'une casserole. Pourtant, tous deux avancent, la cuve toujours tournant, le pétrin toujours tanguant, tous deux dansant une valse échevelée. La cuve, grâce à quelques vigou reux coups de gaule, a pris d'abord l'avance; le pétrin ne suit qu'avec peine; mais bientôt son pilote a trouvé le mouvement: à coups de rame énergiques, il regagne du terrain, rejoint son concurrent, qui paraît en détresse, et le dépasse, léger. Ils sont loin maintenant; nous suivons leurs mouvements en retenant nos souffles; à tout instant l'un des deux disparaît, semblant couler à pic. Enfin le pétrin, qui décidément est le plus fort, approche de la « côte ». Encore quelques coups de rame... c'est cela, il atterrit au bord de l'îlot vert. Quant à la cuve, elle bondit, et oscille et pirouette à faire frémir un démon. La voici qui échou sur une langue de boue: l'homme met pied... à l'eau, s'empêtre et se dépêtre, renfloue son appareil, mais c'est un drame que de se rembarquer là dedans en pleine mer! Il repart cependant, et sa traversée s'achève enfin sans.encombre. Nous respirons. Les deux patrouilleurs examinent le terrain, se consultent un instant, puis s'avancent vers la ferme mystérieuse: aucun indice de vie; mais nous tremblons pour eux, car on connaît la manière des Boches. En effet, ils sont arrivés à moins de cent mètres des bâtiments muets,quand les balles les accueillent, parties detrous invisibles. La ferme est occupée. Bon! le but de la patrouille est atteint, et nous nous attendons à vqir nos hommes revenir en rampant. Mais non: ils rampent, en effet, mais vers la tranchée allemande qui court à droite de la ferme, le long de la bande de terre. Ils ne prétendent pas avoir fait pour rien un si long voyage, et vont vérifier maintenant si la tranchée aussi est occupée. Ils approchent lentement, prudemment, levant parfois la tête pour voir si rien ne bouge; ils atteignent le parapet, s'y arrêtent un instant, l'enjambent et disparaissent dans le boyau. A côté de moi un homme murmure: - Faut être enragé!... Ping! Pang! Pétarade dans la tranchée! Cette fois les audacieux sont certainement touchés ou prisonniers... Mais non: comme deux diablotins, les voici qui surgissent, sautent pas-dessus le remblai et se mettent, à quatre pattes et ventre à terre, à courir avec une telle vélocité qu'on dirait deux lézards qui rampent dans les herbes. Seuls les fusils dépassent, avec de petits mouvements rapides de balanciers. Quant aux hommes, ils sont si bien aplatis et collés dans la vase qu'ils ont bientôt l'aspect de deux blocs de boue remuée par une main invisible. Parfois, après une salve, l'un d'eux reste étendu, inerte. Est-il touché?... Non, il fait le mort, car, au bout d'une minute, le voilà qui repart et se démène de plus belle. Après un bon quart d'heure de cette chasse émouvante, ils parviennent à l'eau. Ils attendent cinq minutes, puis, se relevant d'un bond, chacun empoigne son récipient, s'y installe dare dare, et les voilà en route, de nouveau valsant, tournant et chavirant sous une pluie de balles: vingt fois ils trompent la mort; enfin, suants, trempés, couverts de limon et de mousse, plus beaux que Neptune, ils accostent en riant, et vont rendre compte au lieutenant du résultat de l'expédition: - La ferme est occupée, et la tranchée aussi. - Je le vois bien morbleu! L'officier, partagé entre la colère et l'admiration, ne sait trop s'il doit réprimander ou louer. Il fait un peu les deux: et nos casse-cou, un peu honteux de l' « engueulade », mais contents de leur coup, vont laver leurs vêtements et se sécher au soleil qui sourit. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_26.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:02 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_27.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Marche à la Mort' Recueillis par le Baron C. Buffin La Marche à la Mort
par le docteur Duwez médecin au régiment des grenadiersLa situation ne s'améliore guère. Les Allemands tiennent les tranchées depuis Het Sas jusqu'à Steenstraete. Leurs attaques se font plus pressantes. Ce soir, les zouaves vont attaquer Lizerne. A ce moment, toutes nos batteries font rage. Il est 18 heures. Les 75 hurlent en rafales. Nos sept-cinq au au bruit d'enclume précipitent leurs coups dans l'air vibrant, par salves, avec un sifflement déchirant. Voici Pypegale aux maisons ruinées. Des estafettes anglaises dissimulées nous regardent passer. A gauche s'étend la plaine verte qui conduit aux grands arbres du Kemmelbeeck. Ils se dressent en futaies, les branches encore dénudées. Plus loin ce sont les haies, les jardinets et dans l'angle où la vallée est coupée par la route, au milieu des taillis verts, des poiriers couverts de fleurs, on voit les toits rouges du petit village de Zuydschoote et son église toute blanche, calcinée. Sur ces couverts, les gros obus allemands tombent sans discontinuer. Ils soulèvent de grosses volutes noires en boule, ou bien éclatant dans les maisons, ils lancent dans l'air en poussière rosé les tuiles pulvérisées. On entend les faîtages qui craquent, les murs qui s'écroulent, les pannes qui dégringolent. Au-dessus du chemin de colonne naissent les nuages blancs des petits shrapnells. Ils se profilent sur le ciel bleu. Le vent doucement les étire, les déforme et les porte vers nous. Plus loin l'horizon, petit à petit, se voile dans un brouillard fait de fumée, de plâtras et de poussière. Voici, sur la gauche, la ferme où s'amorce le che-tnin. Nous traversons la grange dévastée. Les balles commencent à siffler et claquent contre les murailles. Les fenêtres sont sans carreaux, les chambres remplies de débris et de paille pourrie. Un grenadier se traîne vers nous, les traits tirés, le front couvert de sueur froide. Sa culotte est collée à sa jambe par le sang, et sitôt qu'elle est coupée, la plaie apparaît large, avec un fondplus sombre formé par les muscles, et un long filet rouge qui coule. Puis arrive un zouave, petit, râblé, qui vient gaillardement en soutenant son bras. Il nous le montre et dit avec un accent marseillais: « Je crois que cette fois ils me l'ont cassé, les cochons! Ils m'ont eu tout de même. » II parle avec volubilité, fait des gestes viojents. Quand le pansement est fini, tout à coup, il se tait, pâlit et s'appuie contre la muraille. Nous, nous regardons devant nous, pour voir par où nous traverserons le barrage de feu. Chacun donne son avis. Les zouaves là-bas, à la file, le long des haies, se dirigent vers Zuydschoote. On voit la tache jaune que fait leur veston, le voile bleu qui couvre leur chéchia. Le fusil à la main, ils avancent prudemment, en se dissimulant, comme des Indiens, sur le sentier de la guerre. Au fur et à mesure que nous approchons du Kemmelbeek, les balles de plus en plus sifflent, claquent, piaulent. Voici les passerelles, la niche de la sentinelle, couverte de gazon, les grands arbres dénudés, les bras en l'air. Le long du taillis, dans les fossés, des grenadiers en capote sombre, écussons rouges au collet, sont couchés parmi les zouaves au costume clair. A notre droite, la ferme en ruines, dont il ne reste que des pans de murs, au ras du sol, cache ses briques dans les herbes. Ici la zone est tellement battue qu'il vaut mieux courir. Nous traversons la route pour arriver à la petite maison du garde. Elle abrite toute une grappe de soldats, affalés dans le jardin, à l'abri des murailles et parmi les plantes vertes et les touffes de jonquille; leurs uniformes se marquent en teintes vives, plus vives maintenant que le soleil descend à l'horizon. La petite maison est intacte et c'est miracle. Les hommes jacassent comme des pies. Ils racontent déjà des exploits dans le fracas de la bataille. Ceux qui sont contre les murs sont accroupis, pressés les uns