"Le 11 mars.
Les "Bigeard" prennent notre place sur le terrain.
Nous regroupons tout le monde à la base arrière où toutes les revues possibles sont effectuées. Loc, le pronto vietnamien, arrive, c’est un frère des écoles chrétiennes, bien doux, bien gentil, perdu chez les paras où il échoue, involontairement, à cause de son mauvais classement à la sortie des E.O.R. (les 1er vont au Train, on y a une Jeep et le cantonnement est toujours dans une ville).
Je lui présente le personnel de la section.
Il prend le matériel en compte, puis j’explique à ce débutant ses responsabilités militaires et humaines : Il a des droits mais aussi de gros devoirs envers ses hommes, chose jamais apprise dans les écoles de l’armée vietnamienne. Il paraït affolé, terrorisé même par mes dires. Nam, caporal chef, garçon calme et très intelligent, originaire de la même province du sud que lui ne paraît pas l’admettre. Lac, mon ordonnance aux dents laquées noires, venu à la maison pour m’aider à monter un surpresseur d’eau en profite pour me dire :
- Loc c’est pas para, lui même chose crapaud.
Le 13 après-midi.
Nam et Lac viennent me demander de rester, ils n’avaient pas confiance, peur même d’aller en opération avec lui
Le BPVN ayant été déclaré "Bon OPS", nous ferons demain un saut de bataillon, c’est-à-dire tout le monde, pour travailler, mettre au point dans chaque compagnie le regroupement à l’arrivée au sol.
Ce même 13 mars, en fin d’après-midi, je rencontre Combaneyre, Lieutenant du 8ème Choc, unité restée à Dien Bien Phu pour les interventions. Malade, rapatriable début Avril il a été envoyé à l’hôpital, et il s’est arrêté à l’EM des TAPN demander la date de son départ pour la France. Les nouvelles qu’il apporte de Dien Bien Phu sont pessimistes, l’artillerie viet tire à vue sur les avions au sol depuis les collines entourant la place. Ceux qui y étaient basés sont détruits, ceux qui s’y posent sont arrosés d’obus après 30 secondes d’arrêt; il paraît vraiment heureux d’avoir pu sortir de là.
Dans la soirée vers 22 heures, le Commandant Bloch, mon voisin du dessus, rentrant chez lui, frappe à ma porte :
- Préparez votre sac, demain le Ba Wan saute à Dien Bien Phu.
"Embarquement dans les avions à 11 heures, j’aurai la place de l’adjoint, à la porte de l’avion leader pour être le premier au sol, prendre liaison avec le PC de Castries, afin de savoir où nous diriger après avoir assuré le regroupement des compagnies.
Sur le terrain d’aviation j’apprends que la DZ est sous le feu ennemi (Combaneyre l’avait dit), nous pouvons donc être pris pour cible en l’air; pour limiter ce temps de descente nous serons largués entre 110 et 120 mètres. Lourd, 80 kg, chargé le ventral inutile à ces hauteurs de largage, je demande à ne pas le prendre : refusé, cela en démoraliserait trop.
Dans l’avion, Lac, porteur du poste C10 est derrière moi suivi du toubib Rouault qui me dit :
- Ne t’inquiète pas, je te suivrais des yeux, si tu as un ennui je me servirais du poste.
Gentil, il ne s’occupera pas de ma blessure en priorité.
Lumière rouge, le vert : GO...
Dès l’ouverture du "piège", je largue le ventral et commence à me dégrafer; à l’atterrissage je suis libre du harnais, cours vers le radio et prends le poste avant qu’il ait fini son dégrafage. Rouault a fait comme moi et arrive en courant :
- OK Toubib, compte tes clients.
J’appelle le Gono, c’est un opérateur du GAP qui répond le premier :
- OK AMI (mon indicatif personnel) LGD va vers vous.
Et, sous les obus de mortier qui tombent, je vois arriver "Kiki", mon collègue Legrand (LGD). Il vient prendre l’OBT et m’indiquer le lieu de regroupement du Ba Wan au sud de D3 et D4. J’y cours avec le Chef Pierraggi, largué derrière Rouault, chargé des fumigènes signalant le point du regroupement tandis que Botella, clopin-clopant, va, sans se presser sous les obus, voir Langlais le commandant du G.A.P.
J’ai touché le sol peu avant 15 heures.
La CCS et la première compagnie sont aussi arrivées, en suivant, au même endroit, près du terrain d’aviation ,mais des tirs de DCA arrivant vers eux, les aviateurs arrêtent le largage. Ils le poursuivront plus au sud. La 4 sautera au nord-est d’"Isabelle", la 2 et la 3 à l’ouest de ce P.A. d’où des km à parcourir et retards pour le regroupement général, avant d’aller vers 18 heures nous installer sur Éliane 4.
Sur la première DZ, où j’atterris, nous avons eu de la casse par les obus VM, surtout dans la section mortiers, 2 chefs de pièce sont tués, une dizaine de servants blessés.
- Sur l’emplacement il y a des abris
A dit l’adjoint de Langlais.
Laissant 3 morts au pied des D, nous traînons avec nous une trentaine de blessés, certains graves; ils nous ont empêchés de nous esclaffer en voyant les abris installés par le BT2 : une dizaine de trous pouvant contenir un Thaï mais pas un Européen.
