MAIS QU’EST DEVENUE NOTRE ARMÉE ?
UNE ARMÉE MEXICAINE ?
« La grande trouvaille de l’armée, c’est qu’elle est la seule à avoir compris que la compétence ne se lit pas sur le visage. Elle a donc inventé les grades. »
(Alphonse Allais).
Chaque jour qui passe me donne l’occasion de mesurer le délitement de la France : tout va à vau-l’eau, plus rien ne fonctionne normalement, et ceci n’est pas imputable à la conjoncture ou au hasard. Il y a chez nos dirigeants politiques une volonté de tout tirer vers le bas, de tout niveler, pour que les Français, conscients de leur médiocrité, acceptent les diktats de Bruxelles, et qu’on les mène vers une gouvernance mondiale comme on conduit des veaux à l’abattoir.
Depuis longtemps, « panem et circenses », du pain et des jeux, ou, si vous préférez, Mac-Do et le foot, ne suffisent plus à abrutir les masses. L’homme occidental est devenu un enfant gâté, il faut donc le flatter dans ses plus bas instincts. La pornographie, les loisirs, les 35 heures, la violence télévisuelle, la drogue quasi légalisée, les mœurs les plus dépravées, l’entretiennent dans une sorte d’hédonisme narcissique dans lequel, hélas, une large majorité se vautre et se complait.
Mais certains ne se laissent pas tondre aussi facilement. Certes ce sont des bœufs, en aucun cas des taureaux de combat, mais ils veulent avoir l’impression d’exister. Là, rien de mieux que les médailles, les hochets, les diplômes au rabais et les titres ronflants pour flatter l’égo des imbéciles.
Il reste cependant, dans ce pays, quelques irréductibles Gaulois qui résistent encore, mais ceux-là sont voués aux gémonies, insultés, méprisés, traités de « fachos » ou de « complotistes ».
Ils sont les derniers des Mohicans, une espèce en voie d’extinction qu’on veut remplacer par une faune allogène qui n’a aucune volonté de se plier aux coutumes du pays qui les accueille (et les nourrit grassement). Le Gaulois, on lui demande juste de travailler et de payer beaucoup d’impôts.
Quand je parle de ceux qu’on caresse dans le sens du poil pour qu’ils votent bien, ne croyez pas que je noircis le trait car cette volonté de nivellement, de dévalorisation des institutions, des diplômes, des grades, va se nicher partout, y compris dans l’Armée.
En 2022, l’UNOR (1) fête son centenaire et demande aux AOR (2) départementales ou locales d’organiser des réunions (avec prise d’armes, plaques du souvenir, hommages etc…) un peu partout en France. Rappelons que la Réserve Militaire a été créée après l’humiliante capitulation de Sedan en 1870. On parlait alors d’« officiers de compléments ». Quelques années après la Grande Guerre, en 1922, le corps des officiers de compléments deviendra celui des « officiers de Réserve ». Ce sera la naissance de l’UNOR, dont Raymond Poincaré (capitaine de complément en 14-18), président de la République, sera le premier président.
De 1914 à 1918, l’Armée française a compté dans ses rangs près de 195 000 officiers qui ont encadré plus de 8 millions d’hommes. 36 593 officiers ont été tués. Une bonne moitié était des officiers de compléments (3), dont entre autres, le lieutenant Péguy tué au tout début de la guerre (4).
Depuis la Grande Guerre, la Réserve a continué à verser son sang au service de la patrie.
Le commandant Philippe Kieffer, à la tête des seuls Français qui débarquèrent en Normandie le 6 juin 1944, était un réserviste ; comme le commandant Bourgoin dont les paras ont été largués sur la Bretagne dans la nuit du 5 et 6 juin. Le colonel Allaire, bras droit de Bigeard en Indochine, que j’ai eu l’honneur de connaître, était un aspirant de Réserve avant d’intégrer l’armée d’active.
Dans d’autres guerres, je pourrais citer les sous-lieutenants de Réserve Jean-Marie Le Pen et Jacques Peyrat, engagés chez les Légionnaires paras en partance pour l’Indochine, ou le commandant Erwan Bergot. Durant la guerre d’Algérie, on ne compte plus le nombre d’officiers de Réserve qui ont servi dans les unités combattantes, les commandos de chasse ou les SAS (5).