contre les autres, le reste est à plat ventre. A l'intérieur, des blessés se sont réfugiés. Il y a là deux petites chambres bondées de monde. Les blessés sont étendus sur la paille. L'un d'eux, un grenadier, râle le long du mur, avec une balle dans la tête. Un zouave accroupi dans un coin serre-sou bras contre sa poitrine; il ne dit rien, le regard fixé devant lui. D'autres s'agitent et se plaignent. Le sol est jonché de pansements ensanglantés, deïambeaux d'uniformes souillés, de sacs, de fusils, de baïonnettes. Une main que l'on me tend a les doigts presque arrachés. Un petit caporal gouaille, laid, les cheveux noirs, la moustache en brosse, les yeux vifs; il montre une fesse dont la moitié a été emportée, disant: « Ah! là là, qu'est-ce que je vais faire maintenant, c'est que je ne peux plus m'asseoir. » Dans la salle à côté, il y a des blessés aussi, entassés. L'aumônier, dans un coin, donne l'absolution. Deux officiers attablés soupent en isant des ordres, tandis que de dessous leur table sortent les godillots ferrés d'un mourant. - Docteur, docteur, est-ce qu'on va me laisser ici? » De partout s'élèvent des plaintes. Tout le monde parle à la fois, en sabir, en argot, en flamand. - « Mon pansement perce, Monsieur le major, je perds tout mon sang. » II y a là un pauvre diable qui a la jambe presque emportée, un. autre plié en deux appuie son front contre la muraille. Un autre encore, qui a la tête entourée de bandeaux ensanglantés, raconte: « J'avançais le premier de la section, tout à coup je reçois un choc... » II fait de petits gestes précis avec sa main sèche. En voici toujours. Le soir tombe. Le rouge des blessures devient noir dans l'obscurité. Les regards semblent plus profonds. On allume une bougie et les ombres maintenant s'allongent, énormes sur les murailles. Un blessé, dans un coin, a cessé de souffrir. Ses yeux grands ouverts regarder fixement dans la salle. Par les fenêtres, on voit la lumière verte des shrapnells et la flamme rouge des brisants éclairer la nuit en brusques éclairs. Des tuiles dégringolent, des mottes de terre viennent s'écraser sur le toit. Une lourdeur étrange pèse sur les têtes. Est-ce la fatigue? Une torpeur? Non, c'est autre chose d'indéfinissable. Au dehors la grappe humaine est toujours là. A droite, on entend le tac tac régulier d'une mitrailleuse. Un zouave, tendant le poing, s'écrie: «Ah! les vaches! Mais on les aura tantôt, à la baïonnette. » Des obus passent en sifflant au-dessus de la maison. Ils vont éclater dans les taillis avec un bruit de huée. Puis c'est le sifflement plus lourd, saccadé des gros quinze. Ram... ram... ram... Ils éclatent. Ils viennent par trois à espaces réguliers. D'une minute à l'autre peut-être surgira la grande lueur, le déchirement final qui enverra dans la mort tout notre îlot humain. Nos tranchées de piemière ligne sont là-bas. Voilà le moulin de Lizerne. Le village à droite. Le sol est noir, une vague clarté lunaire éclaire la plaine, où l'on voit l'amas de briques qui rappelle le moulin. En octobre, nous l'avons vu dans sa gloire, les bras en croix. Au travers du nuage de poussière qui traîne sur le champ de bataille, éclairé par les clartés déchirantes des shrapnells, dans la lueur blafarde qui plane, il prend l'aspect d'un paysage de rêve. Voilà le point qu'il faut atteindre. Les yeux se fixent sur lui, hypnotisés. Là, c'est la crête désolée, le terrain maudit, où les entonnoirs se creusent à côté des entonnoirs. Les balles sifflent, les mottes de terre tombent avec un bruit sourd. Des éclats s'enfoncent en ronflant. En avant. Il faut passer. Au fur et à mesure que l'on progresse, la silhouette du but grandit. Il est là, on trébuche,on tombe, on se relève. Voilà la maison ruinée, la butte qui portait le moulin maintenant écroulé, un abri y est creusé. Je pousse la porte, une bouffée d'air chaud me prend à la gorge, la lumière m'éblouit ,et dans l'atmosphère lourde c'est à peine si l'on reconnaît les visages. Ils sont bien à vingt là dedans, des blessés qui attendent, des officiers à leur poste de combat. Mais nous, nous allons plus loin. Nous prenons à peine le temps de dire quelques mots: «Adieu, bonne chance. » On se serre la main. Combien de tous ceux-là ne reviendront plus! C'est la dernière étape. Il y a un boyau maintenant. Nous nous glissons le long de la maison, ombres noires dans la nuit. Le boyau est bouleversé, obstrué, démoli. Il faut grimper sur les tas de sable, enjamber, sauter, se laisser retomber dans les trous. C'est un dédale de pans de murs, de terre remuée, au-dessus duquel les grands arbres ébronchés dressent leur squelette noir. Les obus arrivent systématiquement de quart de minute en quart de minute. Entre chaque éclatement on court, on se presse. Le cœur bat. Les balles claquent. Mais on ne pense pas à la mort. Il faut arriver, avancer, c'est une course à l'abîme. Et cette odeur qui monte aux narines en même temps que l'odeur de la poudre devient plus forte et se précise. Mais voici l'Yperlée, la passerelle, un bond et nous sommes dans le chemin couvert. L'arbre qui se trouvait en cet endroit a éclaté. Ses branches noires se sont enchevêtrées en s'effondrant et l'on voit le blanc de son aubier aux arêtes énormes. A nos pieds, quatre zouaves. L'un d'eux accroupi, le fusil entre les jambes, la tête sur la poitrine, les autres couchés. Ils semblent dormir. Et cette odeur devient entêtante. Agréable d'abord, jasminée, elle arrive à être écœurante. C'est elle qui nous poursuit depuis longtemps déjà. Par places, elle est plus violente. Le cercle serre davantage les tempes. Les yeux brûlent et les larmes coulent sur les joues. Il y a dans l'air comme des gouttelettes qui se déposent. Voici la tranchée, la lune rend les ombres énormes. La lueur brusque des shrapnells déchire la nuit au-dessus de nos têtes. Les obus hurlent. Ils passent lourds, comme s'ils avançaient péniblement. Soudain des 75 précipitent leurs coups, ils s'arrêtent, puis reprennent rageurs. L'horizon s'éclaire de brusques lumières. Dans le lointain, on entend le « boum » étouffé des grosses pièces, le son de cloche des 380 qui se prolonge et se prolonge. La canonnade se ralentit, on croit qu'elle va cesser, mais après un moment de silence, une pièce recommence, puis une autre, puis toutes ensemble. Nos grenadiers sont là, couchés sur les parapets, accroupis dans la tranchée, grandes ombres noires sur les sacs plus gris. Ils tirent Les balles claquent sur les sacs, sur la terre, dans les arbres. Des ombres se glissent, des hommes courbés en deux, le fusil à la main. Sur la droite, une large clarté rouge gagne tout le ciel. Ypres brûle. Les ruines d'Ypres sont en flammes. Les balles chantent, piaulent. D'autres s'enfoncent dans la nuit bleutéeavecunbruit répercuté. Elles vont loin, et brusquement finissent dans le sol. Il en vient d'en face, de devant, de derrière. Une fusée descend du ciel, étoile verte éclairant la tranchée d'une clarté irréelle comme un sourire diabolique. Les sifflements reprennent. Des shrapnells éclatent avec leur lumière glauque, encore, toujours. L'heure est merveilleuse et terrible. La Flandre saigne par toutes ses veines. Mais qu'importe, les Allemands ne passent pas. http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_27.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:02 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_29.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'Une Garde à l'Yser' Recueillis par le Baron C. Buffin Une Garde à l'Yser Le Boyau de la Mort - 2 Juin 1915 par le caporal J. Libois du 12e régiment de ligne
Cette journée a été plus terrible que les combats de Dixmude. Je certifie que le caporal Libôis a fait un récit exact de la situation critique du boyau de la mort de la borne 16 de l'Yser.