Ils ne sont recouverts que de kefen et de 5 cm de terre, la tranchée qui les relie ne fait pas plus de 1,50 m de profondeur et le côté Est d’E4 qui nous est dévolu, fait face aux Viets qui tirent sur toute tête qui dépasse de la tranchée.
La nuit arrivant à 19 heures, tous officiers, sous-officiers, hommes de troupe, pelle-bêche à la main, nous creusons.
A Rouault qui grognait j’ai répondu :
- Tais-toi et creuse".
Mais il y avait les blessés que l’A.C. avait refoulés, débordée depuis les bombardements de la veille qui l’avaient en partie détruite et mise à l’air libre. De nuit "Jules" a décortiqué le genou d’un homme à la lueur de 2 torches pratiquant l’amputation sous légère anesthésie locale !
Notre médecin était l’homme des actes impossibles, il l’avait démontré le 13-XII : Un sous-lieutenant ayant reçu une balle dans la gorge s’étouffait, le sang allant dans les poumons. Rouault fit une trachéotomie : une entaille dans la trachée par laquelle il fit passer un tuyau, en l’occurrence un garrot, le blessé put respirer. Pendant les 2 heures de brancardage pour le ramener à l’A.C., le toubib l’accompagna, lui soutenant la tête dans la bonne position.
Dans la nuit, sous la pluie tombant par intermittence, nous entendons la canonnade qui secoue "Gabrielle" et le 5/7 RTA ainsi que la riposte de nos artilleurs qui paraît bien faible.
Vers 22 heures, les abris étant assez améliorés, les pelles-bêches s’arrêtent. Tandis que le Patron reste en écoute radio, je sombre dans le sommeil pour le remplacer à 1 heure. Loc et Ty sous-lieutenant (avocat?) chef de la section de protection du PC doivent me relever à 5 heures mais ...
Le 15.
A 4 heures le sous chef du GAP, S...P... ordonne la mise en route immédiate du bataillon, nous devons être à 5 heures en bas du piton, au bord de la Nam Youm pour partir en contre-attaque sur "Gabrielle". Des guides nous attendrons sur le pont enjambant la rivière. Botella pique une nouvelle crise de colère, me dit brièvement l’ordre de marche qu’il prévoit et me laissant face aux commandants de compagnies, part avec Pierraggi (scribe) et un radio C10, dire ce qu’il pense à Langlais.
A l’arrivée sur E 4, la veille, dès l’emplacement des commandants de compagnies reconnus j’avais fait tirer par Hoang, le caporal filiste et ses hommes, des lignes vers eux. Cela me permit de dialoguer directement avec mes camarades.
Gaven, la 3ème compagnie, grogne, jure qu’il ne partira pas, profère des insultes pour Langlais qui nous fait "le coup de l’invité", son adjoint qui nous a envoyés sur E4, où lui et ses hommes ont creusé jusqu’à minuit pour avoir des emplacements de combat corrects. Il n’oublie pas Botella "jambe de laine", qui se laisse faire et moi qui aurait mieux fait de dormir que d’écouter la radio ! je suis d’accord mais ...
- Tu seras la tête de colonne en bas du piton à 5 heures, salut !.
Selon les ordres, Ty suivra avec sa section, je serai derrière lui avec les radios; le toubib et ses infirmiers leur emboîteront le pas en attendant l’arrivée de notre chef.
Martinais la 4, Phu la 2 et Rondeau la 1ère, suivront dans cet ordre. Martinais ronchonne un peu, Phu doit être au garde à vous lorsqu’il me répond :
- Reçu, je pars.
Rondeau, un peu moins grossier est presque aussi grognon que Gaven.
Rouault qui a opéré, pansé, soigné jusqu’à minuit soupire, il a trouvé à la sortie de son abri un obus de 60 non éclaté, il pense que c’est moi qui l’ait posé et sourit peu convaincu de mes dénégations, j’ai une telle réputation de farceur ! (cf. Livre "Médecins au combat", Pygmalion).
Au passage de la Nam Young, nous trouvons Botella mais pas les guides. Après 30 minutes de hurlements dans les C10, 2 légionnaires arrivent. Nous cheminons lentement dans les tranchées très étroites; il y a 5 km à parcourir, nous en avons fait les 3/4 lorsque le jour se lève et qu’un tir d’artillerie nous tombe dessus.
La colonne est arrêtée.
Les hommes de Ty s’entassent devant nous; Gaven ne répond pas à la radio, (nous apprendrons que son poste a reçu un éclat d’obus, le radio est blessé).
Botella s’énerve.
Il veut envoyer Loc vers l’avant pour voir, savoir, mais il faut sortir de la tranchée pour dépasser les gars arrêtés, entassés; le sous-lieutenant a peur, il éclate en sanglots. Je croise le regard du Patron, il a un rictus qui voudrait être un sourire, je lui souris, saute dehors et cours vers l’avant. C’est Ty en personne qui bloque, Gaven est déjà loin, la tranchée est finie, il faut partir à découvert et le sous-lieutenant a peur lui aussi, comme l’autre, des obus qui tombent de ci, de là. Je distribue bourrades, coups de pieds et de poings, avec comme pièce à conviction mon pistolet dont j’assène de grands coups, pour faire avancer cette section bouchon.
Lorsque Botella peut enfin me rejoindre nous progressons en courant de trous en trous poussant devant nous ceux qui s’attardent..................."
Amitiés