ET SI ON FABRIQUAIT UNE CARTOUCHE IGNIFUGEE ?
Quelques réflexions. Nous savons maintenant fabriquer une cartouche pour le fusil Chassepot qui donne de bons résultats pour peu que l’on prenne la précaution de brosser régulièrement l’intérieur de la chambre afin d’éliminer les résidus de combustion. Nous ne pouvons cependant renoncer à nous poser quelques questions.
Est-il possible que nos vaillants soldats de ce conflit de 1870 se soient vus dotés d’un fusil nécessitant un nettoyage aussi fréquent ? Un fusil présentant de tels inconvénients aurait-il réellement été adopté aussi rapidement ? Evidemment, la réponse est non...
Nos anciens ne subissaient donc pas un encrassement aussi important de leur arme, sinon le procédé aurait été purement et simplement rejeté. Il se produisait certes un encrassement de l’arme et de son mécanisme du fait même de l’utilisation de la poudre noire, mais cet encrassement devait être jugé acceptable à cette époque. Le fusil Chassepot présentait donc plus d’avantages que d’inconvénients s’il était comparé aux armes se chargeant par la bouche du canon. Plus nous réfléchissons sur ces problèmes, plus nous constatons à chaque fois que quelque chose nous échappe.
Existe-t-il un moyen pour éviter un nettoyage moins fréquent et pourquoi la cartouche d’époque encrassait-elle moins la chambre ? Là est la question...
La cartouche d’époque est-elle réellement une cartouche combustible ? Prenons le temps de bien observer une cartouche militaire d’origine et réfléchissons à la fonction que peut avoir chacun de ses composants. Ne nous y trompons pas, l’assemblage si compliqué à nos yeux avait sa raison d’être, ce n’était pas pour faire joli !
Cette cartouche que nous appelons « combustible » est-elle fabriquée avec des composants destinés à favoriser sa combustion ? Je ne le pense pas, d’autant plus qu’à cette époque, l’assemblage de tous les composants (amorce, poudre et projectile) dans un même étui, était encore jugé dangereux par certains spécialistes de l’armement.
Une amélioration (source ADF) de cette cartouche a même été proposée par Monsieur Boursier afin de donner plus de solidité à la cartouche, la préserver de l’humidité et favoriser le tir continu tout en diminuant le risque d’enclouage. Lors des essais, cette cartouche produisait également moins d’encrassement que la cartouche réglementaire. La cartouche de Monsieur Boursier comportait un étui verni à la gomme laque...
Le papier de l’étui. D’entrée, et ceci va à l’encontre des idées reçues, je pense que l’on peut exclure pour la confection de l’étui à poudre, l’utilisation d’un papier nitré ou facilement inflammable (attention, je ne dis pas que cela était irréalisable !). Le papier était donc solide et de qualité courante. Exposé à une flamme, il brûlait normalement en produisant une cendre comportant des parties imbrûlées de surface variable.
Il y avait donc une combustion partielle du papier de l’étui au bref contact de la flamme produite par la déflagration de la charge de poudre et inévitablement une production de cendre dans la chambre même de l’arme.
La gaze de soie. Quel pouvait bien être le rôle du carré de gaze de soie entourant l’étui en papier ?
En étudiant les propriétés de la soie naturelle, nous constatons qu’il s’agit d’un fil très solide qui ne brûle que s’il est exposé directement dans la flamme et dont la combustion s’arrête dès que l’on retire cette flamme. La soie chargée quant à elle ne brûle pas du tout, elle rougit. Immédiatement nous nous posons une nouvelle question : que vient faire une matière qui brûle difficilement dans une cartouche réputée pour être combustible ?
A mon avis, la gaze de soie enroulée autour de l’étui en papier devait avoir trois fonctions essentielles :
- Grâce aux propriétés du fil de soie naturelle, la solidité de l’étui de papier était renforcée. Serré dans cette enveloppe de gaze, l’étui risquait moins de se casser ou de se déchirer à la suite de déformations provoquées par les manipulations. En outre, si le papier venait à se rompre lors de la fermeture brutale de la culasse sur une chambre encrassée, la poudre restait emprisonnée dans la gaze de soie au lieu de se répandre dans la chambre.
- Lors du tir, une enveloppe pratiquement incombustible isolait les parois de la chambre du contact direct avec le papier de l’étui.
- Les résidus de combustion de l’étui en papier, maintenus à l’intérieur de l’enveloppe de gaze ne viennent pas souiller les parois de la chambre et sont plus facilement et plus complètement expulsés hors de l’arme sous l’action des gaz en provenance de la chambre ardente.