Le sous-lieutenant Vuechs, du 12e de ligne
Extrait d'une lettre du 12-9-15L'offensive française d'Arras amena sur notre front une activité inaccoutumée. Notre régiment, revenu à l'ingrat secteur d'Oostkerke, connut pendant cette semaine des journées particulièrement pénibles, et des bataillons furent sérieusement éprouvés. Ce soir, notre compagnie fait la relève. Des sections désignées sont commandées pour les avant-postes. « Demain, nous dit le lieutenant Vuechs, nous occuperons une position sur la digue de l'Yser. Nos différents postes sont échelonnés le long d'un boyau creusé parlegénie, mais dans ce boyau, par suite des récentes attaques, se trouvent encore une trentaine de cadavres. Au fur et à mesure que nous rencontrerons les morts, nons les ramasserons et les placerons sur le parapet. Des brancardiers les évacueront ensuite. Encore un mot: le boyau pénètre dans les lignes allemandes qui sont de l'autre côté de l'Yser et se trouve donc sous le feu ennemi; il faudra se baisser, ramper même, quand le boyau manquera de profondeur. Beaucoup de prudence pendant le trajet. Voilà! Pour le reste, je compte sur vous. » Le lieutenant commandera la tête de sape, la tranchée numéro 1. C'est le poste le plus avancé: à trente mètres des Boches. J'en serai, ainsi que le sergent Deltenreetune dizaine d'hommes. Qu'adviendra-t-il? Du nouveau, sans doute, et l'on s'en réjouit. Tont doucement tombe le crépuscule d'été. Les soldats sont alignés, les lourds havresacs au dos, les besaces remplies de provisions pour deux jours. — « A droite, par quatre! Marche! » Et d'un pas tranquille, la compagnie défile en longue colonne à travers les prairies et les champs de féveroles suavement parfumées. Et l'on va fredonnant et chantant. A mi-chemin, halte et repos habituel. Les soldats couchés dans les champs, à la nuit tombante, forment un tableau qui ne manque pas de pittoresque. Les nuages empourprés de ce beau coucher de soleil des Flandres prennent peu à peu une nuance rosée. Devant nous, vers l'est, le clocher horriblement décapité de l'église d'Oostkerke se profile avec une étonnante netteté dans le grand disque rouge de la lune qui se lève. Et, dans le fond, jaillissent déjà de terre de mys- térieuses étoiles. Ce sont les brillantes et éphémères fusées ennemies. Le calme est absolu. Parfois un grillon répond à un grillon; un vent frais nous caresse et de-ci, de-là, dans les groupes, de mélancoliques refrains bercent l'âme et font rêver. Nos officiers semblent goûter cette poésie et prolongent le repos au delà du temps fixé. « Riez, chantez, songent-ils, soyez bien gais et bien joyeux; peut-être rapportera-t-on tantôt les restes, glorieux lambeaux, de quelque camarade qui est là, chantant. » Dans les plaines de l'Yser, il doit y avoir encore des places marquées pour beaucoup d'entre nous. Dieu sait si chacun tient à la vie et pourtant toute tristesse est bannie et, grâce à une force de caractère insoupçonnée, nulle part ne règne autant d'entrain et de franche gaîté que parmi les fantassins. — « Allons sac au dos. » Nous voilà repartis. Ce calme que nous quittons n'a été qu'une trêve. Le voici déchiré par les salves fracassantes des nôtres. On bombarde les lignes ennemies et c'est pour nous une joie profonde de voir là-bas, à droite, les lueurs pro- duites, parl'éclatementde nos obus.Nous entrons dans la zonedangereuse; l'obscurité est intense.On avance par pelotons, à la file indienne. Sur le fond éclairé presque constamment par les fusées lumineuses boches, se détachent des silhouettes qui se courbent, se baissent, se relèvent. Une vraie féerie! Nous atteignons nos tranchées. La relève se fait vite, sans stationnement. L'ennemi bombarde; mais son tir manque de précision. On aménage et on ré-fectionne les abris. Je fais une reconnaissance vers le boyau; j'en trouve l'entrée obstruée par l'évacuation des cadavres. Pénible besogne! Les brancardiers, rampant sur le dos, traînent par des cordes ces corps déjà en décomposition et qui n'arrivent au jour que déshabillés et écorchés. Des shrapnells éclatent tout près et nous collent contre le parapet. Et la nuit se passe sans autre incident qu'une visite du général de division. Au matin la veillée est terminée; les vigies placées, on nous accorde la permission de dormir. Toute la journée, nous restons emmurés dans nos tranchées de sac: des postes de Dixmude qui nous dominent, l'ennemi nous surveille et, au moindre signe de vie, il nous prouve sa vigilance. Par distraction, de temps à autre, il bombarde nos avant- postes. Le soir amène l'heure de la relève. On se ravitaille en café, cardans le boyau il « fait particulièrement soif »; on se charge de cartouches, de sacs de terre et de lourds boucliers, et, les havresacs laissés à la grand'garde.vers 23 heures commence la marche à travers le boyau de l'Yser, marche qui semble durer un siècle et que l'imagination de Dante n'a pas surpassée en horreur dans ses visions de l'enfer. Le boyau est étroit et longe le parapet de l'Yser. Son accès est difficile, pénible, et l'entrée se gagne dans de telles conditions qu'il est absolument inutile de songer à enlever à cette heure les morts qui l'obstruent. Pour y pénétrer,on doit imiter le serpent, le crapaud, la taupe. Les postes relevés, lors de notre croisement, se couchent à plat ven- tre dans le fond, tandis que nous rampons au-dessus d'eux. Personne ne dit mot. Des shrapnells éclatent, des balles sifflent continuellement et viennent s'aplatir sur le parapet. J'en vois qui labourent la terre à vingt centimètres à peine au-dessus de la tète de mes camarades et je crains que par ricochet elles ne bléssent l'un ou l'autre. Dans le boyau, on se sent serré comme dans un étau. Hâtivement, il faut tantôt avancer plies, les reins cassés, tantôt ramper, le ventre à terre, s'aidant des coudes et des genoux, laissant à l'abandon les boucliers qui encombrent et qui, en frottant les parois, résonnent bruyamment. Et devant les créneau, repérés par les tireurs d'élite postés de l'autre côté de l'Yser, il faut exécuter des bonds. Une sueur abondante ruisselle sur les visages. Dans l'ombre, tout à coup une masse sombre immobile, collée dans le fond du boyau. » Un génie peut-être? Dites, dites donc!... Et bien! approche donc! Allons! ré- ponds donc! » Le lieutenant secoue un bras qui retombe inerte. « En avant, au-dessus du cadavre. » Et frissonnant, haletant, on avance, les pieds foulent le mort, glissent sur la tête, enfoncent dans le ventre. Nous voici à la « maison démolie ». Le parapet ouvert par un obus peut trahir notre passage; il s'agit de ramper et de sauter en même temps... Horreur!... Je retombe la main sur le visage glacé d'un mort! L'artillerie allemande entre en jeu; la satanée batterie de Schoorbakke, qui prend toute la digue d'enfilade, nous bombarde. Ses obus arrivent en sifflant, éclatent dans un vacarme épouvantable, bouleversent la digue et nous arrosent de débris de mille espèces. Une seconde d'arrêt! A la lueur vive des fusées qui nous dominent, surgit un spectacle sinistre: les vivants grouillent au fond du boyau parmi des loques humaines en décomposition, des débris macabres, d'effrayantes épaves. Effroi, répulsion, dégoût, on doit cependant tout sur- monter. Il faut être surhumain: la sueur coule de nos visages sur les cadavres en putréfaction, pendant que nous rampons sur leur dos. Et au-dessus de nos têtes, les balles ne cessent de pleuvoir, les obus de siffler et les fusées de nous éclairer. Haletants, à bout de souffle, la langue pendante, les reins tellement douloureux que certains esquissent pour se relever un mouvement vite interrompu par le sifflement des balles, on avance. Un moment, nous perdons la file et craignons de dépasser le poste. Mon irère se met à la tête du groupe coupé et je ferme la marche. Heureusement nous rejoignons les camarades. A cet instant, nous atteignons une série de cadavres plus corrompus que les autres et que nous franchissons, notre figure frôiait la leur, nos genoux labourant leurs jambes, leur ventre. Et de cet amas se dégage une odeur fétide, infecte. Souvenir infernal! De nouveau nous nous heurtons à des corps humains. Cette fois, ce sont des vivants sur lesquels nous rampons. Enfin, nous voici à notre poste. Quel soulagement! La relève est faite. Personne n'est atteint. La consigne est siuiple; guetter et se défendre en cas d'attaque. Nous n'avons, pensons-nous, rien à craindre de l'artillerie, grâce à la proximité du premier poste allemand; il reste à nous garer des bombes et des grenades. Le service organisé, nous nous creusons de légers terriers qui éventuellement nous servirons d'abris. Le lieutenant me passe une bouteille et me charge de désinfecter un cadavre enterré dans la tranchée et dont, pafaît-il, une épaule est à découvert. Afin d'empêcher toute approche des Boches, nous tirons toute la nuit, sans nous découvrir, par-dessus le parapet. Vers 4 heures et demie, à l'aube