De nos jours, surtout depuis la suppression de la conscription, je pense que la Réserve dite « opérationnelle » devrait être une affaire de spécialistes (informaticiens, service de santé, ingénieurs etc…) et qu’il faudrait lui adjoindre un vivier de combattants potentiels proche du « soldat citoyen » suisse, mais cette vision des choses n’engage que moi, et je n’oblige personne à la partager.
J’ai un respect total pour les vrais professionnels ; or, en cas de conflit, la survie d’une troupe ne devrait pas, selon moi, être confiée à des « amateurs », souvent des militaires refoulés, des boy-scouts ou des vieux gamins, aussi motivés soient-ils, qui occupent leurs congés à jouer à la guerre et à se faire peur, à coup de balles à blanc et de grenades à plâtre, quelques jours par an.
La Réserve opérationnelle actuelle est constituée pour moitié de bons éléments (souvent d’anciens militaires d’active), et pour l’autre moitié de gens qui ont besoin d’exister et qui trouvent, au sein des Réserves, une honorabilité qu’ils n’ont pas forcément trouvée dans le civil.
Ceci dit, depuis que nos dirigeants ont réduit l’Armée française à une peau de chagrin, les réservistes sont indispensables et il est assez logique d’en augmenter fortement les effectifs.
Mais revenons au centenaire de l’UNOR. Le 22 octobre, je me suis rendu, béret rouge sur la tête, à la cérémonie organisée par ma section. J’y ai retrouvé quelques amis, et des tas de gradés venus d’un peu partout : des commandants ou colonels ventripotents et qui, n’ayant pas un coup de fusil à se reprocher (sinon au pas de tir ou à la chasse aux perdreaux), aiment à s’écouter parler des campagnes ou des Opex (6) qu’ils auraient pu mener…si ma tante en avait.
MAIS IL Y AVAIT AUSSI, QUELQUES OFFICIERS DE LA RESERVE DITE « CITOYENNE ».
La Réserve citoyenne a été créée en 1999, et elle a balbutié pendant quelques années ; ses objectifs étant assez fous, elle n’intéressait pas grand monde. Et puis, François Hollande est passé par là. Après les attentats de 2015, il a souhaité créer une Garde Nationale et redonner du souffle à la Réserve citoyenne dont l’un des buts était de « s’engager bénévolement pour transmettre et faire vivre les valeurs de la République à l’École, dans le cadre d’activités périscolaires ou auprès de la société civile ». L’idée, de prime abord, peut paraître louable, mais c’est, en fait, une vaste fumisterie qui consiste à flatter l’égo de gens en mal de reconnaissance. Depuis on a nommé plein d’officiers de Réserve dont le mérite principal est souvent d’être célèbres et/ou proches du pouvoir.
Ces distributions de galons sont, à mes yeux, scandaleuses, dans la mesure où elles instillent une confusion dans l’esprit des gens qui ne connaissent pas la hiérarchie militaire.
Le 22 octobre, j’ai appris que le député macroniste du coin avait été nommé colonel de la Réserve citoyenne. Un gros type fort en gueule, qui avait été sergent dans l’infanterie de Marine, arborait une plaque de commandant… d’aviation. Un autre, qui avait terminé une courte carrière comme sergent-chef dans la biffe, était, lui, lieutenant-colonel… d’aviation également.
Mais, je peux vous citer des exemples plus choquants de gens plus connus :
Le chef étoilé Thierry Marx, qui a été militaire du rang chez les parachutistes, doit à sa notoriété d’être lieutenant-colonel de la Réserve citoyenne.
Michel Sardou, insoumis envoyé de force en caserne à Montlhéry où il aura été un simple bidasse, est colonel de la RC. Son passage sous les drapeaux lui aura inspiré un de ses succès « Le rire du sergent ».
Plus scandaleux encore, sans la bronca de l’Amicale du 13ème RDP (7), Jean-Vincent Placé, l’écolo-alcoolo, dont on ne sait même pas s’il a fait un service militaire, aurait été nommé… colonel de cette prestigieuse unité de nos Forces Spéciales.
