Défense
Panzer franco-allemand: la moitié pour l’un et deux tiers pour l’autre
Jean-Dominique Merchet Jean-Dominique Merchet 08 octobre 2019 à 17h46
Annoncé en 2017, le projet MGCS d’un char franco-allemand du futur pourrait faire prochainement l’objet d’annonces officielles. Mais les obstacles à lever restent importants, y compris entre industriels allemands
Un char allemand Leopard 2.Un char allemand Leopard 2. Sipa Press La ministre des armées Florence Parly doit rencontrer, ce mercredi à Berlin, sa nouvelle homologue allemande Annegret Kramp-Karrenbauer, qu’elle connaît peu. Parmi les nombreux sujets à l’ordre du jour, celui du projet de char du futur, le MGCS. Quant à l’avion de combat commun Scaf, Dassault-Aviation et Airbus D&S ont fait part lundi de leur impatience dans l’attente de la commande d’un démonstrateur.
Imaginez que la France et l’Allemagne doivent se partager un gâteau. Votre mission est de le couper de telle manière que la première en reçoive les deux tiers et la seconde la moitié. Bon courage ! C’est exactement la situation dans laquelle se trouvent les industriels et les gouvernements des deux pays au sujet de leur futur char de combat (Main ground combat system, MGCS). A première vue, l’affaire semble mal emmanchée, mais elle pourrait néanmoins faire l’objet d’annonces prochaines, ou en cas d’un « acte de credo », selon un proche du dossier. Les deux ministres de la défense Florence Parly et Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) devraient discuter du sujet, ce mercredi à Berlin, en vue du conseil des ministres franco-allemand qui se tiendra à Toulouse le 16 octobre.
Le 13 juillet 2017, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont signé une déclaration commune engageant la France et l’Allemagne à construire en commun leurs futurs avion de combat (Scaf) et char de combat (MGCS). Au cours des deux dernières années, il ne s’est pas passé grand-chose sur le char, tant l’équation est compliquée à résoudre. Car s’il y a deux Etats, avec des approches assez différentes, il y a trois industriels : un français (Nexter) et deux allemands (Krauss Maffei Wegmann et RheinMetall). Sachant que le français est marié avec l’un des allemands, Krauss Maffei Wegmann, au sein de KNDS, mais que les deux allemands se détestent cordialement, RheinMetall ne songeant qu’à absorber l’autre… « Les complexités germano-germaniques donnent lieu à de fortes frictions », témoigne un acteur.
On l’a vu lors d’une réunion entre représentants industriels et étatiques le 20 septembre à Paris, avec quelques échanges aigres-doux. Comme le révélait La Tribune, un accord a finalement été trouvé pour partager les premières études en neuf « lots », certains d’entre eux étant encore divisés en deux pour ne mécontenter personne. Ces dispositions ont été confirmées lundi lors d’une nouvelle réunion à Berlin.
L’affaire pourrait se compliquer plus encore parce que la Pologne et l’Italie – ainsi que leurs industriels – souhaitent rejoindre ce projet de char européen. Il sera politiquement compliqué de leur fermer longtemps la porte.
Sur le fond de ce que doit être le MGCS, Français et Allemands ne sont pas en ligne. Pour faire simple : les Français veulent être très innovants et privilégient les besoins opérationnels de leur armée de terre. « Si au final, le MGCS débouche sur un super-char Leclerc, ce sera une défaite intellectuelle », entend-on dans les états-majors, où l’on imagine des robots autonomes, des armes lasers, des engins volants, une artillerie portant à 200 km. Les Allemands sont davantage dans une logique industrielle et commerciale : quel successeur proposer aux 19 clients de l’actuel Leopard 2, dont la Bundeswehr ? Contrairement au Leclerc français qui n’a été exporté (à perte) qu’à un seul pays – les Emirats arabes unis –, le Leopard 2 est un très grand succès international, le seul concurrent occidental du T-72 russe. L’Allemagne et ses industriels se satisferaient donc d’un Leopard 3, avec quelques éléments de modernité pour satisfaire les clients.
En Europe, l’industrie des véhicules de combat terrestre se recomposera sans doute autour de l’Allemagne, malgré la présence de trois industriels français (Nexter, Arquus et une branche de Thalès). En 2015, Paris a fait le pari d’un rapprochement franco-allemand entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann au sein d’une société commune, KNDS. Toutefois, un observateur averti estime que cette alliance est « un échec patent. A part des comités Théodule, il n’y a aucun service commun ». En revanche, l’allemand RheinMetall semble avoir le vent en poupe. L’entreprise a pris cet été le contrôle des activités terrestres du britannique BAE et pourrait poursuivre sa politique d’acquisition.
Contrairement aux Français qui raisonnent au mieux à l’échelle européenne, RheinMetall et l’Allemagne pensent « otanien », incluant donc le marché américain dans leur stratégie. « Pour des raisons de politique intérieure, les Allemands savent que les exportations vers certains pays, comme l’Arabie saoudite ou la Turquie, vont devenir de plus en plus difficiles et ils se recentrent sur les marchés occidentaux », avance un expert du secteur.
La question des exportations reste un « point de crispation réelle » entre Paris et Berlin, constate le député LR Jean-Louis Thieriot, qui était récemment au Bundestag. « Il y a une volonté française d’avancer mais on sent des réticences dans la gauche allemande ». Un accord bilatéral pourrait être annoncé prochainement. Il permettrait que Berlin ne puisse pas bloquer l’exportation de matériels français qui comportent moins de 20 % de composants produits en Allemagne.