naissante, je\ pars à la recherche du mort à désinfecter et, à quelques mètres, dans le commencement d'un second boyau, je trouve une masse informe couverte de linges. Est-ce le cadavre? Après hésitation, j'enlève l'espèce de chemise qui couvre les pieds: c'est un visage qui apparaît; sans aucune altération dans les traits, l'homme semble dormir. Je l'arrose de la liqueur du lieutenant et je recouvre doucement la figure. Le second cadavre, celui dont le lieutenant m'avait parlé, se trouve un peu plus loin; l'épaule, en effet, sort du parapet, on la recouvre de tenet Des brancardiers arrivent à 6 heures du matin pour enlever ces deux morts. Mais cette besogne est si dangereuse que le lieutenant la leur interdit. Ils évacuent les autres cadavres; tant mieux, cela rendra la sortie du boyau moins pénible. Au périscope, je surveille les tranchées allemandes, aussitôt l’instrument devient le pointdemire des balles. Que veut dire ceci? Les projectiles arrivent par derrière? Le lieutenant fait prévenir le sergent Denis qui est à l'avant-dernier poste... On nous rapporte que le sergent Denis vient d'être tué d'une balle à la tête. Au passage d'un créneau, on lui criait de se pencher, trop tard: une balle Tafoudroyé. Malheureux sergent! Hier soir, pendant que je rampais sur lui, il me disait: « A tantôt, au revoir » et je me demande, malgré moi, si le destin ne réalisera pas cet «au revoir». Il est tombé sur la poitrine du caporal G... sans dire un mot, en le fixant de tous ses yeux. Espérons que la compagnie n'aura pas à déplorer d'autre perte! J'observe au périscope et je tire par un créneau dans un créneau allemand. L'ennemi ne tarde pas à répondre et ses balles dum-dum démolissent notre créneau ou traversent les sacs supérieurs du parapet. De l'autre côté de l'Yser, dans la tranchée allemande, je distingue un périscope boche et je suis même tout ébahi d'apercevoir un buste de soldat au-dessus du parapet. Il n'y reste guère. Un sifflement lent et mou; c'est du nouveau, flou-ou-flou-ou-ou. Ce sont des grenades. Elles éclatent tantôt sur nos abris, tantôt au-delà. On en lance peu. Si lugubre que soit ce bruissement, il n'effraie pas. La journée est belle, ensoleillée. Dans le bleu du ciel, passent nos avions, poursuivis par les shrapnells impuissants des Boches. Notre artillerie tire près de nous et nous devons nous mettre à l'abri des éclats d'obus. Des amis, pendant? le trajet d'hier, ont perdu, l'un sa couverture, l'autre ses vivres. Ils sont séparés de nous par une traverse. Nous leur passons de quoi manger et échangeons des billets amusants. Le lieutenant, en guise de souvenir, fait signer chaque occupant du poste sur son carnet D'autres l'imitent. Et lentement, très lentement,'la journée s'écoule. Tout en veillant, nous causons avec le lieutenant de la guerre, de la paix, de nos occupations respectives. Nous nous communiquons nos sympathies, nous discutons nos goûts, tandis que là, à quelques mètres, des myriades de grosses buches bieues dansent ijne sarabande macabre autour du cadavre de notre pauvre camarade. La chaleur commence à devenir accablante; des bouffées d'air chaud et nauséabond nous montent aux narines et nous enlèvent toute envie de manger. Pour nous dédommager, le lieutenant promet un bon verre à chacun si tout le monde du poste 1 retourne indemne. Si nous ratons cette belle invitation, ce ne sera certainement pas notre faute. A 12 heures et demie, la vigie de la berge signale une ronde d'officier; nous sourions tous, croyant à une blague, lorsque, tout à coup, le colonel Rademakers, du 3e chasseurs, débouche au coin de notre tranchée. Stupeur générale! D'où vient-il? Sort-il du sol ou tombe-t-il des nues? Il est, en effet, absolument impossible qu'avec son embonpoint il soit parvenu à suivre le boyau sans se faire massacrer cinquante fois. Et cependant, il est là, bien vivant, sa figure sympathique dénotant une franche jovialité et une belle vaillance. Il regarde au périscope, se demandant si les Boches lui feront l'honneur d'une balle. Vraiment, c'est un « chic type ». Le soir est arrivé, le créneau repéré est changé de place et renforcé par un bouclier. La surveillance redouble. Vers 21 heures et demie, la fusillade devient violente. De nombreuses balles explosives éclatent sur le parapet et donnent l'impression que les Boches sont sur notre tranchée et tirent à bout portant, tant est violent le bruit sec des explosions. A notre poste, deux fusils ne marchent plus. Une attaque semble immi- nente. Nous mettons baïonnette au canon et tirons sans discontinuer. Un camarade exténué, épuisé, charge; assis, les fusils qu'un autre décharge... Il est minuit lorsque la relève arrive. Les consignes sont passées tout en tirant: « Surveillez la berge »; « attention à ce créneau»; «bonne garde»; «bonne chance». Le retour s'affectue non sans difficulté; mais s'opère cependant moins péniblement que l'arrivée. La plupart des morts sont évacués. Enfin, nous voilà sortis de cet enfer. Le poste est indemne. Des shrapnells éclatent non loin de nous et ici, aux tranchées de première ligne, où hier nous nous cachions et nous collions au parapet, nous nous croyons maintenant presque en sécurité! Nous voudrions faire halte en pleine zone dangereuse et reprendre un peu haleine, les*bffi-ciers nous exhortent à la prudence et nous quittons les tranchées. Au loin, nous apercevons les brancardiers qui transportent le corps du malheureux sergent Denis vers le cimetière de Lesenburg. Nous faisons repos sur la route, en arrière, et aussitôt chacun, communique ses impressions, narre de petits incidents ornés de détails pittoresques. En route! A 4 heures du matin, nous sommes rentrés au cantonnement. Il fait jour et depuis longtemps chantent les alouettes. Nous avons l'impression que tout ce qui nous entoura est nouveau, qu'il y a un siècle que nous n'avons vu ces paysages pourtant si familiers. Et nous éprouvons aussi une vive satisfaction, une joie profonde d'avoir accompli une tache difficile. Chacun est content de soi et voudrait pouvoir l'écrire à ses parents, à ses amis, à tous ceux qu'il aime et qu'il défend! http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_29.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_31.htm de la revue ‘Revue de la Presse', du No. 161, 15 novembre 1918 'La Belgique Héroïque et Vaillante' 'La Chapelle Sainte-Elisabeth' Recueillis par le Baron C. Buffin la reine Elizabeth dans les tranchées belges La Chapelle Sainte-Elisabeth
par Marcel Wiseur, greffier à la Cour militaire
La Panne, 26 août 1915
A l'admirable dévouement de M. Louis Gilmont.Tout le monde connaît l'œuvre admirable fondée par le docteur Depage; à La Panne: l'hôpital de l'Océan. A quelques kilomètres de la ligne de feu, il a créé de toutes pièces un établissement qui constitue le type le plus achevé du genre et qui rend quotidiennement, depuis plus d'une année, des services immenses. Depuis son origine, qui date de la fin de 1914, l'hôpital n'a fait que prendre de l'extension. A l'hôtel primitif, sont venus s'adjoindre des pavillons multiples, des départements nouveaux; les derniers progrès de la science et de l'hygiène y ont trouvé leurs applications et nous ne croyons pas qu'on puisse réaliser au front même une entreprise plus complète, et répondant aussi parfaitement aux besoins de la guerre. En rendant ici hommage à ceux qui mènent à bien cette œuvre d'utilité publique, nous ne faisons que donner un témoignage à la vérité et reconnaître aussi bien le mérite des promoteurs de l'œuvre que celui de tous ceux qui en constituent les collaborateurs dévoués, Médecins, infirmière;, nurses, ont droit plus qu'à la gratitude de l'armée et du peuple belges, ils méritent son admiration. Le dernier dimanche du mois d'août, nous avons assisté à l'achèvement d'une des nouvelles dépendances de ce vaste « tout » qui constitue l'hôpital de l'Océan; l'inauguration de la chapelle. A l'orée des dunes, la modeste église, surgie du sol comme par enchantement, regarde la mer et la campagne. C'est une bâtisse très simple, aux lignes architecturales primitives et que domine un petit clocheton trapu. Fallait-il davantage? Ce fut une fête, intime sans doute, mais combien empoignante de voir processionner, par cette claire matinée estivale, les fidèles que la clochette du couvent des Pauvres Claires de Nieuport appelait à l'office.Les trois nefs étaient combles. Dans le chœur, Sa Majesté la Reine, qui avait daigné rehausser la cérémonie de son auguste présence, avait pris place et, derrière Elle, se pressait la foule des blessés. L'autel miroitait du feu de toutes ses 'cires ardentes, l'encens fumait dans les encensoirs d'argent et là-bas, au jubé, les orgues chantaient la joie et le bonheur. Les bonnes saintes et les saints et les angelots joufflus n'en pouvaient croire ni leurs yeux ni leurs oreilles. Les pauvres, ils avaient bien cru mourir -dans l'écroulement de leurs églises bombardées et