(le rôle de la chambre ardente étant de provoquer le reflux des gaz de la face avant de la tête de la culasse mobile vers l’avant de la chambre et l’âme du canon, la charge de poudre de la cartouche doit être suffisamment importante pour obtenir un bon résultat). Une cartouche militaire plutôt difficilement combustible. En renonçant au principe de la cartouche combustible, nous employons des matériaux ne brûlant que difficilement et produisant de ce fait moins de cendre au départ du coup.
L’expulsion des résidus déchiquetés est facilitée par la gaze de soie qui tend à « enrober » ce qui reste de l’étui comme dans un chiffon.
Grâce à ce système, la chambre reste relativement propre après le tir. Il faut insister sur le mot « relativement », car malheureusement un encrassement dû à la combustion de la poudre noire est bien présent et se fera sentir au fur et à mesure de la répétition des tirs.
Cette théorie tend à prouver qu’au lieu d’être brûlés et donc de produire de la cendre,
les composants de l’étui doivent au contraire brûler le moins possible et simplement être déchiquetés avant d’être expulsés hors du canon.
Le même papier avec moins de cendre. L’idéal serait d’obtenir un étui totalement
incombustible qui ne produirait plus alors aucune cendre... Ca c’est pour la théorie.
Il existe actuellement dans le commerce des produits permettant d’ignifuger le papier et le carton. J’ai donc tenté l’expérience sur mes étuis en papier kraft.
Je me suis procuré aux Ets LURIE un bidon de 1 litre de CARTOFLAM. Le fabricant déclare que ce liquide ne contient ni halogène ni produit toxique dangereux (3)
. Le papier à ignifuger doit être exempt de tout traitement imperméabilisant afin de bien s’imprégner.
Le support traité au CARTOFLAM est classé M1, c'est-à-dire qu’il devient non inflammable. http://www.laboratoires-lurie.com/contacts.html
Un morceau de papier kraft a été imprégné de ce produit, puis mis à sécher. Présenté ensuite dans la flamme d’un briquet, le papier ainsi traité ne s’enflamme pas. S’il est laissé plusieurs secondes dans la flamme, il se consume, mais ne s’enflamme toujours pas. Dès que l’on retire la flamme, le papier cesse immédiatement de se consumer.
Il serait faux d’affirmer que la cartouche va devenir incombustible, mais il est certain que le papier ne s’enflammera plus compte tenu du traitement subi et de la brièveté de la flamme au départ du coup. Voici un procédé qui devrait réduire singulièrement le volume de cendre dans la chambre de notre Chassepot. L’ignifugation de l’étui en papier kraft ne peut donc être que bénéfique.
Méthode employée pour ignifuger les étuis. Le produit est livré en bidon de 1 litre avec pulvérisateur (comme le produit utilisé pour nettoyer les vitres !). Afin de ne pas disperser le produit et compte tenu de la faible surface à traiter à chaque utilisation, j’ai préféré l’appliquer au pinceau sur la surface extérieure des étuis terminés, en veillant à sa bonne répartition et en prenant soin de ne pas en appliquer sur le culot supportant l’amorce.
Les étuis imprégnés sont ensuite mis à sécher, culot en l’air, sur une planche à clous. Veiller toutefois à ce que l’étui ne vienne pas se coller le long du clou du fait de l’humidification de la colle recouvrant tout l’intérieur du cylindre. Le séchage est rapide et au bout de quelques minutes, les étuis pourront être mis en vrac dans une boite sans aucun problème.
L’imprégnation de CARTOFLAM ne provoque pas de modification d’aspect ou de forme de l’étui. Lorsqu’il est sec, il est impossible de distinguer un étui traité d’un autre qui ne l’est pas. Il est donc nécessaire de procéder avec méthode pour éviter de les mélanger.
L'ignifugation des étuis
Chargement de l’étui. Le chargement d’un étui ignifugé est effectué de manière identique à celui d’un étui qui ne l’est pas. La méthode de chargement décrite précédemment dans cet article sur la confection d’une cartouche pour le fusil Chassepot lui est donc applicable.
Charge de poudre. Le brossage de la chambre entre chaque tir étant supprimé, le souffle produit par l’intermédiaire de la chambre ardente doit être suffisamment puissant pour expulser la totalité des résidus de papier. La charge de poudre de cette cartouche sera adaptée et comprise entre 4,5 et 5 grammes de Suisse n°4, donc proche de celle de l’époque qui était de 5,5 grammes.
