Ca se passait comme çà, une anecdote au quartier Viénot tirée du livre
Quand on quittait le Quartier Viénot pour aller en quartier-libre, il y avait toujours quelqu'un qui exagérait et levait un peu trop le coude. Si à son retour il parvenait à surmonter l'épreuve de la ligne devant le corps de garde, il était sauvé. Mais il y avait aussi celui qui n'avait pas été capable d'échapper à l'examen du sergent et alors il commençait à chercher des problèmes à ceux qui étaient sobres.
Un de ceux-là était
Becker, le conducteur, une armoire à glace : un mètre quatre-vingts de muscles et de tatouages. Un ancien
marine américain qui avait combattu en Corée, puis démobilisé (peut-être à cause de son penchant pour la bière...?) et maintenant il était là à nous chercher querelle.
Un soir, retournant dans sa chambrée ivre, il était en train de chercher des poux à n'importe qui au hasard, et tous prenaient le large, on sait comment ces choses finissent...
N'ayant trouvé personne entrant dans son jeu, il prit comme cible mon voisin de lit.
Celui-ci ne parlait presque jamais, ne se liait d'amitié avec personne tant et si bien que je n'ai jamais pu connaître sa nationalité, sûrement un Latin, mais j'hésitais entre Sarde ou Espagnol, et il y a pourtant une sacrée différence !
Maigrichon, mesurant un mètre soixante-cinq, il était allongé sur son lit en train de fumer et de s'occuper de ses affaires.
Becker, en proie aux effluves d'alcool s'approcha du lit du nabot et commença à le secouer en l'invectivant en anglais.
L'hispano-sarde lui demanda une paire de fois d'arrêter sans aucun effet.
Puis je le vis sauter au bas du lit d'un bond de félin. Il se baissa à la hauteur de la ceinture de
Becker, passa un bras entre les jambes de l'américain et le souleva littéralement du sol. Deux-trois tours avec le type sur les épaules puis le balança par la fenêtre.
Puis, avec un calme olympien, il retourna s'allonger sur son lit en continuant à fumer et en attendant l'arrivée de la Police Militaire.
Le pauvre Becker avait fini sur le trottoir en bas avec une lésion à la colonne vertébrale nécessitant trois mois de guérison.
Je restai quelques jours à Sidi-Bel-Abbès. Le 3 mai 1960, je repris la route pour Bougie.
De retour à la compagnie, une nouveauté m'attendait : les tenues de combat camouflées avaient été distribuées.