l'horreur infernale de la bataille qui rageait autour d'eux. Ils étaient arrivés un peu de partout; de Nieuport-la-Morte, de Caeskerke-la-Douloureuse, de Pervyse-la-Dévastée, de Ramscapelle-la-Solitaire... Un soir, ils s'étaiept rencontrés dans une maisen qu'ils ne conais-saient pas. Une lampe brûlait devant un tabernacle, il y avait là un banc de communion, un confessionnal, une chaire de vérité, et puis d'autres saints aussi étonnés qu'eux mêmes. Alors quoi, ils ne rêvaient pas? Leur cauchemar était fini? C'était une église, une vraie église comme leur église?... et elle était remplie de monde, on psalmodiait au lutrin... Tout cela leur paraissait plus beau que. le plus beau songe, et d'assister à cette fête, ils en oubliaient les angoisses et les cauchemars vécus. Le R. P. Hénusse, aumônier de la 84e batterie, avait accepté de prendre la parole au prône et ce fut au milieu du recueillement général qu'il prononça la splendide page d'éloquence sacrée qu'on va lire: « Madame, « Nous inaugurons une chapelle que le mouvement spontané de la reconnaissance a fait dédier à sainte Elisabeth. » Dans l'intention liturgique de cette dédicace, il s'agit bien de ce type admirable de femme royale que fut Elisabeth d'Anjou, l'héroïne de bonté, de douceur et de charité que l'église catholique a placée sur les autels et dont chacun connaît la gloire touchante; mais il y a encore autre chose dans cette dédicace et personne ne s'y est trompé, et, moins que personne, les Belges ne s'y tromperont; à nos yeux la bonne sainte du douzième siècle se dédouble et se réincarne au 'vingtième; de son auréole, quelques rayons se détachent qui viennent nimber un autre front; son nom se répète, mais avec un accent de vénération et de tendresse plus vives qu'il ne convient pour une reine étrangère entrée dans la mort depuis de longs siècles, et, bref, à nos yeux la chapelle de l'Océan a bien deux patronnes, celle qui trône là-haut dans la gloire, mais qui ne vit plus que dans le souvenir des générations chrétiennes, et celle qui règne sur les derniers sables de ce qui fut la Belgique, mais qui vit dans le cœur de tous. » Quand sera finie la longue épreuve de la guerre, cette humble chapelle en bois, que l'on voudra conserver à l'histoire, se revêtira d'un manteau de pierre, s'ornera de la splendeur des souvenirs rayonnant aux vitraux, éclatant dans' les fresques et, certes, alors on verra s'évoquer la douce figure d'Elisabeth d'Anjou, et le miracle des rosés et le miracle du lépreux - ce lépreux dégoûtant qu'elle coucha dans le lit du duc son époux, qu'elle soigna de ses mains royales et qui soudain se releva éblouissant de lumière en lui disant ce seul mot: «Elisabeth!...» et le lépreux c'était Jésus-Christ. » Mais à côté de ceux-là, les mères de Belgique exigeront d'autres vitraux et d'autres fresques; face à la Sainte et lui faisant un pendant harmonieux, elles voudront voir la Reine, la Reine qui d'abord, quand c'était la paix, aima leurs petits enfants, leurs pauvres petits enfants anémiés par la misère jusqu'à la tuberculose, qui, plus tard, quand ce fut la guerre, aima leurs grands enfants, leurs pauvres grands enfants, blessés, mutilés, ravagés par le combat; elles voudront la voir là, près de la Sainte, afin de pouvoir s'agenouiller devant Elle et lui dire, à genoux, l'ardente reconnaissance de leur cœur de mères; elles voudront la voir là, parce que c'est sa place, aux côtés de Celui qui a prononcé la parole surhumaine, créatrice de la charité: « Tout ce que vous aurez fait au plus humble des miens, c'est à moi, Dieu, que vous l'aurez fait», aux côtés du Christ qui interpellait si tendrement sainte Elisabeth et qui doit aujourd'hui redire pour une autre ce même nom très doux, avec l'accent d'infinie tendresse dont tous, Madame, nous le prononçons dans le silence respectueux et fervent de notre cœur. » Madame, » Mes chers Amis, » La grande âme royale qui a conçu le dessein d'établir un hôpital militaire à la côte, sur la lisière du champ de bataille, et les cœurs généreux qui l'ont aidée à réaliser ce dessein, ont rêvé de faire de -cet établissement une chose parfaite. » Ils y ont réussi, et l'ambulance de l'Océan excite l'admiration universelle. » Aujourd'hui, ils achèvent la perfection de leur grande œuvre humanitaire en ouvrant cette chapelle Sainte-Elisabeth. C'est qu'en effet, mes chers amis, la chapelle fait essentiellement partie d'un hôpital. D'une manière générale, la chapelle s'impose dans tous les lieux où l'homme souffre, puisqu'elle est le lieu où l'on prie. Or la souffrance possède ce mystérieux privilège de frapper fortement l'homme, de le faire réfléchir à la vie et se îeplier sur lui-même, de le faire beaucoup pleurer, se souvenir et rêver, et quand l'homme se livre à ce grand travail intérieur, il n'est pas éloigné de trouver Dieu, il est à la veille de prier. » Et la souffrance possède en plus le don précieux d'humilier l'homme, en lui faisant sentir le rien qu'il est et le peu qu'il vaut, et quand l'homme s'humilie, il n'est pas éloigné de sentir Dieu qui s'incline vers lui, il est à la veille de prier. » Et enfin la souffrance a pour effet de plonger l'homme dans une détresse profonde qui le rend malheureux et le force àpousserle gémissementsuprême: « A l'aide! Au secours!... » Et quand l'homme crie à l'aide du fond de ses entrailles, il n'est pas éloigné de percevoir en lui-même, comme réponse à son appel, l'écho de la parole infiniment douce qui plane sur la misère du monde depuis vingt siècles: « Venez à » moi, vous tous qui peinez et succombez sous le » fardeau, et moi je vous réconforterai. » C'est pourquoi l'instinct de l'homme qui souffre est d'entrer au temple. » Descendez la nef la plus sombre d'une église, aux heures où la foule n'y est pas conviée pour les exercices traditionnels du culte; qu'y verrez-vous? Des femmes,des hommes, des jeunes gens, qui prient avec, sur le front, dans les yeux, dans le geste, l'expérience de la douleur, de l'inquiétude, de la tristesse. » Demandez à vos mères, qui vous attendent là-bas dans l'angoisse, où ellesvont réfugier leur souffrance; elles vous répondront: « A l'église ». » Demandez où se réfugie, à l'heure actuelle, la grande souffrance delà patrie en deuil de sa liberté!... On vous répondra: « Dans'les églises où la présence » de Dieu leur assure le réconfort de voir encore flot-» ter le drapeau tricolore, d'entendre encore réson-» ner l'hymne de la nation, et d'y répondre par le cri » d'amour et d'espérance: « Vive le Roi! Vive la » Liberté! » Je vous dis que partout où l'on souffre, il faut une chapelle où abriter sa souffrance sous l'aile de Dieu! » Mais s'il est au monde un lieu de souffrance qui exige ce refuge sacré, c'est bien l'hôpital de guerre. Et pourquoi donc? A cause, mes chers amis, de la nature des souffrances qu'on y endure. » Quelle est votre souffrance? Pourquoi êtes-vou ici, blessés, malades,amputés d'un bras, d'une jambe, à tout jamais flétris dans la beauté de votre jeunesse? Pourquoi? Mais pour l'amour de vos frères! L'ennemi s'est présenté à la frontière, menaçant ce bien sacré qu'est la terre de la Patrie. Pour défendre-celte terre, occupée par sept millions d'hommes libres, deux cent mille d'entre eux se sont levés, ont saisi leur fusil et marché à l'envahisseur. Ces deux cent mille là se battent donc et peinent, et souffrent, et tombent, et meurent pour tous les autres, les femmes, les enfants, les vieillards - même les lâches qui n'ont point compris leur devoir - et leur souffrance est donc une souffrance d'immolation, de sacrifice, de dévouement, une souffrance d'amour... » Voyez-vous pourquoi il vous faut une chapeMe où vous puissiez venir trouver Celui qui a révélé au monde la beauté, le prix, la fécondité de cette souf' france, une chapelle où vous puissiez venir contempler longuement le crucifié,,l'homme de Nazareth qui s'en allait répétant: « Aimez-vous les uns les autres; » donnez votre vie les uns pour les autres; le grand » acte d'amour, c'est de donner sa vie pour ceux que » l'on aime », qui s'en allait le répétant jusqu'au jour où tout jeune encore, à trente-trois ans, en pleine jeunesse, pour joindre l'exemple à la doctrine, librement et courageusement, sous les yeux de sa mère navrée, il saisit sa croix, la traîna à travers la ville et la campagne jusqu'au Calvaire, s'y étendit, y agonisa trois heures sous le soleil et mourut pour ceux qu'il avait aimés. » II vous faut une chapelle pour .les heures mauvaises où tout à coup vous ne comprenez plus rien à votre souffrance et vous vous prenez à gémir intérieurement sur vous-même: «Pourquoi moi! Pourquoi » avoir perdu ce bras, cette main, ce beau membre » d'ouvrier qui faisait ma gloire de travailleur comme » il était mon gagne-pain? » Pourquoi ma vie coupée en deux par cette teirible » mutilation, ma jeunesse finie en son milieu, toute » mon existence condamnée à se traîner. Pourquoi? » Et de quelle utilité ce sang