Sébastien Lecornu, notre nouveau ministre des Armées, a été nommé colonel au titre des spécialistes de la Réserve en 2017. Le président d’une association de Gendarmes réservistes s’est indigné de « ce jeune secrétaire d’État nommé en catimini colonel, à 31 ans, peu après son entrée au gouvernement ». Et c’est ce même Sébastien Lecornu qui est intervenu pour que le simple brigadier Alexandre Benalla soit nommé lieutenant-colonel dans la Gendarmerie.
LES EXEMPLES SONT LÉGION DE CES OFFICIERS SUPÉRIEURS NOMMÉS PAR LE FAIT DU PRINCE.
On peut me rétorquer que l’inflation aux galons (voire carrément l’usurpation de grades), n’est pas un phénomène nouveau. A la Libération, la France, qui voulait se persuader qu’elle avait gagné la guerre toute seule, grâce à la Résistance, reconstituait ses pertes en régularisant des FFI et des FTP (8). Fort Heureusement, avant d’en faire des militaires d’active, on envoyait ces cadres au rabais tester leur niveau de compétence à l’école des officiers de Cherchell, en Algérie.
Mon vieil ami, l’ancien député Marcel Bouyer, lieutenant FFI, ex-agent de liaison dans la poche de Royan, me disait en rigolant : « Cherchell, c’était impayable ! Tu voyais des gens y rentrer avec des galons de colonels et qui ressortaient… sergents. ».
L’inflation aux galons était monnaie courante à l’époque : Jacques Delmas (Chaban dans la Résistance), aspirant en 1939, sera… général en 1944, à 27 ans. On n’avait pas vu ça depuis Napoléon Bonaparte ! Mais, en ces temps troublés, tout était permis, il suffisait d’oser : on a même vu, chez les FTP, des « colonels à 6 galons », dont un qui avait échoué à son peloton de caporal en 1939.
De Gaulle, décorant à Bordeaux, une rangée d’une douzaine de colonels FFI ou FTP trouvait, en bout de file, un simple capitaine auquel il déclarait en souriant : « Vous ne savez pas coudre ? »
J’ai raconté les excès de cette époque dans un de mes livres (9) mais c’était la guerre et, s’il est vrai que certains chefs de Maquis ont fait tuer leurs hommes par incompétence, si d’autres étaient plus prompts à tondre les femmes accusées de « collaboration horizontale » qu’à se battre, si les FTP ont commis les pires atrocités durant la période appelée « l’épuration », d’autres se sont bien battus et beaucoup ont perdu la vie au service de la patrie. Ceux-là méritent notre respect.
Mais ce n’est pas le cas avec la Réserve citoyenne ; les héros y sont rares, et rien ne justifie leur promotion-éclair sinon la volonté de les flagorner, de les caresser dans le sens du poil, souvent pour récompenser leur servilité reptilienne et leur soutien au pouvoir.
Le 22 octobre, un capitaine de la Réserve opérationnelle s’indignait qu’on nomme officiers supérieurs des gens dont le seul mérite est d’être connus. Il s’est entendu rétorquer, sèchement, par un gros lieutenant-colonel d’aviation, boudiné dans son bel uniforme : « Avec leur notoriété, vous ne vouliez pas qu’on les nomme adjudants ! ». Comment ose-t-on tenir de tels propos ?
C’est une insulte, une gifle, à notre corps de sous-officiers, qui est exemplaire.
La réflexion – ô combien méprisante – de ce crétin galonné m’a fait penser à deux amis décédés, co-fondateurs de la section UNP (11) de la Charente-Maritime. Tous deux ont terminé leur carrière avec le grade d’adjudant-chef. Anciens des maquis, d’Indochine et d’Algérie, ils étaient chevaliers de la légion d’honneur. Je pense aussi à tous ces sous-officiers qui sont devenus officiers en passant par l’EMIA, la filière des OT, des OAEO (10), ou par le rang, choisis parmi les meilleurs. Et à tous ceux qui, du grade de sergent à celui de major, font la qualité et la fierté de nos unités d’élites.
On me dit que ces officiers de la Réserve citoyenne ne portent pas l’uniforme et ne touchent pas de solde. Et alors ? Et après ? Est-ce une raison pour galvauder les galons et créer une confusion dans l’esprit du public ? A moins que ce ne soit voulu, pour dévaloriser une institution qui représente encore quelque chose dans le cœur des Français ?
Je suis intimement persuadé que cette hypothèse est la bonne !
Éric de Verdelhan
28 octobre 2022