Le volume à combler entre la poudre et la balle étant moins important, la semoule servant de bourre est supprimée et remplacée par des rondelles de carton.
Longueur des cartouches finies. 2 cartouches dites « de premier coup » sont à la longueur de 73mm. Toutes les autres sont mises à 70mm.
Graissage des étuis avant le tir. Compte tenu de l’ignifugation des étuis en papier, seul le culot de la cartouche est graissé à la vaseline avant le tir.
Les essais au tir. Quel changement !
Immédiatement mes suppositions se sont révélées exactes pour ce qui concerne la réduction du volume de cendre et les tirs peuvent se succéder sans éprouver le besoin de brosser la chambre. Le papier ignifugé est bien expulsé de la chambre et du canon sans s’enflammer et ne produit pratiquement plus de dépôt.
En compétition, les 13 coups pourront être tirés sans nécessité de se relever pour écouvillonner la chambre, sauf (et rarement) en cas d’incident de tir.
Les limites de l’encrassement du fusil. Avec l’adoption de la cartouche Chassepot à étui ignifugé, les tirs peuvent se succéder à une grande cadence, mais l’encrassement de la chambre et de l’arme s’accumule inévitablement après chaque décharge.
Nous avons éliminé le dépôt de cendre résultant de la combustion du papier, ce qui était primordial pour faciliter l’introduction des cartouches, mais comme il a été dit précédemment, la combustion de la poudre noire génère des résidus dans le canon, dans la chambre et dans le mécanisme de la culasse de l’arme. Ceci est malheureusement inévitable...
Alors quelles sont les limites ?
Avant l’utilisation de cartouches ignifugées, je tirais 10 à 15 cartouches par séance en prenant soin de brosser la chambre régulièrement et de contrôler la libre rotation de la tête de culasse après chaque coup. Le faible nombre de cartouches tirées ne générait pas un dépôt de calamine trop important et trop gênant dans le compartiment avant du cylindre de culasse là où se loge l’axe de la tête mobile. Il en va tout autrement maintenant. Le tir successif de 20 ou 30 cartouches est aisément réalisable et si l’encrassement de la chambre est léger (comparé à ce qu’il était auparavant), l’encrassement du logement de l’axe de la tête mobile, lui, est important. La tête mobile tourne de plus en plus difficilement et l’on sent nettement que sa rotation est gênée par l’accumulation de la calamine, au point de provoquer des ratés de percussion par la déviation de l’axe de l’aiguille (rares heureusement).
Le système Chassepot a ses limites et nous devons les accepter...
Un démontage de la culasse devrait donc à mon avis, être effectué tous les 20 à 25 coups afin de permettre le nettoyage de la tête mobile et de son logement. Cet entretien me semble indispensable dès que le besoin s’en fait sentir, pour veiller au bon fonctionnement de l’arme et à la sécurité du tireur.
Celui qui désire tirer un grand nombre de cartouches en une seule séance et que le nettoyage au stand rebute, pourra s’équiper d’une seconde culasse. Il sera facile d’ôter la culasse encrassée et d’installer une culasse propre pour continuer le tir...Tout est possible !
Après le tir, un conseil... En refroidissant, la tête mobile risque de se gripper dans son logement. Dès la fin du tir, prendre la précaution de l’ôter de la culasse permettra d’éviter bien des difficultés lors du démontage complet pour le grand nettoyage.
EN CONCLUSION. Nous voici arrivés au terme de cet article et notre impérial fusil vient de nous faire pour notre plus grand plaisir, une nouvelle démonstration de ses qualités mécaniques et balistiques. S’il est des armes qui fascinent pour ce qu’elles représentent de souffrances et d’espoirs, le Chassepot Mle 1866 avec le fusil an IX et le Lebel Mle 1886/93 est de celles-là. Il nous a fait comprendre toutes les difficultés rencontrées par nos vaillants troupiers et ce qu’a pu être toute leur angoisse dans l’ardeur des combats...
Aujourd’hui, tous les heureux possesseurs d’un fusil Chassepot vous le diront, la fabrication de la cartouche nécessite une bonne dose de passion et surtout de patience. Toutes les opérations sont longues et répétitives, mais c’est là tout ce qui fait l’intérêt de l’utilisation de cette arme historique.
Alors maintenant courage et au travail!
Il existe encore bien d’autres possibilités pour faciliter la fabrication de cette cartouche. Libre à vous d’utiliser la méthode qui vous convient le mieux.
Avec l’expérience et l’outillage dont nous disposons maintenant, tout devient possible et comme j’ai l’habitude de le dire :
tirer au Chassepot ça se mérite !