obscurément versé dans » la tranchée?... » Quand ces sombres pensées vous viennent et vous mettent dans l'âme une amertume d'agonie, il vous faut une chapelle où vous puissiez venir entendre la réponse divine à votre plainte humaine, de la bouche même de celui qui a révélé au monde la fécondité de la souffrance, le prix et la vertu du sang versé par amour. C'est ici qu'il vous redira et vous fera comprendre la mystérieuse parole qu'il adressait à ses disciples, trois jours avant de monter au Calvaire: « Si le grain de blé ne tombe en terre et » n'y meurt, il reste seul et ne produit rien; mais s'il » meurt, il germe, il donne l'épi, et les hommes ont » du pain. Ainsi en~sera-t-il du Fils de l'homme: » lorsqu'il aura été dressé entre ciel et terre, il attirera » tout à lui!» D'abord les disciples ne comprirent point, mais peu à peu, leurs yeux s'ouvrirent à cette lumière nouvelle et bientôt le monde connut la loi de vie qui sera une des plus belles vérités du christianisme: «Quand un juste meurt, de sa souffrance et » de sa mort il sort de merveilleux fruits de lumière, » de vérité, de justice, et la vie devient meilleure. » Courageusement, les martyrs donnent leur sang et, sur les tombes, leurs, frères répètent joyeusement le grand mot chrétien: sanguis martyrum semen Christianorum! Le sang des martyrs fait pousser des chrétiens. » Ici, mes chers amis, vous viendrez comprendre l'utilité sublime de vos blessures et de vos souffrances et que la tranchée n'est pas une tranchée, mais un sillon, et .que le sang que vous y avez versé est une semence, une semence qui donnera demain son beau fruit de bonheur et de liberté pour tous ceux que vous aimez. De votre sang, la patrie vivra! Venez-y donc souvent dans cette petite chapelle où le Christ vous attend; vous y êtes chez vous; il vous y attend comme ses frères, comme ceux qu'il aime le mieux, parce qu'ils lui ressemblent le plus; venez-y prier (votre prière est la plus puissante de celles qui se font aujourd'hui sur la terre, parce que c'est votre sang qui crie vers Dieu), venez prier pour tous ceux dont l'amour remplit votre cœur, pour votre vieille mère et pour vos petits enfants, et pour ceux qui vous attendent au foyer assombri; priez pour qu'ils gardent l'espérance et le courage. Venez prier pour vos frères d'armes, ceux qui continuent -à soutenir la grande lutte dans laquelle vous êtes tombés comme des braves; priez pour que Dieu les garde vaillants et forts. Venez prier pour ceux et celles qui se jdévouent ici même, si admirablement, à soulager vos maux ou à les guérir; priez afin qu'ils restent à la hauteur de leur tâche si pure d'abnégation et de charité. Venez prier pour la grande cause des Alliés qui est la cause du droit et de la justice, la cause même .de Dieu; priez afin qu'il la fasse bientôt triompher de façon éclatante. Venez prier pour la Patrie aimée, la noble martyre de l'honneur, priez pour qu'elle connaisse, comme le Christ, la grande réparation, la. suprême réhabilitation, et qu'après avoir été abaissée jusqu'à la mort, la mort de la croix, elle soit élevée par Dieu, qu'elle obtienne un nom au-dessus de tous les noms, que tout front devant elle dans l'Univers entier et que toute langue confesse que cette nation petite est vraiment grande entre toutes. Venez prier, venez prier souvent pour celui et pour celle qui représentent si magnifiquement la Patrie et l'incarnent à nos yeux, venez prier pour le Roi et pour la Reine... » Ainsi soit-il. » http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Belgique_Recits/Recits_31.htm
| |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| En Flandres Du 31 juillet au 10 octobre 1917 http://chtimiste.com/batailles1418/1917flandres.htm Au mois de juin 1917, l'État Major anglais prépare dans les Flandres une offensive de grande envergure. D'accord avec le maréchal Douglas Haig, le général Pétain décide que des divisions françaises y prendront part, à la gauche des Armées britanniques, en s'intercalant entre celles-ci et le front tenu par les troupes belges. Le général Anthoine, qui s'est distingué à Moronvilliers lors de l'offensive du printemps, est désigné pour diriger l'opération. Bien que placé sous les ordres du Généralissime anglais, il demeure maître des mesures d'exécution. Le terrainLe commandant de la 1e Armée dispose des 1e et 36e Corps renforcés de bataillons sénégalais et de fusiliers marins. Le 1e Corps d'Armée, composé en grande partie de «gars du Nord», brûle de combattre en ces Flandres belges, sueurs voisines des Flandres françaises, toujours souillé par le contact de l'ennemi. La guerre, dans ce plat pays, revêt un caractère spécial. Des nappes liquides peu profondes, simples flaques ou marécages, y alternent avec un sol spongieux, polder ou prairie aqueuse. La proximité de l'eau, que la pioche rencontre à quelques centimètres, interdit là tout creusement de tranchées ou de boyaux. Les travaux ne s'y exécutent qu'en superstructure. On ne peut se protéger -- très précairement -- à la surface qu'au moyen de parapets en sacs à terre ou de murettes basses. En dehors de quelques rares monticules, pas le moindre relief à l'horizon ; aucune élévation n'émerge du soi: ni hauteur, ni butte, ni mamelon ne rompent la [Général ANTHOINE, commandant de la 1ère armée] monotonie de ces étendues, où le ciel morose rejoint la plaine morne, souvent noyées d'une pluie en grisaille, enveloppées d'un linceul [Maréchal Douglas HAIG] de brouillard, où l'eau, la terre, le nuage se fondent en une masse indécise, sans forme et sans couleur. Secteur désolé dont le séjour engendre une mélancolie profonde. C'est dans cette région que la 1e Armée du général Anthoine se transportait au milieu de juin.L'attaque étant fixée pour la fin de juillet, il restait seulement quelques semaines pour la préparation : mais l'esprit organisateur du chef et l'ardeur à la tâche des troupes suppléeront à ce manque de temps. Aussitôt arrivées dans le secteur, nos divisions se mettent au travail avec une rapidité surprenante. Progressivement nos unités remplaçaient les troupes belges en secteur, et cette relève se terminait le 11 juillet sans avoir éveillé l'attention de l'ennemi. Le front choisi pour la première attaque française (d'autres devaient suivre en conformité du plan général britannique) s'étendait sur 8 kilomètres au nord de Bixschoote jusqu'à Bœsinghe. Au nord de ce secteur s'étendait un marais immense, infranchissable. Dans cette région noyée, couverte de hautes herbes, passait en remblai la chaussée empierrée de Reninghe Nordschoote. Entre Nordschoote et la Maison du Passeur, de glorieuse mémoire, une bande de terrain, en partie inondée, séparait les lignes adverses. A la Maison du Passeur, nous gardions sur la rive est du canal de l'Yser un poste relié à la berge opposée par une simple passerelle. De là jusqu'à Steenstraet, les lignes ennemies, éloignées de 2 à 300 mètres, étaient établies sur un terrain sec, mais à sous-sol humide. Enfin, de Steenstraet jusqu'à Bœsinghe, le canal de l'Yser nous séparait des Allemands.Des parapets en sacs à terre, protégés par-des défenses accessoires, bordaient l'une et l'autre rive. Au nord de l'écluse de HetSas, le canal présentait une nappe d'eau de 25 à 30 mètres de large, profonde de 2,50m aux berges encaissées. Au sud, l'eau s'étant retirée avait laissé place à un bourbier couvert d'herbes et coupé de roseaux, constituant un obstacle encore plus redoutable; seul un filet d'eau de 3 mètres coulait au creux du fossé. La préparationLa traversée de cette région difficile nécessitait des moyens de franchissement spéciaux. Pour le passage de l'infanterie, on fabriqua un grand nombre de passerelles sur liège, de passerelles en arc à lamelles de bois, et d'ingénieux tapis déroulables, constitués d'une toile grossière sur laquelle on clouait des planchettes de caillebotis, disposées transversalement. La mise bout à bout de ces éléments permettait de jeter rapidement une piste praticable au milieu des bourbiers. Enfin, le service du génie s'approvisionnait en éléments de ponts sur pilotis et de ponts sur palées-semelles pour le passage des poids lourds. Une des difficultés de la préparation consistait dans l'absence totale d'observatoires naturels permettant de régler les tirs de destruction. On y suppléa, d'une part, au moyen d'une aviation fortement constituée et qui, pleinement maîtresse de l'air, sut garder sa supériorité sur l'ennemi ;d'autre part, en établissant des observatoires artificiels d'artillerie. Deux furent dressés à 2 kilomètres seulement en arrière de nos lignes, et ingénieusement camouflés en arbres ; l'un atteignait une hauteur de 27 mètres, l'autre de 24 mètres. Enfin, on organisa soigneusement le S. R. O. T. (Service de repérage par observatoires terrestres) fonctionnant par l'examen des lueurs des batteries ennemies, et le S. R. S. (Service de renseignements par le son) qui exigeait des outils délicats