Image d'illustratiiion: La vierge à l'enfant - Startpage.org
RÉCIT. Spolié à une famille juive et offert à Goering, un tableau enfin restitué par la France
Le Sénat examine ce mardi 23 mai un projet de loi visant à faciliter la restitution des œuvres d’art spoliées durant l’Occupation. Objectif : multiplier les restitutions d’œuvres accaparées par les Nazis, comme celle opérée pour cette Vierge à l’enfant, rendue aux ayants droit de son propriétaire en avril 2023.
IRWIN LEULLIER / MUSÉE DE PICARDIE
Ouest-France Maxime MAINGUET. Publié le 23/05/2023 à 14h53
Le 8 décembre 1925, alors que l’Allemagne sort à peine d’une période d’hyperinflation et que les Nazis fomentent leurs premiers coups de main, une maison de vente berlinoise met aux enchères un ensemble d’œuvres d’art. Parmi les tableaux vendus, une Vierge à l’enfant, peinte par l’un des artistes de l’école de Padoue (Italie), au XVe siècle.
L’huile sur bois, qui représente la Vierge Marie allaitant Jésus, est achetée par un couple d’industriels et de collectionneurs juifs : Ernst et Agathe Saulmann. L’acquisition vient alors compléter une imposante collection que le couple a réuni dans ses villas du Bade-Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne) et de Florence.
Fuir les persécutions
Quelques années plus tard, au terme d’une ascension quasi linéaire, le parti nazi arrive au pouvoir. Et Hitler s’installe au poste de chancelier. Les persécutions, d’abord latentes, deviennent étatiques. Pour les Saulmann, il est donc l’heure de fuir l’Allemagne. Le couple prend donc, logiquement, la direction de l’Italie, et de sa villa de Florence. Les Saulmann y posent leurs valises en décembre 1935.
L’année suivante, Ernst Saulmann doit mettre en vente sa villa du Bade-Wurtemberg et doit nommer un ancien collaborateur à la tête de son usine.
Une partie de la collection confisquée par les nazis
La collection d’œuvres d’art du couple est quant à elle confisquée par les autorités nazies, puis dispersée aux enchères, à Munich.
« Le couple Saulmann est spolié de sa collection ; il ne perçoit rien du produit de la vente », résume le ministère de la Culture français, dans sa présentation de l’œuvre. Mais La Vierge à l’Enfant achetée en 1925 ne faisait sans doute pas partie du lot, comme 43 autres œuvres du couple.
« Le tableau n’a pas été proposé à la vente lors des ventes à Munich », explique la plateforme ouverte du patrimoine, gérée par le ministère de la Culture. « Il se trouvait certainement déjà à Florence. »
La Vierge à l’enfant réapparaît en 1941, entre des mains allemandes
Sauf que les Saulmann ne pourront rester longtemps en Italie. En 1938, constatant que la haine antijuifs s’installe de plus en plus fortement dans la botte, ils vendent leur villa florentine et se réfugient à Nice. Si l’on en croit les archives du bureau d’exportation de Florence, La Vierge à l’enfant est du voyage. Mais, ensuite, chercheurs et spécialistes de l’histoire de l’art perdent sa trace.
L’œuvre resurgit néanmoins dans les archives de l’année 1941. En l’occurrence, elle réapparaît dans la collection de Walter Bornheim, un marchand d’art allemand très actif dans le Paris de l’Occupation. « La façon dont le marchand a obtenu » cette Vierge à l’Enfant demeure « incertaine », note le ministère de la Culture.
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« Très apprécié des marchands d’art français »
Grâce à l’Institut national d’histoire de l’Art (Inha), on en sait néanmoins un peu plus sur ses méthodes et habitudes.« Il avait coutume d’occuper une suite au Grand Hôtel (près de la gare de l’Est), où il recevait ses hôtes et menait ses affaires », explique l’Inha. « Il payait souvent comptant, c’est pourquoi il était un client très apprécié des marchands d’art français. Mais il était surtout en mesure de lever d’importantes sommes dans la monnaie du pays, garanti avant tout par ses droits d’accès audit « Compte spécial AI » exclusivement alimenté par le budget des frais d’occupation à la charge du pays occupé ».
En d’autres termes, Bornheim achetait des œuvres spoliées avec l’agent fourni à l’Allemagne par Vichy, dans le cadre de la convention d’armistice.
Le tableau offert à Goering
La façon dont l’œuvre quittera ses catalogues est en revanche connue. Durant l’hiver 1941-1942, Walter Bornheim vend La Vierge à l’Enfant à un proche, qui l’offrira ensuite à Hermann Goering, le numéro 2 du Reich, féru d’arts.
Celui-ci stocke l’œuvre dans son vaste dépôt de Berchtesgaden, la ville alpestre où les pontes du régime nazi ont élu domicile et où cet ancien As de l’aviation durant la Grande Guerre réunit les pièces qu’il a spoliées dans toute l’Europe occupée.
Exposée à Amiens puis restituée
C’est là, au printemps 1945, que l’œuvre est retrouvée par les Alliés. Après avoir été enregistré à Munich, le tableau prend la direction de la France, où il arrive en septembre 1947. Il est ensuite envoyé au Musée de Picardie, à Amiens, où il sera exposé durant de longues années.
Des décennies plus tard, après que des recherches d’historiens ont permis d’authentifier l’œuvre et son parcours, les ayants droit du couple Saulmann introduisent auprès des autorités françaises une demande de restitution.
Au début de l’année 2023, la demande aboutit. Une cérémonie officielle de restitution est organisée le 18 avril, plus de 75 ans après son retour en France.
Mar Mai 23 2023, 17:32
