« Quand il y a coopération [industrielle], les nations doivent décider, il y a toujours une nation leader […] pour le SCAF [Système de combat aérien futur, ndlr], ce sera la France », avait déclaré, en avril, Ursula von der Leyen, la ministre allemande de la Défense. En échange, si l’on peut dire, l’Allemagne aura le premier rôle pour le second projet mené conjointement par Berlin et Paris, c’est à dire celui concernant le char de combat de prochaine génération.
Cependant, le Pdg d’Airbus Defense & Space, l’allemand Dirk Hoke, ne l’entend pas forcément de cette oreille, même si son groupe a déjà conclu un accord avec Dassault Aviation, dont la légitimité en matière d’avions de combat est indiscutable. D’ailleurs, le constructeur français a une (vague) idée de ce que sera le successeur du Rafale : une maquette, reprenant des éléments déjà montrés dans un film promotionnel, est présentée au salon Euronaval.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce programme, il faut avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas seulement de développer un nouvel avion de combat appelé à remplacer les Rafale et les Eurofighter Typhoon à l’horizon 2035/40 mais d’élaborer un « système de systèmes » autour d’un chasseur-bombardier qui travaillera en réseau avec des drones de différents types (UCAV, MALE), d’autres appareils (ravitailleurs, AWACS) de différentes générations et des satellites.
« Sur le futur avion de combat, nous sommes prêts à travailler avec Dassault, avec un leadership de ce dernier », a en effet déclaré M. Hoke, dans un entretien publié le 19 octobre par La Tribune.
« Il faut poursuivre dans l’ambition et la construction du projet jusqu’au Scaf dans sa globalité, car c’est plus qu’un avion », a continué M. Hoke. Et pour ce système global, « nous pensons que cela serait bien pour le développement du projet et son équilibre qu’Airbus prenne le leadership », a-t-il a affirmé. Cependant, a-t-il précisé, « avoir le leadership ne signifie pas qu’Airbus va faire tout, tout seul. »
Pour le moment, une lettre d’intention relative au programme SCAF a été signée par la France et l’Allemagne. Si la fiche d’expression des besoins [High level command operations requirements document – HLCORD] a été définie, des choix devront être faits en 2020. C’est ce qu’a indiqué Florence Parly, la ministre des Armées, lors de son audition par les députés de la commission de la Défense, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2019.
« Il s’agit d’un programme complexe, un système de systèmes interopérables, conçu autour d’un avion de combat de nouvelle génération qui doit être complété par d’autres capacités aéronautiques, notamment des drones », a rappelé la ministre, avant de préciser que plusieurs domaines technologiques ont d’ores et déjà été identifiés.
« Sept grands piliers technologiques ont été identifiés : le système de systèmes, l’avion de nouvelle génération, la problématique de la haute furtivité, celle des capteurs, celle de la propulsion, celle des armements et celle des démonstrateurs au sol », a en effet détaillé Mme Parly, qui a souligné l’importance du rôle qu’aura à tenir l’électronicien français Thales.
« Dassault et Airbus se sont entendus pour unir leurs forces, d’emblée, et nous allons entrer dans une phase nouvelle consistant à associer également Thales, qui a vocation à jouer un rôle important dans ce programme, avec d’autres acteurs », a ainsi souligné la ministre.
Or, pour Dirk Hoke, Thales est considéré comme un « grand partenaire incontournable », au même titre qu’Hensoldt, MBDA et « d’autres encore ». Selon le Pdg d’Airbus Defence & Space, « tant que les pays participants auront une répartition équilibrée, il n’y a pas de raison que cela bloque ». Et d’ajouter : « Si dans un an ou deux, Paris arrive avec une proposition franco-française pour un projet qui va atteindre une valeur de 100 milliards d’euros, voire peut-être plus, l’Allemagne, qui va mettre beaucoup d’argent dans ce projet, ne l’acceptera pas. Elle aura l’impression que 80 ou 90 % du programme n’ont été définis qu’en France. Cela ne serait pas acceptable. »
Quoi qu’il en soit, Mme Parly a précisé qu’un « montant de 2,2 milliards d’euros est consacré à ce programme », qu’un « premier contrat d’études a été conclu en 2018 » et que « les industriels allemands doivent rejoindre les acteurs français dans les prochains mois. »
Par ailleurs, plusieurs questions restent en suspens pour le moment, dont celles portant sur les « échanges d’informations », la « nécessité de pouvoir faire du transfert de technologies » et l’exportabilité du SCAF.
Par ailleurs, se pose aussi la question avec le Royaume-Uni, avec lequel des études sont menées au sujet d’un drone de combat destiné à intégrer le programme SCAF. Lors de son audition par les députés, le Délégué général pour l’armement [DGA], Joël Barre, a rappelé que cette dernière est toujours en vigueur, même si Londres a annoncé le développement d’un nouvel avion de combat, le Tempest.
« Nous maintenons également une coopération dans les technologies de l’aviation de combat du futur. Nous le faisons pour des raisons politiques et parce que la Grande-Bretagne est la puissance aérospatiale militaire numéro un avec nous en Europe, y compris dans l’aviation de combat. En outre, les Britanniques, c’est le F-35. Travailler avec eux sur les technologies de l’aviation de combat, c’est avoir de la matière pour étudier la question, incontournable, de l’interopérabilité avec cet appareil, celui-ci étant déployé par les Américains et par tous ceux qui l’ont acheté en Europe », a ainsi expliqué M. Barre.