et un personnel de techniciens; le S. R. A. (Service de renseignements de l'artillerie) centralisait et recoupait les données fournies par les deux autres. L'attaque avait été dotée d'une artillerie très puissante et largement pourvue de munitions. En effet, si les parapets en sacs à terre ne donnaient qu'une protection fragile, l'ennemi avait jalonné ses positions d'abris imperméables en béton armé énormes blocs géométriques, aux parois formées de rails noyés dans une grande épaisseur de ciment, et constituant chacun une petite forteresse. Si le relief de ces blockhaus permettait de les repérer, leurs créneaux largement ouverts au ras du sol bénéficiaient de champs de tir considérables et dépourvus de tout angle mort. La destruction de ces centres de résistance d'un nouveau genre ne pouvait s'obtenir que par des coups directs des plus gros projectiles. L'attaque devait être menée par deux divisions du 1e Corps d'Armée, les1e et 51e, pendant que les 2e et 162e divisions demeureraient en réserve d'Armée. L’attaqueLe 15 juillet, la préparation d'artillerie (27e, 33e, 215e, 265e régiments d’artillerie) commence par, des tirs de réglage et de contrebatterie. L'ennemi réagit assez violemment, surtout la nuit. Malheureusement, dès le 17 juillet, le temps brumeux rend la visibilité presque nulle, la pluie aveugle nos observateurs et contrarie notre aviation. Le 21, le ciel redevenu beau et clair, le réglages reprennent avec activité. L'ennemi riposte par des tirs de nuit à obus toxiques. [YPRES : 1917]
Le 23 juillet, l'artillerie de tranchée et l’artillerie lourde commencent leurs tirs de destruction des premières positions allemandes complètement démolies surgissent des Allemands terrorisés, qui se jettent dans nos lignes et se rendent. Le 25 juillet, des reconnaissances exécutée sur la rive est du canal par nos groupes francs rendent compte que l'ennemi a abandonné sa première ligne. Cette constatation décide le Commandement à préparer le passage du canal en s'assurant une tête de pont préalablement à l'attaque. Dans la nuit du 27 au 28, sous la protection d'un violent tir de barrage et d'un encagement des deuxièmes positions ennemies par l'artillerie lourde, des éléments de la 1e division d'infanterie franchissent au sud de Het-Sas la région bourbeuse au moyen de passerelles et de tapis déroulables. Ils s'installent sur la berge opposée, où ils organisent une ligne de postes: celle-ci, faute d'une parallèle de départ impossible à creuser, allait constituer un tremplin et un point de départ pour l'attaque. La nuit suivante, la 51e division d'infanterie opère de même et prend pied solidement sur la rive opposée. Ces têtes de pont ne furent qu'à peine disputées par. l'ennemi. En effet, des reconnaissances poussées dans la nuit du 30 juillet jusqu'à la deuxième ligne allemande trouvent celle-ci inoccupée. Le jour J a été fixé au 31 juillet.La nuit précédente, relativement calme, a permis d'exécuter sans incident les dispositions préparatoires :lancement de passerelles, passage du canal, mise en place des troupes. Un brouillard assez dense favorise l'opération. A 4h26, les 1e et 51e divisions d'infanterie s'élancent pour le premier bond et progressent à l'abri du feu roulant, trouvant le terrain presque libre. L'ennemi réagit faiblement par un tir de barrage médiocre. Nos troupes ne rencontrent d'obstacle que dans le terrain crevé de trous innombrables ou l'eau souterraine commence à sourdre, et qui, promptement, se transforment en mares communicantes et en un bourbier sans fin. A 5h25, on annonce que l'objectif du premier bond est atteint avec des pertes légères et que la liaison a été établie avec les Anglais à droite. Successivement, à 7h20, puis à 9 heures, les divisions signalent que les objectifs des deuxième et troisième bonds sont atteints : mais, au point de soudure des Britanniques et des Français, l'ennemi tient toujours la ferme du Colonel, centre de résistance fortement organisé avec abris bétonnés. Cependant la progression continue; nos troupes enlèvent la tranchée du Coquelicot, le fortin de Bixschoote, et poussent sur le moulin Bleu. A 11h10, le général commandant le Corps d'Armée envoie les Sénégalais et les fusiliers marins à la disposition de la 51e division, pour nettoyer la presqu'île de Poësele. Bientôt, le 33e régiment d'infanterie annonce qu'il occupe les lisières nord et est de Bixschoote. Cependant l'attaque se stabilise ; les troupes s'organisent sur les positions conquises. Les Anglais, de leur côté, ont atteint tous leurs objectifs, même la ferme du Colonel qui tombe entre nos mains à 15 heures. En fin d'après-midi seulement, l'artillerie ennemie réagit avec violence. En résumé, la journée du 31 juillet s'achève dans un brillant succès. Grâce à la préparation très complète de l'artillerie, en dépit des difficultés considérables du terrain, grâce a l'élan magnifique des troupes, non seulement tous les objectifs fixés ont été atteints, conformément à l'horaire du plan d'engagement, mais encore nos lignes ont été portées au delà des points prévus. Nos pertes ne dépassent pas un millier d'hommes. Le secret de l'attaque a été si bien gardé que les Allemands s'imaginaient toujours avoir en face d'eux les troupes belges de secteur et ne furent pas peu surpris de voir surgir devant eux nos lignes bleu horizon. La nuit suivante fut assez calme, ainsi que la journée du 1e août ; mais le temps devint affreux; la pluie tombait à flots, faisant de ce terrain un vaste lac de boue. Nous occupions néanmoins la ferme des Lanciers. Le 2 août, l'artillerie ennemie recommence à réagir violemment, et contrarie le travail d'établissement des ponts sur le canal et des pistes dans le marécage, travail déjà rendu très difficile en raison du terrain défoncé par les obus et liquéfié par la pluie. Le 4 août, malgré un harcèlement ininterrompu par l'artillerie allemande: la partie sud-est de la tranchée de Korteker tombe entre nos mains. A partir du 10 août, nos observateurs ont pu repérer les nouvelles positions des batteries ennemies. Notre artillerie reprend aussitôt son travail et nos pertes en sont d'autant diminuées. Le 11 août, la préparation recommence et se poursuit les jours suivants en vue d'une nouvelle attaque. Celle-ci, menée var les 162e et 2e divisions d'infanterie, se déclenche le 16 août, à 4h45.La 162e division atteint d'un seul bond son premier objectif, puis son deuxième sans coup férir. Seul, le 127e régiment rencontre une certaine résistance devant deux points qui nécessitent une nouvelle préparation d'artillerie. L'un d'eux cède dans la matinée ; mais l'autre, résistera jusqu'au lendemain. Cependant les fusiliers marins enlèvent successivement leurs objectifs dans la presqu'île de Poësele et poussent jusqu'à Drie Gratchen, faisant de nombreux prisonniers. Une contre attaque ennemie, qui tente de déboucher de Merckhem, est rejetée dans les marais. Nos marins s'organisent sur les positions conquises, après avoir coupé les passerelles qui enjambent le Martjewaert. La 2e division d'infanterie éprouve plus de difficultés.A droite, le 8e régiment franchit le Steenbeck, mais se trouve bientôt arrêté par des mitrailleuses, installées dans les fermes de Brienne, Champaubert et Mondovi. La préparation d'artillerie reprend sur ces points qui tombent bientôt entre nos mains, sauf Mondovi. Les 208e et 110e régiments d'infanterie enlèvent de leur côté leur premier objectif, mais se heurtent ensuite à des centres de résistance intacts. Le Commandement décide de renouveler l'attaque le lendemain pour permettre a nos batteries de reprendre leur travail de destruction. Le 17 août, à 12h15, l'attaque d'infanterie repart; à 13 heures, elle atteint tous ses objectifs.Seul, Mondovi tient encore avec des mitrailleuses sous béton et nécessite une préparation d'artillerie à courte distance. Mais, dans la soirée, cette dernière résistance s'écroule. Pour ces deux journées, nos pertes ne dépassent pas 350 hommes hors de combat. L'ennemi a laissé entre nos mains 6 officiers, 417 hommes, 15 canons de 77 et de 105, 5 lance-bombes, 13 mitrailleuses lourdes, 6 mitrailleuses légères, de nombreux dépôts de munitions et une grande quantité de matériel. Les opérations des 16 et 17 août nous portaient sur une ligne générale : Grande-Éclusette, Drie Grachten, limite ouest des inondations du Martjewaert, ferme Carnot, fermes Mondovi et Champaubert, liaison avec le 14° Corps britannique. Cette avance de l'Armée française, au pivot du mouvement général, était complétée par la progression des troupes britanniques qui, les 20 et 26 septembre et le 4 octobre, venaient occuper la ligne des hauteurs entre Bacelaere et Poelcapelle. Ce brillant succès permettait une reprise de l'action collective.Tel fut le but des opérations concertées le 9 octobre, pour lesquelles, en ce qui concernait les troupes françaises, le 36e Corps recevait du Commandant de la 1e Armée la mission suivante : Continuant à tenir la ligne du Martjewaert et de Saint-Jansbeek, et agissant en liaison à droite avec le 14e Corps britannique, le 36e Corps s'emparera du plateau de Mangelaere; il s'organisera défensivement sur la position conquise et préparera le débouché ultérieur de la 133e division, au nord de Corvebeck, en protégeant ce mouvement contre toute attaque pouvant surgir de la forêt d'Houthulst. L'attaque sera menée par la 2e division renforcée par un régiment de la 51e. La vitesse de marche de l'infanterie et les modalités du barrage étaient réglées ainsi L'infanterie, partant à l'heure H, sera précédée par un barrage roulant se déplaçant à l'allure de 100 mètres toutes les six minutes, jusqu'au delà du premier objectif. Pour le deuxième bond, le barrage reprendra à l'heure H + 1h45 et réduira sa vitesse à 10 kilomètres pour huit minutes. Le dispositif est pris dans la nuit du 9 au 10 octobre, malgré un temps des plus défavorables. Au dire des prisonniers allemands, l'attaque s'est déclenchée avec une telle soudaineté que l'ennemi a été complètement surpris et qu'en maints endroits les mitrailleuses n'ont pas pu être mises en action. Les vagues d'assaut s'élancent à 5h20. Le 110e régiment effectue sans difficultés le passage du Steenbeck; ses bataillons de première ligne progressent sans incidents ; à 8h55 tous les objectifs assignés étaient atteints et leur organisation en centres de résistance immédiatement commencée. Mais l'ennemi déclenche deux contre attaques successives, à 10h30 et 13h30, qui lui permettent de reprendre deux points d'appui. Une nouvelle attaque est, aussitôt montée de notre côté : dans la soirée et dans la nuit, elle réussit à s'emparer définitivement des ouvrages contestés. Au 208e régiment, la traversée du Broenbeck s'opère aisément à droite, mais rencontre à gauche des difficultés qui occasionnent un peu de retard, par suite de l'étendue de la zone marécageuse Toute la ligne a pu cependant serrer à temps sur le barrage et atteindre à l'heure fixée le premier objectif. Au deuxième bond, l'attaque éprouve quelque résistance au sud-ouest de Mangelaere, devant un réseau non détruit et devant la ferme organisée Houchard; mais dans la soirée tous nos objectifs sont atteints. Le 8e régiment, de son côté, éprouvait des difficultés à franchir le Broenbeck, par suite de la largeur du cours d'eau et de ses abords marécageux : mais il atteignait son troisième objectif à 10h15 et repoussait dans la journée quelques contre-attaques locales. En résumé, d'un seul élan, et en se conformant presque rigoureusement à l'horaire fixé par le plan d'engagement, la 2 division, animée d'un magnifique esprit offensif, remportait un très brillant succès. Le communiqué du 10 octobre 1917 résumait ainsi cette opération de l'Armée française des Flandres: Après avoir franchi le ruisseau marécageux du Broenbeck, nos troupes ont enlevé avec un entrain admirable, sur un front de 2,5km ; les défenses accumulées par l'ennemi, en dépit des difficultés du terrain et des mauvaises conditions atmosphériques. Les villages de Saint-Jean, Mangelaere et Veldhoek, ainsi que de nombreuses fermes organisées en blockhaus, sont tombés en notre pouvoir. Notre avance, qui a atteint une profondeur moyenne de 2 kilomètres, nous a amené jusqu'aux lisières sud de la forêt d'Houthulst. En même temps que la valeur de notre Commandement, la troisième offensive de l'Armée française,des Flandres avait prouvé l'élan, l'énergie et la bravoure de nos troupes. Comme au 31 juillet et au 16 août, ce brillant succès, dû à la sage méthode des objectifs limités, était remporté avec un minimum de pertes. http://chtimiste.com/batailles1418/1917flandres.htm | |
| | | L'auteur de ce message est actuellement banni du forum - Voir le message | milguerres
Nombre de messages : 1257 Date d'inscription : 13/01/2014
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre Lun Jan 20 2014, 00:03 | |
| HOMMAGE AUX POILUS DE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE TOMBES SUR LE FRONT DE L’YSER ET INHUMES A LA NECROPOLE DE CHASTRE
LE COMBAT DE MARIALOOP
L’offensive finale en Flandres http://users.skynet.be/chercha/HOMMAGE.htm Le 28 septembre 1918, les troupes alliées entamèrent l’offensive fi nale en Flandres qui devait mettre fi n à la première guerre mondiale. Pourtant, personne ne pouvait prédire l’issue de cette offensive qui s’annonçait sanglante. Certains étaient persuadés que la guerre ne se terminerait seulement qu’en 1919 ou 1920... Les sept semaines entre le début de cette offensive et le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1918, furent cruciales pour la Paix en Europe et dans le Monde… La ligne de front située en Flandres Occidentale coupait la province. Pendant quatreans, cette ligne n’avait guère bougée. De ce fait, les troupes allemandes ont largement eu le temps d’établir une barrière de défense afi n d’éviter une soudaine percée des troupes alliées. Les troupes belges, françaises et britanniques rassemblèrent leurs forces pour entamer la lutte fi nale. Albert 1er, roi des Belges, et le général français Degoutte prirent la tête du « groupement Armée des Flandres » composé de soldats français et belges. L’offensive fi nale se déroula en trois phases cruciales. Durant la première (du 28 septembre au 13 octobre 1918), les troupes franco-belges ont conquis les différentes barrières de défenses situées derrière la ligne de front mise en places par les troupes allemandes. La deuxième phase eu lieu du 14 au 31 octobre 1918. Durant celle-ci, les troupes allemandes se regroupèrent pour livrer une lutte sans merci. Contrairement à la première phase, les combats eurent lieu dans des zones peuplées. Des centaines d’habitants, hommes, femmes et enfants y trouvèrent la mort. Les combats tragiques et violents de cette phase se déroulèrent, entres autres, dans le village de Meulebeke et dans les prairies de Marialoop et des Paanders entourant le village. Durant 48 heures (le 17 et 18 octobre), les combats font rages dans et autour du village. De nombreux soldats français, allemands mais aussi des tirailleurs sénégalais tombèrent au champ d’honneur ou furent gravement blessés. De nombreux habitants de ce village et des alentours connurent également le même sort… Finalement, dans la dernière phase, après une lutte sans précédent, les Alliés atteignirent l’Escaut, endroit stratégique, où les Allemands tentèrent, dans une dernière tentative, de résister aux assauts des troupes alliées. Le rôle tirailleurs sénégalais durant l’offensive finale. Le 17 octobre 1918, les français délivrèrent le centre de Meulebeke des troupes allemandes. Au sud, près des Paanders, échouèrent des régiments belges de carabiniers. Ces troupes, après des journées entières de combats étaient affaiblies et épuisées. Durant cette nuit du 17 octobre, ces troupes furent relayées. Le 132ème bataillon français fit halte au nord (en direction de Marialoop), le 164ème bataillon français, lui, se trouvait au sud de Meulebeke (les Paanders). Ces deux bataillons étaient appuyés par, respectivement, le 75ème, 45ième et 43ème bataillon de tirailleurs Sénagalais (BTS). Ceux-ci ont reçu ordre de percer vers la Lys (Leie), cours d’eau situé à une dizaine de kilomètres du village et pour lequel les Allemands batailleront ferme. Le 18 octobre 1918, les Français avec l’appui des tirailleurs sénégalais attaquèrent les Allemands. Ce n’est que le lendemain, aux aurores du 19 octobre, que les troupes allemandes reculèrent pour laisser place à l’avancée des troupes alliées vers la Lys (Leie), étape vers la conquête de l’Escaut. La nouvelle de cette victoire des troupes françaises, composées d’Arabes, de Maures et de Sénégalais, fit grandir l’espoir au sein de la population locale. Les exploits de ces troupes coloniales restèrent gravés dans la mémoire des habitants. Même les chroniques allemandes font références à cet épisode de la première guerre mondiale. Après ce succès, les tirailleurs continuèrent l’offensive avec succès mais pas sans faire quelques victimes au sein des différents bataillons. Le combat de Marialoop est repris dans les fiches que l’administration militaire a établies par victime. Nous y retrouvons, les noms, dates et lieux de naissances – quelque part dans l’Afrique profonde – des tirailleurs sénégalais tués. Le combat de Marialoop fut apparemment assez important que pour être repris comme fait de guerre. Le cimetière “oublié” de Machelen-aan-de-Leie comptait 766 militaires français identifiés. 64 d’entres eux sont des tirailleurs sénégalais, tous originaires de l’AOF (L’Afrique occidentale française). Ces soldats moururent en héros durant la deuxième phase de l’offensive finale. http://users.skynet.be/chercha/HOMMAGE.htm | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: La Belgique et la Grande Guerre | |
| |
| | | | La Belgique et la Grande Guerre | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|